La campagne du PCF contre l’immigration : de la démagogie électorale de mauvais aloi20/01/19811981Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1981/01/82.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

La campagne du PCF contre l’immigration : de la démagogie électorale de mauvais aloi

Cela fait plusieurs mois maintenant que le Parti Communiste a entamé une campagne systématique sur le fait que les municipalités gérées par des maires communistes ont une concentration de population immigrée nettement supérieure à celle des autres. Différents maires communistes de la banlieue parisienne ont tenu des conférences de presse où ils réclamaient, ce sont leurs termes, une "répartition équitable" des immigrés dans les différentes communes et dénonçaient la politique des préfets qui envoyaient systématiquement les immigrés inscrits sur les contingents de logements dont ils disposent, vers les municipalités communistes.

QUELS MOYENS LE PCF A-T-IL CHOISIS POUR DÉNONCER LA CONCENTRATION PLUS IMPORTANTE DES IMMIGRÉS DANS LES MUNICIPALITÉS COMMUNISTES ?

La campagne du PCF et de ses maires sur cette question a beau comporter de nombreuses formulations discutables, flattant un électorat qui n'est pas exempt de préjugés racistes, le problème qu'elle soulève est réel. Dans les municipalités dont il assure la gestion, le PCF est effectivement victime de la politique qu'il mène depuis des années et qui a consisté à faire des efforts considérables pour loger la population immigrée.

Et ceux qui ont attaqué le PCF à cette occasion en l'accusant d'avoir une attitude raciste à l'égard des immigrés, ont fait preuve d'un sacré culot.

Que dire, en effet, des actes de ceux qui, pendant des années, sans déclarations fracassantes, certes, n'en ont pas moins fermé leurs portes aux immigrés, en étant bien contents que les municipalités communistes voisines ne fassent pas preuve du même ostracisme.

Et tous ceux qui affirmaient leur solidarité à l'égard des immigrés, en cette occasion particulière, ont surtout montré qu'ils étaient solidaires... pour que les immigrés restent dans les municipalités communistes.

Mais, depuis quelques semaines, la campagne du PCF a monté d'un ton. Cela a commencé le 24 décembre, lorsqu'un maire communiste a joint le geste à la parole, et pas n'importe quel geste : Mercieca, le maire de Vitry, a dirigé une intervention musclée, à la tête d'un commando du PC, contre le foyer de Vitry où venaient de s'installer 300 Maliens.

Bien sûr, la décision de l'ADEF, cette association patronale qui est chargée de la gestion du foyer de Saint-Maur comme de celui de Vitry, de faire occuper le foyer de Vitry avec la complicité du maire de droite de Saint-Maur, ressemblait bien à une provocation contre la municipalité communiste. La même ADEF dispose de 15 000 lits, de 50 foyers sur la région parisienne. Et le fait d'avoir choisi Vitry pour reloger les travailleurs maliens de Saint-Maur, géré par un maire de droite, n'est évidemment pas innocent.

Alors, le moins, vraiment le moins, qu'on puisse dire, à propos du PCF, c'est qu'il est tombé dans la provocation, et qu'il n'y est peut-être pas tombé, lui non plus, innocemment. Du moins si l'on en croit la façon dont Marchais et la direction du PCF entérinent l'opération du maire de Vitry, dix jours après.

Car on n'utilise pas n'importe quels moyens, pour défendre une politique, ou alors c'est intentionnel, et c'est pour viser, en fait, autre chose.

En ce qui concerne le logement des immigrés, le PCF n'avait pas une si mauvaise cause à défendre. Il était bien placé, sans doute le mieux placé, lui qui, depuis des années,a accueilli le plus d'immigrés dans les municipalités qu'il gère, pour mener une campagne de dénonciation contre ceux qui s'y refusent, ceux qui pratiquent un racisme discret mais efficace, en bénéficiant de la complicité des préfets, et transforment leurs villes en quartiers interdits, de fait, aux immigrés.

Le PCF avait tous les droits moraux pour dénoncer le racisme protégé des maires de droite ou quelquefois même socialistes. Le PCF avait légitimement le droit d'exiger des autres municipalités qu'elles accueillent au moins autant d'immigrés qu'il le fait lui-même, de leur demander des comptes et d'en faire une campagne publique. Et quand, par exemple, le maire de Gennevilliers, Lucien Lanternier, a demandé publiquement le report de la vente d'un groupe d'immeubles situé à Neuilly en demandant que ces habitations soient utilisées pour reloger des travailleurs immigrés concentrés dans une sinistre cité-ghetto de Gennevilliers, ce n'est pas la pire des initiatives qui ait été prise par un maire communiste, bien au contraire. La seule chose qu'on puisse regretter, c'est que sur cette question, ce type d'initiative semble être resté isolé.

Mais le genre d'initiatives que le PCF semble désormais choisir et cautionner est tout à fait différent. C'est bien plutôt celle du maire de Vitry que le PCF met à l'honneur. Et ce n'est pas par hasard que le PCF choisit et approuve certaines façons de faire plutôt que d'autres.

A propos de Vitry, le PCF préféré parler de l'affaire de St-Maur. Après tout, il n'a pas tort. Car, dans toute cette histoire, c'est bien le maire de St-Maur qui est le véritable raciste. Mais, justement, il dépendait du PCF, et de son maire de Vitry, en choisissant d'autres moyens de riposte, d'en faire véritablement, "l'affaire de Saint-Maur", et non "l'affaire du foyer de Vitry", dans laquelle pour tout le monde, c'est le maire de Vitry qui s'en est pris aux immigrés.

Mais visiblement, le PCF en a pris son parti. Et il l'a même cité en exemple.

C'est bien pourquoi, dans la question du logement des immigrés, on peut se demander ce que cherche le PCF. Cherche-t-il à faire changer de politique les municipalités non communistes ? Ou cherche-t-il à flatter les sentiments xénophobes de la population ? Et les deux objectifs ne se complètent pas, ils sont contradictoires. Si le PCF avait vraiment voulu dénoncer le racisme du maire de St-Maur, et voulu faire pression sur lui, ce n'est pas à Vitry qu'il aurait organisé une manifestation où l'on scandait "pas de ghettos à Vitry !", mais à St-Maur, où l'on aurait scandé "Beaumont (le nom du maire de St-Maur) raciste !". Alors, bien sûr, au bénéfice du doute, on peut émettre l'hypothèse qu'il n'y a eu à Vitry qu'une "bavure" d'un bureaucrate stalinien habitué à n'être pas très regardant sur les moyens qu'il emploie, et n'hésitant pas à offenser gratuitement des travailleurs, pour peu que des intérêts de boutiques et, en l'occurrence, de boutique municipale, soient en jeu. Et dans les jours qui ont suivi l'opération de Vitry, c'est ce qu'on aurait pu croire en entendant le Maire de Vitry ajouter un mensonge à son exaction de la veille pour tenter de minimiser son rôle dans les "incidents regrettables" de Vitry, pour reprendre l'expression de la CGT. Aujourd'hui encore, Marchais sauve l'honneur de son "ami Mercieca" (Marchais ne l'appelle plus autrement), en mettant les "incidents" en question sur le compte de l'indignation de la population face au coup de force du maire de St-Maur, et sa volonté d'y faire échec.

DE LA QUESTION DU LOGEMENT DES IMMIGRÉS A LA CAMPAGNE DU PCF CONTRE L'IMMIGRATION

Toujours est-il que, bavure ou pas, le PCF et Georges Marchais s'en sont parfaitement accommodés. Mais, de plus, désormais il n'y a plus d'intervention publique de Georges Marchais, de déclaration du Bureau politique ou du Comité central du PCF qui, à propos des municipalités communistes et du logement des immigrés, ne demande l'arrêt de l'immigration. Dans son dernier rapport, il y a quelques jours, devant le Comité central, Marchais a même ajouté une nouvelle mesure, à celles qui sont sensées apporter une solution au logement des immigrés : obtenir des gouvernements des pays exportateurs de main-d'œuvre une contribution financière aux besoins sociaux de leurs ressortissants dans le cadre d'accords entre États, alors que, jusqu'à présent, le Parti Communiste reconnaissait que c'étaient les patrons français qui s'enrichissaient grâce à la main-d'œuvre immigrée.

Alors, bien sûr, il y a toujours une phrase, un paragraphe, dans les discours de Marchais ou les déclarations du Comité central du PCF, pour dire que le PCF défend les intérêts des travailleurs français et immigrés, et qu'il dénonce une situation qui alimente le racisme. Mais il y aussi des formulations qui reviennent désormais systématiquement et qui ne sont pas innocentes. "La cote d'alerte est atteinte", a répété la résolution du dernier Comité central du PCF réuni il y a quelques jours. Et cette cote d'alerte concerne l'entrée en France des travailleurs immigrés qui, dit Marchais, "viennent grossir le flot des chômeurs et des personnes que la nation doit prendre en charge".

Le PCF aurait décidé d'entamer une campagne nationaliste et chauvine, en prenant pour thème central l'arrêt de l'immigration, qu'il ne s'y prendrait pas autrement.

Certes, une campagne nationaliste et chauvine, ce ne serait pas la première fois que le PCF en mènerait une. Par démagogie, le PCF a même agité des thèmes xénophobes, à propos, par exemple, de l'entrée dans le Marché Commun de la Grèce et du Portugal. A vrai dire, la démagogie nationaliste et chauvine est même devenue, depuis bien longtemps, quasiment une seconde nature chez le PCF. Sa campagne pour le "produire français" en est une des dernières variantes. Et, du produisons français à... produisons par des Français, il n'y aurait pas forcément bien loin.

Ce dont on a au moins l'impression, c'est que le PCF, pour des raisons électorales, par ses gestes comme par ses dires, tente au moins de s'excuser devant la classe ouvrière et l'ensemble de la petite bourgeoisie de l'attitude qu'il a eue dans les faits, depuis des années, aussi bien au sein de ses municipalités, que dans les entreprises et dans les syndicats, vis-à-vis des travailleurs immigrés.

Tout se passe comme si, à la faveur de l'augmentation du chômage... et l'approche des élections, le PCF se mettait avoir, lui, l'anti-racisme honteux, et compensait par une surenchère verbale suspecte, les liens réels, et étroits, qu'il entretient de fait avec les travailleurs immigrés dans ce pays.

Car, dans les faits, le Parti Communiste dans ce pays, n'était pas, jusqu'à présent, un parti anti-immigrés, bien au contraire.

JUSQU'A PRÉSENT LE PCF N'ÉTAIT PAS UN PARTI ANTI-IMMIGRÉS

Indépendamment de leurs campagnes nationalistes et malgré même ces campagnes, le PCF, comme la CGT, sont les organisations ouvrières de ce pays qui organisent le plus les immigrés. Évidemment, le PCF ne se comporte pas vis-à-vis des immigrés plus démocratiquement, et de façon plus révolutionnaire, qu'il ne le fait avec les travailleurs français. Les bureaucrates staliniens emploient les mêmes méthodes vis-à-vis des Français ou des immigrés. Mais la CGT a ses sections d'immigrés et ce sont les militants du PCF qui y militent. Et dans les entreprises, des postes de délégués sont bien souvent tenus par des immigrés.

Par ailleurs, quand des mesures d'expulsion sont prises contre des immigrés, ce sont le plus souvent le PCF, la CGT, leurs organes de presse, les municipalités communistes, qui s'y opposent et mènent campagne. Le PCF a aussi soutenu et organisé certaines grèves de loyers dans des foyers d'immigrés.

En 1979, lorsque la loi Bonnet a systématisé les expulsions d'immigrés et que le projet ministériel Boulin-Stoléru envisagea le renvoi de 200 000 immigrés par an, et le renouvellement conditionnel des cartes de séjour pour la majorité des immigrés tous les trois ans, le PCF, les conseillers municipaux et les maires communistes ont fait campagne contre.

Parallèlement, en tant que gestionnaires, les municipalités communistes sont celles qui ont assumé, à tous égards, l'accueil des immigrés, pour le logement, l'alphabétisation et les aides sociales diverses. Et on peut affirmer que c'est le PCF qui a, dans la plus grande mesure, pallié la carence de l'État vis-à-vis des immigrés que le patronat a fait entrer en France dans les vingt années qui ont précédé la crise économique.

De 1954 à 1975, le nombre d'immigrés en France est passé de 1 765 000 à 4 128 000. C'est dire qu'il a plus que doublé en vingt ans. Mais à partir de 1975, il est resté rigoureusement stable, après les mesures gouvernementales de 1974 stoppant l'immigration.

Dans les années 1960, en plein afflux d'immigrants, les bidonvilles apparurent. En 1970, le gouvernement "décida" la suppression des bidonvilles et entreprit de les faire raser. C'était Chaban Delmas, alors Premier ministre, qui patronna la mesure. Dans les années qui suivirent, les immigrés, pour la plupart, furent effectivement relogés. Mais ce ne furent pas les amis politiques de Chaban Delmas qui assumèrent ce relogement. Les immigrés furent accueillis avant tout par les municipalités où il existait le plus de logements sociaux et qui en construisaient le plus : dans les municipalités de gauche, et en particulier les municipalités communistes, où les

cités-ghettos commencèrent à proliférer. Cette situation s!est accentuée considérablement ces dernières années et pose des problèmes divers aux municipalités.

Et aujourd'hui, le PCF se trouve en situation d'assumer la gestion de communes dont les réalisations sociales concernent pour une bonne part une population qui ne vote pas, alors même que l'électorat traditionnel du PCF peut trouver "qu'on en fait trop pour les immigrés".

Et depuis quelques années, les maires communistes constatent avec amertume que dans leurs municipalités ils paient leur politique sociale sur laquelle ils comptaient pour s'assurer toujours mieux leur électorat ouvrier, de la perte progressive de cet électorat ! La bourgeoisie française fait payer cher et doublement au PCF sa vocation réformiste...

Aujourd'hui, le PCF regimbe. Il dit refuser une situation qui fait payer les plus pauvres par les plus pauvres. La formulation est ambiguë et est destinée, c'est évident, à plaire à ceux qui trouvent qu'on en fait trop pour les immigrés. Mais sur le fond, elle est pourtant incontestable. Les nantis et les possédants ont toujours su prêcher la solidarité sociale aux pauvres et même trouver à l'occasion le moyen de les mettre ainsi en concurrence. La bourgeoisie s'accommode fort bien des partis ouvriers qui se consacrent à l'assistance sociale. Les bourgeoisies des pays industrialisés ont d'ailleurs acquis une certaine expérience en la matière. Elles sont d'autant plus prêtes à sacrifier quelques avantages sociaux aux travailleurs, même aux plus démunis d'entre eux, et pourquoi pas des logements pour les immigrés à la place des bidonvilles, que ce sont les partis réformistes, et en l'occurrence staliniens, qui s'en chargent, avec pour l'essentiel, les gros sous des travailleurs !

Et le rôle des révolutionnaires n'est pas de demander aux réformistes de continuer à l'être quand cela devient plus difficile. Critiquer le PCF sur sa gauche ne consiste pas à préconiser le réformisme envers les plus pauvres quand les réformistes eux-mêmes déclarent forfait.

D'abord parce qu'il serait pour le moins déplacé de reprocher au PCF d'avoir des problèmes insolubles à résoudre aujourd'hui, parce qu'il a fait plus que les autres pour les immigrés pendant des années. Les révolutionnaires n'ont pas de solution "municipale", ni à la crise du logement, ni à la pauvreté, ni à la délinquance, ni d'ailleurs aux préjugés xénophobes de la population. Ensuite, et surtout parce que les travailleurs quels qu'ils soient, et les plus pauvres comme les autres, n'ont pas besoin de charité ni de paternalisme, et que la classe ouvrière ne pourra jamais changer son sort en étant une classe d'assistés.

En fait, ni dans les entreprises, ni dans les municipalités, le PCF n'a jusqu'ici pratiqué une politique anti-immigrés, bien au contraire. Seulement entre la politique réelle pratiquée par le PCF dans les municipalités, et ses dires actuels, il y a une différence de plus en plus marquée. Et s'il s'efforce aujourd'hui de faire oublier par ses dires ce qu'il a fait hier, on peut se poser la question : mais quelle politique du PCF cela annonce-t-il donc pour demain ?

LES REVENDICATIONS QU'IL AVANCE AUJOURD'HUI

Aujourd'hui, à propos des immigrés, le PCF avance deux sortes de revendications.

D'une part, il revendique ce qu'il appelle "une répartition équitable" des immigrés dans les différentes communes, d'autre part, l'arrêt de l'immigration dans le pays.

Commençons par la première, la répartition dite "équitable". Elle touche certes au problème réel qui se pose aux municipalités, et sous-entend que tout le monde n'a pas la même attitude vis-à-vis des immigrés. Mais la formulation elle-même est contestable et prête à confusion. S'il s'agit de dénoncer les pratiques des maires de droite et du PS, celles des préfets, celles des régisseurs d'immeubles et de HLM, le PCF le ferait avec beaucoup plus d'efficacité en les dénonçant directement, nominalement. Mais quand il parle de répartition équitable des immigrés, il désigne à l'opinion publique non pas les notables racistes, mais d'abord le fardeau que représenteraient les travailleurs immigrés, qu'il faudrait, dit-il, se partager équitablement. Non seulement cette façon de présenter les choses masque la politique réelle du PCF dans les municipalités, mais elle atténue les responsabilités des autres municipalités, et surtout flatte les sentiments de tous ceux qui n'ont rien contre les immigrés, à condition qu'ils ne vivent pas à côté d'eux.

Quant à la deuxième revendication, l'arrêt de l'immigration, c'est celle que désormais le PCF met en avant en toutes occasions, comme si elle était une solution à la crise et au chômage.

En ce qui concerne le problème des municipalités, les maires communistes sont bien placés pour savoir que ce n'est pas l'accroissement de l'immigration qui a entraîné la concentration des immigrés dans les municipalités communistes. Pour la bonne raison que le nombre de travailleurs immigrés n'a pas augmenté depuis 1974. Et c'est pourtant dans les années qui ont suivi 1974 que la concentration de la population immigrée dans les municipalités communistes s'est accrue et qu'elle a pris un développement spectaculaire dans certaines cités, qui en deux ou trois ans sont devenues de véritables ghettos. Alors, si la population immigrée du pays est restée stable, mais que dans le même temps elle a augmenté dans les villes gérées par les communistes, cela veut dire qu'elle a bien dû diminuer ailleurs, et qu'il y a eu peu de chances pour que ce soit un phénomène spontané, mais qu'il a bien fallu que l'administration préfectorale, par exemple, donne un certain coup de pouce à cette nouvelle répartition de la population immigrée.

Les chiffres fournis par les maires communistes sont à cet égard assez éloquents. Voici ceux donnés par le maire communiste d'Aulnay-sous-Bois, dans la Seine Saint Denis, concernant quatre municipalités du département : "Aubervilliers dont le pourcentage de population immigrée était de 24,5% en 1975 a vu ce chiffre passer à 27% en 1980. Montfermeil est passé de 22,8% à 26%, Saint-Denis de 25,4% à 28%, Villetaneuse de 22,9% à 25%, Aulnay-sous-Bois de 14,5% à 17%". Par contre, ajoutait-il, "au Raincy on est à 5,2% ; aux Lilas à 10,5% ; au Bourget à 11%". Ces communes ont un point commun : elles sont dirigées par des maires de la majorité."

Parallèlement à cette disparité des moyennes entre les villes à majorité communiste et les autres, qui selon eux "s'est accentuée ces dernières années", les maires communistes dénoncent la constitution de "ghettos de la misère et de l'immigration". Ce sont leurs termes.

Le maire d'Aulnay a donné l'exemple de la cité dite de "La Rose des Vents", plus connue sous le nom de "cité des 3 000" : "En 1975 le pourcentage de familles d'origine allogène (c'est le terme employé par le maire communiste -NDLR) (étrangers et DOM-TOM) était de 35%. En 1978 de 49,36%. En 1979 de 57,69%. En 1980, de 69,63% (...) Dans deux ans, si rien ne change, la Rose des Vents ne sera habitée que par des immigrés, a-t-il ajouté. Et pendant ce temps l'immigration est toujours stoppée."

Eh bien, si l'immigration n'est en rien responsable de la constitution récente des ghettos dans les villes ouvrières, à bien plus forte raison, ce n'est pas l'immigration qui provoque ou qui aggrave le chômage, pour la bonne raison, là aussi, que le chômage a commencé à augmenter et s'est amplifié à partir du moment où l'immigration a été stoppée, c'est-à-dire à partir de 1974.

Cela, le PCF le sait parfaitement. C'est d'ailleurs ce qu'il avait rétorqué à juste titre à Stoléru au mois d'octobre dernier quand celui-ci avait montré la porte du pays aux mineurs marocains en grève.

Alors, pourquoi le PCF met-il cette revendication en avant aujourd'hui, alors que le gouvernement ne l'a pas attendu pour stopper l'immigration il y a six ans ? En réalité, le PCF ne peut pas ignorer qu'en proposant l'arrêt de l'immigration comme solution au chômage, les travailleurs ne peuvent qu'en conclure que le principal parti ouvrier de ce pays leur désigne les travailleurs immigrés comme des concurrents et des ennemis.

Et c'est là où la campagne actuelle du PCF, si elle se confirme, prend un aspect nationaliste du plus mauvais aloi.

CONTRE LA POLITIQUE DE LA BOURGEOISIE EN CE QUI CONCERNE L'IMMIGRATION, C'EST L'ÉGALITÉ DES DROITS ENTRE FRANÇAIS ET IMMIGRÉS QU'IL FAUT IMPOSER

Il y a quelques années, le Parti Communiste ne revendiquait d'ailleurs pas l'arrêt de l'immigration mais seulement le contrôle de l'immigration. Voilà ce qu'on pouvait lire à ce sujet dans le Programme Commun signé en 1972 par le PC et le PS : "Le Plan prévoira le nombre de travailleurs immigrés accueillis chaque année afin de définir les mesures économiques et sociales à prendre. Les travailleurs immigrés bénéficieront des mêmes droits que les travailleurs français. La loi garantira leurs droits politiques, sociaux et syndicaux."

Dans son programme pour un gouvernement démocratique d'union populaire de 1971, le PCF était un peu plus précis : "Le nombre de travailleurs immigrés accueillis en France sera déterminé par le plan démocratique. Les demandes de main-d'œuvre immigrée seront adressées par les employeurs à l'Agence Nationale pour l'Emploi". Il s'agit là d'une revendication réformiste, visant à satisfaire les besoins patronaux en main-d'œuvre immigrée, en en contrôlant, du moins en principe, les conditions d'emploi.

Mais les formulations du PCF et du Programme Commun, à l'époque, avaient au moins l'avantage de mettre en avant le fait de revendiquer pour les immigrés les mêmes droits que les travailleurs français. Et c'est finalement le principal. Caron ne peut d'ailleurs pas demander à la fois les mêmes droits politiques pour les immigrés, et la liberté d'immigration, la libre installation totale.

Car nous savons bien que dans la société capitaliste, c'est le patronat qui bénéficie de l'immigration économique, et qu'il s'en sert pour faire jouer la loi de l'offre et de la demande sur le marché du travail, dans un sens qui lui est favorable, en particulier en divisant la classe ouvrière et en profitant des droits moindres et de la situation précaire des nouveaux arrivés. Et dans la société actuelle, la liberté d'immigration ne signifie pas le libre choix des travailleurs immigrés de s'installer là où ils veulent, mais la liberté pour le patronat d'exploiter la main-d'œuvre de son choix et à sa guise.

Il y a deux siècles, la traite des Noirs fut la manière dont les exploiteurs du libre continent américain s'arrogèrent la liberté de leur approvisionnement en main-d'œuvre. Les procédés du capitalisme ne sont pas de nature vraiment différente. Dans la période d'expansion économique, les patrons sont allés chercher leur main-d'œuvre en Afrique du Nord et, aujourd'hui, en Afrique noire, à peu près de la même façon que les agents recruteurs des armées des États européens du 18ème siècle allaient enrôler dans les campagnes pauvres de l'Europe, leurs mercenaires. Soit on leur faisait des promesses mensongères, soit on les enrôlait de force.

Aujourd'hui encore, c'est à peu près de cette' façon que les mineurs marocains qui se sont mis en grève l'automne dernier pour obtenir les mêmes avantages que les autres mineurs, avaient été enrôlés par les Houillères de Lorraine.

L'immigration économique, c'est d'une façon ou d'une autre, l'immigration forcée pour les travailleurs. Et quand la bourgeoisie décide d'arrêter l'immigration, le plus souvent cela signifie alors le retour forcé des immigrés dans leur pays.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le patronat français manquait de main-d'œuvre. Les sociétés privées créèrent la SGI (la Société Générale de l'immigration), qui négociait directement avec les gouvernements des pays exportateurs de main d'œuvre. Elle était le principal fournisseur de travailleurs immigrés aux patrons français. Ils voyageaient dans des fourgons à bestiaux avec une pancarte autour du cou indiquant leur nom et l'adresse de leur futur

employeur. Jusqu'en 1931, la SGI importa dans ces conditions 500 000 travailleurs. En 1932, on les renvoya par trains entiers. Après la Deuxième Guerre mondiale, la bourgeoisie française fit venir de nouveaux contingents de travailleurs immigrés. Aux Espagnols, aux Italiens, vinrent se joindre ceux du Maghreb, puis les Portugais, et les Africains.

Certes, en 1945, la responsabilité de l'immigration fut enlevée aux organismes privés, du moins officiellement. On créa un Office National de l'immigration qui avait en principe le monopole de l'immigration. Il devait se charger de l'information, du transport, de la formation professionnelle et du logement des immigrés, dans des conditions plus libérales et plus humaines. Mais dans les faits, les patrons continuèrent à faire venir directement, et à leurs conditions particulières, la main-d'œuvre dont ils avaient besoin.

Ce n'est qu'en 1973 et en 1974, avec le début de la crise, que le gouvernement modifia sa politique. Et il prit un certain nombre de mesures aboutissant de fait à l'arrêt de l'immigration, tout en multipliant les tracasseries administratives pour les immigrés déjà installés dans le pays.

Alors, que l'immigration soit libre ou non, contrôlée ou stoppée, c'est toujours la liberté des travailleurs, quels qu'ils soient, qui est bafouée, et la liberté des exploiteurs qui est assurée. Et c'est bien pourquoi, contrairement aux réformistes, les révolutionnaires se refusent à revendiquer, selon les circonstances, le contrôle de l'immigration, son arrêt, ou même la liberté de l'immigration.

Si l'on veut que les travailleurs de ce pays, français comme immigrés, soient plus forts, plus libres, vis-à-vis du patronat, de la bourgeoisie et de l'arbitraire de son administration, c'est des droits égaux pour les travailleurs immigrés et français qu'il faut exiger.

Et ce qui pèse le plus sur les travailleurs étrangers, ce qui les rend les plus vulnérables, donc les plus dépendants du patronat, c'est l'absence de sécurité de séjour. Et comme leur séjour est lié à ce qu'ils aient ou non du travail, ils sont continuellement menacés d'expulsion. Il y a aussi le fait qu'ils ne peuvent pas faire venir leur famille comme ils le veulent, et que du même coup ils ont une position marginale par rapport aux travailleurs français. En un mot, ils sont privés des droits civiques les plus élémentaires et peuvent être soumis à tous les chantages, toutes les menaces.

Alors, pour que les travailleurs français comme immigrés soient à même de lutter efficacement contre le chômage, sans que le patronat puisse jouer les uns contre les autres, il faut commencer par exiger pour les travailleurs immigrés ces garanties civiques élémentaires. Ce serait d'ailleurs la seule façon sérieuse de dissuader le patronat de tirer avantage de la main-d'œuvre immigrée.

LE PCF FAIT DU POUJADISME OUVRIER

Mais la campagne actuelle du PCF sur l'arrêt de l'immigration passe complètement sous silence la lutte pour l'égalité des droits des travailleurs immigrés et des travailleurs français. Ce serait pourtant aussi la seule façon pour que la campagne actuelle du PCF ne puisse pas se retourner contre les travailleurs immigrés.

Mais ce n'est pas la préoccupation actuelle du Parti Communiste Français. Il mène une campagne contre l'immigration, en sachant très bien que des sentiments racistes existent dans la classe ouvrière et dans la petite bourgeoisie, et que des gestes comme celui du maire de Vitry ou des manifestations comme celle organisée à Vitry, ne peuvent être que des gestes d'encouragement à des actes de brutalité contre les immigrés.

Le PCF a fait ici un choix délibéré.

Or, une telle politique ne peut que contribuer à diviser un peu plus les travailleurs. Et c'est pourquoi renforcer ces préjugés, constitue une politique criminelle à l'égard de la classe ouvrière.

Il y a quelques jours, devant le Comité central de son parti, Georges Marchais, goguenard, s'est félicité de la campagne anti-communiste de la façon suivante : "La droite et le Parti Socialiste, joignant leurs voix, ont cru qu'ils allaient pouvoir retourner contre nous l'opinion publique. Je dis qu'ils ont permis ainsi, et cela pour la première fois, à des millions de gens, de prendre connaissance de ce que nous disons et proposons. C'est une bonne chose, une excellente chose".

Une bonne et excellente chose, la publicité faite autour des exploits du maire de Vitry ? C'est à voir.

Ce que des millions de gens ont appris, dans cette histoire, ce ne sont pas tous les traficotages sordides, passés entre les notables réactionnaires et l'administration gouvernementale, sur le dos des travailleurs immigrés. Ce sont les façons de faire du PCF : son mépris et les façons expéditives qu'il a affichés à l'égard de 300 Maliens. Et, hélas, des millions de gens aussi, sans doute, en ont "pris connaissance", comme dit Marchais, avec une certaine satisfaction. Car dans les entreprises, dans les quartiers, il y a eu des gens pour dire "Enfin, les communistes ont compris. Ils ont changé de position vis-à-vis des immigrés ; ce n'est pas trop tôt".

Voilà ce que Marchais considère comme une bonne, une excellente chose. Car voilà ce qu'il veut que l'on comprenne.

Car il semble bien en effet, que le Parti Communiste ait décidé de sacrifier les travailleurs immigrés à sa campagne électorale. Et le PCF sait très bien que lorsqu'il désigne l'immigration comme responsable du chômage, ses propos peuvent être interprétés demain comme une invitation à mettre dehors les immigrés.

Le PCF se met à faire du poujadisme ouvrier. S'il a fait ce choix, c'est parce que son radicalisme verbal, dans sa dénonciation du Parti Socialiste, a des limites dans le milieu ouvrier. Pour montrer aux travailleurs qu'il mène véritablement une politique différente de celle du PS, plus radicale, et pour que ce soit un peu convaincant, il faudrait que le Parti Communiste donne des perspectives révolutionnaires à la classe ouvrière. Car en temps de crise et de chômage, les travailleurs savent bien qu'ils n'arracheront rien à la

bourgeoisie, et ne pourront même pas maintenir leurs acquis au travers de combats partiels ou défensifs. Dans une telle période, il faut que la bourgeoisie soit menacée de tout perdre, biens et pouvoir, pour renoncer à s'attaquer à la classe ouvrière.

Seulement le Parti Communiste Français n'est pas un parti révolutionnaire. Et il songe certainement à tout sauf à mettre en péril le pouvoir de la bourgeoisie.

Alors, comme il doit néanmoins se montrer différent pour ne pas être laminé électoralement, il lui faut coûte que coûte adopter et afficher une autre politique, aux apparences dures et rigides, pour faire pièce à la social-démocratie. Et comme les luttes ouvrières sont en recul, comme la démoralisation gagne insensiblement du terrain dans la classe ouvrière, le PCF s'engage dans un faux radicalisme qui spécule et s'appuie sur les préjugés les pires. Cette politique-là ne pourra apporter aux travailleurs que des catastrophes, si elle leur apporte quelque chose. Et la classe ouvrière peut le payer très cher.

Si la démagogie du PCF marche, si le PCF réussit à dresser et à mobiliser sur ces thèmes, les moins conscients parmi les travailleurs voire une fraction de la petite bourgeoisie, il n'est pas certain qu'il en tirera lui-même un bénéfice électoral. Mais ce qui est certain par contre, c'est qu'il aura tiré les marrons du feu pour les adversaires de la classe ouvrière, pour ceux-là mêmes peut-être qui aujourd'hui, à droite, font mine de condamner le racisme du PCF.

Quant l'extrême-droite fasciste fait de la démagogie, elle sait ce qu'elle fait. Elle se forge des armes pour briser la classe ouvrière et pour parvenir au pouvoir. Quand c'est un parti ouvrier, qui fait de la démagogie nationaliste pour une perspective électorale à courte vue, et qu'il est devenu assez dévoyé pour s'y risquer, pour peu que la situation sociale et économique s'y prête, c'est une arme suicidaire qu'il forge, à la classe ouvrière et à lui-même.

Mais le Parti Communiste se trompe peut-être. Il n'est pas évident que sa démagogie puisse marcher aussi facilement qu'il le croit auprès de la classe ouvrière. Car le Parti Communiste méprise les travailleurs. Les travailleurs de ce pays le savent bien, ils sont chacun, plus ou moins, les immigrés de quelqu'un. Qui d'ailleurs, parmi les travailleurs de ce pays, n'est lui-même un immigré de la seconde ou la troisième génération, ou ne s'est senti un jour, en tant que Breton, Auvergnat ou Languedocien... un immigré de l'intérieur ?

Alors, le PCF est peut-être devenu lui-même suffisamment étranger à la classe ouvrière pour échafauder une politique minable sur les préjugés qu'il lui prête.

Les patrons n'ont même pas besoin d'être racistes pour mépriser de la même façon tous les travailleurs qu'ils exploitent, quelles que soient leurs origines. Et pour les travailleurs, ce sont les exploiteurs, les seuls véritables étrangers de cette planète.

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