Les critiques de gauche de Scargill01/04/19851985Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1985/04/117.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Les critiques de gauche de Scargill

Article paru dans Socialist Action, organe de la section britannique du SU, daté du 15 février 1985.

Les onze mois de la grève des mineurs ont apporté les développements les plus importants qu'ait connus la classe ouvrière britannique depuis les années 1920. Pour la première fois depuis la grève générale de 1926, un courant de lutte de classe de masse, avec à sa tête une direction de lutte de classe, est apparu en Grande-Bretagne. La direction du NUM (Syndicat des Mineurs - note de LO) animée par Scargill a fait la preuve, tout au long de cette année marquée par la plus longue grève de masse de l'histoire britannique, qu'elle était, pour reprendre les propres mots de Scargill, « une direction qui fait front et qui se bat ».

Le programme sur lequel Scargill s'était présenté à la présidence du NUM en 1981 est-celui sur lequel le NUM s'est battu en 1984-85. Ce programme, qui comportait entre autre, le refus de toute fermeture de puits (sauf en cas d'épuisement du charbon) et l'introduction de la démocratie dans le syndicat de façon à ce que toutes les décisions du congrès soient effectivement appliquées, était incompatible avec les intérêts immédiats du capitalisme. (...)

L'émergence de ce courant dans le mouvement ouvrier britannique, qui a de vieilles traditions de collaboration avec le capitalisme, est un événement d'une réelle importance historique. Dans le cadre de la crise que connaît actuellement l'impérialisme britannique, il constitue une première tentative de la classe ouvrière de mettre en place une direction qui s'affronte à la crise au nom de ses intérêts.

Ce n'est pas par hasard si cette direction s'est attirée la haine des cercles dirigeants de la bureaucratie travailliste. Ceux-ci ont souhaité autant que Thatcher la défaite du « scargillisme » dans la mesure où les méthodes de lutte de classe qu'il utilise constituent une menace à leur politique de collaboration. (...)

De fait, le « scargillisme » sera l'acquis essentiel de la grève des mineurs. Si pendant onze mois la grève des mineurs est restée solide, ce n'est pas simplement grâce à la base, mais grâce à la direction du NUM animée par Scargill. Cette direction a réussi à mener la plus longue grève de masse qu'ait jamais connue un pays impérialiste. C'est de cela dont on se souviendra lorsque tout le reste sera oublié. Et cela constitue une réalisation remarquable dans le domaine de la lutte de classe.

Quelle que soit l'issue de la grève, et rien n'est encore joué, les militants et les adhérents du NUM, contrairement à ce qui se passe dans presque toutes les autres grèves, ne reprendront pas le travail avec le sentiment d'avoir été trahis par leur direction syndicale. Ils auront raison. Ils auront le sentiment d'avoir été trahis par Willis, Kinnock, et par le TUC. Et là aussi, ils auront raison.

Car le débat sur Scargill et le scargillisme dans cette grève, n'est pas un débat académique. Il constitue un enjeu pour tout le futur du mouvement ouvrier en même temps qu'il pose le problème le plus essentiel quant àla politique de la gauche dans la période à venir.

L'émergence de Scargill et des forces qu'il représente au sein du NUM, et le soutien que la grève a suscité constitue la seule voie qui pouvait conduire à la mise en place d'une direction de lutte de classe en GrandeBretagne, c'est-à-dire sur la base du mouvement social le plus important qu'ait connu le pays depuis soixante ans.

En effet, tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes si avant la grève, il y avait eu une gauche de lutte de classe bien organisée aussi bien dans les syndicats que dans le Parti Travailliste. Mais malheureusement, l'immaculée conception n'appartient qu'à la mythologie. Et c'est précisément à l'issue de cette grève que pour la première fois depuis soixante ans a émergé une direction de lutte de classe appuyée sur une base de masse.

Le choix fondamental qui se pose à la gauche est soit d'y voir un énorme pas en avant - en fait un pas en avant historique - auquel elle s'identifie, soit au contraire d'y voir quelque chose comme une diversion dangereuse dans le cours de la lutte des classes.

En d'autres termes, la gauche doit-elle brandir fièrement le drapeau du scargillisme ou pas ? Socialist Action doit-il se considérer comme un journal scargilliste ou bien la gauche doit-elle prendre clairement ses distances vis-à-vis de Scargill ?

En fait, ce qui a distingué Socialist Action de tout le reste de la gauche pendant la grève des mineurs, c'est justement que nous nous considérons comme un journal scargilliste, et plus encore aujourd'hui qu'il y a onze mois. Nous avons considéré et nous continuons à considérer que ce que Scargill et les forces qu'il représente ont réalisé dans cette grève constitue un développement considérable et totalement positif dans la lutte des classes. Le scargillisme sera un élément positif et essentiel dans les développements à venir de la gauche en Grande-Bretagne. C'est une chose à laquelle nous devons complètement nous identifier et ceci malgré le fait que Scargill a été et est toujours un bureaucrate de gauche.

De plus, compte tenu de l'impact énorme de la grève, il n'y a jamais eu, pas plus hier qu'aujourd'hui, de place pour des positions intermédiaires. Ou bien on est pour Scargill et le scargillisme - ce qui n'interdit pas d'avoir des divergences - ou bien on est contre.

Les conséquences de cette dernière position, qui tient du sectarisme paranoïaque, commencent à se manifester aujourd'hui sous la forme d'une désorientation totale dans les rangs de la gauche.

La pire manifestation de cette désorientation vient bien sûr de The Next Step, l'organe du RCP (Parti Communiste Révolutionnaire, un petit groupe indépendant se réclamant du trotskysme - note de LO). Cela l'a conduit à prétendre dans son numéro de février que « les dirigeants des mineurs ont abandonné la grève ». Dans sa page centrale, intitulée « incapable de diriger », il prétendait : « On a laissé les mineurs du rang livrés à eux-mêmes. Ils n'ont pas de direction mais ils continuent à se battre parce qu'ils n'ont pas d'autre choix. C'est ainsi que les choses se sont passées depuis les premiers jours du conflit ».

Le RCP marque ensuite ses positions révolutionnaires en réaffirmant son soutien pour un vote sur la grève et en se livrant à une défense inspirée des jaunes du Nottinghamshire qui selon lui sont les boucs émissaires qui paient le prix de la politique pourrie de la direction du NUM.

Si la ligne du RCP est menée jusqu'à l'absurde, celle du SWP a été tout aussi critique, bien que moins cohérente. Au départ le SWP s'est livré à des attaques virulentes contre les dirigeants de la grève. Cependant, dans le courant de l'été au moment où le SWP s'est lancé dans une campagne de recrutement en direction des mineurs, Socialist Worker a effectué un virage brutal. Il s'est rendu compte des sentiments dominants au sein du NUM, et il a abandonné ses attaques contre Scargill.

Néanmoins, dans son numéro du 2 février, Socialist Worker revient à son ancienne position. Sa première page lance cet avertissement : « Ce n'est pas le moment pour les dirigeants des mineurs de capituler sans condition ». Et tout le numéro est consacré aux leçons de la défaite, en parlant presque de la grève au passé, alors que 130 000 mineurs continuent à se battre. Une telle position est un coup de poignard dans le dos de la grève, surtout que personne dans les rangs des scargillistes n'a jamais parlé de reddition sans condition.

Les positions ouvriéristes du SWP l'ont aveuglé au point de l'empêcher de voir les possibilités de différenciation au sein de la bureaucratie, et l'importance de ces différenciations pour la lutte de classe. Il partage avec le RCP la croyance infantile que la classe ouvrière est politiquement très avancée et que le seul obstacle qui s'oppose à sa marche en avant est la bureaucratie travailliste.

Le fait que Scargill, Benn, Livingstone et ceux qui les suivent ne constituent qu'une minorité au sein de la classe ouvrière aujourd'hui semble leur avoir échappé. Alors, au lieu de se battre aux côtés de Benn, de Scargill et de Livingstone, contre les bureaucrates de droite qui n'ont cessé de trahir les mineurs, ils pratiquent la division à leur encontre. Cette position revient à s'abstenir par sectarisme de toute intervention dans la lutte de classe réelle. Puisque la réalité n'est pas conforme à leur image d'un affrontement entre la base révolutionnaire et la bureaucratie, ils tournent le dos à la réalité.

Néanmoins, même parmi ceux qui ne sont pas tombés dans le piège du sectarisme, on trouve également des positions erronées. Ainsi le fait de ne pas reconnaître que Scargill est loin devant la grande majorité de la classe ouvrière, de ne pas tenir compte du rapport des forces réelles au sein du mouvement ouvrier et d'ignorer délibérément le chemin qui reste à parcourir pour changer qualitativement ce rapport de force conduit à des absurdités telles que l'éditorial du numéro 4 de Black Dragon.

Cet éditorial prétend que, compte tenu du rapport des forces, il serait possible d'organiser une grève générale de vingt-quatre heures le 11 février malgré l'hostilité du TUC, et va jusqu'à fixer le 6 mars comme le jour qui marquera le début d'une grève générale illimitée. A la conférence du Comité, à Sheffield, un certain nombre de groupes de gauche ont mis en avant des résolutions demandant un congrès extraordinaire du TUC afin d'appeler à la grève générale. D'autres ont réclamé que le Comité mette en place des comités d'action et se transforme en un autre TUC.

Le point commun de toutes ces revendications ultra-gauches est l'idée qu'aujourd'hui la classe ouvrière est vraiment révolutionnaire et qu'il suffit de lancer un bon appel pour qu'elle y réponde.

La réalité c'est en fait que l'aile scargilliste du mouvement ouvrier est très minoritaire et que la direction constituée autour de Scargill n'est que le premier pas sur la voie qui mettra fin à l'emprise du réformisme et de la collaboration de classes dans le mouvement ouvrier britannique. Faute de comprendre ce fait, on est conduits à des erreurs désastreuses.

La conséquence logique de ces positions est par exemple l'erreur droitière du SWP qui conclut que « nous sommes plus près de 1927 que de 1925 ». En fait c'est l'inverse. Nous sommes dans les premières étapes d'une nouvelle phase de la lutte de classe en Grande-Bretagne. Et le courant Benn-Scargill-Livingstone est l'élément essentiel dans ce processus. C'est le courant politique de masse le plus avancé dans le pays. Il constitue selon l'expression de Lénine « le prochain maillon dans la chaîne ». Ceux qui dans la gauche ne parviennent pas à saisir ce caractère manqueront des occasions historiques dans les luttes à venir.

Le défaitisme absurde du SWP - son idée que la classe ouvrière a aujourd'hui subi une défaite comparable àcelle de 1926 - est finalement la conséquence de son incapacité à comprendre la nature de la gauche travailliste et du courant Benn-Scargill-Livingstone. Si on considère ce courant comme la marque d'un glissement à droite dans la classe ouvrière et du développement d'illusions dangereuses vis-à-vis de la bureaucratie, alors la situation est en effet très noire. Non seulement la lutte de classes est marquée par des revers sévères, mais encore personne n'en apprendra rien.

Si au contraire on considère le scargillisme pour ce qu'il est, un grand pas vers la gauche pour la classe ouvrière, alors la situation devient entièrement différente. Il est historiquement inévitable que toute radicalisation profonde de la classe ouvrière doive nécessairement commencer par une minorité. Le scargillisme est un produit du caractère inégal de la radicalisation. C'est la première approximation d'un courant et d'une direction de lutte de classe, des approximations bien plus importantes suivront.

Le scargillisme est un produit du glissement de certaines fractions de la classe ouvrière vers la gauche et non pas l'inverse. Malheureusement, avant de se débarrasser de l'emprise du réformisme, la classe ouvrière devra mener des luttes bien plus importantes, et se battre face à des défaites bien plus sévères que ce qui s'est passé pour les mineurs.

La situation politique, aussi bien dans le monde que dans le pays, est radicalement différente de ce qu'elle était en 1926. Le scargillisme, et le courant qu'il représente dans le mouvement ouvrier, est un signe de l'avenir et non du passé. L'incapacité à comprendre à quel point cela marque un pas en avant pour la classe ouvrière britannique, est pour une bonne part la cause du désespoir qui s'est emparé des pages de bon nombre de journaux qui sont vraiment devenus aujourd'hui des journaux ultra-gauches.

Partager