Iran : Six mois de régime islamique09/09/19791979Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1979/09/67.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Iran : Six mois de régime islamique

Six mois après le renversement insurrectionnel du gouvernement Bakhtiar, qui n'avait lui-même constitué qu'un intermède d'un mois après le départ du chah, où en est le régime islamique instauré en Iran sur la base d'une mobilisation populaire exceptionnelle par sa persévérance et son caractère de masse ?

La question est d'autant plus d'actualité que ce régime vient précisément, au mois d'août, de mener simultanément une répression brutale, avec la participation de l'armée, contre la population et les combattants autonomistes kurdes ; et d'interdire les partis, organisations et journaux libéraux, de gauche et d'extrême-gauche.

Ces événements, venant après toute une période marquée par une série d'exécutions sommaires, émeuvent beaucoup les hommes politiques et la presse en Occident. La presse de droite, en particulier, évoque complaisamment « l'anarchie », le « chaos », qui régneraient en Iran, en déplorant le pouvoir des comités et milices « incontrôlés », l'incertitude quant à l'avenir des affaires en Iran, etc.

Mais peut-on dire que l'adhésion des larges masses populaires au régime et à la personne de Khomeiny, massive et apparemment sans faille dans la lutte et lors de la victoire, soit aujourd'hui sérieusement entamée ? Du côté de la population kurde, la réponse ne fait pas de doute ; et du côté de la gauche iranienne, de même que dans certains secteurs de la petite bourgeoisie des villes, le mécontentement contre le régime ne fait sans doute pas de doute non plus. Mais ces secteurs ne restent-ils pas précisément circonscrits et isolés ?

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Le régime de Khomeiny s'est instauré sous le double signe du nationalisme et de la religion. Rejet de l'inféodation aux États-Unis, rejet de l'occidentalisation dans tes moeurs, sont ses thèmes essentiels.

Les couches travailleuses et pauvres de la population n'avaient été que des victimes de la politique du chah, et l'agitation khomeinyste sur le thème « mettons fin au gaspillage de notre richesse nationale » reflétait les aspirations populaires à l'amélioration d'un sort misérable.

La manne des « pétro-dollars », pour autant qu'elle n'allait pas enrichir tes groupes capitalistes étrangers, américains avant tout, n'avait profité qu'à un cercle restreint de grands bourgeois, de membres de l'appareil d'état et de la cour impériale, dont l'affairisme et la corruption s'étalaient ouvertement.

L'argent du pétrole et le soutien direct des États-Unis permettaient aussi d'entretenir une armée ultra-moderne, dont les sommets dirigeants se montraient ouvertement liés à l'impérialisme américain.

Avec la crise, le sort des masses pauvres, totalement exclues de cet enrichissement et qui, elles, n'en avaient évidemment pas profité - ne serait-ce qu'un peu et par ricochet comme certaines couches de la petite bourgeoisie citadine s'était encore aggravé. L'Iran du chah comptait aux alentours de trois millions de chômeurs, pour une population d'environ 36 millions.

Que, dans ces conditions, le sentiment national ait occupé une place importante dans le mécontentement de la population contre le régime du chah n'est pas surprenant.

L'explosion populaire a, dans le même temps, adopté un caractère religieux militant, et cela s'explique aussi par les conditions répressives et dictatoriales dans lesquelles le chah avait imposé la modernisation et l'occidentalisation des moeurs. Le luxe ostentatoire et provocant de l'Iran des fêtes de Persépolis n'a pu que renforcer parmi les déshérités le rejet d'un modernisme de pensée étroitement associé au despotisme, à l'inégalité et à la corruption.

Le fait que le mouvement populaire iranien ait été entièrement dirigé par la hiérarchie religieuse est d'ailleurs sans doute ce qui le différencie le plus notablement des révolutions nationalistes du même type survenues dans différents autres pays, et ce qui confère à la direction nationaliste petite bourgeoise actuelle des traits relativement originaux dans leur genre. A toute la série des mesures économiques et sociales d'inspiration nationaliste prises par Khomeiny se mêlent en effet un fatras religieux d'un autre âge et des pratiques obscurantistes, en particulier dans le domaine des moeurs et de la vie sociale. Cela complique passablement le tableau, et cela déroute sans aucun doute bon nombre de gens en Occident qui, n'eût été le Coran, auraient pu admirer sans réserves le « progressisme » et le radicalisme du gouvernement iranien actuel...

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Il est bien sûr difficile de juger à distance de l'existence aujourd'hui, six mois après, d'un éventuel mécontentement populaire en Iran vis-à-vis de Khomeiny (mises à part encore une fois les populations non persanes opprimées).

On peut néanmoins constater que Khomeiny remplit, somme toute, son contrat en ce qui concerne ses objectifs nationalistes et ses objectifs d'inspiration religieuse. Sur ces plans, la masse des pauvres sur lesquels s'appuie le régime est-elle déçue par les premiers mois d'exercice du pouvoir de l'ayatollah ?

Sur le premier plan, une série de mesures économiques ont été prises qui vont dans le sens des aspirations nationalistes iraniennes : dénonciations des accords entre l'Iran et le consortium pétrolier qui monopolisait l'achat de son pétrole ; annulation des contrats d'armement considérables passés par le chah auprès des USA, et des achats de centrales nucléaires ; retrait de l'organisation militaire du CENTO mise en place au Moyen-Orient par l'impérialisme ; rupture avec Israël, puis avec l'Égypte et, simultanément, politique d'amitié envers les Palestiniens ; nationalisations, en particulier dans le secteur des banques ; etc.

Bien sûr, les difficultés économiques de l'Iran sont considérables. A l'héritage légué par l'ancien régime se sont ajoutés la désorganisation due aux événements, la fuite des capitaux et tous les problèmes suscités par les tenants de l'ancien régime placés plus ou moins aux postes de commande, Tous les témoignages récents font état de la désorganisation économique, de l'accroissement du nombre des chômeurs, qui selon certains chiffres, atteindrait maintenant les quatre millions, de la misère de la population des bidonvilles du sud de Téhéran. Parmi les possédants, le mécontentement irait grandissant, y compris dans les rangs des commerçants du « Bazaar » qui avaient soutenu le mouvement religieux contre le chah.

Il régnerait, parmi les travailleurs de l'industrie du pétrole en particulier, un climat d'effervescence permanente. La presse française fait état de demandes de nationalisations d'entreprises, de réclamations de changements parmi les directeurs, de revendications variées, de tentatives de constitution d'organisations de type syndical, et ceci également parmi les chômeurs.

Mais si tout cela pose certainement des problèmes au régime sur le plan de la production, rien ne prouve que cela prenne pour autant la forme d'une contestation politique massive du régime,

Et - pour le moment, du moins - rien n'indique que les classes populaires rendent le nouveau régime responsable de leurs difficultés.

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Cela est d'autant plus plausible que le régime, et avant tout khomeiny lui-même, mène une politique démagogique en direction des couches les plus démunies de la population.

Cette démagogie se caractérise par son populisme religieux. Il aura suffi de quelques semaines, dans la foulée des journées insurrectionnelles des 10 au 12 février dernier, pour mettre l'Iran à l'heure de l'Islam et de son ordre moral.

Mais si le rôle tenu par la religion dans le régime khomeinyste choque particulièrement l'intelligentsia, il en va différemment pour les masses populaires du pays.

Khomeiny peut s'en prendre aux intellectuels, aux journalistes, aux politiciens, aux avoca ts, fulminer et tonner contre l'émancipation des femmes, la liberté dans les moeurs, la viande congelée et la musique, sans que cela lui nuise, au contraire même sans doute, aux yeux de toute une population misérable auprès de laquelle l'intelligentsia citadine ne peut que faire figure de privilégiée.

Les mesures qui ont indigné la petite bourgeoisie de Téhéran, comme l'obligation du port du « tchador » par les femmes par exemple, n'ont pas, d'après ce que l'on a pu constater, suscité le même tollé dans les classes populaires. Et les mesures ostentatoires contre tout ce qui peut apparaître comme des manifestations de luxe et de corruption - la présence de stocks d'alcool dans les ambassades, par exemple - n'ont pu, en fait, que plaire aux déshérités.

Au nom du Coran, Khomeiny veut faire régresser la condition des femmes, il a réautorisé la polygamie, il fait exécuter les femmes adultères. Toujours au nom du Coran, l'alcool est prohibé tandis que par ailleurs, la consommation d'opium - un problème qui touche, dit-on, des millions de personnes en Iran - n'est pas mise en cause, l'opium ne figurant pas dans le Coran.

Et c'est aussi au nom de que khomeiny fustige les intellectuels coupables de souhaiter la démocratie ou l'autonomie -des mots ignorés du coran bien entendu.

Toute cette politique qui spécule sur les préjugés des couches de la population les moins cultivées ne peut pas être le fait d'une direction politique défendant réellement leurs intérêts. La politique de Khomeiny consiste en la matière à se servir des préjugés sévissant dans les masses pour les enchaîner, non pour les amener à se libérer.

Mais il faut se souvenir que la contestation de masse de la monarchie s'est faite aux cris de « Allah est le plus grand ». Et si ces faits témoignent des préjugés existants, on peut estimer que c'est aussi l'aspiration de la population pauvre à plus de dignité qui s'exprime ainsi, en partie et à sa manière, par les voies qui lui sont offertes : même si ce sont, en l'occurrence, les voies réactionnaires de la religion.

Sur le plan matériel, c'est également sur les plus pauvres, les chômeurs, encadrés par les milliers de mollahs, que Khomeiny s'est jusqu'à maintenant appuyé. C'est parmi eux que sont recrutés les membres des milices islamiques diverses, du corps des Gardiens de la Révolution (PASDAR) officialisé en mai dernier, qui constituent l'instrument favori du pouvoir de Khomeiny, comme on a pu le voir en particulier lors de la série d'exécutions expéditives appliquée dans les premiers mois à quelques centaines de responsables de l'armée, de la police, de l'administration, de la SAVAK.

Il ne s'agissait certes là aussi que de démagogie, la purge est restée superficielle, part du feu indispensable. Ces exécutions étaient destinées à faire croire à la population à la volonté de Khomeiny de faire table rase de l'ancien régime, alors qu'il ne s'agissait que de s'en prendre à des boucs émissaires pris parmi les massacreurs et les tortionnaires les plus exécrés, tout en laissant l'armée et la haute administration impériales globalement intactes.

Bref, au terme de ces prémiers moi s du régime, il ne semble pas que l'on puisse conclure de la politique suivie jusqu'à maintenant par khomeiny à une désaffection des masses populaires à son égard. il peut, selon toute apparence, encore s'appuyer sur une adhésion réelle de la part de larges couches de la population travailleuse et pauvre.

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Sur cette base, le régime a mené et mène une politique brutalement antidémocratique à l'encontre des secteurs qui manifestent leur dissidence : les minorités nationales, et la gauche.

Aussi bien dans le domaine des libertés politiques d'organisation et d'expression que dans celui des aspirations des minorités nationales, c'est la manière forte, et non la recherche du « consensus », qu'il emploie. Relativement prudente et ponctuelle dans un premier temps, cette attitude s'est durcie au cours de la période récente. La parodie de démocratie politique qu'ont constituée le référendum-plébiscite du 30 mars sur la République islamique, et les élections du 3 août à une assemblée de quelques dizaines d'experts chargés en principe de préparer une Constitution, aura fait long feu.

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Il était en somme logique que Khomeiny se soit trouvé d'emblée confronté aux problèmes des minorités nationales qui composent l'Iran.

Systématiquement et durement réprimées sous l'Empire, elles n'ont pas manqué de s'exprimer de manière explosive dès que l'espoir d'un changement s'est fait jour. Kurdes, Turkmènes, Azerbaïdjanais, Baloutches et Arabes se sont manifestés successivement ou simultanément dès le mois de mars dernier, et d'entrée ils ont eu à affronter les miliciens de Khomeiny. La répression contre les villes kurdes de Sanandaj et de Naghadeh, en mars et en avril, s'accompagnait du massacre de plusieurs centaines de personnes dans les deux cas. Les affrontements de Khorramshar et dAbadan, au Khouzestan, avec la population arabe, faisaient à leur tour au moins une centaine de morts, à la fin de mai. Depuis lors, la répression contre la population arabe n'a pas cessé, pour être moins officialisée et plus discrète que celle qui s'exerce à l'encontre des villes kurdes. Les Gardiens de la Révolution pratiquent l'intimidation, les coups, la torture, les détentions arbitraires. On sait notamment qu'à Ahwaz, plusieurs syndicalistes en particulier ont été arrêtés, en même temps que les militants trotskystes de la section iranienne du Secrétariat Unifié.

Le 17 août, Khomeiny donnait l'ordre à l'armée de réduire la résistance kurde, sous peine d'indignité nationale, et faisait intervenir avions et blindés. Dans ce cas, les nécessités militaires se sont sûrement conjuguées à des visées politiques. L'opération a été menée avec beaucoup de publicité, en particulier à la télévision iranienne, paraît-il.

Et il est sans doute significatif que, dans cette affaire, Khomeiny ait pu miser sur les réflexes nationalistes, contre les Kurdes présentés comme de criminels séparatistes dans ces heures difficiles pour le pays.

Sans doute le problème que posent les Kurdes n'est-il pas réglé définitivement pour autant, pas même sur le strict plan militaire puisque les guérilleros kurdes ont déjà maintes fois prouvé qu'ils étaient capables de poursuivre une longue lutte en se réfugiant dans les montagnes.

Mais Khomeiny a marqué là un point. Cette intervention ne visait pas qu'à réduire la résistance autonomiste dans le Kurdistan iranien. C'est une intervention « pour l'exemple » à l'intention de l'ensemble des minorités nationales, et également de tous les secteurs qui tenteraient d'échapper au contrôle islamique : il était connu, en effet, que dans les régions kurdes, les tâches de police et d'administration locales étaient plus ou moins aux mains de la population, en tout cas des combattants du Parti Démocratique Kurde d'Iran (PDKI), que l'on pouvait y trouver de l'alcool et ne pas y voir de portraits de l'ayatollah.... bref que des manifestations de dissidence se développaient.

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Les combattants kurdes escomptaient peut-être, d'une part que l'armée se déroberait aux ordres de Khomeiny ; et d'autre part qu'ils ne resteraient pas isolés sur le plan politique, puisque officiellement les diverses formations de gauche sont partisanes du droit à l'autonomie pour les Kurdes.

Mais il s'est trouvé que vis-à-vis de cette gauche, Khomeiny a suivi la même démarche que vis-à-vis des Kurdes : après plusieurs escarmouches et après avoir amorcé sa mise au pas en mai-juin (tentatives de « normalisation » de la presse libérale), il l'a frappée de ses mesures d'interdiction au même moment.

On ne peut pas dire que la gauche iranienne aura été prise par surprise par Khomeiny. Dès les débuts du mouvement de masse contre le chah, au cours de l'été et de l'automne 1978, les proclamations et les slogans tels que « Allah est le plus grand », « Le seul parti est le parti d'Allah », ou « Dans l'étape révolutionnaire actuelle, la discussion idéologique constitue une trahison », ne laissaient pas de doute sur ce que serait le régime islamique une fois vainqueur.

Pourtant, le suivisme politique des organisations de gauche par rapport au mouvement religieux a été total. Elles ne sont pas apparues indépendamment devant les masses populaires en lutte, avec une autre politique et un autre programme.

Et il faut bien constater qu'en fait, leur comportement dans les premiers mois du nouveau régime, même si elles ont pris aussitôt quelques distances avec lui, n'a pas vraiment dissipé l'équivoque.

Si on se fonde sur les informations fournies par la presse française, on peut faire remonter la première manifestation de la gauche à visage découvert dans la rue au 21 janvier, c'est-à-dire au cours de l'intermède Bakhtiar que chacun prévoyait de courte durée. Attaqués par les fidèles de Khomeiny, les manifestants criaient, paraît-il, « Musulmans, ne lancez pas l'inquisition ! ». Cependant, le 17 février, l'organisation des Fedayin du Peuple, qui se veut marxiste-léniniste, manifestait encore derrière un portrait de l'ayatollah. Et c'est seulement le 23 février que cela n'a plus été le cas. Par la suite, les partis de gauche, notamment le parti nouvellement créé par Matine Daftary, petit-fils de Mossadegh, le Front National Démocratique, ont saisi à plusieurs reprises l'occasion de se démarquer publiquement de Khomeiny, lors du 1er mai en particulier. Aujourd'hui, le parti de Matine Daftary est interdit lui aussi et un mandat d'arrêt a été lancé contre son fondateur.

Il faut souligner cependant que ces apparitions publiques indépendantes de la gauche n'ont apparemment visé qu'à affirmer son identité et son existence. L'opération du Front National Démocratique visait à prendre une place laissée libre par le fait que le Front National de Sandjabi s'était entièrement rallié au gouvernement Bazargan. Mais les Fedayin du Peuple se plaçaient dans son sillage, et les manifestations de la gauche iranienne au printemps dernier se sont cantonnées, comme lui, dans la protestation contre les tentatives d'intimidation à l'égard de la presse.

Et si, à l'occasion du référendum sur la République islamique et des élections du début d'août à la pseudo-Constituante, elle a pris nettement ses distances avec le régime islamique, elle n'en est pas moins restée une gauche respectueuse.

C'est seulement à la mi-août, à la veille des mesures d'interdiction prises par Khomeiny contre elle, qu'elle s'est ouvertement manifestée en rupture de ban avec le régime aux cris de « A bas le fascisme ! ».

Il aura fallu en somme qu'elle soit directement visée.

Le Parti Communiste Toudeh, lui, a poussé les choses encore plus loin, et mérite à cet égard une mention spéciale.

Dès les journées de février, il s'était déclaré « pour les aspirations du peuple par le gouvernement provisoire et pour l'accomplissement des tâches posées par l'ayatollah Khomeiny ». En mai, il refusait de s'associer aux manifestations pour la liberté de la presse. Il avait fait voter « oui » au plébiscite de Khomeiny. En août, il a commencé par approuver les mesures d'interdiction prises contre le journal libéral Ayandegan et s'est désolidarisé de la protestation du reste de la gauche, avant de se retrouver lui aussi interdit. Ensuite de quoi, il demande aujourd'hui au gouvernement Bazargan de revenir sur le « malentendu » qui aurait entraîné son interdiction...

On peut bien sûr juger la politique légaliste et opportuniste du Toudeh particulièrement caricaturale, mais c'est en fait l'ensemble de la gauche iranienne qui, ayant contribué à faire le lit de Khomeiny, paye aujourd'hui le prix de sa politique, ou de son absence de politique.

Elle se retrouve politiquement désarmée et, semble-t-il, impuissante face au durcissement du régime. C'est qu'elle n'a pas de politique propre à proposer, différente de celle des leaders religieux nationalistes actuels - en dehors de ses récriminations sur le terrain des libertés démocratiques. Sans même parier d'un programme spécifique en direction des travailleurs et des pauvres.

La gauche iranienne s'est placée tout entière sur le terrain du nationalisme. Et si, sur le plan des libertés démocratiques et de la participation à la direction politique du pays, elle peut s'estimer frustrée par le cours du régime actuel, sur le plan économique en revanche les mesures prises par ce régime sont sans aucun doute conformes à ce qu'elle espérait du renversement du chah.

Aussi, étant donné toute sa politique, cette gauche ne peut que se retrouver désorientée face à des attaques directes de la part d'un régime qui lui coupe dans une large mesure l'herbe sous le pied.

On conçoit que les masses populaires iraniennes ne se sentent pas directement concernées par les attaques portées aux différentes organisations de gauche, celles-ci ne s'étant pas particulièrement soucié au cours des événements de lui proposer autre chose que le programme des leaders religieux. Mais la politique de Khomeiny n'en est pas moins lourde de menaces pour l'avenir de l'ensemble de la population.

En tout cas, il est remarquable qu'il ait pris soin, non seulement d'inaugurer son régime avec l'accord au moins tacite de l'État-Major, mais ensuite de remettre l'armée en selle relativement rapidement.

Non seulement son premier souci avait été de faire restituer le maximum des armes dont la population avait pu s'emparer en février, et d'encadrer les milices islamiques, mais on l'a vu dès le 18 avril faire un geste significatif en proclamant une « journée de l'armée », avec défilé dans Téhéran. Et, en juin, se servant d'incidents frontaliers avec l'Irak, il faisait faire à l'aviation une démonstration de sa force au-dessus de la capitale, annonçant dans la foulée une amnistie en faveur des forces armées et de sécurité, fixant même une date en juillet au-delà de laquelle il devenait interdit de porter plainte contre leurs membres auprès des tribunaux islamiques.

Lors des premiers soulèvements de la part de minorités nationales, bien que la répression se soit encore essentiellement appuyée sur les milices khomeinystes, des renforts de l'armée y étaient associés, de même qu'à la fin du mois de mai lors des affrontements dans le Khouzestan arabe.

Et c'est cette armée officiellement remise en selle qui vient d'intervenir contre la population et les combattants kurdes sur ordre de Khomeiny.

Cependant, c'est avec prudence que Khomeiny agit envers elle. Il se fie apparemment davantage à ses miliciens pour intervenir dans les villes kurdes - on l'a bien vu àMahabad dans laquelle l'armée n'est pas entrée, bien que la ville soit tombée.

Et, de fait, au Kurdistan, il a été signalé plusieurs exécutions de militaires - soldats ou officiers ? - pour s'être placés dans le camp des insurgés.

Au niveau du haut commandement, on ne voit peut-être pas le nouveau régime, tel qu'il est, sous un jour favorable. C'est également le cas, semble-t-il, dans au moins une partie de la bourgeoisie iranienne. Et l'impérialisme aidant, il se peut bien que des difficultés sérieuses surgissent pour Khomeiny du côté de l'armée.

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Il est bien sûr impossible de prévoir comment va évoluer la situation en Iran.

Désorganisation économique, répression de minorités nationales turbulentes, une gauche interdite mais qui existe, une armée dans l'expectative et probablement hostile : le tableau peut paraître sombre pour Khomeiny, et, dans la presse française en tout cas, les pronostics catastrophiques ne manquent pas quant à son avenir.

Ces pronostics sont peut-être hasardeux, malgré les apparences, le soutien apporté par une large fraction des masses populaires au régime ne semblant pas s'être démenti. D'autant plus que, malgré les ayatollahs, sur le fond, la nature du régime n'est pas différente de celle de bien d'autres régimes issus de mouvements nationalistes à direction petite bourgeoise dans les pays sous-développés, régimes dont la capacité de durée a souvent surpris les commentateurs de la presse.

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