Espagne : les Commissions Ouvrières, un an après les accords de la Moncloa01/09/19781978Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1978/09/56.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Espagne : les Commissions Ouvrières, un an après les accords de la Moncloa

L'un des sujets qui domine l'actualité politique, en Espagne, cet automne, est le renouvellement des accords de la Moncloa, signés au début novembre 1977, pour un an, par le gouvernement et l'ensemble des partis parlementaires, du Parti Communiste de Santiago Carillo à l'Alliance Populaire de Fraga Iribarne.

Les organisations syndicales n'avaient pas participé à la négociation et à la signature de ces accords (qui instituaient en particulier un blocage relatif des salaires). Mais elles s'en étaient faites les défenseurs acharnés à la remorque du PC et du PS et bien que cela ait entraîné nombre de remous en leur sein, les Commissions Ouvrières, en particulier, avaient multiplié les meetings et déplacé leur leader Camacho aux quatre coins de l'Espagne, pour convaincre les travailleurs de la nécessité de faire des sacrifices.

Ces accords arrivent donc à expiration, et de profondes divergences sont apparues entre les forces de la gauche réformiste sur la suite à leur donner. Oh certes, ni le PC ni le PS sur le plan politique, ni les CO ni l'UGT sur le plan syndical, ne remettent en cause leur politique passée. Si les uns et les autres émettent aujourd'hui des propos critiques, ce n'est pas pour regretter la signature de ces accords, mais pour se plaindre de ce que le gouvernement et le patronat n'aient pas respecté leurs engagements. Ils sont d'ailleurs tout prêts à renouveler l'expérience. A ceci près que du côté social-démocrate (PS et UGT) on se prononce pour la signature d'un nouveau pacte à deux (gouvernement et partis politiques), alors que du côté « communiste » (PC et CO) on défend l'idée d'un accord à quatre (organisations patronales et syndicats ouvriers joignant leurs signatures à celles du gouvernement et des partis).

Au dernier congrès national des Commissions Ouvrières, en juin dernier, Camacho a d'ailleurs défendu l'idée d'un programme économique de longue haleine, d'une durée de trois à quatre ans, à négocier avec le gouvernement. « Nous ne pouvons pas dire aux travailleurs en chômage d'attendre que vienne le socialisme - s'est-il écrié lors du meeting de clôture. Aussi les Commissions Ouvrières disent-elles aux travailleurs que bien qu'il soit nécessaire de défendre leur niveau de vie, il faut appuyer un plan de solidarité national qui fasse que tous les chômeurs puissent manger et ensuite un plan de reconversion pour que tout le monde ait du travail ». Et comme mesure concrète, il a proposé au congrès que « chaque salarié donne le montant d'une heure de travail par semaine et que les entreprises en donnent deux afin d'obtenir les fonds nécessaires ». Ce qui aboutirait, bien entendu, à faire payer les seuls salariés, car les patrons eux pourraient toujours répercuter cela sur leurs prix.

Personne ne peut évidemment dire quelle tournure prendront les négociations entre les différents partis politiques au sujet du renouvellement des accords de la Moncloa. Mais il est évident que les offres de service des dirigeants des Commissions Ouvrières, prêts à s'engager encore plus ouvertement dans la collaboration avec le gouvernement Suarez, ne peuvent être vues que d'un oeil très favorable par celui-ci, les Commissions Ouvrières étant l'organisation qui possède de loin la plus grande influence sur la classe ouvrière espagnole. Et cela est encore plus clair aujourd'hui qu'en novembre 1977.

Les commissions ouvrières, première confédération syndicale espagnole

Les élections syndicales du printemps dernier ont en effet constitué une incontestable victoire pour les Commissions Ouvrières. Celle-ci est certes difficile à mesurer avec exactitude, car les chiffres publiés par les différentes organisations concurrentes d'une part, et par le gouvernement d'autre part, divergent quelque peu. Mais aucune statistique ne met en doute la réalité de la victoire des Commissions Ouvrières, auxquelles semblent appartenir environ la moitié des délégués d'entreprises élus dans toute l'Espagne, alors que l'UGT (Union Générale des Travailleurs, ouvertement liée au Parti Socialiste), arrivée en seconde position, a recueilli moins d'un quart des sièges, et que l'USO (Union Syndicale Ouvrière, se réclamant du « socialisme autogestionnaire » ), en troisième position, en a recueilli moins de 5 %.

Les élections syndicales n'ont d'ailleurs pas seulement classé les Commissions Ouvrières loin en tête devant leurs rivales social-démocrates, UGT et USO. Elles ont aussi mis en évidence le caractère marginal de leurs concurrents d'extrême-gauche. Les deux confédérations « unitaires » rivales créées par des maoïstes (CSUT et SU) ont recueilli à elles deux moins de 5 % des sièges. Quant à la CNT anarcho-syndicaliste, qui officiellement boycottait ces élections, mais qui présentait néanmoins bon nombre de candidats, elle semble avoir obtenu des résultats du même ordre de grandeur que les centrales maoïstes, bien que l'ambiguïté de sa position les rende plus difficiles à interpréter.

Mais ces élections syndicales n'ont pas seulement été un succès pour les Commissions Ouvrières elles-mêmes. Elles en ont été un aussi pour le Parti Communiste, qui tout en se défendant d'en faire sa courroie de transmission, contrôle de fait cette confédération. Un succès d'autant plus apprécié que les résultats des élections politiques de juin 1977 avaient été médiocres pour le PCE, et qui explique sans doute pour une large part la montée des « hommes des Commissions » au sein de la direction du PCE que l'on a pu observer lors du dernier congrès de ce parti.

Pour qui en doutait encore, la Confédération Syndicale des Commissions Ouvrières est donc apparue au lendemain des élections syndicales, à la fois comme la Confédération qui influence le plus grand nombre de travailleurs en Espagne, et en même temps comme celle qui organise le plus grand nombre de travailleurs combatifs.

De la lutte clandestine...

Mais ces Commissions Ouvrières ont profondément évolué durant les deux dernières années. Fondamentalement, elles ne sont bien sûr ni plus ni moins réformistes qu'avant, car elles n'ont jamais été autre chose. Mais leurs pratiques organisationnelles, les revendications qu'elles défendent, le type de forme d'action qu'elles préconisent, leur attitude durant les grèves, tout cela s'est modifié insensiblement, de par la volonté de leurs dirigeants de transformer des syndicats nés dans la clandestinité (et à qui la bourgeoisie et son État refusaient alors le simple droit à l'existence), en une confédération collaborant avec la bourgeoisie et son État, à l'exemple de tous les syndicats réformistes de tous les régimes parlementaires.

C'est que la clandestinité dans laquelle sont nées les Commissions Ouvrières, à la fin des années 1950, et dans laquelle elles se sont développées jusqu'au printemps 1977, n'obligeait pas seulement les militants à dissimuler plus ou moins complètement leurs activités à la police. Elle sélectionnait aussi un autre type de militants. Elle imposait d'autres formes de luttes, d'autres rapports avec la classe ouvrière, que les pratiques habituelles des syndicats réformistes des pays où la bourgeoisie exerce sa domination à travers un système parlementaire.

Les grèves tournantes, les luttes ne concernant qu'un nombre très restreint de travailleurs, n'avaient pas leur place dans l'Espagne franquiste. La répression patronale et policière obligeait à considérer les luttes revendicatives avec sérieux. Elle obligeait les militants de la clandestinité à mesurer à l'avance et tout au cours des luttes la combativité des travailleurs, à être attentifs à leurs aspirations, à faire sans cesse la preuve qu'ils avaient ces travailleurs derrière eux, tout cela sous peine d'échecs aux conséquences graves. D'où la naissance d'une tradition d'assemblées ouvrières entérinant, sinon prenant, toutes les décisions importantes au cours des luttes, tradition à laquelle la classe ouvrière espagnole est restée très attachée.

Enfin, et contrairement à ce qui se passe dans les centrales syndicales réformistes des pays de parlementarisme bourgeois, qui attirent à elles non seulement des travailleurs désireux de lutter pour leur classe, mais aussi des gens attirés par les avantages matériels que peut procurer l'appartenance à un syndicat collaborant avec la bourgeoisie, les hommes des Commissions Ouvrières n'avaient dans l'immédiat aucun avantage personnel possible à attendre de leur activité, ni sinécure dans un comité d'entreprise, ni poste de permanent échappant par ce biais à l'exploitation. Ils avaient pour la plupart, bien sûr, été formés à l'école du réformisme stalinien.

Et un certain nombre d'entre eux, notamment au niveau de la direction, militaient consciemment dans l'espoir de pouvoir un jour jouer le même rôle en Espagne que la CGT en France ou la CGIL en Italie. Mais si les Commissions Ouvrières clandestines étaient déjà un syndicat réformiste, elles ne constituaient pas un appareil bureaucratique.

... à la politique de « consensus »

Tout cela n'a pas disparu d'un seul coup avec la légalisation, mais forme un héritage qui gêne les dirigeants des Commissions Ouvrières, pour mener la politique de « consensus » (selon leur propre expression) dans laquelle ils se sont engagés. Et cet héritage, ils s'efforcent de le liquider progressivement, car Camacho a beau affirmer que « la politique de consensus maintenant, comme la politique de réconciliation nationale avant, n'est pas une politique de réconciliation des classes (...) au contraire », celle-ci rencontre l'hostilité plus ou moins ouverte de bon nombre de militants.

La politique de « consensus » des Commissions Ouvrières correspond bien sûr à celle du PCE, qui depuis sa légalisation, s'acharne à essayer de démontrer à la bourgeoisie que la meilleure solution pour elle, face à la crise, serait un gouvernement d'union nationale auquel il participerait, et ne cesse de multiplier les gages de bonne volonté. Mais les Commissions Ouvrières poursuivent aussi leurs objectifs propres, en défendant l'idée d'une collaboration nécessaire avec le gouvernement et le patronat.

La légalisation n'a pas suffi en effet à faire d'elles l'équivalent des grandes centrales réformistes des pays installés de longue date dans le parlementarisme, où les appareils bureaucratiques vivent des avantages qui leur sont concédés par l'État bourgeois. Et ce à quoi aspirent les dirigeants des Commissions Ouvrières, c'est à la mise en place d'un tel système en Espagne.

Or sur ce plan-là, le moins que l'on puisse dire est que la bourgeoisie espagnole se fait tirer l'oreille. La loi « d'action syndicale », actuellement en cours de discussion aux Cortès, a été amendée par la droite (y compris les députés de l'UCD, le parti gouvernemental) dans un sens inférieur aux propositions gouvernementales. « Le comité d'entreprise perd presque toutes ses attributions et reste relégué dans la majorité des cas à être simplement informé de ce que fait et défait la direction - déplorait dans son numéro de juin la Gaceta de derecho social ( « Gazette de droit social », mensuel des Commissions Ouvrières)... Les députés de l'UCD ont voté dans la Commission de Travail contre le propre texte du gouvernement qui maintenait les 40 heures par mois (comme dans le syndicat vertical) comme temps disponible pour les membres des comités et les délégués du personnel pour exercer leur activité syndicale. Enfin les sections syndicales restent inexistantes dans la pratique : elles ne pourront se constituer que dans les entreprises de plus de 1 000 travailleurs, ce qui exclut 90 % des centres de travail du pays ».

Les dirigeants syndicaux espagnols apparaissent si amers devant l'incompréhension de la droite à leur égard, que l'hebdomadaire de gauche Cambio 16 a pu titrer il y a quelques mois un article sur « un an de relations gouvernement-syndicats : « Séduits et abandonnés ».

La nouvelle tactique gréviste et la tradition « assembléiste »

Mais cette attitude du gouvernement et de la droite est loin d'amener les dirigeants des Commissions Ouvrières à faire preuve de fermeté. Si le printemps a été marqué par toute une série de luttes, à l'occasion du renouvellement d'un grand nombre de conventions collectives, les dirigeants des Commissions (comme ceux des autres confédérations réformistes, bien sûr) ont mis au point une savante orchestration pour empêcher ces grèves de confluer en une lutte d'ensemble. La préparation du congrès des Commissions Ouvrières a d'ailleurs été l'occasion de théoriser ce type de luttes. Voici par exemple ce qu'en disait le rapport présenté par la direction au congrès des Commissions Ouvrières de Catalogne, en mai dernier : « ... Les grèves, qui sont la forme la plus élevée de la lutte ouvrière, ne doivent pas être indéfinies, en particulier dans notre conjoncture actuelle, mais d'une durée fixée avant leur début. Grèves de quelques heures, d'un ou deux jours, qui devront être suivies d'une période plus ou moins longue d'assemblées dans les centres de travail, d'assemblées générales des travailleurs d'une ou de plusieurs entreprises, d'assemblées de délégués, de branche, d'adhérents aux Commissions Ouvrières, de concentrations, de manifestations ; et en fonction des négociations, on proposera une nouvelle grève de même type (...). Surtout, sur les points conflictuels, on utilisera le vote à bulletin secret (...). Nous devrions bannir l'idée qu'avec des grèves indéfinies nous imposerons des défaites au patronat ».

Il est bien évident que dans ces conditions, la tradition assembléiste de la classe ouvrière espagnole constitue une gêne sérieuse pour les dirigeants syndicaux. Et si le rapport que nous venons de citer n'exclut pas l'organisation de telles assemblées, c'est parce qu'il n'est pas possible de s'opposer de front à cette tradition. Les dirigeants des Commissions Ouvrières et du PCE en sont particulièrement conscients. Voici comment l'un d'eux pose le problème dans le N° 94 de Nuestra Bandera (Notre Drapeau, revue politique et théorique du Parti Communiste d'Espagne) : « Il est en train d'apparaître, parmi nos militants, le phénomène d'être sur la défensive, parfois, dans l'assemblée et ce phénomène se produit, de mon point de vue, parce que l'assemblée d'aujourd'hui est déjà différente de celle d'hier. L'assemblée d'hier était illégale, et par conséquent de très courte durée. C'était une assemblée presque exclusivement destinée à réaliser une action immédiate, où il y avait peu d'informations, peu de débat pour ces raisons. Aujourd'hui l'assemblée est légale. Il y participe plus de travailleurs. Les nouveaux détachements qui, avant, n'ont pas lutté, y participent. ils sont nouveaux, ils sont jeunes. Beaucoup de sigles agissent dans cette assemblée. Il y a plus de temps pour débattre, pour discuter... ».

Nuestra Bandera ne voit évidemment pas d'un oeil favorable le fait que plus de travailleurs puissent prendre la parole dans ces assemblées : « Dans le meilleur des cas, celui qui crie ne représente personne, sinon lui-même, le sigle de son parti, mais pas les travailleurs » , mais constatant que « devant ce phénomène de confusion, de débordement », certains militants « tendent à réduire l'assemblée », Nuestra Bandera affirme qu'à ces militants « il fallait dire un non catégorique ». Et pour que personne ne puisse prendre ce « non » pour un encouragement à la démocratie ouvrière, Nuestra Bandera enchaîne sur cette leçon de bureaucratisme appliqué : « La seule chose à faire est qu'il faut la préparer mieux (l'assemblée), qu'il faut l'organiser mieux (...), il faudra donner la parole à qui représente quelqu'un de parfaitement identifié (...), il faudra parler au nom de sections, d'un nombre de travailleurs, donner la parole aux délégués issus des élections et éviter à tout moment ce danger de débordement des Commissions Ouvrières ».

Les commissions ouvrières et leurs partenaires syndicaux

Cette attitude de plus en plus ouvertement bureaucratique contraste avec le caractère ouvert qu'avaient essayé de se donner les Commissions Ouvrières à la veille de leur légalisation. Elles se prétendaient alors en faveur d'un « congrès ouvrier constituant », qui permettrait la formation d'une grande confédération unique, ouverte à tous les courants syndicaux et politiques de la classe ouvrière. Il est vrai que les dirigeants des Commissions Ouvrières défendaient d'autant plus facilement cette politique qu'ils savaient bien que ceux de l'UGT, conscients qu'ils seraient minoritaires dans une telle formation, n'accepteraient jamais cette proposition. Mais que cette politique unitaire ait été défendue de bonne ou de mauvaise foi, le fait est qu'elle a été défendue, vis-à-vis de pratiquement tous les courants du mouvement ouvrier espagnol.

Le résultat des élections syndicales a permis aux dirigeants des Commissions de prendre leurs distances par rapport aux Confédérations qui entendent se situer à leur gauche, et de privilégier leurs relations avec l'UGT . « En choisissant majoritairement les Commissions Ouvrières - écrit Nuestra Bandera dans son numéro déjà cité - les travailleurs ont appuyé l'option unitaire que nous défendons. En plaçant derrière, en position détachée, l'UGT, ils ont montré par où passe l'unité » . Et s'interrogeant sur les futures relations entre les Commissions Ouvrières et les confédérations gauchisantes, le rédacteur de Nuestra Bandera écrit : « Il convient de se demander si dans le processus vers l'unité il est correct de mettre sur le même plan tous les sigles, parce qu'en donnant une importance équivalente à ceux qui ont une base de masse et à ceux qui n'en ont pas, ce que l'on peut favoriser, c'est l'affirmation du pluralisme (...). Il serait paradoxal que l'expression de la volonté des travailleurs soit déformée par les centrales majoritaires qui octroieraient une personnalité à qui en manque ».

Mais si Nuestra Bandera annonce ainsi une politique de mépris des Commissions Ouvrières vis-à-vis des centrales gauchisantes, il ne retire pas toute perspective aux militants de ces dernières : « Ce qui serait cohérent serait que ceux qui s'appellent eux-mêmes unitaires et qui cherchent à avoir une influence dans le syndicalisme reconsidèrent le problème de savoir si le mieux est de continuer à poursuivre l'inutile recherche d'une base plus large en dehors des formations qui vont compter dans le pays, ou au contraire, s'il n'est pas plus bénéfique pour le mouvement ouvrier qu'ils viennent grossir les rangs de ceux qui militent dans les grands syndicats » .

Social-démocratisation et prise en main

Cet appel du pied à des éléments gauch.istes peut surprendre, dans une période qui est incontestablement une période de plus grande prise en main de leur syndicat par les dirigeants des Commissions. Il n'est peut-être, d'ailleurs, que pure hypocrisie. Mais il ne faudrait pas croire que cette opération de prise en main s'accompagne d'une guerre ouverte à ceux qui se réclament d'idées révolutionnaires. La preuve en est qu'aux côtés des représentants du Parti Communiste, du Parti Socialiste et du Parti Carliste, des délégations du Mouvement Communiste (maoïste) et de la Ligue Communiste Révolutionnaire (section espagnole du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale) avaient été invitées à assister au congrès des Commissions Ouvrières.

Cette attitude n'est pas en contradiction, en effet, avec la volonté manifeste des dirigeants des Commissions d'accentuer leur contrôle sur leur syndicat, et d'y mettre en place un véritable appareil. Ce que combattent ces dirigeants, ce sont en effet bien plus les militants qui s'opposent aux pratiques bureaucratiques dans les faits, que ceux des gauchistes qui sont tellement désireux de se faire reconnaître par les directions réformistes, qu'ils font passer cela avant la lutte contre la bureaucratisation croissante des Commissions et leur politique de collaboration ouverte avec le gouvernement et le patronat.

Le mouvement stalinien en Espagne (que ce soit sur le plan politique ou sur le plan syndical) compte dans ses rangs suffisamment de militants et même de cadres connus issus de certains mouvements gauchistes (en particulier maoïsants) pour ne pas craindre en elle-même la présence éventuel le de ceux-ci dans les rangs des Commissions.

Cela ne signifie évidemment pas qu'on ne puisse pas assister dans la période qui vient à des mises à l'écart et à des exclusions, soit de militants révolutionnaires, soit de militants ouvriers formés à l'école du réformisme, mais refusant de chanter les louanges des accords de la Moncloa et de s'incliner devant les moers de plus en plus bureaucratiques imposées au sein des Commissions.

Certes, formellement, les statuts des Commissions Ouvrières sont beaucoup plus démocratiques que ceux, par exemple, de la CGT française. Ils reconnaissent le droit à l'existence de courants distincts, qui doivent être représentés à la proportionnelle dans les différents organes de direction. Mais sur d'autres points, les dirigeants des Commissions, qui n'ont pas eu à s'embarrasser de vieux statuts formellement démocratiques, ont adopté d'emblée des règles de fonctionnement mettant tout opposant qui les gênerait vraiment à leur merci, pratiquement sans recours possible.

C'est ainsi que les statuts des Commissions Ouvrières prévoient que les exclusions seront décidées par une commission des conflits élue directement par le congrès... ce qui signifie en clair que ni le syndicat ni l'union locale auxquels appartient l'intéressé n'auront leur mot à dire à ce sujet.

L'heure des déceptions

Mais, bien plus nombreux sans aucun doute encore que les exclus, sont et seront les militants et les travailleurs que les pratiques de plus en plus bureaucratiques des Commissions Ouvrières amèneront hors du syndicat. Après la grande vague de syndicalisation qui a suivi la légalisation des syndicats ouvriers, au début de l'été dernier, et durant laquelle on a littéralement vu les travailleurs faire la queue aux portes des unions locales nouvellement ouvertes pour adhérer, est venue l'heure du désenchantement. La signature des accords de la Moncloa avait déjà troublé beaucoup de travailleurs (et de nombreuses oppositions à cette signature se sont ouvertement exprimées au sein des Commissions). La dégradation de la situation économique de la classe ouvrière, l'absence de résultats de la vague de grèves du printemps dernier (morcelée à plaisir par les directions syndicales) en a déçu beaucoup. Sans compter que le sens des conflits plus ou moins ouverts qui se développent au sein des Commissions Ouvrières entre les artisans de la bureaucratisation croissante et ceux qui s'y opposent échappe à bon nombre de travailleurs.

La désaffection risque de se faire d'autant plus sentir que ce n'est visiblement pas cela qui amènera la direction des Commissions à changer d'attitude. Tout son effort vise à mettre en place un appareil de plus en plus puissant, non à organiser les travailleurs. Les permanents de toute sorte (d'unions locales, de fédérations, etc.) se multiplient (entre le 15 novembre 1977 et le 31 mars 1978, le poste « salaires » des permanents des Commissions de Catalogne avait quadruplé). Mais alors que dans la plupart des cas les Commissions Ouvrières n'existent vraiment qu'au niveau de l'union locale, et n'ont pas une existence réelle dans les entreprises (fait reconnu par la presse des Commissions et du PCE), la direction des Commissions Ouvrières revendique la possibilité de négocier avec les entreprises des accords, obligeant celles-ci à retenir directement sur la paie des ouvriers syndiqués leur cotisation, et à la verser au syndicat, ce qui est peut-être un bon moyen de faire rentrer de l'argent, mais sûrement pas un moyen de faire réellement vivre les organisations syndicales au sein de l'entreprise.

Évidemment, cette évolution des Commissions Ouvrières ne doit pas surprendre, car elle était inscrite dans la logique des choses (et si nous n'avons pas parlé de l'UGT, c'est que celle-ci n'existait pratiquement pas avant la mort de Franco). Mais sa rapidité montre à quel point s'illusionnent tous ceux qui pensent que si les appareils bureaucratiques n'existaient pas, le caractère révolutionnaire de la classe ouvrière se manifesterait au grand jour, quelles que soient les circonstances.

Si, pour une raison ou pour une autre, les appareils bureaucratiques n'existaient pas, ils se reformeraient à toute vitesse, car l'exemple de l'Espagne montre que si dans les anciens pays de parlementarisme ces appareils sont le fruit d'une évolution qui a duré des décennies, ailleurs, ils peuvent se former en quelques mois, aussi bureaucratisés et efficaces. En réalité, il n'y a que dans une période de montée révolutionnaire des masses que l'on peut espérer voir ces appareils être brisés ou réduits à l'impuissance. Dans toutes les autres circonstances, la « spontanéité » joue en leur faveur, car ils ne sont pas un accident de l'histoire, mais correspondent aux conditions de notre époque.

Cela ne dispense évidemment pas les militants révolutionnaires de s'opposer, dans la mesure de leurs possibilités, à leur influence dans la classe ouvrière et dans les organisations de celle-ci. Au contraire, il leur faut les combattre politiquement, car c'est la seule voie qui permette de préparer la classe ouvrière à ses combats de demain, combats dans lesquels elle aura à affronter non seulement la bourgeoisie, mais aussi les agents de celle-ci dans le monde du travail que sont les appareils réformistes.

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