La tragédie du Cambodge : des nationalistes à l'oeuvre01/07/19851985Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1985/07/118.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

La tragédie du Cambodge : des nationalistes à l'oeuvre

Voilà maintenant plus de six ans que les troupes vietnamiennes ont envahi le Cambodge et renversé le régime des Khmers Rouges dirigé par Pol Pot.

En janvier 1979, les troupes vietnamiennes avaient pénétré au Cambodge pour installer à la tête du pays un gouvernement composé de Cambodgiens du FUNSK (Front d'Union Nationale pour le Salut du Kampuchea), et en quelques jours le régime des Khmers Rouges s'est alors écroulé comme un château de cartes.

Depuis, cependant, la résistance à l'occupation vietnamienne s'est organisée et les Khmers Rouges sont une des composantes de cette résistance.

Ces derniers mois, la résistance cambodgienne a subi des coups très durs de la part des troupes vietnamiennes qui sont estimées à environ 200 000 hommes.

Le 9 janvier 1985, tombait le Camp d'Ampil qui abritait les forces du FNLPK (Front National de Libération du Peuple Khmer) dirigé par Son Sann. Début février, c'était le tour du camp de Phnom Malaïr tenu, lui, par les Khmers Rouges de Khieu Samphan (l'un des adjoints de Pol Pot). Et finalement, en mars les troupes du prince Sihanouk subissaient également des revers par la prise par les Vietnamiens du camp de Tatum.

Ces différentes troupes nationalistes cambodgiennes stationnent près de la frontière thaïlandaise. Dans ces zones frontalières, du côté cambodgien, des dizaines de milliers de paysans khmers seraient agglutinés, et plus de 150 000 personnes seraient dans des camps de réfugiés en Thaïlande où elles fournissent une base de recrutement pour les différents groupes anti-vietnamiens.

Les quelques observateurs qui ont séjourné au Cambodge ces dernières années affirment que la présence vietnamienne est tolérée comme un moindre mal par la population cambodgienne tant serait grande la crainte de voir revenir les Khmers Rouges.

C'est en tout cas ce qu'a déclaré le 8 mars 1985 au journal Le Monde M. Pierre Max, secrétaire général du mouvement « Entraide Tiers Monde » : « La présence vietnamienne, pour pesante qu'elle soit, est admise par la population, qui n'a pas le choix, parce qu'elle préfère encore cette présence au retour des Khmers Rouges ».

D'ailleurs les Khmers Rouges, dont le nom seul évoque une tragédie de l'histoire récente du Cambodge, reçoivent de l'aide de la part de la Chine, de la Thaïlande et des USA, mais l'Association des Nations du Sud-Est Asiatique (ANSEA), liée au camp impérialiste, rêve d'un front de résistance unifiée, mais sous la houlette du prince Norodom Sihanouk. Et la raison en est peut-être que Sihanouk est malgré tout plus présentable que Khieu Samphan et ses Khmers Rouges, non seulement aux yeux des Américains, bien sûr, mais peut-être aussi aux yeux de la population cambodgienne.

Le nouveau visage des khmers rouges

Aujourd'hui les Khmers Rouges disent avoir renoncé au marxisme, et en décembre 1981 ils ont officiellement dissous le PC Khmer.

Dès août 1979, Khieu Samphan proposait aux deux autres mouvements de résistance un projet de Programme Politique du Front de Grande Union Nationale Patriotique et Démocratique du Kampuchea (Cambodge en langue khmère). C'est ce projet qui a servi de base de discussion à l'accord pour un gouvernement de coalition qui est finalement intervenu le 22 juin 1982, le prince Sihanouk étant chef de l'État, Khieu Samphan vice-président, et Son Sann chef de gouvernement.

Parmi les dix-huit points qu'il comportait, on trouvait notamment

« 1 - Unir toutes les forces patriotiques tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays pour combattre les Vietnamiens agresseurs, expansionnistes,(...) afin de les chasser complètement hors du territoire du Kampuchea.

3 - Garantir la liberté de formation des partis politiques, des associations et des organisations de masses diverses, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de presse, la liberté de réunion, la liberté de correspondance, la liberté de circulation, la liberté de résidence.

4 - Garantir un régime parlementaire avec une assemblée nationale élue au suffrage universel, libre, direct et secret (...).

10 - Chaque citoyen jouit de la liberté de travailler et de mener une activité productrice, soit individuellement, soit en famille. La liberté de s'adonner à toute forme de production suivant la préférence de chacun est garantie.

11 - Garantir et protéger la propriété privée de chaque citoyen du Kampuchea et celle des ressortissants étrangers au Kampuchea. »

On est loin du régime de parti unique et du système « collectiviste » mis sur pied par Pol Pot et les Khmers Rouges de 1975 à 1978 et qui a abouti à un régime de terreur, terreur qui aurait fait plus d'un million de victimes (1 200 000 à 2 000 000 selon les sources), sur une population qui comptait sept millions d'habitants en 1970.

Mais si aujourd'hui les Khmers Rouges apparaissent comme ayant abandonné et renié tout ce qu'ils ont été, les questions demeurent à propos de leur passé, questions que les charniers humains découverts, les témoignages des réfugiés sur l'effarante aberration du système ont fait se poser à plus d'un révolutionnaire. Car c'est au nom de la révolution, au nom même du communisme, que ces nationalistes cambodgiens ont imposé la terreur, à la tête d'une guerilla paysanne dirigée par des intellectuels.

D'ou viennent les khmers rouges ?

Alors, qui sont (ou ont été) les Khmers Rouges ? Quelle a été leur politique et en particulier, pourquoi ont-ils choisi de vider les villes (notamment Phnom Penh la capitale) de tous leurs habitants ? A quelle situation faisaient-ils donc face lorsqu'ils ont pris le pouvoir le 17 avril 1975, la même année où le FLN triomphait au Sud-Vietnam ?

Pour répondre à ces questions, il est d'abord nécessaire de revenir brièvement sur l'histoire de l'Indochine.

Au terme de la conquête coloniale, qui va occuper pratiquement tout le XIXe siècle, la France va s'occuper de maintenir et même d'accroître les divisions politiques et administratives de la région. Laos, Cambodge et même Tonkin, Annam et Cochinchine, les trois régions de l'actuel Vietnam, passent sous des administrations et sont dotées de statuts différents.

Le Cambodge, qui était sous protectorat français depuis 1864, se voit en fait à partir de 1884 administré directement par les autorités françaises.

Néanmoins, il subsiste une administration cambodgienne, dirigée jusqu'en 1904 par le roi Norodom puis par le roi Sisowath. En 1927, c'est Monivong qui monte sur le trône et à sa mort en 1941, c'est le petit-fils de Norodom, Norodom Sihanouk qui lui succède.

Jusqu'en 1945, le royaume est en fait dirigé par les Français.

Docile jusque-là aux vues du Protectorat français, le roi Norodom Sihanouk proclame l'indépendance du royaume le 12 mars 1945. Parallèlement, des maquis se sont créés pour lutter contre la présence française.

Les troupes françaises interviennent, mais finalement les accords du 7 janvier 1946 mettent fin au protectorat.

En 1947, le royaume se dote d'une constitution attribuant l'essentiel du pouvoir à une assemblée nationale. En novembre 1949, des négociations aboutissent à « l'indépendance du royaume au sein de l'Union Française ». L'administration française conserve des pouvoirs en matière de politique étrangère, de défense et de justice.

Mais c'est en novembre 1953 que le Cambodge se voit accorder l'indépendance par la France.

Au Vietnam, les troupes colonialistes sont au bord de l'effondrement qui sera effectif quelques mois plus tard à Dien Bien Phu. La France essaye de sauver ce qu'elle peut en faisant un sort particulier au Cambodge. Les Khmers Issaraks qui avaient combattu dans les maquis se rallient alors à Sihanouk. Mais dans les maquis restent les « Vietminh » recrutés dans la minorité vietnamienne vivant au Cambodge et des « Khmers Vietminh », c'est-à-dire des Khmers communistes.

À la conférence de Genève, Sihanouk obtient l'évacuation du Cambodge par les troupes et maquis vietminh. Quatre mille à cinq mille hommes regagneront alors Hanoï, y compris les Khmers Vietminh.

Un parti communiste khmer, le Preacheachon (Parti du Peuple) apparaît à Phnom Penh. Mais Sihanouk a promis de régler leur compte aux Khmers communistes. Les dirigeants du Preacheachon sont emprisonnés et éliminés. En 1958, ce parti se sabordera et ses membres qui sont encore en vie se réfugient à leur tour au Nord-Vietnam.

En 1960, se crée le PCK (Parti Communiste du Kampuchea). A l'occasion du dix-septième anniversaire de la fondation du PCK, en 1977, Pol Pot décrivait ainsi la situation de l'époque : « Durant les années 1959-1960, les arrestations se sont multipliées aussi bien dans les villes que dans les campagnes. A cette date dans les campagnes, les forces révolutionnaires ont été détruites à 90 % ».

Sur quelle base sociale le mouvement PCK entendit-il s'appuyer ? Laquelle entendait-il représenter ? De la classe ouvrière, voilà ce que disait Pol Pot : « Notre classe ouvrière était faible numériquement. Dans chaque usine, le mouvement était actif, mais il ne pouvait résister à la répression ennemie. Par sa nature de classe, la classe ouvrière est la meilleure force révolutionnaire, la force dirigeante. Les ouvriers ne constituent pas la principale force de lutte de notre révolution ».

Ainsi, une nouvelle fois après bien d'autres, les Khmers Rouges, après avoir donné le coup de chapeau de principe à la classe ouvrière, expliquaient que celle-ci était hors du coup. Et bien entendu, toujours sur le même prétexte : sa faiblesse numérique relative. Il est vrai qu'au Cambodge elle ne représentait à l'époque que 100 000 personnes. Elle était cependant concentrée dans les villes. Et surtout la classe ouvrière cambodgienne aurait pu être forte de la solidarité et de l'appui de la classe ouvrière mondiale. Mais en vrais nationalistes qu'ils étaient, même déguisés en marxistes, ou plutôt en stalinistes ou maoïstes, de la classe ouvrière mondiale, les Khmers Rouges n'ont jamais entendu parler.

En fait, ces intellectuels bourgeois ont trouvé là la justification pour se tourner vers la paysannerie et faire de celle-ci leur troupe, en l'encadrant solidement de leur appareil militaire.

En 1967, dans la région de Battambang les troupes de Sihanouk se mirent à expulser les paysans qui avaient défriché la terre et la cultivaient. Les paysans résistèrent et des milliers d'entre eux furent massacrés.

Cette même année, le PCK cessa sa participation gouvernementale qu'il menait depuis plusieurs années en soutien à Norodom Sihanouk, et sa politique prétendument antiaméricaine. L'un des dirigeants du parti Khieu Samphan, qui était alors secrétaire d'État chargé du commerce dans le gouvernement Sihanouk va prendre le maquis. Un autre militant du PCK, Hou Yon, député, ira le rejoindre.

En 1968, le PCK décide de déclencher la lutte armée et organise des zones de guerillas. Ce sont ces guerilleros qu'on appellera les Khmers Rouges. Délibérément, le PCK avait décidé non seulement de s'appuyer sur les campagnes et les paysans mais aussi de tourner le dos à la classe ouvrière sous le prétexte de s'éloigner des villes. De celles-ci, Pol Pot écrivait : « L'assemblée, la justice, l'armée, la police, tout est là (...). En revanche la campagne est vaste, l'ennemi y est dispersé (...). Nous avons pris la campagne comme appui de la révolution. Premièrement comme appui politique avec les masses paysannes comme forces ».

Pourtant durant toute cette période, la population des villes s'affrontait manifestant notamment contre l'impérialisme américain qui menait une guerre terrible au peuple vietnamien.

Sihanouk reçut un énorme appui populaire lorsqu'il rejetta l'aide américaine en 1963. En 1964, au mois de mars, une manifestation réunit des centaines de milliers de participants devant l'ambassade américaine à Phnom Penh.

Ces années-là marquent en effet un tournant dans la politique de Sihanouk. Les relations sont rompues en 1963 avec le Sud-Vietnam. Par contre une représentation de la République Démocratique du Nord-Vietnam s'installe à Phnom Penh. Parallèlement les banques et le commerce sont nationalisés.

Le 3 mai 1965, les relations diplomatiques avec les États-Unis sont rompues.

Et dès 1966, les troupes du FLN (Front National de Libération du Sud-Vietnam) sont installées au Cambodge dans la région de Kompong Cham ; la piste Ho Chi Minh traverse le nord-est du pays. Les maquis du FLN sont ravitaillés en armes et en munitions à partir du port de Sihanoukville.

En fait, la guerre du Vietnam se mène aussi au Cambodge.

C'est d'ailleurs en espérant sans doute l'appui des Vietnamiens que le PCK va passer dans l'opposition armée. En effet, Sihanouk, qui a bien voulu jouer de l'anti-américanisme pour redorer sa popularité, s'inquiète bientôt de la présence des troupes vietnamiennes sur le territoire cambodgien.

Sous prétexte de neutralité, il dénonce l'ingérance des Nord-Vietnamiens dans les affaires du Cambodge. En 1969, il affirme que leurs effectifs sont de 40 000 hommes dans le pays, et il leur reproche surtout le soutien qu'ils apporteraient à l'activité des Khmers Rouges, prétendant qu'il a « les preuves irréfutables de la présence de cadres vietnamiens rouges parmi nos montagnards en rébellion ».

Finalement, Sihanouk sera la victime de son jeu de bascule : en jouant les Khmers Rouges contre la droite, les Vietnamiens contre les Américains et vice-versa, il se retrouvera suspendu dans le vide. En 1970, un coup d'État met au pouvoir le gouvernement pro-américain de Lon-Nol. Ce dernier va mener avec l'armée cambodgienne une répression sanglante contre la population et ouvrir le territoire à l'entrée des troupes américano-sud-vietnaminennes du régime de Thieu. En réponse, les Nord-Vietnamiens et les Vietcongs envahirent les deux-tiers du Cambodge.

En 1973, une offensive des Khmers Rouges est brisée par de massifs et meurtriers bombardements américains. De 1970 à 1975, le Cambodge aura 500 000 morts (certains avancent même le chiffre de 1 000 000 de morts).

Les khmers rouges prennent le pouvoir

A partir de la fin 1974, les Khmers Rouges tentent une offensive vers Phnom Penh. Déjà la lassitude est générale du côté des troupes cambodgiennes et Lon Nol quitte le pays.

Le 17 avril 1975, les Khmers Rouges entrent dans Phnom Penh, qu'ils prennent facilement.

Les Khmers Rouges vident la capitale de ses habitants. Plus de deux millions de personnes sont jetées sur les routes par une chaleur torride. Parmi eux, 100 000 femmes enceintes et quelques 100 000 bébés de moins d'un an, des vieillards, des blessés, des malades que l'on a sortis de l'hôpital.

En 1970, Phnom Penh comptait 600 000 habitants. En 1975, elle en comptait 3 millions. Elle s'était gonflée de centaines de milliers de paysans qui avaient fui les zones de combats et les bombardements américains et qui venaient s'entasser dans les camps de réfugiés autour de la ville.

Phnom Penh en 1975, c'est une ville hypertrophiée où se concentre près de la moitié de la population du pays. Phnom Penh en 1975, c'est la misère, les épidémies, comme dans toutes les grandes villes des pays sousdéveloppés d'Amérique Latine, d'Afrique ou d'Asie.

Dans les villes, on vit mal, mais on survit des miettes des richesses des autres. Car c'est aussi le lieu des privilèges, de ceux qui commercent ou s'adonnent à la corruption. Tout le temps de l'occupation américaine, l'argent coule à flots et entretient toute une classe commerçante parasite. Et ce sont aussi sans doute des dizaines de milliers de petits-bourgeois cultivés, professeurs, médecins, fonctionnaires, qui vivent relativement bien.

Les Khmers Rouges ont manifestement eu peur de l'hostilité de cette petite-bourgeoisie qui, privée de dollars américains, allait voir son niveau de vie baisser. Ils ont eu peur qu'elle puisse souder autour d'elle la majorité de la population citadine.

Ils n'ont cherché à convaincre personne et ils ont évacué la ville, envoyant les citadins à la campagne, pas seulement les petits-bourgeois bien entendu, mais la majorité de la population travailleurs, ex-paysans tombés dans le lumpen, etc..., sans que rien ne soit prévu pour les accueillir et leur permettre de vivre.

En fait, les Khmers Rouges ont choisi la pire des solutions, car une telle mesure ne pouvait en aucun cas leur rallier cette population citadine, dont pourtant l'immense majorité était faite de pauvres.

D'autres villes que Phnom Penh ont été vidées de leurs habitants. Ainsi, la population de Battambang a été déportée sur la route de Pailin où elle aurait été anéantie par le paludisme.

Depuis l'évacuation de Phnom Penh jusqu'à l'arrivée des Vietnamiens en janvier 1979, plus d'un million de personnes auraient péri sur environ 7 millions d'habitants. Proportionnellement, c'est comme si en France 8 millions de personnes étaient mortes.

Cette hécatombe ne fut pas due seulement à l'évacuation des villes, mais aussi à l'élimination physique de tous ceux qui avaient un diplôme supérieur au certificat d'études, de tous ceux aussi, y compris parmi les Khmers Rouges eux-mêmes, qui s'opposaient à la fraction de Pol Pot. Mais surtout, c'est la faim et le travail forcé qui feront le plus de victimes.

Car en effet, pour Pol Pot, Ieng Sary, Khieu Samphan, dirigeants du PCK., devenu l'ANGHAR (l'Organisation), ces déportations massives des villes vers les campagnes ont eu certainement une raison politique : ne pas permettre la constitution d'une opposition. Mais très rapidement, ils vont s'efforcer de mettre au travail cette population qu'ils ont jetée sur les routes (de même que les paysans d'ailleurs) en les envoyant dans des coopératives.

En bons nationalistes, il ne s'agissait pas pour eux d'assurer l'auto-suffisance alimentaire de la population, mais de poser les bases d'une industrie nationale.

On a beaucoup expliqué l'action folle, le génocide de l'ANGHAR en disant que les Khmers Rouges avaient été recrutés principalement chez des paysans frustres.

Mais les dirigeants, eux, étaient des intellectuels, ou en tout cas des petits-bourgeois cultivés ayant fait le plus souvent leurs études dans les universités françaises, et ils justifiaient leurs massacres par la volonté nationaliste de parvenir à l'indépendance totale du Cambodge sur le plan économique.

Voici d'ailleurs comment, en 1977, Pol Pot expliquait son action : « Nous prenons l'agriculture comme facteur fondamental et nous nous servons du capital accumulé par l'agriculture pour édifier progressivement l'industrie et transformer en un court laps de temps, le Kampuchea ayant une agriculture arriérée en un pays moderne, puis en un pays industriel, en nous en tenant fermement à la ligne d'indépendance de souveraineté et de compter fermement sur ses propres forces ».

Alors de 1975 à 1978, ce sont de véritables camps de travail qui sont constitués chargés de l'édification des réservoirs, barrages, canaux, etc...

L'objectif de ces gigantesques travaux d'irrigation est de produire encore et toujours plus de riz pour l'exportation.

En fait, c'est un échec et des centaines de milliers de personnes meurent de faim, dans des conditions de vie et de travail atroces.

Différents témoignages montrent la barbarie du système mis en place par les Khmers Rouges. Ainsi, Catherine Quiminal écrit dans son livre « Le Kampuchea » : « Dans une coopérative où les heures de travail n'étaient pas comptées, les femmes qui refusaient d'aller travailler, la plupart du temps faute de forces, étaient couramment supprimées sous le prétexte qu'elles sabotaient la grande oeuvre en cours. Une jeune militante Khmer Rouge refusant d'être considérée comme traitre s'est suicidée. Ses derniers mots ont été : « ça ne peut être ça le socialisme ! » Ils ont supprimé la monnaie et les salaires, disant que c'était un moyen de lutter contre la corruption. En fait de nombreux réfugiés font état de stockage pour le moins fabuleux de cadres de l'ANGHAR. Comment pourrait-il en être autrement dans l'état sous-développé et misérable du pays !

Au pouvoir, les Khmers Rouges n'ont eu que mépris pour la population, non seulement pour les ouvriers, qu'ils n'ont jamais cherché à organiser en tant que classe, mais même pour les paysans qu'ils présentaient comme la force révolutionnaire essentielle et parmi lesquels ils ont trouvé leurs soldats.

Comme tous les nationalistes, ils se méfiaient comme de la peste du peuple qu'ils prétendaient représenter et de son éventuel contrôle sur l'État. Le pouvoir, ils n'entendaient l'exercer qu'à travers l'appareil militaro-policier qu'ils avaient constitué pendant la lutte contre Sihanouk, puis Lon Nol et les Américains.

Et cette méfiance était bien justifiée puisque leurs buts profonds allaient en fait directement contre les intérêts de toute la population : de la petite bourgeoisie aisée des villes à la paysannerie pauvre des campagnes. Il s'agissait d'accumuler pour jeter les bases d'une industrialisation qui permettrait l'indépendance économique nationale, c'est ce dont rêvent tous les nationalistes même à une époque où il n'y a plus place depuis longtemps pour un développement capitaliste national justement.

Ils ne purent tenter de le faire qu'en exploitant de façon barbare la population - aussi barbare que le capitalisme naissant le fut il y a quelques siècles, qui fit lui aussi, dans les pays occidentaux, des victimes par milliers. Mais sans résultat puisque l'industrialisation - si même elle se produit quelque peu - de toute manière ne peut être qu'illusoire et n'assurera pas l'indépendance ; au mieux elle liera encore davantage le pays au marché international dominé par l'impérialisme.

Les Khmers Rouges étaient des nationalistes. Ils ne se sont prétendus marxistes que parce que le stalinisme ou le maoïsme leur donnaient une justification théorique : l'exploitation à outrance de la population pouvait s'appeler « construire le socialisme dans un seul pays ». Mais rien, et surtout pas les idéaux communistes, dont ils ont prétendus se parer, rien saurait justifier les méthodes des Khmers Rouges.

Le communisme, ce sera la satisfaction des besoins de chacun. Mais cela ne peut se concevoir sur la base du sous-développement (et encore moins dans un pays sous-développé épuisé par cinq années de guerre) mais sur la base de la richesse.

Cette richesse, elle existe aujourd'hui, entassée dans les coffre-forts des métropoles impérialistes.

C'est donc au niveau mondial que cette société doit être renversée, pour que les pauvres de la planète puissent récupérer ce qui leur a été volé par l'impérialisme. Et faire la révolution veut dire - même dans un pays sous-développé - se considérer comme une tête de pont de la révolution mondiale et continuer à ceuvrer à la prise du pouvoir par le prolétariat du monde entier.

Ce qui peut vouloir dire tenir, quelquefois dans les pires conditions, mais alors tout faire pour assurer la subsistance de la population et lui donner les moyens de se défendre, pas de l'exploiter à outrance pour une illusoire industrialisation du pays.

Oui, le nationalisme, tous les nationalismes sont des pièges mortels pour les peuples. Sa variante Khmère Rouge, dont même ses sympathisants dénoncent certains excès, tout en en justifiant d'autres, n'a pris cette route aberrante qu'à cause de la situation désespérée du pays, mais les raisons de ces excès effroyables sont bien dans la politique nationaliste.

Aujourd'hui, on remarque que les Sihanouk, les Son Sann et leurs alliés Thaïlandais, Chinois ou Américains ne sont pas dégoûtés de s'allier avec les Khmers Rouges qu'ils dénonçaient si fort il y a peu. Ils n'ont pas peur de serrer leurs mains rouges du sang du peuple cambodgien. Mais qui pourrait s'en étonner puisque eux-mêmes ont de ce sang sur les mains et savent ce que veut dire écraser un peuple sous le prétexte de construire une nation.

Ils savent bien que derrière le verbiage pseudo-révolutionnaire des Khmers Rouges qui viennent de montrer d'ailleurs qu'ils peuvent en changer aisément, se cachaient des nationalistes bourgeois qui fondamentalement leur ressemblent. Et ils sont d'autant plus prêts à gouverner demain avec eux contre les ouvriers et les paysans du Cambodge que certains d'entre eux, comme Khieu Samphan et Sihanouk, l'ont déjà fait par le passé dans les années soixante.

La résistance cambodgienne à l'occupation vietnamienne soutenue par la Chine et par l'ANSEA (Association des Nations du Sud-Est Asiatique) qui regroupe l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande, et derrière eux l'impérialisme américain, ne représente nullement les intérêts des paysans et des ouvriers cambodgiens.

La situation est certes bien trop confuse au Cambodge comme à la frontière thaïlandaise et les informations qui nous en proviennent sont trop sujettes à caution. Et les récentes victoires vietnamiennes ne prouvent certes pas que la population cambodgienne appuie l'armée vietnamienne. Elles peuvent n'être dues qu'à la simple puissance militaire.

Pourtant le contraire n'est pas prouvé non plus, et encore moins que la résistance Khmère Rouge ou sihanoukiste aurait gagné elle, le soutien de cette population.

Et après tout, s'il suffit aux Khmers Rouges comme àSihanouk d'être anti-vietnamiens pour regagner les faveurs de l'impérialisme, il n'y a aucune raison pour qu'il en soit de même pour la population cambodgienne qui a eu à les subir naguère et pour qui leur domination a été au moins aussi dure que celle de l'actuelle armée vietnamienne.

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