Italie : attaques patronales et réaction ouvrière01/05/19841984Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1984/05/112.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Italie : attaques patronales et réaction ouvrière

 

La politique d'austérité du gouvernement à direction socialiste de Bettino Craxi et les attaques contre l'échelle mobile des salaires ont entraîné une succession de luttes défensives, mobilisant au cours des trois derniers mois une fraction importante de la classe ouvrière italienne. Nombre de grèves ont éclaté et pris de l'ampleur sans l'aval des directions syndicales traditionnelles. Certaines de ces luttes ont fait surgir des organes de direction moins sclérosés que les appareils réformistes. Ces derniers ont cependant toujours réussi, jusqu'à présent, à reprendre le contrôle des luttes et à canaliser ces dernières.

 

Le patronat et les gouvernements contre l'échelle mobile

 

Les attaques de la bourgeoisie contre l'échelle mobile des salaires est depuis des années au centre des conflits sociaux en Italie. Le système d'échelle mobile des salaires, qui existe en Italie depuis 1945, offrait jusqu'à ces dernières années une garantie non négligeable contre les effets de l'inflation. On considère en général que, jusqu'à l'accord du 22 janvier 1983, elle permettait d'indemniser à 75 % les effets de la hausse des prix sur les salaires réels, limitant d'autant les possibilités du patronat de restaurer ses profits aux dépens des salariés. C'est pourquoi régulièrement les dirigeants de la Confindustria, la confédération patronale italienne, réclament la suppression de cette protection légale toute relative certes, mais protection quand même, des salaires ouvriers.

D'autant plus que l'existence de l'échelle mobile a un inconvénient majeur politique pour le patronat, car elle tend à unifier, à généraliser les revendications ouvrières sur les salaires. L'existence d'un mode de calcul unique et d'une référence unique, le « point de contingence », qui sert à établir le montant de l'indemnité d'échelle mobile pour tous les travailleurs, fait de toute discussion sur le rattrapage de l'inflation par les salaires une discussion intéressant l'ensemble de la classe ouvrière. Cela oblige le patronat à concéder à celle-ci dans son ensemble les rattrapages imposés par les travailleurs des secteurs les plus combatifs, en général les grandes entreprises du Nord. Cela réduit la marge de manœuvre dont lui et les organisations syndicales disposent pour négocier catégorie par catégorie, secteur par secteur ou région par région et ainsi pour limiter les concessions aux travailleurs. Cela tend à donner à tous les conflits sociaux, en cette période d'inflation rapide, une dimension générale et, partant, politique.

Sans doute, une fraction du patronat italien a trouvé la parade. Le développement important du chômage a créé un terrain favorable pour le développement du travail précaire, du travail au noir sous toutes ses formes, qui permet à nombre de petits patrons d'employer une main-d'œuvre surexploitée en se moquant des lois et des garanties salariales. Mais la bourgeoisie se sent en position d'officialiser cette situation, en supprimant toute protection légale automatique des salaires contre la hausse des prix.

Depuis plus de trois ans, accédant aux demandes du patronat, les gouvernements de Spadolini puis de Fanfani et enfin du socialiste Craxi, ont mis au centre de leur programme la « lutte contre l'inflation » et pour la réduction du « coût du travail », par le biais de négociations pour obtenir la collaboration des organisations syndicales. Ces années ont été marquées notamment par la dénonciation, en juin 1982, de l'accord de 1975 sur l'échelle mobile des salaires par la Confindustria, la signature, le 22 janvier 1983, du « pacte social » du ministre Scotti comportant une première réduction - 75 % à 60 % - de l'incidence de l'échelle mobile et enfin, le 15 février dernier, par le lancement d'un décret-loi - le « décret Craxi » - comportant une nouvelle amputation de l'échelle mobile.

Toutes ces attaques ont eu lieu, en fait, avec l'accord des organisations syndicales signataires, entre autres, du pacte de janvier 1983. Aussi bien la CISL que l'UIL, liées respectivement à la Démocratie-Chrétienne et aux partis du centre, que la CGIL, liée au PCI et au PSI, s'affirment d'accord sur le principe de demander des « efforts » à la classe ouvrière pour « redresser » l'économie italienne. Les uns comme les autres se montrent des partenaires responsables pour la bourgeoisie, disposés à collaborer à la gestion de la crise.

Ils ont cependant à compter avec les réactions ouvrières. Or celles-ci, justement, ont été nombreuses et ont pris à plusieurs reprises le caractère de réactions spontanées échappant, au moins au départ, au contrôle des appareils. Cela a été le cas en juin 1982 lors de la dénonciation de l'accord d'échelle mobile par la Confindustria, qui a été accueillie par des grèves et des manifestations spontanées. Il en a été de même en janvier 1983, lors du lancement du plan d'austérité du gouvernement Fanfani. Dans les deux cas d'ailleurs, les organisations syndicales ont appliqué la même tactique, temporisant, gagnant du temps, discutant entre elles avant de décréter une journée de grève et de manifestations suffisamment éloignée dans le temps pour leur permettre de coiffer les réactions ouvrières et d'y mettre un terme. C'est bien à ce but qu'ont répondu les journées de grève générale du 25 juin 1982 et du 18 janvier 1983.

C'est dans ce contexte qu'est entré en scène le gouvernement Craxi, installé en août 1983. Pour la première fois en Italie, un socialiste obtenait la présidence du Conseil, malgré le faible poids électoral de son parti (11 % des voix), au sein d'une coalition gouvernementale où la Démocratie-Chrétienne, bien qu'en recul, restait de loin la plus forte (32 % des voix). Mais un socialiste faisait mieux pour tromper les ouvriers et pour assumer la responsabilité d'une politique anti-ouvrière. Les démocrates-chrétiens ont donc obligeamment cédé la place du ténor à un « socialiste ». Aussitôt investi, Craxi a engagé les discussions avec les syndicats sur un nouveau plan « anti-inflation », autrement dit un plan d'austérité. Au centre de ce plan se trouvait la « restructuration du salaire », c'est-à-dire de nouvelles attaques contre l'échelle mobile.

Dans les discussions engagées entre la Confindustria, le gouvernement et les syndicats fin 1983 et début 1984, Craxi proposa un nouvel engagement de « modération » salariale : on déciderait à l'avance que l'échelle mobile ne sauterait que de neuf points en 1984 au lieu de douze prévisibles. Il s'agissait en fait d'un gel de l'indexation des salaires. Les syndicats se montrèrent disposés à l'accepter moyennant la discussion de quelques contre-parties : des concessions en matière d'impôts ou de tarifs publics - comme dans l'accord de janvier 1983 - leur permettant de prétendre devant leur base n'avoir rien cédé.

 

Les « autoconvocations » des conseils d'usine

 

Cependant il est vite apparu que, du côté de leur base ouvrière, les directions syndicales n'auraient pas les mains libres. Sans attendre les directives syndicales, un certain nombre de « conseils d'usine » exprimèrent leur défiance à l'égard de la négociation en cours.

Les « conseils d'usine » sont des organismes nés, en Italie, au cours des luttes ouvrières de 1968-69. Composés de délégués élus et reconnus dans le cours des luttes, ils avaient alors souvent un caractère démocratique échappant, au moins en partie, au contrôle des appareils. Parla suite ceux-ci ont repris le contrôle des conseils d'usine. Ils ont cherché à contrôler leur élection, et notamment à monopoliser les candidatures aux postes de délégués. Les conseils d'usine sont devenus bien plus une sorte d'intersyndicale élargie, comportant des représentants des différentes centrales syndicales et parlant en leur nom auprès des travailleurs, que l'émanation démocratique de ceux-ci.

Ajoutons que les principales organisations syndicales ouvrières, la CGIL, l'UIL et la CISL, sont depuis 1972 réunies au sein d'une « fédération des confédérations » unitaire, censée préparer l'unification complète des organisations syndicales. Dans les discours des chefs syndicaux, les conseils d'usine étaient censés être les éléments unitaires de base du futur syndicat unifié. En fait, cette unité syndicale était surtout pour les dirigeants syndicaux le moyen de resserrer leur contrôle sur la classe ouvrière, notamment par le biais des conseils d'usine.

Cependant, face aux directions bureaucratiques, ces conseils restent des organismes relativement larges, bien plus proches des préoccupations de la classe ouvrière, et reflétant souvent les pressions de celle-ci. Nombre de leurs membres gardent l'idée qu'ils représentent la « base » syndicale, en opposition aux « sommets » des appareils, et sont ainsi prédisposés à se faire les porteurs des critiques ouvrières contre les accords signés par les dirigeants syndicaux avec les patrons ou le gouvernement.

En tout cas, avant même la conclusion des discussions engagées entre les syndicats et le gouvernement Craxi, la pratique des « autoconvocations » de conseils d'usine se généralisa. Ces autoconvocations étaient des assemblées de représentants des conseils, sortes de coordinations horizontales entre conseils d'usine d'une même ville, voire d'une même région. La première assemblée de ce type eut lieu fin janvier à Brescia, en Lombardie. Le 6 février, une importante assemblée « autoconvoquée » eut lieu à Milan, regroupant des représentants de quelque deux cents conseils d'usine, qui appela à une manifestation deux jours plus tard pour la défense de l'échelle mobile. En quelques jours de telles autoconvocations suivies de manifestations et de grèves se généralisèrent dans le pays.

 

Le « décret Craxi »

 

Ces réactions sont sans doute un élément déterminant pour expliquer l'attitude adoptée dès le 14 février par les dirigeants de la CGIL. Jusqu'alors, dans la négociation, ceux-ci s'étaient montrés plutôt bien disposés à l'égard d'un accord, et notamment de la proposition de retirer autoritairement trois points d'augmentation à l'échelle mobile de 1984. Luciano Lama, le secrétaire général de la CGIL, discutait seulement d'un éventuel report sur 1985 des augmentations différées en 1984. Cependant, le 14 février, la direction unitaire des trois confédérations dut constater le désaccord patent entre, d'une part la CISL, l'UIL et la composante socialiste de la CGIL, partisans de signer l'accord et, d'autre part, la composante communiste (majoritaire) de la CGIL, qui décida de le. repousser.

Les dirigeants de la CGIL voulaient sans doute avant tout gagner du temps auprès de leur base, pour se donner le moyen de camoufler leur reculade derrière des manifestations, des protestations, de nouvelles négociations aptes à imposer des concessions au moins apparentes, leur permettant de sauver la face.

Mais Craxi, de son côté, saisit l'occasion de faire une démonstration d'autorité. Le 15 février, son gouvernement décida de promulguer les principaux points de son plan « anti-inflation » par décret-loi, sans attendre plus longtemps l'accord des organisations syndicales.

Craxi voulait ainsi donner au patronat et à la bourgeoisie la preuve concrète que le premier gouvernement à direction socialiste qu'ait connu l'Italie serait aussi le premier, depuis des années, qui soit capable d'imposer ses décisions sans les négocier avec les directions syndicales, et surtout avec la direction de la CGIL. L'enjeu pour lui était, au fond, de montrer sa capacité à gouverner sans le PCI, en se passant de cette espèce de collaboration feutrée avec celui-ci à laquelle ont eu recours bon nombre de gouvernements démocrates-chrétiens.

Le premier résultat du décret-loi de Craxi fut de multiplier les protestations ouvrières dans le pays. En même temps, l'attitude de la CGIL qui refusait de signer l'accord constitua un encouragement pour bon nombre de ses militants et de militants du PCI, à se rallier ou à prendre l'initiative des mouvements de mécontentement.

La direction de la CGIL se garda bien, néanmoins, de généraliser les mouvements, se contentant de laisser la bride sur le cou à ses militants et de s'abriter derrière les initiatives de la base.

 

L'assemblée nationale des conseils du 6 mars

 

C'est cette attitude qui laissa le champ libre, au moins pendant quelques semaines, au mouvement des autoconvocations souvent dues à l'initiative de militants dits de la « gauche syndicale », c'est-à-dire de militants de la CISL en désaccord avec leur direction, ou bien de militants proches du petit parti d'extrême-gauche Democrazia Proletaria ou, plus rarement, de la LCR (section italienne du Secrétariat Unifié). Le point culminant de ces autoconvocations fut l'assemblée du 6 mars 1984 au Palalido de Milan, Assemblée Nationale des Conseils d'Usine qui réunit cinq à six mille délégués, venus de tout le pays, mais surtout du nord industriel.

La tenue de cette assemblée, en elle-même, exprimait la défiance d'une fraction de la classe ouvrière à l'égard des directions syndicales et le fait qu'un bon nombre d'ouvriers, combatifs, souhaitaient se donner le moyen de coordonner leurs luttes à l'échelle nationale, vu le peu d'empressement des dirigeants syndicaux à le faire. Cependant, cette assemblée se garda de se comporter en direction alternative à celle des organisations syndicales. Elle fut surtout centrée sur un appel aux dirigeants syndicaux à respecter les règles de la démocratie syndicale. Un manifeste « Pour l'unité et la démocratie syndicale » fut notamment voté rappelant que « dans les usines et les entreprises, la représentation des travailleurs est confiée aux délégués et aux conseils de délégués, élus par tous les travailleurs à bulletins secrets. (...) La fédération CGIL-CISL-UIL doit convoquer au moins une fois l'an une assemblée de tous les délégués. (...) La fédération CGIL-CISL-UIL a une tâche de direction politique et de propositions vis-à-vis des conseils et des travailleurs (...) un profond renouvellement de sa vie et de son fonctionnement interne s'impose, basé sur une plus grande transparence et décentralisation des prises de position » .

Ces appels aux sommets syndicaux pour le respect de la démocratie à la base s'achevaient par un appel aux travailleurs à « renforcer la CGIL-CISL-UIL en s'y inscrivant et en participant à leur action » .

L'assemblée du 6 mars se plaça ainsi clairement, de par la décision de ses promoteurs, dans le cadre syndical. En ce qui concerne la lutte sur le problème de l'échelle mobile lui-même, tout en critiquant les concessions au gouvernement, elle se borna à appeler à une manifestation nationale à Rome plus de deux semaines après, le 24 mars. Cela reprenait une proposition déjà mise en avant par les conseils d'usine de quelques grandes usines milanaises bien contrôlés par le PCI et la CGIL. C'était écarter implicitement l'idée d'une grève générale pour le retrait du décret et même l'idée d'une grève nationale le jour de la manifestation, le 24 mars étant un samedi.

L'assemblée aurait-elle pu prendre d'autres initiatives avec quelques chances de succès ? Il est difficile de le dire aujourd'hui, difficile aussi de dire, d'ici, si la situation et la combativité des travailleurs était suffisamment grande pour le permettre. Mais il faut constater que les promoteurs de l'assemblée du 6 mars ne cherchèrent pas, de toute façon, à se comporter autrement qu'en opposants « syndicaux », contestant de l'intérieur de l'appareil la façon de se comporter des sommets. S'ils faisaient appel à « la base », c'était pour les appuyer, eux, pour un renouvellement de l'appareil syndical, non pour imposer malgré les appareils la lutte pour le retrait du décret Craxi.

Le fait est, en tout cas, que sur cette base, la CGIL et le PCI purent facilement reprendre pied et, utilisant leur tactique habituelle, contrôler de nouveau la situation dans la classe ouvrière. Au lendemain de l'appel de l'assemblée milanaise la CGIL déclara se rallier à la manifestation du 24 mars. Mettant tout son poids dans la balance elle en fit alors, surtout, sa manifestation.

 

La manifestation du 24 mars

 

C'est en effet en grande partie la machine organisationnelle de la CGIL qui a assuré le succès de la manifestation. Quatre mille autocars et trente-quatre trains spéciaux ont amené, à eux seuls, de toute l'Italie, quelque 250 000 manifestants. La participation globale à la manifestation a été estimée entre 500 000 et un million de personnes, et elle a été en général qualifiée comme la « plus grande manifestation qu'ait connue l'Italie après-guerre ».

Cependant, du coup, c'était la CGIL et son secrétaire général qui lui donnaient sa coloration. Les délégations ouvrières les plus susceptibles de contestation, celles des conseils d'usine de Lombardie et du Piémont furent prudemment tenues à l'écart du meeting final.

Sans doute, au cours de celui-ci, des représentants des coordinations régionales des conseils d'usine prirent la parole au côté de Luciano Lama. Un délégué de l'usine OM de Brescia - qui a été au point de départ de tout le mouvement - put lire devant la foule le « Manifeste sur l'unité de la démocratie syndicale ». Mais ce fut la CGIL qui affirma sa direction sur le mouvement avec ses objectifs.

C'est au nom de l'unité syndicale, tant réclamée par les conseils d'usine eux-mêmes, que Lama écarta l'idée d'une grève générale. Il ne s'agissait pas, selon lui, d'approfondir la fissure déjà intervenue entre les organisations syndicales liées au gouvernement (CISL, UIL et fraction socialiste de la CGIL) et la majorité de la CGIL. Lama affirma nettement qu'une grève générale serait « inopportune, parce qu'elle pourrait creuser un fossé plus profond parmi les travailleurs et les organisations » .

C'était en fait enterrer l'idée d'une lutte de la classe ouvrière elle-même pour le retrait du décret Craxi. Du terrain des usines et de la rue, Lama indiqua déjà qu'il comptait la déplacer sur le terrain des joutes parlementaires et des négociations autour du tapis vert.

« Cette manifestation ne s'oppose pas au Parlement, déclara Lama, au contraire, elle en respecte et en soutient les pouvoirs » . Et d'ajouter que cette manifestation du 24 mars lui demandait simplement « pacifiquement, civilement, dans le plein respect des institutions, de rétablir le pouvoir contractuel » , autrement dit de donner droit aux demandes de reprise de la négociation formulées par la CGIL.

La presse italienne ne s'y est pas trompée qui a décerné ses félicitations au leader de la CGIL pour son « ton globalement modéré » et pour le fait qu'il n'ait pas voulu « humilier le gouvernement et avec lui son président Bettino Craxi (Corriere della Sera ). De même, Le Monde a salué « l'intelligence de la direction de la CGIL » qui est, selon lui, « d'avoir récupéré la situation en chapeautant une manifestation contre les décrets qui était au départ une idée des conseils d'usine » . Et de fait, au lendemain de la manifestation du 24 mars, l'initiative appartenait à la CGIL et au PCI.

L'Assemblée Nationale des Conseils du 6 mars avait décidé, outre la manifestation du 24, d'une nouvelle assemblée nationale pour le 30 mars. Cette assemblée devait en principe faire le point sur la situation, et proposer une grève générale au cas où la manifestation n'aurait pas abouti au retrait du décret. Une motion pour une grève nationale fut votée, afin de ne pas heurter la CGIL qui, par la bouche de Luciano Lama, s'était prononcée contre la grève générale. L'assemblée décida aussi de passer à l'élaboration d'une « plate-forme de lutte sur l'emploi », alternative à la négociation sur le « coût du travail » menée par les directions confédérales. Raffaelo Renzacci, membre de la coordination nationale des conseils d'usine et militant de la LCR d'Italie salue ces décisions comme « extrêmement positives, ajoutant qu'elles garantissent la poursuite de la lutte pour une autre politique syndicale contre l'austérité ». (Interview à Rouge numéro 1109 du 20 avril). De fait, cette seconde assemblée nationale, plus encore que la première, donnait à cette coordination des conseils d'usine le caractère d'une opposition interne au syndicat, et non pas d'une direction alternative. Elle passait à l'élaboration de plates-formes, d'objectifs de lutte à long terme, laissant désormais à la CGIL la véritable direction de la lutte en cours sur le problème du décret Craxi.

 

L'obstructionnisme parlementaire du PC

 

Car, par les bons soins du PCI, cette lutte se plaçait désormais dans l'arène parlementaire. La loi italienne stipule que les décrets-lois décidés par le gouvernement doivent être approuvés dans un délai de soixante jours par le Parlement ou bien deviennent caducs. Les groupes parlementaires du PCI, ainsi que de Democrazia Proletaria et du PDUP (Parti d'Unité Prolétarienne dont les députés ont été élus sur les listes du PCI) décidèrent de recourir à l'obstruction parlementaire pour empêcher l'adoption du décret avant la date limite du 15 avril.

Les députés de ces trois partis de l'opposition de gauche ne déposèrent pas moins de trois mille trois cents amendements et se relayèrent à la tribune pour les défendre. Et, le 16 avril, sa mise au vote n'ayant pu avoir lieu, le décret Craxi devint caduc. A ceci près cependant que le gouvernement put décider aussitôt d'adopter un « décret-bis » reprenant les termes du précédent, avec une petite concession à l'opposition consistant à limiter sa durée d'action à six mois au lieu d'un an.

Une nouvelle période de deux mois est donc maintenant ouverte, pendant laquelle ce décret est valide et surtout pendant laquelle les négociations ont repris de plus belle entre les organisations syndicales, le gouvernement et la Confindustria. Il s'agit de parvenir à une formule dans laquelle de toute façon il est acquis d'avance que l'on retirera trois points à l'échelle mobile, la seule discussion étant sur les « contreparties » qui aideront les dirigeants syndicaux à faire accepter leurs reculades à leur base.

Il n'est même pas dit que Craxi voudra donner à la CGIL la satisfaction d'apporter quelques aménagements à son décret-loi. L'enjeu pour Craxi est de démontrer qu'il peut imposer ce que d'autres gouvernements avant lui ont négocié.

Réciproquement, l'enjeu pour le PCI et la CGIL est de démontrer tout à la fois leur capacité à contrôler la classe ouvrière, leur représentativité et leur influence. Il s'agit de prouver que pour imposer l'austérité à la classe ouvrière italienne, il faut passer par la CGIL sur le plan syndical et par le PCI sur le plan politique. C'est surtout à cette fin que le PCI et la CGIL ont utilisé, finalement, la mobilisation ouvrière née de la protestation contre le décret Craxi, tout en la contrôlant, en la canalisant et en cherchant à épuiser la combativité ouvrière.

Mais cette opposition « respectueuse des pouvoirs du Parlement, désireuse de ne pas humilier le gouvernement », faite par des gens qui sont eux aussi candidats à exercer les responsabilités gouvernementales de gestion de la crise, n'est de toute façon pas de nature à imposer les objectifs de la classe ouvrière, c'est-à-dire à battre en brèche la politique d'austérité de la bourgeoisie. Il n'y a qu'un rapport de force établi par la classe ouvrière, dans les usines et dans la rue, qui pourrait imposer de tels reculs.

Mais c'est justement ce rapport de forces que les directions syndicales, respectueuses, ne veulent ni créer, ni utiliser même lorsqu'il existe au sein des travailleurs ou d'une fraction d'entre eux une volonté manifeste d'entrer en lutte. Le fait est aussi que les éléments de la « gauche syndicale » qui ont joué un rôle dans l'émergence du mouvement des « autoconvocations » des « conseils d'usine », en se plaçant dans le cadre de la stricte « opposition syndicale » n'ont pas réellement proposé une politique différente de celle des directions confédérales, au moment où la volonté de lutte des travailleurs commençait, peut-être, à en créer la possibilité.

 

Partager