Le Moyen-Orient01/12/19831983Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1983/12/107.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Le Moyen-Orient

Les conséquences de la guerre du Liban menée en 1982 par Israël ont encore marqué en 1983 toute la situation au Moyen-Orient. Le développement majeur a été, suite à l'évacuation partielle du Liban par l'armée israélienne, la reprise de la guerre civile libanaise et l'intervention directe des impérialismes français et américain.

La guerre du liban a eu deux autres conséquences directes : d'une part le développement des difficultés économiques et politiques en israël, d'autre part, la crise au sein de l'olp. enfin, la guerre irako-iranienne se poursuit sans que rien n'indique une fin prochaine du conflit.

Pour l'impérialisme, le Moyen-Orient est une région déterminante. Elle l'est du fait de ses richesses pétrolières, mais aussi du point de vue stratégique, par la position qu'elle occupe aux confins de l'Afrique et de l'Asie, aux portes de l'URSS et non loin de l'Europe occidentale. La présence de l'impérialisme est ancienne et a profondément marqué la région. Les colonialismes français et anglais, pour faire pièce au nationalisme arabe, l'ont divisée en États concurrents, ont favorisé des minorités, comme les juifs palestiniens et les chrétiens libanais, créant les éléments de conflits insolubles qui fournissent un prétexte et un support à l'intervention impérialiste.

La situation au Moyen-Orient est marquée par un enchevêtrement de contradictions particulièrement explosif. Les États arabes d'abord, tout en se proclamant « frères », développent leur nationalisme spécifique et leurs rivalités. Ils s'opposent tous à l'État d'Israël qui joue le rôle de principal allié de l'impérialisme dans la région et qui dispose d'une supériorité militaire avérée par cinq guerres successives et sert de menace permanente contre les velléités des États arabes d'échapper à la tutelle impérialiste.

Au Liban, les chrétiens maronites, soutenus également par les puissances impérialistes, jouent un rôle analogue à celui d'Israël, tout en disposant de bien moins de moyens.

Enfin, le peuple palestinien, dispersé entre divers États arabes au sein desquels il constitue une minorité plus politisée, plus mobilisée, organisée et souvent armée, se reconnaissant dans une organisation - l'OLP - qui a, jusqu'à présent, maintenu son indépendance à l'égard de ces États arabes, pose une problème politique non seulement à Israël, mais aussi à ces États qui se préoccupent en permanence de le contrôler, voire de le briser.

La situation d'aujourd'hui est le produit de tous ces conflits, dont certains se développent sans discontinuer depuis des décennies, compliqués des interventions impérialistes.

C'est en partie à la suite des difficultés rencontrées sur le plan intérieur, en partie suite à celles rencontrées dans leur entreprise d'occupation militaire, que les dirigeants israéliens ont partiellement retiré leur armée du Liban. Ce retrait a immédiatement démontré que l'intervention israélienne, loin de mettre fin à la guerre civile libanaise l'avait, en fait, rallumée. Dans la région évacuée par Israël la guerre a repris aussitôt.

Cette guerre est la continuation de la guerre civile déclenchée en 1975 par la droite chrétienne libanaise désireuse de briser la montée de la gauche et du mouvement populaire qui était due, notamment, à la présence des organisations palestiniennes et à leur rôle d'exemple et d'entraînement. Si la droite n'a pu briser totalement ni les organisations de la gauche libanaise, ni les organisations palestiniennes, réciproquement la politique suivie par les dirigeants de ces organisations ne permettait pas aux masses populaires de remporter la victoire. Cette guerre civile va donc de phases d'accalmie en phases de conflit aigu, sans que son internationalisation progressive ait réussi, jusqu'à présent, à lui donner une issue.

En 1982, l'intervention israélienne a fait cadeau à la droite chrétienne de la victoire politique qu'elle recherchait depuis sept ans, assurant l'élection de Bechir puis d'Amine Gemayel à la présidence de la République. Aidé par l'impérialisme, ce dernier a tenté de reconstruire l'État libanais en donnant au sein de celui-ci un rôle hégémonique à son parti, les Phalanges, et provoquant ainsi la rupture avec les autres composantes politiques et confessionnelles. La droite phalangiste n'a nullement réussi à briser les forces armées des autres courants et factions et donc à consolider, sous son égide, l'appareil d'État. C'est ce qui amène, après le retrait d'Israël, l'intervention de plus en plus directe de l'impérialisme.

Cependant, la guerre civile telle qu'elle se déroule aujourd'hui a en grande partie perdu le contenu politique et social qu'elle avait en 197576. Cela est dû notamment à la politique de la gauche libanaise qui se refusa à donner au combat des masses pauvres libanaises et palestiniennes un autre objectif que celui d'une vague réforme de l'État libanais au profit de divers clans politiques, dont essentiellement le clan druze de Kamal puis Walid Joumblatt. La guerre civile s'est ainsi peu à peu réduite à un combat entre clans confessionnels, aujourd'hui essentiellement Druzes contre Chrétiens, ou encore Chiites contre Chrétiens, dans laquelle seul le clan chrétien-phalangiste a l'appui de l'impérialisme.

Bien que contraints à l'affrontement par l'intransigeance du camp chrétien-phalangiste, les dirigeants des autres clans confessionnels n'en continuent pas moins de poursuivre l'objectif d'un accord « d'Union nationale » avec celui-ci. Ils peuvent espérer d'ailleurs trouver pour cela le soutien de l'impérialisme. Dans cet esprit, ils tentent de discipliner leur propre camp, voire d'y créer un embryon d'appareil d'État pour démontrer leur capacité à établir un pouvoir stable dans les zones qu'ils contrôlent. Le résultat est le renforcement d'appareils militaires loin de tout contrôle des masses populaires. D'autre part, les leaders chiites et druzes donnent des gages à l'impérialisme et à la bourgeoisie chrétienne en se proclamant opposés à toute présence palestinienne.

De la même façon, la politique de la Syrie est avant tout dominée par la recherche d'un compromis avec l'impérialisme et ses soutiens locaux, compromis que ceux-ci jusqu'à présent refusent. Les dirigeants syriens veulent obtenir la restitution du Golan occupé par Israël depuis 1967.

La Syrie a également des revendications territoriales au Liban, puisque cet État a été créé par le colonialisme français à ses dépens. Faute d'espérer obtenir la restitution de tout ou partie des territoires, elle veut à tout le moins obtenir le maintien, au Liban, d'un pouvoir politique et d'un État qui ne lui soient pas hostiles.

Pour faire valoir ces objectifs, la Syrie s'appuie sur sa présence militaire, qui n'a pas cessé depuis son intervention de 1976 aux côtés des Phalanges. D'autre part, elle soutient militairement les clans qui lui sont proches : Druzes, Chrétiens du Nord-Liban, Sunnites de Tripoli, Palestiniens pro-syriens, tout en cherchant à les contrôler le plus étroitement possible.

Ayant par ailleurs le soutien militaire de l'URSS, la Syrie cherche à en tirer parti pour démontrer qu'elle est un interlocuteur indispensable dans tout règlement diplomatique au Liban et au Moyen-Orient. En même temps, elle cherche à donner des gages àl'impérialisme pour démontrer qu'elle peut être un facteur d'ordre dans la région. C'est un des buts qu'elle poursuit en tentant de mettre le mouvement palestinien sous son contrôle.

Le mouvement palestinien est aujourd'hui dans l'impasse. La guerre du Liban a constitué pour lui un important revers. L'occupation israélienne du SudLiban, puis de Beyrouth-Ouest a ôté aux organisations armées de l'OLP le territoire où elles disposaient d'une liberté d'action et d'organisation. Les conséquences en ont été rapidement sensibles.

L'intervention de la « force multinationale d'interposition » américano-franco-italienne en septembre 1982 sous couvert de rétablir la paix au Liban a été suivie d'un « plan Reagan » de règlement, puis d'un plan arabe adopté au sommet de Fès des chefs d'État arabes. L'ensemble de l'opération visait àcréer l'illusion d'une possibilité de règlement diplomatique des problèmes du Moyen-Orient, et l'OLP s'y est prêtée.

Mais, en l'absence de toute concession de la part d'Israël ou de l'impérialisme, le « plan Reagan », puis le plan de Fès, ont fait long feu. Les négociations engagées entre l'OLP et le roi de Jordanie ont débouché sur l'impasse. Les dirigeants de l'OLP qui avaient montré leur disponibilité à jouer le jeu diplomatique se sont trouvés sans perspective, et isolés au sein de leur propre mouvement. Les dirigeants syriens ont saisi l'occasion pour tenter d'établir leur contrôle sur l'organisation palestinienne, se servant pour cela des divisions internes du mouvement, et surtout du fait que l'intervention israélienne a repoussé les forces palestiniennes dans les zones sous contrôle militaire syrien.

Ce revers de l'OLP s'ajoute à une série d'autres, dont les plus importants ont été le « septembre noir » jordanien de 1970 et la guerre civile libanaise de 1975-76. Ils sont dans une large mesure la conséquence des choix politiques faits par les dirigeants nationalistes palestiniens. Se plaçant sur un plan strictement nationaliste et strictement palestinien, ceux-ci ont basé leur politique sur la recherche du soutien des divers États arabes. Ce choix leur interdisait d'utiliser ce qui pouvait faire la principale force politique du mouvement l'écho qu'il rencontrait au sein des peuples arabes pouvait lui permettre d'être un pôle, un point de ralliement des aspirations des peuples de toute la région ; aspirations pas seulement dirigées contre Israël, mais plus généralement contre l'impérialisme, contre les États arabes qui lui sont liés et les divers dictateurs locaux, contre la division arbitraire des peuples arabes en États concurrents. Cette attitude a désarmé les masses palestiniennes et la fraction des masses arabes qui s'était engagée à leurs côtés face aux entreprises de répression menées par des dirigeants arabes décidés à réduire l'opposition de fait constituée par le mouvement palestinien les dirigeants jordaniens en septembre 1970, puis libanais et syriens en 1975-76.

De même, l'absence totale de politique à l'égard du peuple israélien lui-même, due à une politique purement nationaliste, prive le peuple palestinien de toute possibilité de trouver des alliés de ce côté. Bien plus, elle permet aux dirigeants israéliens de prétendre qu'il existe une « menace arabe », dirigée non seulement contre l'État d'Israël et sa politique, mais contre le peuple israélien lui-même. Celui-ci est ainsi rejeté du côté de ses dirigeants, favorisant en Israël « l'Union nationale » et finalement les éléments les plus belliqueux.

L'échec de l'OLP n'est d'ailleurs finalement qu'un élément d'un ensemble plus vaste : sa politique est sur le fond de même nature que celle de la gauche libanaise par exemple et son échec est dû aux mêmes raisons. Refusant d'utiliser le potentiel révolutionnaire présent parmi les masses populaires des pays arabes, visant la recherche de compromis avec l'impérialisme et les régimes en place, ces mouvements sont conduits de capitulation en capitulation, menant à la défaite des masses et finalement à leur propre suicide politique. Leur échec est plus généralement celui de la petite bourgeoisie nationaliste radicale des pays arabes dans ses vélléités de lutte contre l'impérialisme, échec dû avant tout à sa peur des masses, à sa recherche incessante de compromis avec les régimes, les clans féodaux et confessionnels même les plus réactionnaires, et finalement avec l'impérialisme.

Cette faillite du courant nationaliste arabe un moment incarné à son corps défendant par l'OLP, venant s'ajouter à celle du nassérisme, crée aujourd'hui un vide politique que les courants intégristes islamiques cherchent à combler en détournant les sentiments de solidarité des masses arabes déshéritées pardessus les frontières, au profit d'un pan-islamisme réactionnaire qui n'offre au demeurant pas plus la perspective de renversement des frontières artificielles que le « pan-arabisme » plus ou moins laïc du passé.

En Israël même, les difficultés politiques se sont accrues. en même temps la crise économique et financière s'est aggravée. la guerre au liban, en 1982, a été une fuite en avant de la bourgeoisie israélienne devant les difficultés qui s'accumulaient. elle répondait aux problèmes croissants rencontrés dans l'occupation des territoires palestiniens de cisjordanie et de gaza, et à la tentation de l'état-major israélien de liquider la question palestinienne en portant un coup décisif à l'olp et à ses organisations militaires au sud-liban. elle illustrait également les tendances foncièrement expansionnistes de l'économie israélienne. sorte d'excroissance de l'occident impérialiste au sein d'une région sous-développée, empêchée de conquérir les marchés voisins du fait du conflit israélo-arabe, la bourgeoisie israélienne tente d'ouvrir ceux-ci par la force des armes.

Mais en déclenchant la guerre du Liban, avec ses importantes destructions, le grand nombre de morts qu'elle a provoqué, l'étendue du territoire conquis, la mobilisation importante de l'armée qu'elle implique, la bourgeoisie israélienne a franchi un degré plus élevé dans l'escalade guerrière. Loin de résoudre sa crise économique, elle l'a aggravée par les énormes dépenses de la guerre, nullement compensées par les profits qu'elle a permis. Elle a provoqué, pour la première fois au cours d'une guerre menée par Israël, une fissure profonde dans l'opinion, qui a pris en partie conscience de son caractère de guerre de conquête pure et simple. Des mouvements de protestation ont eu lieu au sein de l'armée, puis les massacres de Sabra et Chatila ont entraîné une réaction d'indignation massive.

Cette fissure du consensus national israélien a aggravé l'instabilité politique, marquée par l'établissement d'une commission d'enquête sur les massacres de Sabra et Chatila, aboutissant à la mise en réserve du général Sharon, maître d'oeuvre guerre du Liban, à la démission de Begin et à son remplacement par Ytzhak Shamir dans l'attente de probables élections anticipées, à la décision de retrait partiel des troupes du Liban, à l'annonce de mesures d'austérité longtemps retardées déclenchant un début de panique financière.

Le problème pour la bourgeoisie israélienne est de faire accepter à la population de payer le coût humain et matériel de la guerre et de la crise, et cela au moment où une fraction de cette population se montre de moins en moins prête à considérer que ces sacrifices sont nécessaires et légitimes pour la défense du pays. Face à cette tâche, la situation révèle une certaine usure du gouvernement du Likoud, mais aussi celle du parti travailliste et finalement du système politique. Cela pourrait favoriser l'extrême-droite et tous ceux qui proposent de recourir à une politique encore plus radicale d'austérité et de guerre appuyée sur les moyens de l'idéologie obscurantiste religieuse et du militarisme. En effet, cette extrême-droite pourrait apparaître comme un recours pour une partie de la population face à des politiciens discrédités et en même temps comme une solution politique pour les classes dirigeantes, capable de supprimer certains des droits démocratiques dont dispose la population juive israélienne elle-même.

Les faits montrent qu'une fraction large de la population israélienne peut se dresser au moins contre certains aspects de la politique des dirigeants du pays. Cependant, les organisations d'opposition àla guerre et les partis de gauche qui jusqu'à présent ont été à la tête des protestations n'offrent aucune perspective à celle-ci. En effet, acceptant tous la perspective sioniste, ils se contentent d'en critiquer les excès, refusent de se dresser contre un État dont ils continuent de se sentir solidaires alors qu'il est précisément à la source des tendances expansionnistes et guerrières. Cela désarme d'avance les masses israéliennes dans les luttes qu'elles pourront mener contre la politique de guerre et d'austérité.

L'exacerbation de la crise au Moyen-Orient a entraîné cette année l'intervention directe des forces armées des impérialismes américain et français. En retirant ses troupes de la partie du Liban qu'elles avaient le plus de mal à contrôler, Israël a mis ceux-ci directement aux prises avec la guerre civile libanaise. Les « forces d'interposition » se sont alors muées tout naturellement en forces d'intervention active de l'impérialisme au Liban, aux côtés des Phalanges chrétiennes et de l'État d'Amine Gemayel.

Même si leur engagement reste jusqu'à présent limité et prudent, les dirigeants américains et français ne s'en montrent pas moins ainsi prêts à s'impliquer eux-mêmes directement dans le soutien de régimes contestés et plus généralement du système de divisions étatiques, de relations privilégiées et de sujétions économiques et politiques qui permet à l'impérialisme de dominer la région. Cela peut être le début d'un engrenage « d'escalade » militaire, et c'est en tout cas d'ores et déjà un nouvel élément dans l'aggravation de la situation au Moyen-Orient.

A l'autre extrémité de la région, le conflit irako-iranien est une autre source de tension permanente. La raison du déclenchement de la guerre fut la tentative des dirigeants irakiens de profiter de la désorganisation apparente de l'Iran et de ses forces militaires pour obtenir des gains territoriaux et renforcer leur régime sur la base d'une victoire militaire, voire pour gagner les bonnes grâces de l'impérialisme en portant un coup au régime de Khomeiny et pour prendre la place de « gendarme du golfe » laissée libre par l'écroulement du régime du Chah. Après l'échec de cette tentative, la guerre continue sans autre raison que le refus des deux régimes de reconnaître qu'ils n'ont pas atteint leurs objectifs.

Le nationalisme et la guerre sont un des moyens pour ces régimes d'asseoir leur dictature et de la légitimer. De part et d'autre, la guerre a les mêmes conséquences : énormes souffrances pour la population, poids accru des appareils militaires et de la dictature.

Cependant, si la guerre débouchait sur l'écroulement d'un des deux régimes, l'instabilité politique pourrait redoubler dans toute la région.

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