Espagne : la gauche et l'extrême-gauche face au référendum juan-carliste08/01/19791979Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1979/01/60.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Espagne : la gauche et l'extrême-gauche face au référendum juan-carliste

Le référendum constitutionnel du 6 décembre, en dépit des abstentions relativement nombreuses, a donné une nouvelle légitimité à Juan Carlos. Il n'est plus seulement roi d'Espagne par la grâce de Franco, qui en avait fait son héritier (ce qu'il préfère d'ailleurs laisser tout doucement oublier). Il est devenu le monarque constitutionnel d'une monarchie parlementaire dont les institutions ont été approuvées par près de 88 % des suffrages exprimés, par plus de 59 % du corps électoral, si l'on tient compte des 32 % d'abstentions.

Avec l'entrée en vigueur de cette Constitution, une page de l'histoire de l'Espagne vient d'être tournée : celle de l'après-franquisme, de la transition entre la dictature et le parlementarisme. Et tous les partis parlementaires se sont donné la main pour tenir la nouvelle Constitution sur les fonts baptismaux en appelant à voter « oui » d'une seule voix, ce qui lui a valu d'être baptisée « la consentie ».

Mais en fait de consentement, ce fut celui des partis de gauche qui fut donné le plus fortement, avec le moins de réticences. Ce fut même pour les leaders de cette gauche un sujet d'enorgueillissement durant toute la campagne électorale. C'est ainsi que le premier secrétaire du Parti Socialiste, Felipe Gonzalez, déclara dans un de ses meetings : « Aux Cortes, il existe des groupes parlementaires d'importance nationale qui peuvent se réduire à quatre : deux à gauche, deux à droite. Seuls les deux groupes parlementaires de gauche, le PSO.E. et le PCE., ont dit un « oui » unanime à la Constitution. Le parti gouvernemental, qui veut sans doute se vanter d'être le père et la mère de la Constitution, n'a même pas obtenu que ses députés et ses sénateurs soient unanimes à dire « oui » à la Constitution, et encore moins à l'Alliance Populaire » (l'opposition parlementaire de droite). « Ces deux partis (le P. S. 0. E. et le PCE.) ont apprécié la Constitution et ont donné un « oui » unanime à une Constitution qui a, la valeur qu'elle a, et que personne ne pourra jamais arracher, même si on nous critique beaucoup ».

Des esprits malveillants pourraient certes faire remarquer que sur le strict plan de l'arithmétique électorale, le rôle de la gauche dans la victoire du « oui » n'est pas évident, puisqu'entre le référendum sur la « réforme politique » de décembre 1976 (où le Parti Communiste et le Parti Socialiste appelaient à l'abstention) et celui de décembre 1978 (où ils ont activement mené campagne pour l'adoption du projet constitutionnel), les abstentions ont augmenté de 8 %, et le « oui » a reculé de 7 % . Mais la différence entre les résultats des deux référendums juan-carlistes tient essentiellement à ce que l'issue du dernier ne faisait vraiment aucun doute (étant donné l'unanimité des partis parlementaires), ainsi qu'à une certaine retombée de l'intérêt pour les choses politiques. Et les prétentions du PCE. et du PSO.E. à avoir été les meilleurs artisans du « oui » ne sont pas entièrement dénuées de fondement, puisque - s'il n'est pas possible de décompter dans les urnes les « oui » de gauche et ceux de droite - il est tout de même remarquable que les provinces qui ont voté le plus à gauche aux élections générales de juin 1977, se trouvent aujourd'hui parmi celles qui ont donné les plus forts pourcentages de « oui », et des taux d'abstention modérés.

Seulement, du point de vue des intérêts de la classe ouvrière, la politique du PCE. et du PSO.E., même si leurs consignes de vote ont été suivies par la plus grande partie des travailleurs, n'est pas une chose dont ces partis aient lieu d'être fiers.

Le ralliement du p.c.e. et du p.s.o.e. à la monarchie

Que la grande majorité des travailleurs aient donné leur « oui » à la Constitution, c'est une chose parfaitement compréhensible. Ce faisant, ils croyaient voter pour la démocratie et contre la dictature Et c'est justement là le piège que leur tendaient Juan Carlos et la bourgeoisie espagnole, désireux d'obtenir de cette manière, l'un pour sa personne, l'autre pour les institutions à travers lesquelles elle a choisi d'exercer son pouvoir, l'acquiescement solennel de la population laborieuse.

Dans ces conditions, le rôle de partis véritablement attachés à la défense des intérêts des travailleurs aurait été de dénoncer ce piège, de leur en expliquer le mécanisme. Mais le PCE. et le PSO.E., trop contents d'être enfin admis par la bourgeoisie espagnole à participer à son jeu politique, s'en sont bien gardés. Ils ont oublié qu'ils s'auto-qualifient l'un de socialiste, et l'autre de communiste. Ils ont même oublié que, pendant des décennies, ils se sont fait appeler « les républicains », pour appeler à approuver une constitution monarchique.

Voilà d'ailleurs qui juge ces partis. Pendant trois ans, de 1936 à 1939, ils ont appelé les travailleurs d'Espagne à se battre pour la défense de la République. Le PCE. et le PSO.E. affirmaient alors que les paysans ne devaient pas lutter pour la terre, que les ouvriers ne devaient pas lutter pour les usines, parce que la révolution sociale n'était pas à l'ordre du jour, et ce qui était important, ce à quoi justement il fallait sacrifier les revendications des ouvriers et des paysans, c'était la défense de la République. Des centaines de milliers de travailleurs espagnols sont morts pour cette République, à l'appel du PCE. et du PSO.E. Et aujourd'hui, les dirigeants de ces partis viennent dire que finalement, le problème de la République n'a pas d'importance, et qu'il faut voter en faveur de la Constitution monarchique. De qui se moquent-ils donc ?

Bien sûr, les révolutionnaires socialistes n'opposent pas les termes abstraits de « république » et de « monarchie ». Il y a, et il y a eu, des « républiques » plus réactionnaires que bien des monarchies. Le terme « république » a bien plus souvent dans l'histoire recouvert le pouvoir des classes dominantes que celui des travailleurs. Mais ce qui est certain, c'est que la monarchie ne peut être, elle, par définition, que le règne des possédants. Et le ralliement du PCE. et du PSO.E. à la monarchie est un symbole de leur allégeance (bien plus ancienne) à l'ordre social capitaliste.

Ce n'est évidemment pas en chantant les louanges de la monarchie, cependant, que les grands partis de gauche espagnols se sont employés à convaincre les travailleurs de voter « oui ». Si Santiago Carrillo ne cesse de répéter à qui veut l'entendre que « Ie roi a joué un rôle important dans le processus démocratique », les dirigeants du PSO.E. sont plus réservés en la matière. Et de toute façon le Parti Communiste comme le Parti Socialiste ont fait porter l'essentiel de leur argumentation sur la nécessité de défendre « la démocratie ».

La constitution, la démocratie et l'armée

Dans un article publié durant la campagne électorale dans l'organe du PSO.E. El Socialista, Felipe Gonzalez écrivait par exemple : « L'alternative aujourd'hui, est la Constitution ou la dictature ; toute autre manière de poser la question est fausse, car la Constitution est l'unique chemin de ta démocratie ». Et le même Gonzalez s'écriait, plus lyrique, dans ses meetings : « Je ne veux pas que mon peuple pleure la Constitution sans que celle-ci soit née ! ».

Ce spectre des menaces pesant sur les libertés démocratiques, Carrillo l'a lui aussi largement utilisé : « Il y a eu beaucoup de provocations contre la Constitution. Le sang de deux respectables chefs de l'Armée a été versé, celui de nombreux agents de l'ordre public, de nombre de travailleurs (...). Ce à quoi nous devons nous employer, face à ces intentions déstabilisatrices, c'est que le jour où on les appellera à se prononcer par les urnes, les Espagnols aillent (...) dire massivement un « oui » à la Constitution, qui sera un « oui » à la liberté, à la démocratie et à la paix civile entre les Espagnols ».

Quelques jours avant le référendum, le mini-complot militaire que la presse espagnole appela « l'opération Galaxie » (du nom de la cafétéria où il fut paraît-il ourdi !) arriva d'ailleurs àpoint nommé pour nourrir la campagne des partisans du « oui ». Mais s'employer à convaincre les travailleurs que le maintien ou pas des libertés démocratiques existantes dépend de l'adoption ou pas d'un texte constitutionnel, c'est justement un moyen de leur lier les mains devant un éventuel coup de force de l'armée ou de l'extrêmedroite.

Certes, le danger de voir l'armée espagnole, ou des forces d'extrêmedroite, essayer de mettre en place une dictature ouverte, en supprimant les libertés démocratiques les plus élémentaires et en interdisant les organisations ouvrières, n'est pas nul. Mais il n'est pas propre à l'Espagne. Et il ne saurait suffire d'un torchon de papier constitutionnel pour le conjurer.

Le danger du retour à une dictature militaire, en Espagne, ne vient pas tant de son passé franquiste que du fait que la monarchie juan-carliste, comme tous les systèmes parlementaires bourgeois, y compris les plus démocratiques, dispose d'une armée et d'une police que la bourgeoisie peut, du jour au lendemain, en fonction de ses intérêts, utiliser contre les travailleurs.

Le fait que l'armée et la police actuelles espagnoles aient l'expérience de la dictature, qu'elles aient gardé avec l'extrême-droite des liens peut-être plus nombreux et plus officiels qu'ailleurs, leur faciliterait peut-être les choses, mais rien de plus. Les armées française, allemande ou anglaise (de bien plus vieille tradition « démocratique » ) sauraient tout aussi bien jouer ce rôle-là si leur bourgeoisie le leur demandait.

C'est d'ailleurs toujours - et pour cause - avec des armées « démocratiques » qu'on fait des armées de coups d'État. L'Espagne de 1936 (qui avait pourtant une Constitution) en a été une sanglante démonstration. Et celle de 1979 n'est pas plus à l'abri d'une telle tentative, maintenant que la Constitution a été adoptée par référendum et que le roi a prêté serment de l'observer et de la faire respecter, qu'elle ne l'était il y a quelques semaines.

Une tentative sérieuse de coup d'État militaire n'est d'ailleurs guère probable à court ou moyen terme, parce que la vitesse relative à laquelle s'est accompli après la mort de Franco le processus de libéralisation, la faiblesse des résistances visibles qu'il a rencontrées, tout semble prouver que la politique suivie par Juan Carlos correspond aux voex de la bourgeoisie espagnole. D'ailleurs, en voyant comment les partis ouvriers et les confédérations syndicales réformistes se sont employés à faire accepter à la classe ouvrière la politique d'austérité de Suarez, la bourgeoisie espagnole n'a aucune raison de regretter son choix, car la collaboration des organisations ouvrières réformistes lui a sans doute permis de traverser les trois dernières années de crise économique avec moins de problèmes qu'elle n'en aurait eu en essayant de maintenir un régime de dictature après la mort de Franco.

La bourgeoisie espagnole ne remettrait en cause le système parlementaire qu'elle s'est donné que contrainte et forcée par un changement de situation politique. Mais si elle le faisait, le danger pour les travailleurs, ce ne seraient pas seulement les quelques nostalgiques du franquisme qui manifestent de temps à autre le bras levé, ce ne seraient pas seulement les quelques officiers ou sous-officiers ouvertement partisans d'un retour à la dictature, qui conspuent à l'occasion Suarez ou son ministre des Armées, le général Gutierrez Mellado, ou qui projettent de vagues complots du style « opération Galaxie ». Si la bourgeoisie espagnole avait des raisons de remettre en cause les choix politiques qu'elle a faits en 1975-76, le danger essentiel, pour la classe ouvrière, ce serait l'armée dans son ensemble, tous les officiers, à commencer par ceux que l'on nous présente aujourd'hui comme des partisans de la « réforme politique ». Et ce n'est pas le texte de Constitution adopté par référendum le 6 décembre qui serait d'un quelconque secours aux travailleurs espagnols, bien au contraire, car il ne servirait qu'à entretenir leurs illusions légalistes.

A quoi servent les référendums constitutionnels ?

C'est en cela que réside l'escroquerie que constituait ce référendum. Si Juan Carlos et Suarez ont demandé au peuple espagnol de se rendre aux urnes le 6 décembre, ce n'est pas parce qu'ils avaient besoin de son accord pour appliquer la nouvelle Constitution. D'ailleurs, dans les faits, le régime prévu par les textes constitutionnels, voilà plus de dix-huit mois qu'il fonctionne, depuis les élections de juin 1977. Ce que Juan Carlos et Suarez recherchaient, par ce référendum, au-delà du renforcement de la couronne, c'était à convaincre les travailleurs d'Espagne du fait que désormais, s'ils étaient mécontents, c'est au travers de ce nouveau cadre institutionnel qu'ils devraient essayer de faire entendre leurs aspirations, leurs revendications, en votant bien, en élisant de bon députés et de bons sénateurs.

C'est à cela que servent les référendums constitutionnels. Les bourgeoisies de tous les pays, même de ceux qui ont les plus solides traditions démocratiques, entretiennent une armée, une police, équipées, entraînées, prêtes àintervenir le cas échéant contre les masses laborieuses. Mais en même temps, elles s'emploient à essayer de convaincre les travailleurs que les textes constitutionnels sont sacrés, parce qu'ils ont été adoptés par le suffrage universel, et que tous les citoyens doivent les respecter, quoi qu'il arrive, ceux qui les ont approuvés comme ceux qui ont voté contre.

C'est précisément au nom de cela que le 18 juillet 1936, le gouvernement républicain de Casares Quiroga appelait les travailleurs à lui faire confiance, et à se reposer sur lui, à l'heure même où se développait le putsch militaire. Des fusils pour la bourgeoisie, des bulletins de vote pour les travailleurs, tel est le partage truqué des pouvoirs que les référendums constitutionnels sont chargés à la fois de camoufler et d'entériner.

C'est pourquoi la question qui se posait aux organisations se réclamant de la classe ouvrière, en Espagne, le 6 décembre, n'était pas vraiment celle du contenu des textes constitutionnels. Le ralliement du PCE. et du PSO.E. à la monarchie juan-carliste est significatif de leur politique. Mais s'ils avaient, à la place, dit « oui » à une Constitution républicaine, plus démocratique que celle-ci, ils auraient de la même manière trahi les intérêts des travailleurs. La domination de la bourgeoisie peut certes revêtir des formes très différentes, de la dictature ouverte au parlementarisme le plus libéral. Elle peut s'exercer à travers des cadres institutionnels très divers, et qu'il s'agisse de l'un ou qu'il s'agisse de l'autre, cela ne peut pas laisser indifférents les travailleurs. Ceux-ci sont mieux à même de s'éduquer et de s'organiser dans le cadre d'un régime qui respecte, ne serait-ce que formellement, un certain nombre de libertés démocratiques. Mais même adoucie, voilée par le parlementarisme, l'oppression de la classe ouvrière reste l'oppression. Et ce n'est jamais le rôle d'organisations prolétariennes de proclamer, à propos de telle ou telle Constitution bourgeoise, fût-ce la plus démocratique : voilà le régime dans lequel nous voulons être exploités !

En appelant les travailleurs d'Espagne à dire « oui » au projet de Constitution de la bourgeoisie espagnole, le PCE. et le PSO.E. ont démontré que fondamentalement, ce sont les intérêts de cette bourgeoisie, et non ceux des travailleurs, qu'ils, défendent.

Une extrême-gauche divisée

Mais si les partis ouvriers réformistes ont joué ce rôle peu glorieux, l'extrême-gauche a-t-elle tenu, elle, à la classe ouvrière, un langage susceptible de l'éclairer sur le véritable enjeu du référendum constitutionnel ?

Une partie de cette extrême-gauche s'est purement et simplement alignée sur les positions du PCE. et du PSO.E. et a appelé à voter « Oui » au référendum. Il s'agit essentiellement de deux organisations maoïstes (et non des moindres), le Parti du Travail, (PTE.) et l'Organisation Révolutionnaire des Travailleurs (O.R.T.). Les arguments de ces groupes ne diffèrent guère de ceux des réformistes. C'est ainsi que l'on pouvait lire dans le numéro du 16 novembre de En Lucha, l'organe de l'O.R.T. : « Nous votons « oui » à la Constitution, parce que cela suppose un « non » catégorique au fascisme, parce que cela équivaut à consolider la démocratie, et parce que cela permet au peuple de progresser ». Le même numéro de En Lucha publiait d'ailleurs une lettre d'un militant de l'O.R.T. condamné quelques semaines auparavant par le conseil de guerre de Pampelune à un an de prison sous l'accusation de s'être mouché dans un drapeau espagnol, et privé de ce fait de ses droits civiques, sous le titre : « Ils ne me permettent pas de voter oui » !

La plus grande partie de l'extrême-gauche espagnole a énergiquement condamné ceux qui dans cette occasion appelaient les travailleurs à voter « oui », les uns en appelant à voter « non », les autres en appelant à l'abstention. Mais pour les uns comme pour les autres, il s'agissait, ce faisant, de « refuser la Constitution » à cause de ses insuffisances ou de ses défauts.

La démarche des partisans du « refus de la constitution »

La démarche de ces groupes a donc été le symétrique de celle des - partis réformistes. Alors que ceux-ci s'attachaient à mettre en lumière tout ce que la nouvelle Constitution a de positif (et par rapport à la situation antérieure de l'Espagne, ce n'est pas difficile de lui trouver des tas de qualités), les groupes d'extrême-gauche partisans de la « refuser » s'attachaient eux à mettre en évidence tous ses traits réactionnaires (et elle en a aussi bon nombre). Et d'expliquer ensuite qu'il fallait voter « non à la Constitution monarchique », « non à la Constitution bourbonnienne », ou d'appeler à l'abstention, comme les maoistes du Mouvement Communiste, en affirmant qu'il ne fallait « aucun vote de gauche pour une Constitution de droite » .

Mais toute cette argumentation sousentendait qu'en d'autres circonstances les groupes en question auraient pu appeler à voter « oui » à un référendum constitutionnel, s'il s'était agi d'une Constitution « républiclaine », « de gauche », ou « démocratique ».

Cela est, par exemple, parfaitement visible dans un communiqué (publié dans le quotidien barcelonais Mundo Diario du 25 novembre) de l'Organisation Communiste d'Espagne (qui est en quelque sorte l'homologue espagnole de l'O.C.T. française). Ce communiqué, après avoir très justement affirmé : « Les Constitutions en vigueur dans les pays capitalistes sont en réalité un ensemble de normes générales, destinées à défendre l'ordre « démocratique bourgeois », déclare plus loin : « Devant le prochain référendum, où le problème est posé dans les termes confus de « passé franquiste ou de Constitution », nous appelons les travailleurs à la plus large abstention. Nous ne sommes pas contre les référendums, au contraire, aujourd'hui nous serions partisans du fait de voter très concrètement cette Constitution, en soumettant aux suffrages populaires le problème de la monarchie ou de la république, celui des autonomies limitées ou de l'autodétermination, celui des libertés continuellement réprimées ou d'amples libertés politiques et syndicales. Voter « oui » à la Constitution, c'est accepter qu'on rogne nos libertés et nos droits ; refuser cette Constitution, c'est favoriser la mobilisation populaire pour la conquête de la pleine démocratie et du socialisme » .

Comme on le voit, le « refus de la Constitution », au nom de ses insuffisances démocratiques débouche vite sur un démocratisme qui n'a rien à voir avec la politique révolutionnaire.

Malgré ses références au trotskysme, la LCR (la section espagnole du Secrétariat Unifié) n'a pas été moins ambiguë sur ce point que les courants maoïstes ou maoïsants opposés au « oui ».tab

Il n'y a pas de bonne constitution bourgeoise

C'est ainsi que dans son numéro du 26 octobre, Combate, l'organe de la LCR, reprenait à son compte la position de militants des Commissions Ouvrières qui écrivaient : « S'il existait un refus massif de la Constitution , cela exigerait immédiatement la convocation à des élections pour des Cortes constituantes , qui ouvrirait les portes à une Constitution qui assurera les pleines libertés démocratiques, nationales et syndicales, et ne fermera pas le passage au socialisme ».

C'est la même position que l'on retrouve dans l'interview d'un dirigeant de la LCR Jaime Pastor, que publiait l'hebdomadaire lnterviu dans son numéro du 7 décembre. A la question : « Que serait-il arrivé si la Constitution n'avait pas été approuvée ? » , Pastor répondait : « Dans ce cas, ils se seraient vus obligés de convoquer de nouvelles élections générales pour rédiger un autre projet de Constitution (...). Cela aurait peut-être mérité la peine, parce qu'il est très possible que serait sorti un texte plus digne, (...). Si la gauche agissait avec plus de fermeté, il n'y aurait pas d'étranges pactes, ni de réunions secrètes, ni de dîners de consensus. Avec l'expérience antérieure, il serait plus facile de dépasser les erreurs et d'agir avec plus d'habileté ». Et Pastor revenait plus loin sur ce thème :

« Si la gauche parlementaire n'avait pas appuyé systématiquement le gouvernement (pactes de la Moncloa, Constitution, etc.) et si elle avait adopté une attitude d'opposition ferme et unitaire face à l'UCD., aujourd'hui je crois que nous aurions une Constitution démocratique ».

Ainsi, il est clair que pour la LCR, le problème n'était pas de refuser de cautionner la mise en place des institutions bourgeoises, mais de refuser seulement cette Constitution-là, ce processus constituant-là, au nom d'une meilleure Constitution possible, d'un processus plus démocratique. C'est une démarche profondément réformiste et qui ne se distingue de la politique du PCE. et du PSO.E. qu'en leur reprochant de ne pas avoir été un peu plus fermes, un peu plus à gauche.

La décision de la plus grande partie des groupes de l'extrême-gauche espagnole d'appeler à voter « non » à ce référendum va d'ailleurs dans le même sens. Car voter « non », si cela est évidemment plus digne que de voter « oui », c'était malgré tout accepter de participer au jeu du référendum, c'était cautionner la tromperie fondamentale qu'il constitue.

Le problème qui se posait le 6 décembre aux révolutionnaires espagnols, ce n'était pas tant, justement, de refuser cette Constitution-là (qui n'est après tout guère moins ou guère plus démocratique que celle des autres pays où existent des régimes parlementaires), que d'expliquer clairement aux travailleurs en quoi le jeu était truqué, en quoi les dés étaient pipés. C'était d'appeler à refuser le piège du référendum.

Mais le problème n'était pas seulement d'appeler à l'abstention, car les groupes qui ont adopté cette position, en développant fondamentalement la même argumentation que les partisans d'extrême-gauche du « non », n'ont pas plus contribué à élever le niveau de conscience de la classe ouvrière.

L'abstention, ou mieux le boycott, était la seule attitude juste possible ce jour-là, pour des organisations se plaçant réellement sur le terrain des intérêts de classe du prolétariat, mais en expliquant clairement aux travailleurs que leur intérêt était de refuser de cautionner la mise en place des institutions à travers lesquelles la bourgeoisie espagnole veut désormais exercer sa domination. Et qu'il faudrait faire cela, même si ces institutions étaient infiniment plus démocratiques qu'elles ne le sont.

Le suivisme de l'extrême-gauche par rapport aux réformistes

Bien sûr, dans ces textes programmatiques, la LCR explique qu'il ne faut cultiver aucune illusion sur le parlementarisme, sur les institutions et les Constitutions bourgeoises. Mais à quoi cela sert-il si, dans ses prises de position les plus publiques, elle cultive ces mêmes illusions ? Et ce n'est pas par un calcul pédagogique erroné, pour mieux être compris des travailleurs - comme ils l'expliquent sans doute à leurs militants - que les dirigeants de la LCR (comme ceux de la plupart des groupes d'extrême-gauche, en Espagne ou ailleurs) mènent cette politique. C'est par suivisme vis-à-vis des organisations réformistes. C'est pour pouvoir leur adresser des propositions qu'avec un peu de chance elles pourraient peut-être accepter.

C'est à cela précisément que correspondent les critiques leur reprochant leur manque de « fermeté », ou évoquant la possibilité de « dépasser des erreurs et d'agir avec plus d'habileté », comme si le problème était que Carrillo et Gonzalez aient manqué de fermeté de caractère, ou aient fait preuve de maladresse ; comme si le problème n'était pas que le PCE. et le PSO.E. sont depuis longtemps fondamentalement passés du côté de l'ordre bourgeois.

Alors, certes, il faut que les organisations révolutionnaires aient une politique en direction des militants et des travailleurs qui font confiance aux organisations réformistes. Et défendre une politique révolutionnaire, cela ne consiste évidemment pas à ne proposer aux organisations réformistes que des objectifs que l'on sait absolument inacceptables pour elles. Mais cela ne consiste certainement pas non plus à renoncer à défendre ouvertement ses opinions sur un problème aussi crucial que celui de l'État, car c'est bien de cela qu'il s'agissait. Le problème de l'État, c'est justement celui sur lequel existe la différence fondamentale entre réformistes et révolutionnaires. Et quand on sème des illusions sur l'État, on sort justement du terrain de la politique révolutionnaire.

Sans doute, le fait que l'extrême-gauche espagnole ait défendu une autre politique n'aurait pas changé grand-chose dans le présent, ni aux résultats du référendum, ni même au niveau de conscience des travailleurs. D'une part parce que l'audience de cette extrême-gauche est très limitée ; d'autre part, parce que faire pénétrer les idées révolutionnaires dans la classe ouvrière n'est pas une simple question de propagande, et encore moins de « pédagogie », mais dépend avant tout du niveau de conscience et de combativité préalable des exploités.

Mais ce qui est plus grave, c'est ce que le suivisme de l'immense majorité des groupes d'extrême-gauche par rapport aux réformistes (en Espagne et ailleurs) signifie pour l'avenir, pour le jour où les travailleurs entreront en lutte pour la défense de leurs propres intérêts de classe.

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