Le Parti Communiste, parti gouvernemental25/09/19811981Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1981/09/87.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Le Parti Communiste, parti gouvernemental

Le texte ci-dessous est pour l'essentiel un extrait du meeting de Lutte Ouvrière du 25 septembre.

Il y avait une attraction nouvelle, cette année, à la Fête de l'Humanité. Parmi les milliers et les milliers de travailleurs, jeunes et moins jeunes, venus des quatre coins du pays, il y avait des ministres. Les quatre communistes, plus deux de leurs collègues auxquels ils avaient, paraît-il, réussi à placer une vignette.

On en plaisantait. Tel restaurant, par exemple, promettait aux clients, par tract, qu'ils seraient « servis comme des ministres ». On en plaisantait, mais comme on plaisante avec les choses sérieuses.

Car les ministres communistes, c'est la victoire pour le Parti Communiste. Leurs photos s'étalaient un peu partout et deux stands d'exposition au moins semblaient tout droit déménagés des ministères : le scanographe, l'appareil à radiographier, tout moderne, que Ralite, ministre de la Santé, autorise certains hôpitaux à acheter au trust CGR. Merci pour la CGR ! Et, surtout, une maquette du fameux TGV que la SNCF a déjà commencé à payer, très cher, aux trusts qui contribuent à sa fabrication, dont l'Alsthom-Atlantique, Creusot-Loire, Jeumont-Schneider, Pont-à-Mousson. Merci pour eux aussi !

Et dommage que Mitterrand n'ait pas donné à un communiste le ministère de la Défense, car on aurait probablement vu, à la Fête de l'Humanité, la maquette du futur septième sous-marin nucléaire, et d'autres engins de mort encore.

De quoi permettre ainsi aux travailleurs de voir où va leur argent, sous un gouvernement de gauche comme sous un gouvernement de droite.

Mais enfin, le Parti Communiste a quatre hommes dans la place, dans le gouvernement de la bourgeoisie. Et, trente-quatre ans après l'expérience jusqu'alors unique en son genre de 1944 à 1947, le Parti Communiste peut espérer avoir l'occasion de prouver aux classes dominantes que, tout original qu'il soit par ses liens avec la classe ouvrière, et du fait même de cette originalité, il peut leur rendre service au gouvernement, il peut leur fournir de bons hommes d'État, des ministres capables d'user de leur crédit auprès des classes populaires pour faire accepter à celles-ci une politique contraire à leurs intérêts.

Des ministres comme les autres

Voilà trois mois seulement que Fiterman, Ralite, Le Pors et Rigout siègent au gouvernement. Et la constatation qui s'impose est qu'ils sont bien des ministres comme les autres.

Fiterman, de toute évidence, tient la vedette. Il est ministre des Transports, élevé au rang honorifique de « ministre d'État ». De ce fait, il s'est vu attribuer des locaux refusés en 1978 à son prédécesseur Joël Le Theule : les salons lambrissés, salles à manger élégantes, appartement de fonction et grand jardin de l'Hôtel de Roquelaure (XVIIIe siècle). Fiterman est donc bien installé dans de vieilles pierres.

Peut-être Mitterrand a-t-il voulu montrer qu'il n'était pas rancunier, et qu'il avait oublié que le 9 novembre 1980, quand il avait annoncé officiellement sa candidature à la présidence de la République, un dénommé Fiterman avait déclaré : « L'annonce de Mitterrand ne provoquera pas beaucoup d'émotion dans les chaumières. Il a déjà été candidat deux fois, et deux fois battu... Ce n'est pas de ce côté-là que se tourneront ceux qui veulent vraiment le changement » .

Fiterman, en tout cas, y a gagné d'avoir quitté les chaumières pour l'hôtel particulier. Et peut-être parce qu'il a des choses à se faire pardonner, il est un des meilleurs ministres. Un des plus travailleurs. Un de ceux dont les dossiers seraient les mieux préparés, dit Marchais en toute objectivité. Un de ceux qui interviendrait le plus, et le mieux, en conseil des ministres. Le bon élément, quoi, qui ne se permet aucune parole légère et déplacée, contrairement à Claude Cheysson, Edith Cresson et quelques autres irresponsables du Parti Socialiste.

Et Fiterman vaque aux occupations traditionnelles des ministres.

Il reçoit des délégations, dont celle des responsables des fédérations CGT des transports et des cheminots. L'Humanité, le 18 juillet dernier, sous le titre « La CGT reçue par le Ministre » (et non les camarades syndicalistes reçus par le camarade ministre) en faisait le compte-rendu très classique : « Entrevue extrêmement cordiale et positive, ont déclaré les responsables CGT, qui ont souligné la volonté indéniable du ministre d'engager une nouvelle politique des transports prenant mieux en compte les besoins de la population et des salariés du secteur ».

La CGT était-elle au courant qu'une hausse des transports se tramait, contre la population ? Et que toujours la même politique de rentabilité de la SNCF, sur le dos des cheminots, la conduirait avec la CFDT, à faire grève sur le réseau Est ? Nous n'en savons rien.

Et puis, Fiterman inaugure aussi. Cette semaine, c'était le TGV, le « train à grande vitesse » que l'Humanité a baptisé aussi la « Très grande victoire ».

La « très grande victoire » pour les trusts qui le fabriquent, elle avait déjà été remportée il y a plusieurs années quand les gouvernements précédents, de droite, avaient décidé de payer pour cette réalisation.

Mais Fiterman, en bon ministre bourgeois, sait faire d'une très évidente victoire pour les trusts, une victoire - un peu moins évidente pourtant - pour les travailleurs. Il en fait même une victoire de la gauche contre la droite, avec une telle impudeur que discrètement, Mitterrand, lui aussi présent à l'inauguration, doit rectifier le tir en rendant hommage aux « gouvernements précédents qui, en décidant le TGV, ont agi utilement pour le pays » . Fiterman est bon, mais trop, c'est trop !

Enfin, comme ses prédécesseurs de droite, Fiterman a donné le feu vert à la hausse des transports. Et comme eux, il l'a fait en plein été, pendant que les travailleurs étaient en vacances. Aussi finaud que les autres !

Et puis est venue aussi, tout récemment, une hausse des péages des autoroutes.

Oui, Fiterman est un bon ministre.

Et même pour les petites choses, il peut compter - comme ses collègues d'ailleurs - sur l'appui de l'Humanité, quotidien désormais pro-gouvernemental.

Prenez Bison Futé, c'est un peu Fiterman maintenant. Alors, quand le samedi 1er août, trois millions et demi d'automobilistes se sont croisés sur les routes, l'Humanité les a sermonnés, en titrant : « Samedi gâchis. Les craintes de Bison Futé étaient fondées. Les automobilistes n'ont pas voulu suivre son conseil : 860 km de bouchons ! » .

Et pour le quotidien du PC qui a le respect des institutions bourgeoises, les ministres communistes sont vraiment plus ministres que communistes. L'Humanité d'hier publiait sur une page un entretien avec Marcel Rigout, ministre de la Formation Professionnelle. Et le vouvoyait. Première question : « Vous avez annoncé, lors de votre conférence de presse, etc ... Est-ce bien votre avis ? » . Rigout est pourtant le plus prolétaire des ministres. Mais fini le camarade ouvrier tourneur qu'on tutoyait. Il est maintenant Monsieur le Ministre, auquel on donne du « vous ».

Alors, oui, il y a du changement du côté du Parti Communiste. Marchais l'a dit : « Nous voulons réussir le changement, et pas pour une période limitée ». Ça veut dire que le PCF est content d'avoir des ministres, qu'il veut rester au gouvernement, conserver ses ministres le plus longtemps possible.

Pour la première fois depuis 34 ans

Avoir des ministres et les garder, c'est l'ambition de tout parti politique qui joue le jeu du parlementarisme bourgeois ; c'est l'objectif du RPR, du MRG, du PS et du PC.

On se présente aux élections, on a des députés, et puis si on est du côté de la bonne majorité, on peut aussi avoir des ministres. L'important, comme on dit, c'est de participer. Pour le Parti Communiste comme pour les autres.

D'ailleurs, s'il a été à ses tout débuts un parti révolutionnaire, qui militait pour la dictature du prolétariat, le Parti Communiste est depuis près de cinquante ans partisan de la participation gouvernementale dans l'appareil d'État de la bourgeoisie. C'est son seul et unique objectif politique. La dictature du prolétariat avait été effacée de ses perspectives bien avant que le mot ne soit enlevé des textes statutaires, par Marchais, au XXIIe congrès.

Mais ce qui distingue le PCF des autres partis, c'est l'attitude de la bourgeoisie et de son personnel politique, de gauche comme de droite, à son égard.

Jusqu'à présent, le PCF ne s'est trouvé associé au gouvernement qu'une fois dans son histoire, dans les circonstances particulières et éphémères de l'immédiat après-guerre.

Le PCF était à l'époque la principale force politique structurée du pays, et pour redresser l'économie et les finances de la bourgeoisie, mises à mai par la guerre, mieux valait l'avoir avec soi que contre soi.

Mais l'expérience n'a duré que trois ans. Et jusqu'au 23 juin dernier, tout en réaffirmant à maintes occasions qu'il était prêt à prendre ses responsabilités, toutes ses responsabilités, jusques et y compris à la direction des affaires du pays, le Parti Communiste restait dans l'antichambre en attendant qu'on le sonne.

Et l'heure a enfin sonné, avec l'invitation de Mitterrand, il y a trois mois. Mitterrand a proposé au Parti Communiste quelques postes de ministres à condition que ceux-ci gouvernent sur la base de sa politique à lui. Et plus même, que le Parti Communiste, au Parlement, dans les municipalités et dans les entreprises, autant dire partout où il est présent, se fasse le défenseur et l'instrument de la politique de Mitterrand. Et le Parti Communiste a accepté. On peut estimer qu'il est entré à genoux, dans la mesure où le contrat d'embauche - dit encore « contrat de gouvernement » - comportait quelques reniements par rapport à des positions passées. Mais peu importe, finalement, la façon dont le PC est entré au gouvernement. C'est maintenant de la vieille histoire, que le PC a déjà réécrite d'ailleurs, en disant et en faisant dire à ses militants que ce sont les luttes des travailleurs qui ont valu à Mitterrand son élection, et à lui, PCF, ses postes de ministres. Et puis l'important, maintenant, c'est d'avoir une place bien assise au gouvernement.

Les quatre ministres communistes ont les fesses bien carrées dans leurs fauteuils ministériels ; s'il ne tient qu'à eux, ils n'en bougeront pas de si tôt. Et le Parti Communiste tout entier n'est pas prêt sur le plan politique à s'écarter de la ligne droite mitterrandiste.

Pour comprendre la politique des partis politiciens - et le Parti Communiste Français en est un, car voilà très très longtemps qu'il n'est plus révolutionnaire et ne dit plus la vérité aux travailleurs - il faut les juger à leurs actes, et non à leurs paroles. Il faut juger le Parti Communiste aujourd'hui d'abord au fait qu'il a des ministres, à ce que font ses ministres au gouvernement, à ce que font ses députés au Parlement ; aux mesures gouvernementales que les uns et les autres prennent et cautionnent. Mais surtout pas à toute la littérature qu'ils mettent autour.

Appliquer aujourd'hui la politique de Mitterrand, la même que celle qu'ils ont tant décriée hier, ne pose pas un problème particulier aux dirigeants du PC. Ils n'en sont pas à un retournement près. Mais ils doivent quelques explications à leurs sympathisants et électeurs.

Porte-parole de la politique gouvernementale dans la classe ouvrière

Le Parti Communiste a encore une solide implantation dans la classe ouvrière. Dans les entreprises et les quartiers, il a des milliers de militants, qui vendent sa presse, diffusent ses tracts, vivent les joies et les peines des gens de leur classe, discutent, et cherchent à comprendre et à expliquer ce qui se fait en haut. Si le Parti Communiste a perdu 5 % des voix aux dernières élections présidentielles et législatives, il a encore plus de quatre millions d'électeurs, dont la majorité parmi les travailleurs des villes et des campagnes.

Alors bien sûr, ces gens-là ne sont pas des révolutionnaires. Le PCF recrute depuis longtemps sur des bases réformistes, légalistes, et la plupart sont probablement contents et fiers que le PC ait des ministres, même si certains pensent qu'il aurait pu en avoir un peu plus, ou céder un peu moins sur sa propre politique. Mais ce sont pour la plupart des gens qui croient que le Parti Communiste a vraiment une politique, que ses dirigeants n'ont vraiment qu'une parole. Quel langage tient le PCF en leur direction, et au travers eux, en direction des travailleurs ?

Premier aspect marquant du langage du PCF, c'est évidemment son soutien au gouvernement. Le PCF remplit son contrat en se faisant le porte-parole principal de la politique gouvernementale dans la classe ouvrière.

Dans les discours de ses dirigeants ou les articles de l'Humanité, quel que soit l'aspect de la politique gouvernementale abordé, le PC dit que c'est bien, bien mieux qu'avant, que ça a changé, ou que c'est nettement sur la voie du changement. En général, ce soutien loyal et sincère au nouveau gouvernement apparaît aussi dans le titre. Par exemple, à propos de la rentrée scolaire : « Une rentrée scolaire pas comme les autres » , ou à propos de la vie aux Armées : « Du mieux pour les gendarmes » .

Cette première partie est indispensable, elle doit mettre en évidence toujours ce que le PCF appelle « l'avancée positive ». Comme s'il y avait des avancées négatives.

Ensuite, la prose du PCF se permet généralement quelques réflexions, quelques suggestions, parfois quelques légères critiques, mais toujours suivies immédiatement des excuses qu'a le nouveau, gouvernement à ne pas aller plus positivement de l'avant. Il y a le lourd héritage giscardien ; la résistance des patrons ou de certains chefs qui n'ont pas compris que quelque chose a changé et n'ont pas mis leur montre à l'heure ; enfin l'obstination imbécile des milieux politiques de droite, de tous les nostalgiques du ci-devant gouvernement. Ou alors, il y a souvent quelques paragraphes où le Parti Communiste se paie la coquetterie de dire qu'il aurait préféré que les choses se fassent comme ci, plutôt que comme ça ; qu'il aurait aimé plus, ou autrement, mais qu'on ne peut pas vouloir tout tout de suite, d'autant plus que les Français ont choisi une certaine politique en élisant Mitterrand, et que la démocratie oblige donc le PCF à s'incliner.

Enfin et pour conclure, on trouve dans la littérature du PC l'appel final à l'intervention des travailleurs, à la participation consciente et active des masses à l'élaboration de la politique nouvelle, sans lesquelles le gouvernement ne pourrait remporter aucun vrai succès.

C'est sur ce modèle, par exemple, que Georges Marchais a fait à la Chambre des députés une longue intervention pour soutenir le plan Mauroy contre le chômage. Il a donc commencé par le couplet « soutien » : « Nous considérons comme positives les premières mesures prises et les premières décisions annoncées, notamment celles que vous venez, Monsieur le Premier ministre, d'évoquer à cette tribune... Nous nous félicitons, Monsieur le Premier ministre... » mais, bien sûr, ajoute aussitôt Marchais : « Le patronat n'a pas abdiqué. Banquiers, financiers, spéculateurs, grands capitalistes, unis aux politiciens de droite, emploient tous les moyens dont ils disposent pour contrarier l'œoeuvre de rénovation engagée » .

Alors, sur divers problèmes, les licenciements, les prix, Marchais avance quelques suggestions propres au Parti Communiste.

Il propose d'offrir à 100 000 jeunes une vraie formation professionnelle, ou alors, propose de reverser aux Petites et Moyennes Entreprises l'aide de 5 milliards par an à l'investissement décidée par le septennat précédent.

Mais l'essentiel, malgré quelques réserves et quelques clauses de style, est que le PCF s'aligne. Même en paroles, même sur le papier, le PCF n'a plus l'ombre d'un programme qui s'opposerait à celui du PS, ou même qui s'en distinguerait clairement.

Et là où les choses deviennent franchement drôles, c'est quand des plumitifs du PCF, chargés de rédiger les textes de préparation au XXIVe congrès, cherchent à affubler de justifications théoriques les volte-face opportunistes, le ralliement pur et simple à Mitterrand pour avoir des ministres.

Voici entre autres, le passage d'un article de l'Humanité du 21 août dernier intitulé pompeusement « Ministres communistes et stratégie du XXIIIe congrès » , où Paul Frémonteil définit la nouvelle stratégie qui « fonde et rend possible notre participation au gouvernement » : « Ainsi, prenant appui sur une analyse spécifique d'une réalité placée sous le signe de la contradiction et du mouvement, notre stratégie permet de jouer notre rôle d'avant-garde en résolvant le problème posé par l'écart qui existe entre le haut niveau des solutions nécessaires pour sortir de la crise et le niveau actuel du mouvement populaire dans sa majorité ». « Il s'agit d'enrichir et de rendre plus perceptible notre perspective du socialisme démocratique et de mieux traduire concrètement notre stratégie d'avancée « pas à pas » .

A propos des premières vagues mesures dites de « décentralisation » proposées par Defferre à la mi-juillet, l'éditorialiste de l'Humanité se félicite sous le titre « Décider au pays » , en ces termes : « Le projet de loi adopté hier par le gouvernement va dans le bon sens. Entre l'écueil de la précipitation et celui des occasions manquées, il affirme les principes » .

A propos de la rentrée scolaire, « elle n'a pas été comme les autres » , affirme l'Humanité. Bien sûr, le quotidien du PC mentionne que des maîtres auxiliaires n'ont pas retrouvé de postes, que bien d'autres n'ont été embauchés que sur des demi-postes, avec donc des demi-salaires bien inférieurs à l'indemnité de chômage à laquelle ils avaient droit ! Ou bien l'Humanité rapporte encore que dans telle cité de banlieue, les enfants de deux et trois ans n'ont pas trouvé place à l'école maternelle. Mais qu'à cela ne tienne, c'est le lourd héritage giscardien, et cela n'empêche pas, dit l'Humanité, un « esprit nouveau » de souffler très fort.

Dans le domaine de l'armée et de l'armement, le PCF s'aligne avec plus de facilité encore. Sur la décision de ne pas réduire la durée du service militaire, et sur celle de continuer à investir dans les sous-marins ou autres porte-avions nucléaires.

Ainsi, trouvait-on dans l'Humanité, un émouvant compte-rendu de la cérémonie de lancement du deuxième sous-marin nucléaire d'attaque, présidée par le ministre socialiste de la Défense, Charles Hernu.

Alors l'Humanité raconte la scène qui se passe à Cherbourg : « Faites procéder aux dernières opérations de lancement » demande le ministre. Alors, un ouvrier, armé d'un chalumeau finit de séparer en deux la saisine qui rattachait encore le sous-marin à la cale de lancement. L'équipage, après avoir hissé le drapeau tricolore, se tient prêt. Sur la tribune officielle, les balcons de la cale, les quais de l'avant-port bondés, tout le monde retient sa respiration. Une secousse. Et la lourde coque glisse de son plan incliné jusque dans l'avant-port militaire où les remorqueurs le réceptionnent pour le conduire à quai.

C'est fait, le deuxième sous-marin nucléaire d'attaque « Saphir », le cinquième du nom, le quatre-vingt-sixième à être sorti de Cherbourg, vient d'être lancé publiquement par le ministre de la Défense, Charles Hernu, accompagné de personnalités civiles et militaires parmi lesquelles le délégué général à l'Armement, M. Matre, le directeur de l'Arsenal, l'ingénieur Wiener.

Mais ce n'est pas fini ... Il pleut sur Cherbourg, mais la population est venue, nombreuse, assister à la cérémonie, aussi fière que ses pères, frères et fils qui sont près de 5 000 à avoir donné forme à l'acier... »

Quant à la poursuite du programme nucléaire, le PCF se permet de courir devant. C'est lui qui a inspiré les manifestations cégétistes de cet été pour la poursuite des travaux sur les quelques sites dits gelés des centrales de Cattenom et Golfech. Quant à l'usine de retraitement de La Hague, cette poubelle atomique dangereuse contre laquelle des écologistes ont encore manifesté au mois d'août, à l'occasion d'une nouvelle livraison de déchets à retraiter, le PC a trouvé meilleur avocat que lui pour la défendre : Jean-Pierre Chevènement. Ce sont les propos du ministre de la Recherche qui trouvent leur place dans l'Humanité, propos chocs publiés sans commentaires : « La Hague n'est pas une poubelle, comme on l'a dit. C'est une blanchisserie. Le linge sale, une fois lavé, est renvoyé au client mais avec la « crasse ». J'ajoute que cela représente quelques dizaines de milliards de francs de contrats, ce qui n'est pas absolument négligeable ».

Le PCF et l'Humanité, eux aussi, sont une blanchisserie où on cherche à laver en grand les crasses que le nouveau gouvernement programme contre les travailleurs.

Alors que le pays va vers les deux millions de chômeurs, alors que les salaires sont toujours plus rognés par l'inflation, l'indemnisation des patrons et gros actionnaires des entreprises nationalisables va coûter des milliards à l'État, c'est-à-dire aux travailleurs qui cotisent le plus à l'impôt.

Il s'agit d'un gigantesque hold-up. Le PCF le sait puisque dans l'Humanité du 3 septembre dernier, sous la plume de l'éditorialiste Martine Bulard, on pouvait lire : « Suez, que l'on nationalise aujourd'hui, a reconstitué son empire à partir des indemnités reçues à la suite d'une précédente nationalisation. Et l'on peut compter sur les géants de la finance, ils recommenceront demain si la possibilité leur en est offerte. lis s'engouffreront allégrement dans la moindre petite brèche » . Mais ça n'empêche pas l'Humanité, sous la plume de Maurice Herzog, de passer totalement sous silence le problème des indemnisations et de féliciter le gouvernement en ces termes : « Les communistes accueillent avec une grande satisfaction les décisions de nationalisations du gouvernement. Les travailleurs peuvent s'en féliciter avec nous. D'ailleurs, les patrons ne s'y trompent pas. C'est un concert d'imprécations et de cris de revanche, une vaste pression pour défendre les intérêts du monde de l'argent. En réduisant la propriété du capital, en augmentant celle de la nation, ces réformes donnent au monde du travail des atouts pour vivre mieux et pour développer la France » .

Mais attention, le Parti Communiste est encore capable de critiquer, de s'opposer... à Reagan et à sa bombe à neutrons. A sa façon, en faisant signer des kilomètres de pétitions. Cent dix mille signatures ont été récoltées à la Fête de l'Humanité, que des responsables du PCF et de la Jeunesse Communiste, le lendemain, sont allés porter à l'ambassade des USA. La photo de l'Humanité les montrait aussi embarrassés de leurs sacs et de leurs paquets que s'ils revenaient du marché.

Mais un marché de dupes pour ceux qui signent, en tout cas. Que la bombe à neutrons soit une « sale bombe », une « arme diabolique » comme la dénonce le Parti Communiste, nous le nierons pas. Mais qu'elle soit la « bombe à Reagan », c'est plus discutable. Car nous allons l'avoir, notre bombe à neutrons française et socialiste, même si elle n'en est qu'à sa phase de gestation, dans des laboratoires de recherche financés déjà par les contribuables que nous sommes. Le gouvernement décidera-t-il sous peu de commencer sa fabrication en série ? Ce n'est peut-être qu'un problème technique, et pas politique. Et nous verrons peut-être demain, si cette décision gouvernementale intervient, le Parti Communiste abandonner sa pseudo-lutte contre la bombe à neutrons, et nous expliquer qu'elle est nécessaire pour des raisons qu'il inventera à ce moment-là, comme, il y a quatre ans seulement, la bombe atomique, scélérate la veille, était devenue le lendemain le plus beau fleuron de notre Défense. Et aux militants, sympathisants et électeurs du Parti Communiste de prendre le virage !

Le PCF mène la politique de la bourgeoisie en prétendant la mener dans l'intérêt des travailleurs

Le Parti Communiste Français a une très longue pratique du double langage. L'un à destination de la bourgeoisie, l'autre à destination de la classe ouvrière.

Même pendant ses 34 ans d'opposition, le Parti Communiste s'est toujours considéré comme un parti à « vocation gouvernementale » aspirant à mener au plus haut niveau la politique de la bourgeoisie, avec l'attitude responsable que cela implique vis-à-vis de l'ordre bourgeois.

Mais c'est aussi un parti avec son lointain passé révolutionnaire, avec sa prédominance dans le mouvement ouvrier organisé, avec sa prétention d'être un parti ouvrier et communiste, qui a des liens profonds avec la classe ouvrière, directement ou par CGT interposée.

Depuis qu'il n'est plus révolutionnaire, le PCF est un immense appareil à tromper les travailleurs, à dévoyer les convictions communistes, de ceux de ses militants qui en ont encore. Le mensonge, le double langage, sont inhérents au stalinisme, sont inhérents au PCF.

Mais dans l'opposition, c'est quand même plus facile de tromper les travailleurs, de se faire passer pour révolutionnaire alors qu'on ne l'est pas. C'est quand même plus facile de se faire passer pour radical et combatif.

La participation directe au gouvernement pose de nouveaux problèmes à cet égard. En tous les cas, en posera, lorsque la rupture interviendra entre la classe ouvrière et le gouvernement. Lorsque les travailleurs déçus, trompés par le gouvernement, trouveront le PCF sur leur chemin. Quand et comment est-ce que cette rupture interviendra ? Seul l'avenir le dira, comme c'est l'avenir qui dira quelle sera alors l'attitude du PCF. La façon dont le PCF est entré au gouvernement, sa servilité présente, laissent penser qu'en cas de choix à faire, le PCF choisira la loyauté à l'égard de la bourgeoisie, la solidarité à l'égard du gouvernement, quitte à perdre de son influence sur la classe ouvrière. Mais ce n'est pas une certitude. Pour l'instant le PCF n'est pas confronté à un choix aussi dramatique pour lui-même. Mitterrand jouit encore d'un état de grâce, cependant déjà passablement défraîchi. Et surtout, le chômage est assez important pour peser sur la combativité de la classe ouvrière, son aggravation plutôt progressive, rampante, n'entraîne pas de réaction violente de la classe ouvrière.

Cette situation bénéficie également au PCF.

Ses militants n'ont pas encore de raison majeure de se sentir en porte-à-faux vis-à-vis de leurs camarades de travail.

D'autant moins que, malgré les camarades ministres, les militants du PCF, dans la CGT en particulier, disposent d'une marge de manœoeuvre assez large pour épouser, voire impulser certaines luttes des travailleurs.

Sous sa direction, les syndicats CGT pousseront peut-être à des grèves ici, ou des grèves là, comme ils l'ont fait jusqu'à présent et comme ils viennent, entre autres, de le faire, chez les cheminots de la gare de l'Est, mécontents des changements d'horaire et de roulement.

D'abord, la CGT ce n'est pas exactement le Parti Communiste. Elle a aussi ses problèmes spécifiques. Déterminés entre autres par les besoins de la concurrence avec les autres centrales syndicales. Et, tout en étant membre d'un parti qui a des camarades ministres, Henri Krasucki, dirigeant de la CGT, a pu se permettre de dire en juillet dernier, qu'il jugeait la politique du gouvernement constructive, mais que la CGT ne renonçait à aucune forme de lutte, y compris la grève lorsqu'elle est nécessaire.

Et les militants communistes des entreprises, soit parce qu'ils représentent la volonté de leurs camarades de travail, soit parce que c'est de toute manière l'intérêt du Parti Communiste de continuer à se présenter comme le représentant de ceux-ci, peuvent mener des actions, des grèves.

La CGT peut se montrer revendicative sur bien des problèmes concernant les conditions de travail, les horaires, l'attitude de la maîtrise, etc., surtout si les problèmes sont limités dans leur ampleur ou dans leur but. D'autant plus d'ailleurs que les revendications sont diversifiées. Dans bien des entreprises d'ailleurs, la CGT continue à avancer les mêmes revendications qu'avant le changement de gouvernement et parfois sans ménagement, au moins sur le plan verbal. Elle s'est composé une attitude qui consiste à en appeler aux travailleurs pour faire pression sur les patrons (ou les cadres) qui « sabotent le changement ».

Elle peut se montrer combative jusques et y compris en animant des luttes importantes.

Ce qui semble à peu près certain, c'est que le PCF et la CGT reculeront devant des luttes susceptibles de conduire à une épreuve de force avec le gouvernement. Mais des luttes partielles, locales, contre des patrons bien précis, ne conduisent pas en général à de telles épreuves de force. Il n'est même pas dit que des revendications de salaire, du genre augmentation uniforme, pourtant susceptibles de généralisation, gênent nécessairement le gouvernement et mettent par conséquent la CGT en mauvaise posture. En cette période d'inflation, une augmentation même de l'ordre de 500 F des salaires - telle que le revendiquait la CGT chez Renault par exemple, il est vrai pas très longtemps - n'est pas très gênante pour un certain nombre de patrons, au point que le gouvernement soit obligé de prendre parti de leur côté.

Ainsi donc, le Parti Communiste et la CGT disposent d'une certaine marge de manœoeuvre susceptible de leur permettre de ne pas être débordés par la combativité ouvrière, malgré la présence de ministres communistes au gouvernement.

Mais quoi qu'il en soit de l'attitude que le Parti Communiste adoptera dans les entreprises, le fondement de sa politique, de toute façon, sera de cautionner le gouvernement, de dire aux travailleurs que la politique qui s'y fait est la bonne, celle qu'ils doivent défendre.

Et les dirigeants du PC, comme ceux du PS, ne vont pas tarder à chercher à expliquer à tous ceux qui ne seraient pas heureux, que toute critique du nouveau régime, toute parole ou acte dirigés contre lui, sont forcément des attaques et des manoeuvres de la droite. Que l'opposition, c'est forcément la droite.

Mais le danger, pour la période à venir, ce n'est pas que l'ancienne majorité se manifeste. Le danger, ce n'est pas que la droite relève la tête. Elle le fera forcément puisqu'elle veut revenir au gouvernement dans cinq ans, dans sept ans, ou plus vite encore.

Le danger, c'est que la droite soit seule dans l'opposition. Car si elle est seule à critiquer, seule à s'opposer, seule àcombattre, c'est vers elle que se tourneront tous ceux qui sont mécontents, tous ceux que la crise économique, si elle s'approfondit, peut pousser à la révolte.

Alors, s'il y a encore au Parti Communiste des travailleurs, des militants qui n'admettent pas l'embrigadement derrière Mitterrand, qui veulent garder leur liberté de critiquer, voire de combattre ce qui ne leur plaît pas, qui veulent que la vie change vraiment et ne font pas confiance au nouveau gouvernement, même flanqué de quatre ministres communistes, alors c'est à eux de faire leur choix. Et de se retrouver du côté de ceux qui s'opposent au gouvernement, mais sur sa gauche, qui n'ont aucune raison de cacher aux travailleurs que le nouveau gouvernement est toujours un gouvernement de la bourgeoisie, et qui disent que les travailleurs n'auront que ce qu'ils seront capables d'obtenir par leurs luttes.

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