Allemagne : grève pour les 35 heures01/06/19841984Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1984/06/113.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Allemagne : grève pour les 35 heures

L'Allemagne de l'Ouest à l'heure où nous écrivons, connaît depuis maintenant plus de six semaines une grève pour les 35 heures qui paralyse l'industrie automobile du pays et qui a des conséquences pour les fournisseurs et les clients jusqu'en Belgique, en Autriche et en France. Mais il n'y a pas que la métallurgie qui soit touchée par des mouvements ayant comme objectif les 35 heures, le secteur de l'imprimerie et du papier l'est aussi. Les actions dans ce secteur ont même démarré quelques semaines avant celles de la métallurgie. Et depuis, un certain nombre de journaux ont vu leur parution interrompue à maintes reprises.

A l'initiative de ces grèves, il y a les syndicats allemands du DGB avec, dans l'imprimerie, la fédération « Druck und Papier » (160 000 adhérents) et, dans la métallurgie, la puissante fédération « IG Metall » forte de 2,6 millions d'adhérents. Les syndicats allemands ne se sont pas taillé une réputation de champions de la lutte des classes. Ils font au contraire figure d'institutions de collaboration de classes, « cogestionnaires » au service du capital allemand. Alors pourquoi en sont-ils arrivés à la grève aujourd'hui, et de quelle façon la mènent-ils ?

En apparence, tout a démarré avec le renouvellement des conventions collectives en début d'année. Mais en fait, les mouvements actuels qui se déroulent sur un fond de chômage accru et de régression des conditions d'existence de la classe ouvrière, sont un produit de la situation économique et de l'accentuation de la crise en Allemagne.

Est-ce parce que les ouvriers eux-mêmes ont considéré que la coupe était pleine, qu'ils ont perdu patience et poussé les syndicats ? Est-ce que ce sont les patrons et le gouvernement qui, changeant d'attitude, sont devenus plus provocants et cherchent un nouveau mode de relations avec les organisations syndicales et les acculent à la grève ? Ou bien est-ce que, passées avec les sociaux-démocrates dans l'opposition, les directions syndicales tiennent à rappeler qu'elles se veulent les défenseurs des acquis des travailleurs ?

Les syndicats allemands ont choisi comme objectif les 35 heures, et ils ont de toute évidence rencontré sur ce terrain le consensus des travailleurs concernés par les mouvements. Mais cette revendication dénoncée par la presse à grand tirage d'Outre-Rhin comme périlleuse pour le redressement de l'économie allemande, et qu'un certain nombre de fédérations syndicales, autres que celles de la métallurgie et de l'imprimerie, se refusent à reprendre à leur compte, est-elle l'objectif le mieux approprié au développement et au renforcement des-luttes ouvrières ? Ou est-elle avant tout pour les bureaucrates syndicaux un moyen de faire un rideau de fumée couvrant de futurs maquignonnages avec les représentants du patronat ?

Quelles que soient les réponses à ces questions, ce qui frappe dans les actuelles grèves pour les 35 heures en RFA c'est que, même au travers de ces mouvements canalisés par des organisations ouvrières domestiquées, c'est la force de la classe ouvrière allemande et son formidable potentiel de lutte que l'on entrevoit.

L'allemagne a l'heure de l'austérité

Pendant les cinq dernières années, la situation des travailleurs s'est sensiblement dégradée. Le chômage est passé de 850 000 au début de 1980 à 2,5 millions au début de 1983 et n'est pas beaucoup redescendu au-dessous de ce niveau aujourd'hui (2,25 millions à la fin du mois d'avril dernier). Les capitalistes profitent de la crise pour augmenter la productivité en diminuant les effectifs. C'est le cas par exemple dans l'automobile. Si Mercedes et BMW prévoient, globalement, d'augmenter leurs effectifs, quatre autres constructeurs annoncent des suppressions d'emplois : Opel prévoit de supprimer 12 000 emplois sur 60 000, Volkswagen qui en a supprimé 5 000 en 1983 projette la suppression de 13 000 emplois sur 120 000 d'ici 1987, Ford qui a déjà supprimé 9 000 des 50 000 emplois doit encore en supprimer dans les prochaines années.

A l'inquiétude pour l'emploi s'ajoutent les coups d'éperon donnés dans le système de protection sociale par les gouvernements successifs, tant celui du social-démocrate Helmut Schmidt jusqu'en septembre 1982 que celui du chrétien-démocrate Helmut Kohl aujourd'hui. La transition entre les deux gouvernements, du point de vue de l'austérité, s'est faite sans problème : le gouvernement Kohl a appliqué un certain nombre de mesures qui avaient été programmées par son prédécesseur et en a ajouté de nouvelles.

La part versée par les salariés à l'assurance chômage a augmenté par étapes : elle est passée de 0,7 % du salaire avant 1975 à 2,5 % en janvier 1983. En sens inverse, le montant des allocations chômage a diminué en janvier 1982, puis à nouveau en janvier 1984. A chaque fois la baisse a été d'environ 10 %. Aujourd'hui cette allocation est, pour les chômeurs sans enfant, de 63 % du dernier salaire (primes exclues). De plus les conditions d'attribution sont devenues plus restrictives et les chômeurs doivent accepter un travail, même sous-payé par rapport à leur emploi précédent, sous peine de perdre temporairement ou définitivement leur droit à l'allocation.

Les retraites qui, jusqu'en 1977, connaissaient chaque année une augmentation substantielle de leur pouvoir d'achat ont depuis à peine suivi la hausse des prix et, par deux fois, ont subi un blocage d'un an et demi (de juillet 1977 à janvier 1979 et de janvier 1982 à juillet 1983). Actuellement, elles subissent à la fois une réforme du mode d'indexation dans un sens défavorable, et un prélèvement au titre de l'assurance maladie qui a commencé en juillet 1983 au niveau de 1 % et doit atteindre 4 % en 1986. Le résultat est que la seule revalorisation prévue pour cette année sera de 1 % en juillet.

Des restrictions budgétaires ont affecté les malades, les handicapés. Une modification de la législation sur les loyers en fin 1982 permet aujourd'hui des hausses importantes. Fin 1982 également des bourses scolaires ont été supprimées ou transformées en prêts. La TVA a augmenté de 1 % en juillet 1983.

Le patronat a lui aussi profité de la crise pour s'en prendre au niveau des salaires. Au cours des années 70 la consommation privée de la population de RFA (mesurée à prix constants) avait augmenté de 30 %, signe évident d'une augmentation substantielle du niveau de vie. Mais déjà à la fin des années 70, ce sont surtout les revenus non salariaux qui augmentaient. Et maintenant le pouvoir d'achat des salaires est carrément en baisse. En effet, en 1981-82-83 les augmentations de salaires prévues par les accords entre patronat et syndicats dans la métallurgie par exemple (respectivement 4,9 %, 4,2 %, 3,2 %) ont toujours été inférieures à l'augmentation des prix de l'année précédente (5,2 %, 5,7 %, 3,9 %) qui, en théorie, sert de base aux négociations. Les syndicats ont ratifié sans broncher de tels accords et même, en 1982, l'IG Metall a elle-même justifié la baisse du pouvoir d'achat comme étant un sacrifice fait par les travailleurs pour aider... la reprise des investissements.

Cogestion et concertation, les deux mamelles de la bureaucratie syndicale

Les syndicats sont en RFA de véritables institutions qui, exercées aux mécanismes bien huilés de la « concertation » et de la « cogestion », ont pour fonction d'empêcher qu'éclatent les conflits sociaux plutôt que de mettre le feu aux poudres.

Les syndicats sont censés résoudre les problèmes des travailleurs à leur place par la négociation avec les patrons, ils sont censés intéresser les travailleurs et lier leur sort à l'avenir dé l'entreprise en les associant à la gestion.

Un conseil d'entreprise, élu par l'ensemble du personnel, et auquel se présentent le plus souvent - mais pas obligatoirement - des syndiqués, ne s'occupe pas seulement de la gestion des oeuvres sociales. Il est associé aux décisions de la direction en matière de conditions de travail, pour la fixation des horaires et des congés, l'élaboration du règlement intérieur, la protection de l'hygiène et de la sécurité, les modalités de paiement des salaires et des primes. En cas de conflit avec la direction, le conseil d'entreprise ne doit pas, en principe, appeler les travailleurs à revendiquer. Et il n'existe pas non plus l'équivalent des délégués du personnel et des sections syndicales d'entreprise. En cas de conflit, le conseil d'entreprise - et les travailleurs - doivent s'accommoder d'un compromis élaboré par une commission paritaire de conciliation.

Au rôle des conseils d'entreprise par lesquels des représentants des travailleurs sont associés aux décisions de la direction - en particulier celles concernant la gestion du personnel - s'ajoute le système de « cogestion » par lequel les syndicats ont leur place au sein des organes de direction de l'entreprise. En cas de licenciements par exemple ils participent alors aux « plans sociaux » d'accompagnement.

La « cogestion » et le rôle des conseils d'entreprise se complètent, non seulement pour tenter de gommer la contestation et les conflits sociaux, mais aussi pour éviter que les travailleurs aient à intervenir directement en se passant d'une représentation.

De même, pour fixer l'évolution des salaires et la réglementation générale des conditions de travail, les syndicats se plient à un rituel dans lequel, normalement, tout doit se régler par une négociation qui échappe au contrôle direct des travailleurs. Celle-ci a lieu tous les ans pour les salaires, mais les accords-cadre qui fixent par exemple la durée légale du travail sont, eux, pluriannuels. Des accords ont, en 1954, fixé la manière dont doivent se dérouler les négociations. En particulier ils interdisent aux syndicats de déclencher une grève en dehors du moment où les négociations pour le renouvellement d'un accord ont échoué. Les syndicats s'interdisent donc d'appeler à la grève pour remettre en cause un accord et, comme aux États-Unis, ils ont semble-t-il habitué la classe ouvrière à s'y conformer.

De plus, ils s'imposent comme règle qu'il y ait 75 % de votes favorables pour déclencher une grève, et inversement que la reprise doit être décidée s'il y a 25 % de salariés qui s'expriment en sa faveur.

Dans ce cadre bien huilé de la concertation, les grèves ont été rares dans le passé en RFA. Mais il est remarquable qu'il y en ait eu quand même. Ainsi, en 1978, la RFA en a connu cinq importantes, toutes organisées par les syndicats. Cette année-là, la RFA a eu un nombre de journées de grève moyen par salarié de 75 % supérieur à celui de la France. Ces grèves avaient touché notamment des secteurs menacés par des suppressions massives d'emplois et la déqualification : l'imprimerie dans une phase de modernisation, pour obtenir des garanties d'emplois, les dockers pour le statut de « travailleurs qualifiés » et également des garanties d'emploi, et la sidérurgie où, face aux suppressions d'emplois, le syndicat avait présenté l'objectif des 35 heures comme une revendication pouvant permettre le partage du travail entre tous.

Mais la grève des sidérurgistes s'était terminée par un échec. Et depuis cinq ans aucune grève d'importance n'est venue ponctuer le rythme des négociations.

Même bureaucratisés, les syndicats ne peuvent rester entièrement passifs quand le patronat ne veut même plus fournir l'huile aux rouages nécessaires à la concertation. Les rendez-vous sont toujours pris, les grands hôtels réservés à l'avance, le cérémonial a toujours lieu, mais le patronat ne met plus dans la corbeille des négociations les miettes qu'il y jetait au moment de la période d'expansion.

Face à l'attitude du patronat et du gouvernement qui mettent les travailleurs allemands à l'heure de l'austérité, cela fait plusieurs années que certains dirigeants syndicalistes se démarquent de leurs amis politiques, un peu comme ici en France quand Krasucki « sonne le tocsin » tout en étant solidaire de la politique gouvernementale. Ainsi un dirigeant de l'IG Metall, lié à la social-démocratie, Steinkühler, avait organisé une manifestation qui regroupa 70 000 personnes à Stuttgart en novembre 1981. Aujourd'hui on peut citer Gottfried Koch, membre également de l'IG Metall, mais chrétien-démocrate cette fois, et délégué au conseil d'entreprise des aciéries Krupp, qui s'oppose à son parti lorsque celui-ci condamne la revendication des 35 heures et déclare qu'il veut faire pénétrer la position du syndicat dans son parti et non l'inverse.

Avec les chrétiens-démocrates comme avec les sociaux-démocrates

Les dirigeants syndicaux de la métallurgie ont présenté la grève comme « une question de survie » pour leur syndicat qui, selon eux, doit faire face aux attaques du gouvernement et du patronat ( « le copinage du Cabinet et du capital » ) qui veulent « mettre les syndicats àgenoux, les avoir jusqu'à l'os » . (Réflexions rapportées par la presse allemande).

Les syndicats sont-ils menacés depuis que le chancelier chrétien-démocrate Helmut Kohl a remplacé le social-démocrate Helmut Schmidt en octobre 1982 ? Rappelons en effet qu'à la suite du retournement d'alliance du petit Parti Libéral qui gouvernait depuis 1969 aux côtés du Parti SocialDémocrate, une nouvelle coalition gouvernementale des chrétiens-démocrates et des libéraux dirigé par Helmut Kohl, s'était alors constituée et qu'après les élections du 6 mars 1983 Helmut Kohl a été confirmé dans ses fonctions. Ce nouveau gouvernement a-t-il effectivement déclaré la guerre aux syndicats ?

Il n'est pas impossible que le patronat, aidé par le gouvernement, veuille profiter de la période de crise pour affaiblir les syndicats.

Pourtant, dans les négociations sur les salaires, l'attitude du patronat n'a pas sensiblement changé avec le nouveau gouvernement. Si en 1983 et 84, l'évolution dés salaires retarde sur celle des prix, le retard est tout à fait comparable à celui déjà enregistré en 1981 ou 82. D'autre part, on n'a pas vu Kohl mener une politique plus anti-syndicale que Schmidt lui-même. En 1978, quand les sidérurgistes s'étaient mis en grève pour les 35 heures, Schmidt n'avait certes pas déclaré que la revendication des 35 heures est « bête et stupide » comme vient de le faire Kohl, mais il n'avait pas pour autant mis le poids du gouvernement au service des grévistes et la grève s'était terminée par une défaite.

Le gouvernement actuel, comme son prédécesseur, mène une politique d'austérité contre les travailleurs, en cherchant à préserver des relations avec les bureaucrates syndicaux. Quelques jours après son investiture, Kohl avait cherché à rencontrer le président de la confédération des syndicats, mettant son avion àla disposition du dirigeant syndical pour faciliter la rencontre. Tout un symbole ! Et l'actuel ministre du Travail, Blüm, qui fait partie de « l'aile ouvrière » des chrétiens-démocrates se targue de son passé de syndicaliste chez Opel et rappelle volontiers qu'il appartient toujours à l'IG Metall. Dans le cadre des bonnes relations que le gouvernement tient à entretenir avec les syndicats, Blüm a fait savoir qu'il était intervenu auprès du patronat de Bavière pour empêcher l'extension du lock-out à cette province...

Ce qui est vrai par contre, c'est que les syndicats entretiennent des liens avec la social-démocratie qui sont tout autres que ceux qu'ils peuvent avoir avec les chrétiens-démocrates. Non que les chrétiens-démocrates n'aient pas eux aussi leurs dirigeants syndicalistes : certains occupent même des postes importants dans la bureaucratie syndicale : vice-président de la confédération des syndicats, chef du syndicat de l'alimentation, membre de la direction du syndicat de la métallurgie. Mais on est loin du record établi par le premier gouvernement Schmidt qui, entre 1974 et 1976, comportait treize anciens dirigeants syndicaux sur un peu plus d'une vingtaine de ministres.

Ce n'est évidemment pas pour autant simplement parce qu'ils ont moins d'entrées au gouvernement que les syndicats se permettent de lancer une grève. S'ils sont amenés à le faire c'est surtout parce que, de temps à autre, même pour des syndicats dont le but est la collaboration de classes, la grève est nécessaire. Nécessaire vis-à-vis de la bourgeoisie pour lui rappeler qu'ils sont indispensables en tenant en mains une classe ouvrière qui reste susceptible de lutter. Nécessaire vis-à-vis de la classe ouvrière pour justifier leur rôle de ses défenseurs attitrés.

Après tout les rentrées de cotisations syndicales pourraient décliner si le nombre de travailleurs de la métallurgie continue à décroître et les conditions de vie des travailleurs à se dégrader. Et cela suffirait pour que les bureaucrates qui siègent à la tête de l'IG Metall voient menacées les ressources financières dont ils sont les gestionnaires si la bourgeoisie ne les assure pas d'une manière ou d'une autre de compensations. Mais bien plus, s'ils perdaient tout crédit auprès des travailleurs, c'est leur existence même qui pourrait être remise en question.

Et quand les conditions d'existence de la classe ouvrière sont aussi ouvertement attaquées qu'elles le sont dans la période actuelle, ils doivent au moins faire mine de désapprouver et même s'opposer en organisant des grèves. C'est d'ailleurs ce qu'ils avaient déjà fait en 1978 au moment de la restructuration de l'imprimerie et de la sidérurgie.

Mais, comme en 1978, c'est sur la pointe des pieds, avec la plus extrême répugnance, en multipliant les précautions et en mettant les plus étroites limites qu'ils se lancent dans des grèves.

Car, s'il est vrai que le mouvement de grève est spectaculaire, avec les journaux qui ne paraissent pas et quasiment toute la production automobile qui est bloquée, avec des répercussions sur les usines dans d'autres pays d'Europe, il n'est que peu de chose par rapport à ce qu'il aurait pu être.

La revendication des 35 heures

Pourquoi précisément le syndicat de la métallurgie ainsi que celui de l'imprimerie ont-ils choisi de faire campagne pour les 35 heures ?

Dans l'hebdomadaire Der Spiegel (28.5.1984), les syndicats ont choisi cet objectif « parce qu'ils ne pouvaient obtenir de véritables succès dans la lutte pour les augmentations de salaires de leurs adhérents ». Il est certain que ne voulant pas s'affronter au patronat sur le problème des salaires, les syndicats cherchent un terrain sur lequel ils soient dans le sens du courant. Non pas celui qui émane des travailleurs, mais celui qui découle de la régression de la production capitaliste en cette période de crise. Ils espèrent ce faisant pouvoir obtenir des résultats en faisant apparaître comme des concessions du patronat ce que celui-ci pourrait avoir avantage à modifier dans la conjoncture actuelle.

Mais en Allemagne comme en France, la seule réponse donnée parle patronat sur ce terrain c'est la « flexibilité » de l'horaire, c'est-à-dire la suppression des entraves légales qui l'empêchent de faire travailler qui il veut, quand il veut avec, en particulier, la création d'une équipe supplémentaire pour augmenter la période d'utilisation des machines. Concéder une diminution de l'horaire sans perte de salaire, cela revient au même problème que celui des augmentations de salaires. Et la bourgeoisie qui veut sauvegarder ses profits en cette période de crise n'offre pas la moindre concession aux syndicats sur ce terrain.

En fait, bien que les syndicats avancent les 35 heures en espérant qu'une conciliation avec les intérêts des patrons serait plus aisée à trouver sur ce terrain, l'objectif qu'ils mettent en avant n'est pas plus facilement à la portée des travailleurs que le maintien de leurs salaires.

Nous sommes mal placés pour savoir si les travailleurs allemands se rendent compte de la difficulté que représente pour eux la réalisation de l'objectif des 35 heures sans perte de salaire et s'ils sont réellement unanimes sur cette revendication. Mais ce qui est certain c'est que les campagnes de presse, la propagande patronale affirmant que les 35 heures ruineraient l'économie et compromettraient les chances de redressement et de reprise, qu'elles créeraient des emplois non en Allemagne mais au Japon, peuvent trouver une audience au moins parmi les classes moyennes toujours promptes à mettre la responsabilité des difficultés économiques sur le compte des revendications ouvrières. Et dans la mesure où la revendication des 35 heures est utilisée non pour accroître la conscience des travailleurs sur les problèmes qui leur sont posés, les obstacles qu'ils ont à vaincre, l'ampleur des luttes qu'ils ont à mener, mais pour masquer tout cela, et simplement préserver l'auréole - si tant est qu'elle existe encore - des syndicats, il n'est même pas sûr qu'elle contribue à préparer la classe ouvrière pour les futurs combats qu'elle aura à mener, ni à la lancer dans des luttes qui la renforcent.

Une grève bien canalisée

Le président de l'IG Metall avait déclaré que la lutte pour les 35 heures serait « le plus grand affrontement socio-politique de l'histoire de l'après-guerre ». Rien de moins. Mais c'était en octobre dernier. Et le moins qu'on puisse dire c'est qu'il n'a pas été pressé de passer aux actes. Car le premier round du combat ce fut, à partir de la mi-décembre, les poignées de mains échangées au cours d'environ soixante-dix séances de négociations avec les représentants du patronat. Et comme aucun des deux « partenaires sociaux » n'avait été mis KO au cours de ces séances, l'IG Metall finit par mettre fin à ces négociations qui s'étaient répétées au niveau de chaque province. Mais, pour en arriver là, il aura fallu attendre le 7 avril. Au cours de cette période, le syndicat avait d'abord respecté l'obligation de « paix sociale » par laquelle il s'interdit à lui-même de déclencher le moindre mouvement au début de la phase de négociations. En mars, il s'était lancé dans des grèves d'avertissement échelonnées sur trois semaines au cours desquelles plus de 100 000 ouvriers de la métallurgie ont cessé le travail une heure ou deux, parfois un peu plus. Il avait aussi organisé une manifestation à Francfort le 16 mars pour protester contre l'intransigeance patronale. Une voie analogue a été empruntée par le syndicat de l'imprimerie, l'IG Druck, dans la négociation. En avril, ce syndicat a commencé à organiser des grèves tournantes pour bloquer la parution de journaux, en paralysant au cours du mois plus de trente imprimeries les unes après les autres pour une durée de vingt-quatre heures. Dans l'imprimerie, la grève avait effectivement démarré. Dans la métallurgie il a fallu encore attendre le début du mois de mai.

La dernière phase de la véritable course d'obstacles qui finit par aboutirau déclenchement de la grève, ce fut la consultation des syndiqués. Elle avait eu lieu dans la deuxième quinzaine d'avril dans l'imprimerie. Elle se déroula début mai dans la métallurgie. Le plus surprenant c'est que les travailleurs n'aient pas été lassés de ce mauvais scénario que les syndicats faisaient traîner depuis des mois, et qu'ils aient voté massivement pour la grève - plus de 80 %devotes favorables - du moins là où les syndiqués ont été consultés. Car, pour la métallurgie, le vote n'a eu lieu que dans la région de Stuttgart et celle de Francfort, deux régions du sud-ouest de l'Allemagne où sont concentrées de nombreuses usines du secteur de l'automobile et qui sont considérées comme des fiefs de l'IG Metall. Pour aucune des quinze autres régions, l'IG Metall n'avait fixé de date de consultation. Un mois et demi après le déclenchement de la grève, l'IG Metall n'a toujours pas rectifié cet « oubli ». C'est qu'en effet le syndicat s'est refusé à organiser une grève à l'échelle nationale.

Au moment où la puissante force d'inertie de la bureaucratie syndicale semblait avoir été vaincue et que la grève pouvait enfin démarrer, les dirigeants du syndicat avaient déjà mis tous les freins nécessaires à ce que l'énergie libérée ne laisse pas s'échapper un torrent, mais seulement un petit ruisseau d'une minorité de travailleurs en grève. Les dirigeants syndicaux eux-mêmes se vantaient de leur tactique du « coup d'épingle » et parlaient de « mini-grève, maxi-efficacité ». Sur les 2,6 millions de membres que compte l'IG Metall, 350 000 seulement ont été appelés à donner leur avis sur une grève pour les 35 heures. 284 000 ont répondu favorablement. Mais appeler l'ensemble des syndiqués qui avaient été consultés à la grève c'était encore trop pour l'IG Metall. Le 14 mai, c'est seulement 14 000 travailleurs de la région de Stuttgart qui étaient appelés à la grève. Ceux-ci étaient des salariés d'entreprises qui produisent des pièces pour l'industrie automobile, pas des constructeurs eux-mêmes. Les travailleurs de la région de Francfort - du moins ceux dans les entreprises choisies par le syndicat pour la grève - ont dû, eux, attendre une semaine supplémentaire pour démarrer le mouvement. Le syndicat les avait mis en réserve pour marchander la réouverture des négociations avec le patronat.

Mais le patronat, lui, n'a pas attendu : il a commencé à lockouter comme il l'avait déjà fait lors des grèves de 1978. Ce n'est pas pour autant que le syndicat a décidé d'étendre la grève. A l'usine de Sindelfingen qui fabrique les Mercedes près de Stuttgart, où 33 000 travailleurs étaient menacés de lock-out immédiat, le syndicat local a réagi en appelant à une assemblée générale qui a décidé d'appeler à la grève. La direction de l'IG Metall a hésité vingt-quatre heures avant d'entériner finalement la décision du syndicat local et a décidé d'enregistrer comme grévistes les travailleurs de l'entreprise à partir du lundi suivant.

Dans les autres entreprises, là où la direction de l'IG Metall ne s'est pas fait forcer la main, il n'y a pas eu d'appel à la grève. La semaine suivante, quand les travailleurs de la région de Francfort, dont ceux d'Opel, ont été appelés à la grève, le nombre de grévistes est passé à 58 000. Et six semaines après le début de la grève, il ne dépasse toujours pas ce nombre, alors que le patronat, lui, a mis en chômage technique 260 000 travailleurs, et en a lockouté 120 000 : le double du nombre de grévistes.

Officiellement, si l'IG Metall a préféré laisser des travailleurs être lockoutés plutôt que de les appeler à la grève, c'est parce que pour la bureaucratie syndicale la gestion de sa caisse de grève passe avant la grève. Le syndicat verse en effet une indemnité à ceux de ses membres qui sont grévistes, il peut décider de verser une aide de secours aux lockoutés, mais uniquement à ceux qui travaillent dans la région déclarée « zone de lutte » par le syndicat. Les travailleurs des autres régions, eux, n'ont rien.

Et aujourd'hui, l'IG Metall en est à attendre auprès des tribunaux qu'ils se prononcent contre la décision de l'administration de refuser d'indemniser au titre du chômage partiel ceux qui sont touchés par les lock-out patronaux hors des régions déclarées grévistes.

L'IG Metall a donc cherché à limiter le nombre de ceux qu'elle indemnise avec sa caisse de grève. C'est qu'en effet les syndicats allemands sont aussi des empires financiers qui veillent au grain. S'ils n'ont organisé que rarement des grèves au cours des trente dernières années, ils ont amassé très régulièrement des cotisations ouvrières qui, au bout du compte, constituent un pactole considérable. La confédération des syndicats regroupe près de huit millions d'adhérents, environ 40 % des salariés (bien plus qu'en France) qui versent chaque mois 1 à 2 % de leur salaire au syndicat, souvent par prélèvement automatique sur la paie ou sur le compte bancaire.

Ces sommes permettent d'entretenir une bureaucratie syndicale pléthorique : 3 000 permanents rien que pour les services confédéraux, 2 500 pour l'IG Metall, etc. Une fois les fonctionnaires syndicaux payés, il reste encore des fonds considérables pour les placements. La confédération des syndicats détient un holding financier qui recouvre une société d'assurances qui gère près de six millions de contrats, la quatrième banque de RFA, une chaîne de magasins coopératifs comportant 1600 supermarchés, vingt-sept grands magasins en libre service, la troisième caisse d'épargne logement du pays. Ils possédaient aussi une société immobilière, la Neue Heimat, célèbre aujourd'hui pour un scandale financier qui a éclaboussé les dirigeants syndicaux.

Outre tous ces placements, les syndicats ont aussi une caisse de grève. En ce qui concerne l'IG Metall, d'après des données patronales mais non démenties par les dirigeants syndicaux, ce syndicat n'aurait dépensé depuis 1951 en frais de grève qu'environ 3 % des recettes provenant des cotisations. Et s'il gère ces placements en grand capitaliste, sa caisse de grève, elle, est gérée avec une mentalité de boutiquier.

Mais en fait, la caisse de grève, et la force tactique qu'elle justifie, montrent surtout ce qu'est la grève pour la bureaucratie syndicale : pas du tout un épisode d'une lutte entre classes fondamentalement antagonistes, et dans laquelle il faut que la force de la classe ouvrière se déploie à fond et aussi largement que possible afin d'avoir toutes les chances de l'emporter, mais un simple combat auxiliaire dont on a fixé d'avance les limites pour un jeu réglé d'avance entre partenaires.

Mais du même coup, en vidant ce mouvement de l'essentiel de sa force potentielle, les dirigeants syndicaux lui ôtent aussi presque toutes ses chances de remporter une victoire importante, qui pourrait changer la situation et le rapport des forces.

En organisant ces grèves, la bureaucratie syndicale n'a aucunement cherché à renforcer le potentiel de lutte de la classe ouvrière. Elle a tenté de rappeler et justifier son existence dans cette période qui est marquée par la crise, mais elle n'a pu le faire qu'en organisant des luttes. Ce faisant, et malgré elle, elle laisse percevoir - indépendamment même des résultats de la grève - ce que pourrait être la puissance de la classe ouvrière allemande.

Numériquement importante et très concentrée, ayant des traditions d'organisation de longue date, la classe ouvrière allemande n'est pas vouée éternellement à rester cette eau dormante que des organisations rompues à la collaboration de classe - et corrompues grâce à trente années d'expansion capitaliste succédant à la saignée du nazisme et de la guerre - ne considèrent que comme l'objet de marchandage avec les patrons et l'État allemand pour l'accroissement des privilèges d'une bureaucratie ouvrière.

Si la crise s'accentue, il ne peut pas ne pas y avoir d'autres combats. Et il dépend maintenant de l'existence d'une minorité organisée, ayant des racines plongeant directement dans la classe ouvrière, que ces combats sortent demain du cadre que leur fixent ces syndicats domestiqués dont le conservatisme social ne peut que se heurter de plus en plus ouvertement aux intérêts des travailleurs.

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