Corse : L'effervescence nationaliste01/01/19831983Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1983/01/99.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Corse : L'effervescence nationaliste

En Corse, la vague d'attentats commis par le FLNC à l'encontre des ressortissants continentaux installés dans l'île, a brusquement fait monter la tension de quelques degrés. La droite s'est bien évidemment emparée de l'affaire pour reprocher au gouvernement de gauche son « laxisme » à l'égard des terroristes corses. Et le gouvernement, tout en se déclarant partisan de « solutions pacifiques » a mis en branle une série de mesures policières, à commencer par la dissolution du FLNC et l'envoi sur le terrain du super-flic de la brigade anti-gang, le commissaire Broussard, pour mener la guerre aux terroristes.

II n'est sans doute pas facile de se rendre compte de la situation exacte en Corse, ni des sentiments actuels de la population. Les attentats du FLNC peuvent être dramatisés et montés en épingle pour les besoins des rivalités politiques entre la droite et la gauche française. Et que signifient-ils exactement dans un pays où les attentats sont monnaie courante depuis longtemps ? La presse n'en a-t-elle pas recensé, en effet, près de huit cents l'an passé dont la majorité n'a rien à voir avec la politique mais plutôt avec le racket pur et simple et les rivalités entre affairistes ? Un tiers seulement, deux cent cinquante-cinq au total, ont été revendiqués parle FLNC.

II semble malgré tout que le FLNC soit passé à un nouveau stade de son offensive, avec l'attentat par balles contre un vétérinaire de Corte qui refusait de se soumettre à « l'impôt révolutionnaire ». Car cette fois, le FLNC a choisi de faire un exemple en s'en prenant à la personne physique d'un ressortissant du continent et non plus seulement à ses biens.

« la Corse n'est pas l'Irlande »

Cette formule choc émane de Franceschi, le Secrétaire d'État chargé de superviser la lutte antiterroriste, le premier policier corse en quelque sorte. Bien que d'un bord opposé au FLNC, il vient exactement de poser le problème corse dans les termes où le FLNC souhaiterait qu'il soit posé, La crainte du premier, c'est le souhait du second.

Aujourd'hui, la Corse n'est certainement pas l'Irlande. Pas encore en tout cas. On ne voit pas en effet, le FLNC bénéficier du même soutien massif de la part de la population corse que l'IRA de la part de l'immense majorité de la population catholique de l'Ulster. La Corse n'a en rien connu les luttes de masse dont l'Irlande a été le théâtre dans le passé, et récemment encore, au cours desquelles on a vu une fraction de la population affronter violemment l'armée britannique.

Le FLNC dénonce pourtant le « fait colonial » en Corse. Selon ses termes, c'est « parce qu'aucune mesure n'a été entreprise pour engager le processus de décolonisation » qu'il a décidé de reprendre « la lutte armée » en août dernier, au moment de l'élection de l'assemblée régionale.

Voilà plus de dix ans que le mouvement nationaliste autonomiste ou indépendantiste, a refait parier de lui. Et comme ses prédécesseurs de droite, l'actuel gouvernement a échoué dans ses tentatives de s'en concilier les bonnes grâces. Même le courant le plus modéré des partisans de l'autonomie continue à garder ses distances vis-à-vis du gouvernement.

De ce point de vue, l'octroi d'une assemblée régionale élue au suffrage universel, n'a rien réglé. L'élection de cette assemblée a simplement confirmé que le sentiment d'être « corse » primait pour une partie de la population. Edmond Siméoni, le leader autonomiste, a recueilli, lors de cette élection, plus de 10 % des voix. Voix auxquelles il faudrait ajouter celles recueillies par les multiples candidats dits « d'intérêt local » qui se sont présentés eux aussi sous l'étiquette « corse ». Les nationalistes du FLNC qui avaient appelé à boycotter cette élection, n'ont pas eu beaucoup de succès. Mais ils reconnaissent eux-mêmes qu'une partie de leurs électeurs potentiels a pu se prononcer pour Siméoni.

Depuis son élection, cette fameuse assemblée a surtout fait la preuve de... son impuissance totale. Mis à part le fait d'offrir quelques postes de sinécure à des notables locaux, elle semble bien n'avilir été élue que pour le decorum, et encore. S'il n'y avait eu les récents attentats du FLNC, elle en serait encore à attendre du gouvernement qu'il consente à lui verser les crédits nécessaires pour qu'elle puisse... se faire bâtir un siège ! Pas étonnant dans ces conditions qu'une partie de la population corse puisse se sentir dupée par le gouvernement qui avait promis que les élections allaient changer quelque chose à la situation de l'île. Aujourd'hui, les nationalistes du FLNC, qui avaient dénoncé, eux, le piège des élections, misent sur ce sentiment.

Et la CCN (Consulte des Comités Nationalistes), organisation politique des nationalistes, qui n'a pas été dissoute, elle, et entend présenter des listes aux prochaines municipales, reproche à l'actuel gouvernement de ne pas vouloir faire plus que la droite précédemment. Elle a engagé une campagne politique contre « la colonisation de peuplement » dont serait victime la Corse de la part des continentaux. II aurait fallu, dit-elle, « corsiser les emplois, officialiser la langue corse, empêcher l'implantation de continentaux... or le président français a choisi la répression ».

A-t-on des raisons de penser que la population puisse rejoindre les nationalistes dans un proche avenir ? Jusqu'à maintenant, il ne semble pas qu'elle adhère aux idées qu'ils développent. Mais il ne semble pas non plus qu'elle rejette les militants, et la période actuelle, avec la crise et le chômage grandissant, risque bien d'offrir des arguments supplémentaires sinon des troupes, au courant nationaliste.

Le gouvernement, en tout cas, semble se demander s'il ne suffirait pas d'un rien pour qu'une fraction de la population rejoigne le camp indépendantiste. Malgré ses déclarations tonitruantes, il va, comme la droite avant lui, sur la pointe des pieds. On peut noter par exemple l'attitude prudente de la police qui pour l'instant n'est pas réellement passée des menaces aux actes. Selon les sources policières elles-mêmes, ce n'est pas que les membres du FLNC soient nombreux : pour l'instant, ils ne seraient pas plus de deux cents, sympathisants compris. C'est peu. Mais ils sont chez eux, et bénéficient d'une complicité tacite de leurs voisins et de leurs relations. Quels que soient les actes de violence qu'ait pu commettre jusque là le FLNC, quelle que soit l'insécurité qu'il contribue à faire régner en Corse, la population ne semble pas prête à prendre le parti de la police.

La Corse, une colonie de la France ?

Une colonie ? La Corse n'en est bien évidemment pas une. En tout cas, pas plus que bien des régions situées entre Dunkerque et Nice, Strasbourg et Bayonne. Elle n'a vécu ni une colonisation, ni un pillage économique qui seraient les causes de son sous-développement actuel. C'est seulement une région pauvre qui est passée à côté du développement économique comme bien d'autres.

Sans doute, on pourrait faire aujourd'hui quelques analogies avec les colonies françaises d'Amérique ou d'Océanie, du moins ce qu'il en reste. La presse n'a pas manqué de faire le rapprochement entre les événements de Corse et la situation en Nouvelle-Calédonie, où deux gendarmes français ont été tués dans une embuscade tendue par des Mélanésiens, alors qu'ils venaient à la rescousse d'un exploitant forestier d'origine européenne. Mais quoiqu'en disent les journalistes et les militants du FLNC, il est patent que la situation en Corse ne résulte pas d'un passé colonial. Qui dit colonisation, dit occupation par une puissance étrangère, mise en coupe réglée d'un pays, asservissement de toute une population. Ce qui a caractérisé toutes les colonies, c'est le statut juridique inférieur, souvent véritable esclavage, imposé par l'impérialisme français aux peuples colonisés Cela se traduit encore maintenant par du racisme, qui s'il est condamné officiellement, n'en est pas moins toujours réel à l'égard des peuples colonisés. Même aujourd'hui, dans les prétendus départements d'outre-mer, les lois, surtout en matière sociale, ne sont toujours pas les mêmes, et sont moins favorables, que pour les Français de métropole.

En Corse si racisme il y a, c'est le même que sur le continent, contre les immigrés nord-africains. Durant l'année 1982, trois travailleurs marocains ont été assassinés dans l'île, victimes de racistes. Mais cela a provoqué moins de remous, cela a moins choqué que les attentats du FLNC. Ce racisme-là bien meurtrier pourtant ne mérite pas la Une de la grande presse... ni que les nationalistes corses lui prêtent attention.

Non, la population corse n'est victime ni de racisme, ni d'aucune ségrégation de la part de l'État français. Au contraire même. L'appareil d'État a traditionnellement offert des débouchés nombreux aux Corses à la recherche d'un emploi, et pas au moindre niveau. Ne parlons pas de l'empereur Napoléon. Dans la période d'expansion coloniale de la France, les carrières militaires, administratives ou commerciales se sont ouvertes de l'Indochine à l'Afrique à une frange importante de la petite bourgeoisie corse. Et de ce point de vue, ce ne serait pas la colonisation, mais la décolonisation qui aurait été un mauvais coup pour la population de Corse... avec tous ces militaires, ces policiers, ces administrateurs aux Colonies, ces barbouzes mis au chômage par la décolonisation et maintenant quelquefois rapatriés dans l'île.

On ne peut pas dire que la Corse ait été traitée comme une colonie par la France. Pourtant le fait est : on y voit se manifester aujourd'hui un sentiment nationaliste et il est possible que ce sentiment puisse grandir encore.

Cela peut paraître aberrant. On pourrait supposer en effet que dans cette partie du monde européen, les problèmes nationaux sont réglés depuis longtemps. Mais précisément cette vieille Europe établie depuis quelques siècles, cache derrière sa façade riche et prospère, des poches de sous-développement sinon de misère. Le capitalisme, en effet, ne s'est pas développé partout de façon harmonieuse. Des communautés sont restées en marge, laissées pour compte dans le développement économique. Par contre, partout, l'État français a imposé de façon particulièrement autoritaire son unité politique, administrative, interdisant la pratique d'autres langues que le Français, nivelant les particularismes régionaux. D'où ce double sentiment d'injustice ressenti par les régions qui sont restées pauvres et qui n'ont pas reçu d'autres « bienfaits » de l'intégration au territoire français que la francisation forcée. Ce sont ces injustices passées qui sont à la racine des aspirations nationalistes. Et c'est dans la mesure où elles se perpétuent qu'elles favorisent la résurgence de ces aspirations.

Car si le rattachement de l'île à la France ne s'est certes pas fait de façon idyllique et s'il n'était pas écrit de tout temps que la Corse appartiendrait au territoire national français, cela ne suffit pas à expliquer la virulence du nationalisme corse. L'Alsace-Lorraine, par exemple, est une région française depuis bien moins de temps que la Corse. Elle a été l'enjeu de multiples guerres entre la France et l'Allemagne. Orle particularisme qui repose là aussi sur des problèmes de langue, de culture différentes, ne connaît pas aujourd'hui le caractère virulent qu'il a en Corse. Cela tient sans doute en grande partie au fait que l'Alsace, située au cœur des échanges commerciaux entre la France et l'Allemagne, est une région plus riche. Et par là-même, elle a eu infiniment plus de moyens de s'intégrer à la vie économique et sociale du pays que la Corse.

La Corse, elle, est restée en quelque sorte hors course dans le développement capitaliste de la France. Et aujourd'hui que les contradictions du capitalisme s'aggravent, que la crise appauvrit encore les plus pauvres, cela ne peut que contribuer à exacerber davantage des sentiments de révolte contre l'État français et contribuer du coup à la naissance ou à la renaissance d'idées nationalistes.

Le particularisme corse

Pas besoin de réécrire l'histoire de la Corse pour tenter de savoir ce qu'elle serait devenue si Paoli avait réussi à bouter hors de l'île les troupes françaises. A supposer qu'elle ait pu rester indépendante, la Corse en régime capitaliste n'aurait guère connu un développement bien différent de celui qu'elle a connu sous la férule de l'État français. C'est fondamentalement le système capitaliste et pas la couleur du drapeau qui est responsable de la présente situation.

L'île était pauvre en ressources naturelles. Sa situation insulaire n'a pu que renforcer l'isolement de cette région qui ne s'est pas développée en même temps que le reste du pays. Ce fut aussi le cas d'autres régions du continent tout aussi pauvres ou mal situées. Le capitalisme n'a pas développé partout le pays de la même façon. II l'a fait dans certaines régions où se sont concentrées richesses, industries, et main d'œuvre au détriment d'autres qui ont été les laissées-pourcompte du développement économique. Ces dernières ont pris de plus en plus de retard par rapport aux premières. II y a ainsi des îlots, au sens figuré pour la plupart, au sens propre pour la Corse, stagnant et un peu immobiles alors que le reste du pays changeait et se transformait.

Ce n'est qu'avec le boom économique des années soixante, et donc depuis ces vingt dernières années, que la Corse a connu un très relatif développement économique. Mais celui-ci n'a pas bénéficié à une bonne partie de la population locale qui a vu ce développement se produire à côté d'elle et bien souvent à son détriment. Ainsi l'État a investi des capitaux dans l'agriculture. On a donc assisté au défrichage de grandes surfaces de maquis, à l'assainissement et au drainage de la plaine orientale qui a été transformée en grands domaines viticoles et en vergers. Mais ce sont surtout des agriculteurs pieds-noirs fraîchement rapatriés d'Algérie et déjà au courant des techniques et des méthodes de la grande production viticole qui ont bénéficié les premiers des subventions étatiques. Les éleveurs et les bergers corses y ont perdu, eux, des zones de pâturages pour leurs troupeaux l'hiver. Quant aux petits agriculteurs, ils n'ont plus eu les moyens de faire face à la concurrence des grands domaines.

II en a été de même avec le développement de l'industrie touristique. Celle-ci a bien favorisé l'industrie du bâtiment, mais en dernier ressort, ce sont les marchands de ciment du continent qui ont empoché les profits. Quant aux compagnies de tourisme du type du club Méditerranée, elles ont pour principe de fonctionner en circuit quasiment fermé, important tout ce qui leur est nécessaire, même la main-d'œuvre. Et leurs profits ne se sont pas réinvestis dans l'île et n'y ont guère favorisé plus de développement que dans les pays sous-développés de la Méditerranée où ces industriels du tourisme ont bâti leur fortune.

Tant que l'expansion économique s'est poursuivie, la Corse comme toutes les régions paysannes en développement a continué à se dépeupler. Les jeunes quittaient la terre pour la ville sur le continent. Marseille est ainsi devenue la première ville corse suivie de près par Paris et Toulon. Avec la crise et la montée du chômage les jeunes sont allés moins nombreux chercher des emplois aléatoires sur le continent. Seulement il n'y a pas plus de travail pour autant sur l'île. Et même les emplois offerts par l'administration et la fonction publique sont déjà remplis et bien souvent par des employés venus du continent.

Alors bien sûr, tout cela est ressenti comme particulièrement injuste. C'est pourquoi les mots d'ordre des nationalistes tournés contre les continentaux peuvent trouver l'oreille d'une partie de la population qui se sent laissée pour compte, et particulièrement de la jeunesse qui se voit condamnée à vivre au pays, sans avenir. Le repli contraint et forcé d'une fraction grandissante de la communauté corse sur elle-même ne peut que développer le sentiment que c'est toute la communauté qui est opprimée, en tant que « corse », par-delà les clivages sociaux. Et cela d'autant plus que le sentiment de former une communauté particulière avec ses mœurs et sa langue n'a pas disparu. Et c'est dans tous ces sentiments que les idées nationalistes peuvent puiser leurs raisons d'être, et leur force.

Le nationalisme : une solution ?

Les socialistes révolutionnaires reconnaissent le droit à tous les peuples fussent-ils petits, à se séparer d'un État qu'ils estiment oppresseur. Si la population de Corse désirait être séparée de la France, et à plus forte raison se battait pour, nous ne pourrions qu'être solidaires de la population. Car nous ne voyons pas ce que la classe ouvrière en France aurait à gagner à ce que les Corses soient maintenus de force dans le cadre de l'État français, s'ils n'en veulent pas.

Mais cela ne veut pas dire que l'indépendance de la Corse en soi (comme son « autonomie » d'ailleurs) soit une bonne chose pour la population corse, que les solutions nationalistes puissent aller dans le sens de ses intérêts fondamentaux.

Le nationalisme n'est pas une voie d'avenir. La Corse souffre de sous-développement. C'est pour cela qu'elle est une région particulièrement désarmée face à la crise. Mais on ne voit pas en quoi l'indépendance de la Corse pourrait régler ses problèmes économiques et donner à la population de l'île les biens et les moyens de vivre qui lui font défaut. On ne voit pas comment elle pourrait supprimer les bases du sous-développement.

C'est du capitalisme dont souffre la Corse. C'est lui le responsable des difficultés pour les petits paysans et la jeunesse au chômage. Et ce n'est pas en s'entourant de frontières, en dressant des barrières infranchissables aux ressortissants continentaux, que la Corse pourrait échapper aux lois d'un système qui l'étrangle. C'est une aberration de penser qu'un État corse aurait les moyens de tirer l'île de son arriération économique et qu'il pourrait faire le poids face aux puissances capitalistes qui l'entourent. On ne voit pas comment une économie aussi limitée, parcellaire, dépendante du marché national et européen, pourrait subvenir aux besoins de la population de l'île. II aurait autant de chance de faire régresser que progresser le niveau de vie de la population.

La solution nationaliste n'en est pas une. Non seulement elle ne peut permettre ni de développer l'économie, ni d'élever le niveau de vie de la population. Mais elle ne permettrait pas non plus d'instaurer un régime démocratique au service des petites gens.

Les nationalistes misent en effet sur cette idée que face à un pouvoir grand-parisien, centralisé à l'extrême, la population aspire à régler elle-même ses problèmes, dans le cadre de la région. Cette aspiration est tout-à-fait justifiée et il est certain que si la société était administrée de cette façon, bien des choses seraient réglées de façon plus juste et plus efficace qu'elles ne le sont aujourd'hui dans les mains d'une administration lointaine et bureaucratique.

Mais l'indépendance n'est pas la garantie que la population ait le droit de gérer elle-même ses affaires. Tout au plus, dans une Corse indépendante, les lois seraient-elles rédigées dans la langue du pays. Et encore ? Et puis est-ce un mieux véritable pour les Corses ? Et ce seraient des policiers et des juges corses qui les feraient appliquer. Mais ces lois en seraient-elles moins rudes aux petites gens ? L'impôt « saignerait-il moins le malheureux » pour reprendre la formule de l'Internationale ? L'État français est bel et bien indépendant, mais les lois ne sont pas au service des petites gens, car c'est l'État de la bourgeoisie française. Un État corse indépendant serait celui de la bourgeoisie corse. Et le fait que celle-ci est bien moins riche que la bourgeoisie française ne rendrait pas son État moins dur et moins rapace au détriment des classes pauvres corses. Bien au contraire. Et c'est en cela que le nationalisme est une duperie pour les petites gens auxquelles il promet que l'indépendance seule va tout changer. En esquivant le problème des classes sociales, les petits bourgeois nationalistes trompent la population. Ils souhaitent que celle-ci les appuie dans leur lutte, mais ils ne sont pas à son service, contrairement à ce qu'ils disent.

On le voit avec l'exemple du FLNC. On ne sait pas trop ce que souhaite exactement la population. Le FLNC est encore un petit groupe nationaliste qui essaie de la représenter. II a encore à la gagner. Et déjà sa politique indique que les nationalistes corses - comme les autres nationalistes à travers le monde - ne se veulent pas au service des petites gens, des opprimés, des classes pauvres.

La manière d'agir des militants du FLNC, par le terrorisme, est à l'image de leurs objectifs. Les nationalistes essaient de construire leur petit appareil militaire face au grand appareil militaro-policier de l'État français. Mais leurs méthodes ne diffèrent guère de celles des représentants de l'État français qu'ils combattent. Leurs attentats n'ont pas plus pour but de défendre les intérêts de la population corse que les grandes manœuvres policières d'un Broussard n'ont pour office de protéger effectivement la vie et les biens des gens.

La clandestinité leur est sans doute indispensable pour échapper à la répression policière. Mais c'est aussi le bon prétexte pour éviter le contrôle de la population corse. Leur appareil militaire et politique, ils entendent l'imposer par la violence à l'État français qu'ils combattent, mais aussi dans les faits ils entendent l'imposer par la force à toute une partie de la population corse qu'ils prétendent pourtant représenter et au nom de laquelle ils se battent.

Un exemple en est donné avec des affaires de racket, où il est patent qu'à plusieurs reprises la population elle-même n'est pas parvenue à distinguer si elle avait affaire à des militants du FLNC ou à des truands professionnels qui empruntaient le sigle FLNC tout en opérant pour leur propre compte. Le FLNC n'est sans aucun doute pas responsable des agissements des truands. Mais que ceux-ci puissent jouer de la confusion est tout de même révélateur du type de relations qu'entretiennent les nationalistes avec la population.

Aujourd'hui, les nationalistes corses tentent de construire un appareil séparé des masses avec lequel, alors qu'il n'est encore qu'embryonnaire, ils tentent déjà de s'imposer aux masses. En faisant cela, ils ne procèdent d'ailleurs que de la manière dont ont procédé avant eux d'innombrables mouvements nationalistes. Mais peut-on douter que s'il advenait que demain ils se retrouvent au pouvoir, cet appareil, dont ils se servent déjà aujourd'hui contre la population, ne serve à constituer un État qui serait au-dessus d'elle et au besoin servirait contre elle ?

C'est d'ailleurs bien là le but de tout nationalisme, qu'il concerne des dizaines de millions d'individus ou seulement la population d'une petite région : obtenir l'indépendance formelle et construire un État qui par sa nature ne peut être qu'instrument d'oppression des masses.

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L'exemple corse nous rappelle aujourd'hui que la société capitaliste, incapable d'assurer le développement harmonieux même des vieux pays industriels, a atteint ses limites depuis longtemps. Le capitalisme sénile se voit confronté à la résurgence des problèmes qui semblaient dépassés depuis plusieurs siècles avec la naissance ou renaissance de mouvements régionalistes.

A l'époque où le progrès de la société ne peut plus s'envisager qu'à l'échelle des continents, sinon de la planète tout entière, par le développement des échanges de toutes sortes, c'est aberrant, à tout point de vue, de voir des mouvements micro-nationalistes proposer de dresser de nouvelles barrières entre les peuples.

Mais c'est surtout le système social qui a donné naissance à de tels mouvements qui est aberrant. Car c'est aussi une marque de la faillite et du pourrissement du capitalisme à notre époque. II y a quelques siècles, les bourgeoisies se sont taillé des États nationaux. Mais à l'époque avec ceux-ci, face à l'éparpillement féodal, il s'agissait toujours de rassembler, pas d'émietter. Et ce qui était progressif alors n'est plus que réactionnaire aujourd'hui.

Les opprimés, les exploités, classes, peuples ou communautés diverses, n'ont évidemment aucune raison d'accepter leur sort et pour cela ils devront sans doute recourir à la violence. Mais leur intérêt est de faire naître une autre société, la société socialiste, et non de bouger un peu les poteaux frontière du monde capitaliste ou d'en rajouter encore. Le socialisme seul peut sortir la planète du marasme. Et dans le même temps c'est aussi le socialisme seul qui pourrait permettre aux régions abandonnées par l'évolution historique l'accès à toutes les richesses produites. Paradoxalement ce n'est qu'une telle société, sans États nationaux, sans frontières, et sans nationalismes, qui offrirait à toutes les nations, à tous les peuples, petits ou grands, à toutes les cultures, à tous les particularismes, les moyens de s'épanouir.

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