Va-t-on vers une crise généralisée du système capitaliste ?01/11/19741974Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Va-t-on vers une crise généralisée du système capitaliste ?

L'économie capitaliste est-elle désormais engagée dans une crise comparable à celle de 1929 ? Même lorsqu'ils répondent encore négativement à la question, les optimistes les plus impénitents parmi les hommes politiques et économistes bourgeois discutent de la situation économique dans ces termes. Cette crise catastrophique de 1929 que tous les partisans de l'économie capitaliste avaient reléguée au rang d'un mauvais souvenir d'une époque révolue du capitalisme, sert de nouveau de référence. Personne aujourd'hui n'ose prétendre comme il y a encore si peu, et si péremptoirement, que le capitalisme est capable de maîtriser l'économie ; qu'il est capable de développer la production de façon harmonieuse. A l'apologie d'un système économique qui n'a pourtant réussi aucun autre miracle que celui de ne pas s'effondrer pendant un quart de siècle, succède aujourd'hui la recherche désordonnée de solutions face à des menaces qui montent de toutes parts. Le langage a également changé. Aux contes à l'eau de rose d'un avenir sans cesse meilleur succède aujourd'hui des visions apocalyptiques ou, du moins, des exhortations aux sacrifices.

Il y a sans doute une part de calcul politique dans le ton catastrophé qui est aujourd'hui celui des hommes qui gouvernent le monde. Il s'agit de faire accepter dès maintenant des sacrifices aux plus larges masses au nom du combat contre les périls futurs. Mais de toute évidence, ces évocations de catastrophes futures ne sont pas gratuites. Car, de toute évidence encore, les problèmes immédiats de l'économie capitaliste sont déjà suffisamment graves pour que, même s'ils ne doivent pas déboucher sur l'effondrement mondial à brève échéance, ils mettent fin à la période de relative prospérité de la plupart des pays capitalistes, et sans doute même, de tous.

Certes, il n'y a pas encore de crise de surproduction. Malgré trois ans de crises monétaires ouvertes, l'appareil de production continue à tourner et à engendrer du profit à un rythme qui, quelques secteurs limités mis à part, aurait de quoi satisfaire les capitalistes. Mais l'aggravation de deux sortes de phénomènes simultanés et interdépendants indiquent la fragilité et le caractère finalement tout à fait factice de la poursuite de l'activité économique au niveau où elle se poursuit. Les deux phénomènes sont graves en eux-mêmes ; ils le sont bien plus encore par leur conséquence prévisible sur la production.

Il s'agit, d'une part, du déficit de la balance commerciale - solde de ce qu'un pays dépense et de ce qu'il reçoit en contrepartie d'achat ou de vente à l'extérieur - de la quasi-totalité des grands pays capitalistes, déficit engendré pour la plupart d'entre eux par le renchérissement du prix du pétrole. Déficit qu'il faut bien financer d'une manière ou d'une autre et qu'il faut résorber. Mais c'est justement là un des problèmes importants de la bourgeoisie des pays européens, tous touchés, à l'exception de l'Allemagne. Nous y reviendrons.

Il s'agit, d'autre part, des craquements inquiétants dans le système bancaire. Cela a commencé par l'écroulement de la banque allemande Herstatt. Elle fut suivie par une des vingt premières banques américaines, la banque Franklin de New York. D'autres ont été sérieusement touchées par des pertes colossales sur... des spéculations monétaires. La première banque allemande, la Westdeutsche Landesbank, a perdu près de 100 millions de dollars; la quatrième banque anglaise, la Lloyd's Bank, quelque 75 millions ; l'Union des Banques Suisses, 50 millions... Il n'y a pas jusqu'à la troisième plus grande banque des États-Unis, et du monde, celle de l'empire Rockefeller, établissement financier privilégié des grandes compagnies pétrolières, la Chase Manhattan Bank, qui n'ait pas subi une grave secousse du fait des fluctuations monétaires.

Ces deux sortes de phénomènes découlent directement ou indirectement de l'inflation mondiale que personne n'est plus capable de maîtriser. Elles débouchent toutes les deux ou sur un ralentissement économique grave ou, pire, sur un effondrement brutal.

De la crise monétaire...

Le problème principal du monde capitaliste, celui dont découlent dans l'immédiat les autres, demeure en effet l'aggravation incessante de l'inflation mondiale et la crise persistante du système monétaire international qui en résulte. Pendant des années, les États capitalistes ont joué à l'apprenti sorcier en finançant la prospérité de leurs économies par la fabrication du papier-monnaie à partir du néant. Pendant des années, les économies assoiffées d'argent frais ont absorbé une masse de plus en plus grande de papier-monnaie mise à leur disposition par leurs États. Ce que chaque État faisait à l'intérieur de ses frontières - seule aire géographique où sa propre monnaie de singe était acceptée pour argent comptant par la force du cours forcé de la monnaie - les États-Unis le faisaient à l'échelle du monde. Les dollars - instrument de paiement international à l'égal de l'or dans le système monétaire bâti après la guerre - émis à profusion par l'État américain en fonction des besoins de son économie et, accessoirement, en fonction des besoins de l'économie mondiale, ont inondé tous les canaux de cette dernière.

Les États n'étaient cependant pas les seuls à grossir de la sorte la masse monétaire mondiale. Les banques, par l'intermédiaire des crédits bancaires, y ont contribué de leur côté. L'économie américaine, comme toutes les autres, a prospéré sur le plus formidable endettement que l'histoire ait jamais connu. En l'espace de huit ans, de 1965 à 1973, le total de l'endettement de l'économie américaine est passé de 1 235 milliards de dollars à 2 526 milliards de dollars, soit deux fois le produit national brut des États-Unis.

Cette formidable masse monétaire accumulée dans les pores de l'économie mondiale, sous forme de billets, de dépôts bancaires, valait de l'or - tant que tout le monde l'acceptait comme tel. Ou plus exactement, tant que tout le monde acceptait comme tel le principal papier-monnaie, garant de tous les autres, le dollar américain.

On connaît la suite. En dépensant à profusion à l'extérieur des dollars pour financer leurs investissements et leurs charges militaires de gardien principal de l'ordre impérialiste, les États-Unis ont aggravé et rendu permanent le déficit de leur balance des paiements. Ce déficit permanent a fini par susciter la méfiance de tous les détenteurs de dollars, qui se sont mis à s'en débarrasser au profit d'autres monnaies, qui avaient l'air momentanément plus intéressantes. Les sommes colossales qui, au temps de la confiance en le dollar et en l'économie américaine, lorsqu'elles n'étaient pas immédiatement utilisées dans l'économie, retournaient dans les banques américaines sous forme de dépôts divers en dollars, se mirent à se déplacer en quête de meilleur placement. Il suffisait que ces sommes spéculatives anticipent une dévaluation ou une réévaluation pour que, en se convertissant massivement en la monnaie concernée - ou au contraire en s'en détournant - elles contraignent à la réévaluation ou à la dévaluation. A l'ère d'une relative stabilité du système monétaire garantie par la confiance unanime dans le dollar, succéda cette série de réévaluations et de dévaluations - à commencer par le dollar lui-même - modifiant sans cesse les taux auxquels les monnaies des différents pays s'échangeaient les unes contre les autres. L'effondrement du système monétaire international en vigueur après la guerre a été officialisé en ce fameux 15 août 1971 où Nixon annonça l'inconvertibilité du dollar en or.

Depuis, le monde capitaliste, non seulement n'a pas trouvé de système monétaire international stable, permettant la conversion des monnaies les unes dans les autres suivant un taux stable, mais il a en quelque sorte entériné l'instabilité, en généralisant le flottement des monnaies. Autrement dit, le taux auquel une monnaie se change en une autre varie au jour le jour, en fonction de l'offre et de la demande. Système tout ce qu'il y a de préjudiciable pour le commerce international, mais quel autre choix ?

Comment agir sur le système monétaire sans agir sur l'inflation qui, elle, au lieu de diminuer, s'aggrave depuis le début de la crise ouverte des monnaies ?

Elle s'aggrave d'autant plus que les dollars correspondant à l'origine au déficit américain et dispersés dans le monde, ont engendré une nouvelle source de création monétaire, cette fois-ci absolument hors du contrôle de tous les États, les fameux « euro-dollars ». Les banques non américaines qui possèdent des dépôts en dollars reprêtent, comme c'est le cas pour tous les dépôts, un multiple de la somme déposée. Il y a donc là création d'une masse monétaire supplémentaire, mais dont aucun État n'assume la responsabilité ; ni l'État américain, parce que c'est sur le territoire d'autres États que ces prêts ont lieu, ni l'État du territoire en question, car ce n'est pas la monnaie nationale qui est prêtée. Ce qui fait que cette création monétaire n'est contrôlée par personne ; aucun encadrement du crédit, aucune mesure étatique ne s'applique à elle. En 1973, le montant global de ces euro-dollars atteint 165 milliards de dollars - soit la moitié environ de la masse de toutes les monnaies en circulation aux États-Unis ! - et, en 1974, il devra atteindre les 200 milliards !

... au déficit général des balances de paiement...

La dépréciation des monnaies, contrepartie d'apparence mineure pendant si longtemps de l'aide multiforme que les États assurent à leur bourgeoisie, est en passe de se transformer en fléau. La crise du système monétaire international et les incertitudes qu'elle engendre dans le domaine des échanges internationaux, sont déjà assez graves en elles-mêmes pour le bon fonctionnement de l'économie capitaliste, dans la mesure où elles freinent le développement du commerce mondial. Mais les conséquences de l'inflation et de la crise monétaire ne s'arrêtent pas là. Une des plus graves dans l'immédiat est le renchérissement du prix du pétrole.

Devant l'accélération de l'inflation mondiale, les grandes compagnies pétrolières, pour l'essentiel américaines, ont profité de leur position de monopole pour mettre brutalement fin à leur politique antérieure de dumping, de pétrole à bon marché par rapport aux autres sources d'énergie, pour procéder à des hausses de prix de l'ordre du quadruplement.

Nous reviendrons sur les conséquences d'une hausse de cette importance sur l'économie de tous les pays qui avaient bâti leur relative prospérité sur une énergie à bon marché. Mais le problème le plus immédiat auquel ce renchérissement du prix du pétrole confronte les pays consommateurs, est le déséquilibre de leur balance de paiement. A l'exception de l'Allemagne, tous les grands pays capitalistes sont touchés. Du fait du renchérissement du prix du pétrole, la France dépense par mois, en moyenne, 1,7 milliards de francs de plus pour payer ses importations qu'elle ne récupère pas par ses exportations. En tenant compte de la balance de l'ensemble des paiements, le solde des entrées et des sorties de devises s'établira à la fin de l'année sur un déficit de l'ordre de 35 milliards de francs (par comparaison : l'ensemble du budget de l'État est de 200 milliards environ). Le déficit est plus grave encore pour l'Italie ou pour l'Angleterre. En tous les cas, il est quasi-général.

Or, les États-Unis sont les seuls à pouvoir financer leur déficit par leur propre monnaie, puisque celle-ci est un instrument de paiement international. Et les autres, puisqu'ils sont bien obligés de se procurer les devises pour financer le déficit ? Eh bien, ils en empruntent. Ils en empruntent essentiellement sur ce fameux marché des euro-dollars que personne ne contrôle et dont tout le monde dénonce les effets néfastes. Ils empruntent pour partie directement en passant par les entreprises nationalisées, et surtout - c'est le cas de la France en particulier - en poussant les entreprises privées, gênées dans leurs possibilités d'emprunt par l'encadrement du crédit, à emprunter sur ce marché des euro-dollars qui n'est pas concerné par cet encadrement.

En même temps donc que l'État français prétend combattre l'inflation par des mesures d'encadrement du crédit, il alimente l'inflation mondiale en finançant son déficit par appel à la forme la moins contrôlée et la moins contrôlable du crédit.

Cet appel au crédit ne résout de toute façon pas le problème des pays consommateurs à plus longue échéance. Certes, tous les pays concernés se battent comme des chiffonniers pour essayer de capter dans leur propre système bancaire les revenus en devises des États producteurs de pétrole. C'est, en effet, une solution idéale : pouvoir payer les États producteurs avec leur propre argent ! L'ennui, pour la plupart des pays capitalistes, c'est que ces sommes convoitées vont pour l'essentiel vers les États-Unis. Alors, il faudra bien que les autres pays tentent de résorber leur déficit commercial d'une autre manière. Seulement, il n'y en a que deux : réduire les importations et augmenter les exportations. Les deux sont d'ailleurs parfaitement contradictoires, sinon au niveau de chaque État pris isolément, du moins au niveau de l'ensemble des États ; ce qui est exportation pour l'un, est forcément importation pour l'autre. Et cette contradiction conduit, d'une part, à l'exacerbation de la concurrence pour conquérir des marchés à l'exportation ; d'autre part, à des mesures de restriction, de rationnement pour limiter les importations.

A la merci d'une panique

L'inflation atteint un tel degré que, désormais, elle s'alimente d'elle-même et alimente sa propre accélération par l'intermédiaire d'une multitude de mécanismes. La nécessité de combler le déficit engendré par le renchérissement du prix du pétrole, conséquence de l'inflation, est un de ces mécanismes. Mais il en est bien d'autres, dont certains aux implications particulièrement graves.

Ce qui est à la base d'un de ces mécanismes, c'est que, au milieu de cette surabondance de monnaie, l'argent manque ! C'est aberrant, c'est dément, mais c'est tout à fait dans la logique d'un système économique qui n'en a aucune.

En temps normal, les entreprises capitalistes financent pour une part leurs investissements en transformant en capital l'épargne des petites gens, ou encore en collectant, en concentrant les capitaux de capitalistes de moindre envergure. Cela se fait pour partie par l'intermédiaire du système bancaire qui reprête aux capitalistes les épargnes recueillies ; cela se fait encore par l'intermédiaire des émissions d'obligations et d'actions en Bourse « (Soit dit en passant, en période d'inflation, cette mise à la disposition des capitalistes de l'épargne des petites gens constitue un gigantesque transfert, ou si l'on préfère, un vol gigantesque en faveur des premiers. L'épargnant perd non seulement ses intérêts, dont le taux est nettement inférieur à la hausse des prix, mais la somme déposée elle-même).

Or, en période d'inflation, d'une part les possibilités d'épargne des plus modestes sont fortement limitées, voire annihilées du fait des hausses des prix, et en tous les cas, la dépréciation de la monnaie incite à ce que l'on cherche à se débarrasser de son argent plus qu'à l'épargner. Mais surtout, bien moins nombreux sont ceux qui ont envie de déposer à long terme leur argent au taux fixé aujourd'hui, alors que le taux de l'inflation risque de dépasser le taux d'intérêt, si fort soit-il.

Ce désintérêt des épargnants ne se manifeste pas seulement par le fait que les dépôts sur livret d'épargne finissent par marquer le pas - c'est encore d'ailleurs ceux qui épargnent de cette manière qui ont le moins la possibilité de faire autrement - mais aussi et sui-tout par la chute des achats d'obligations et d'actions.

Les bourses du monde entier ont enregistré depuis le début de l'année des baisses sans précédent au cours du quart de siècle passé. La Bourse de Paris a baissé de 30 % sur l'ensemble des actions qu'elle traite ; certaines de ces actions se vendent à un prix nominal inférieur à celui où elles se vendaient il y a vingt ans, avec la perte de valeur que cela implique du fait de l'érosion monétaire. La baisse de la Bourse de Londres avoisine les 40 % Et enfin, Wall Street a reculé de 31,3 % depuis le début de l'année ; recul pratiquement jamais atteint depuis la grande crise !

Malgré le flot de monnaie qui déborde de toutes parts, personne ne veut prêter à ceux qui veulent emprunter à long terme. Par contre, tous les possesseurs d'argent cherchent à le placer à court terme et à fort intérêt.

Par la force des choses, les banques s'adonnent à un jeu, indispensable pour le fonctionnement de l'économie capitaliste, mais dangereux : collecter ces dépôts à court terme pour les mettre à la disposition des entreprises capitalistes à long terme. C'est ce qu'elles font. Et, du fait des encadrements de crédit, et autres mesures étatiques visant à mettre un semblant d'ordre dans la maison, elles le font de plus en plus sur le marché non contrôlé des euro-dollars.

Autrement dit, une partie des sommes qui n'ont pas été dépensées en achat d'actions aux États-Unis, est drainée vers les banques européennes sous forme de dépôts à court terme à un taux élevé, et reprêtée à des entreprises françaises, anglaises, italiennes, etc ... (voire aux États eux-mêmes) à long terme.

C'est un jeu dangereux, car il ne peut fonctionner qu'à condition que les déposants aient confiance dans leurs banques. Il est sans doute tentant de prêter son argent dans les conditions ci-dessus contre un taux d'intérêt élevé, plutôt que d'acheter des bons du trésor, des livrets d'épargne ou des obligations, plus sûrs, mais qui rapportent moins que ce que l'inflation prélève, mais à la condition d'avoir une chance raisonnable de récupérer son argent ! Et c'est bien parce que ce système fragile ne marche que dans la mesure ou la confiance en le système bancaire n'est pas ébranlée, que ceux qui nous gouvernent ont les yeux fixés avec une sainte terreur sur le système bancaire.

Les craquements du système bancaire

Or, le système bancaire laisse entendre des craquements sinistres. La cause en est, là encore, liée à l'inflation.

C'est que toutes les banques qui se respectent spéculent sur les variations des taux de change. Ce n'est certes pas nouveau et il n'y a que le mot qui est réprouvé par les bons usages capitalistes, pas la chose - n'est-ce d'ailleurs pas une des fonctions d'une banque de changer une monnaie en une autre ? Seulement, au temps des taux de changes fixes entre les monnaies, de telles spéculations n'étaient pas trop dangereuses. lorsqu'une banque transformait tous ses francs en marks par exemple, en spéculant sur une réévaluation de la monnaie allemande, même si cette réévaluation n'avait pas lieu, elle pouvait revenir au point de départ en revendant ses marks contre des francs, ne serait-ce qu'à la banque centrale allemande, moyennant une perte modeste. Sans parler que si quelques grandes banques spéculaient sur la réévaluation du mark, elles exerçaient une pression suffisante pour que celle-ci ait lieu et rapporte les bénéfices escomptés aux spéculateurs.

Avec le système des changes flottants, il en va autrement. Les taux de change fluctuent de façon permanente en fonction de l'offre et de la demande, et de manière imprévisible. Spéculer devient un véritable jeu de hasard, pouvant rapporter gros, mais pouvant aussi conduire à des pertes importantes.

Ce sont précisément des pertes, de cette nature qui ont été à l'origine des faillit es bancaires mentionnées plus haut.

Or, il est vital d'empêcher ces faillites, lorsque cela est possible, et en tous les cas, en prévenir les répercussions sur d'autres banques - elles sont toutes liées entre elles - en minimiser l'importance, sous peine de déclencher une panique qui peut être catastrophique dans l'état actuel de l'économie. Il faut voir avec quelle célérité les autorités monétaires américaines sont intervenues en dépensant un milliard de dollars pour tenter de colmater la brèche ouverte par les difficultés de la seule banque Franklin de New York ! Comment empêcher la catastrophe d'une panique, tel était d'ailleurs pratiquement l'unique objet de la rencontre entre ministres des finances de six pays riches au Château de Champs en début de septembre. La seule chose qui en est sortie, c'est que les banques centrales ont décidé d'intervenir pour « prêter assistance aux établissements financiers en difficulté ». Ce qui veut dire en clair que ces banques centrales sont prêtes à dédommager les banques particulières pour pertes subies du fait de la spéculation, ou encore, que les banques centrales acceptent de couvrir les risques encourus par les banques particulières sur le marché des euro-dollars qui reste cependant aussi incontrôlé qu'avant. Et comme il faut bien sortir de quelque part l'argent nécessaire pour colmater les brèches, les planches à billets accéléreront encore leur cadence, alimentant encore l'inflation mondiale.

Jusqu'où ? Jusqu'à quand ? Le système est engagé dans une course de plus en plus démente. La production marche encore, mais sa marche est entièrement à la merci de systèmes de financements, de crédits, qu'un vent de panique pourra faire s'effondrer.

Il n'y a pas d'autre choix devant l'économie qu'entre s'engager dans une politique de déflation qui a toutes les chances de se traduire par un effondrement brutal et immédiat de la production, ou laisser se poursuivre cette course folle à l'inflation accélérée, à la spéculation généralisée, avec l'illusion que tout va bien tant que les affaires marchent, peu importe la raison pour laquelle elles marchent.

Cette course folle ne peut d'ailleurs durer encore une fois que tant que les États-Unis, leur système bancaire, leur économie, sont encore là comme garantie finale de l'ensemble enchevêtré de crédits autour duquel tout continue à tourner. Dès maintenant, aux premiers craquements du système bancaire et aux premiers signes de défiance qui se sont manifestés, ce sont les banques européennes qui en ont ressenti les effets. Pour pouvoir participer au pactole des euro-dollars, en inspirant le maximum de confiance et en prenant le minimum de risques, même les plus grandes banques européennes cherchent des garanties auprès des banques américaines. Par là même, les États-Unis renforcent leur emprise sur l'économie des pays qui cherchent protection à leur ombre.

La fin des mythes de la puissance européenne

Il n'y a pas que sur le plan financier que les événements de la dernière période ont renforcé la position de l'impérialisme américain face à ses concurrents. Il en est de même sur un plan bien plus général. Le renchérissement du prix du pétrole, le risque de difficulté d'approvisionnement frappent de plein fouet les économies européennes. Ayant développé leurs économies sur la base d'une énergie à bon marché, favorisées sur le marché mondial par la dépréciation du dollar, les bourgeoisies européennes pouvaient avoir l'illusion d'avoir comblé au moins une partie de l'énorme écart qui les séparait de la bourgeoisie américaine. Dans une période de prospérité, l'impérialisme américain pouvait se permettre l'impertinente concurrence de ses confrères européens ou japonais. Plus maintenant. Les mesures monétaires des États-Unis, la dévaluation du dollar en particulier, constituaient le premier pas de l'impérialisme américain vers une remise des choses dans l'ordre tel qu'il le souhaite face à la montée de la crise. La hausse brutale du prix du pétrole, effectuée par des compagnies américaines, avec l'accord des États-Unis, était le second.

Les États-Unis sont les seuls que la hausse du prix du pétrole ne gêne pas, mais au contraire arrange. Pas seulement parce que la part importée de leurs besoins en pétrole représente relativement peu de choses, et parce que, de toute façon, ils sont les seuls à pouvoir payer leurs importations avec leur propre monnaie. Mais aussi parce qu'ils possèdent d'énormes réserves de pétrole, largement suffisantes pour leur consommation, sans parler des produits de substitution en quantités encore plus élevées. L'un comme l'autre ont cependant des prix de revient qui étaient de très loin supérieurs au pétrole du Moyen-Orient. L'augmentation du prix de ce dernier revalorise et rentabilise leur propre production.

Par la simple modification du prix du pétrole, les États-Unis redressent en leur faveur une situation qu'ils avaient laissée se détériorer antérieurement. Et ce n'est certainement pas fini. Au fur et à mesure que la situation économique se détériore, l'économie américaine tentera de surnager au détriment des économies européennes, comme les capitalistes les plus puissants chercheront à sauver ce qui peut l'être aux dépens des plus petits

Les pays européens n'ont pas le choix de refuser l'affaiblissement de leur situation par rapport aux États-Unis. Et paradoxalement, ils ont finalement intérêt à ce que les États-Unis s'en sortent, fut-ce à leur propre détriment. Car l'effondrement de l'économie américaine signifie la crise économique générale, qui frappera la bourgeoisie européenne plus encore que la bourgeoisie américaine.

Partager