USA : l'extrême gauche et la montée du racisme01/06/19761976Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

USA : l'extrême gauche et la montée du racisme

 

Cet article nous a été adressé par les camarades du groupe The Spark des États-Unis.

Les derniers mois ont vu s'accroître la violence raciste aux États-Unis. Dans certaines villes, le caractère de cette violence a changé : elle est devenue beaucoup plus organisée, remplaçant les agressions sporadiques et plus ou moins individuelles contre les Noirs.

Ce changement intervient à un moment où la classe ouvrière est davantage amenée à entrer en lutte, où le nombre des grèves augmente, et également où il est plus difficile aux grévistes d'obtenir satisfaction.

On peut déceler très clairement ce changement, sur le plan du problème racial, dans les événements de la dernière année scolaire à Louisville et à Boston. A Louisville, le Ku Klux Klan, ainsi que d'autres organisations racistes, ont pu manifester ouvertement dans les rues de la ville et attaquer des enfants noirs. Ils ont tenté de contraindre, par la terreur, la population blanche à exprimer elle aussi des sentiments racistes. D'ailleurs, les attaques des groupes racistes à Louisville étaient aussi dirigées contre la gauche (voir note).

Mais c'est à Boston que la situation s'est le plus dégradée, résultat, au moins à court terme, du « bussing », problème lié au problème scolaire.

La situation scolaire s'est détériorée dans toutes les grandes écoles urbaines dans les années récentes : le nombre des professeurs, ainsi que le montant des crédits, des livres et de l'équipement, ont tous régressé. C'est dans les écoles des quartiers ouvriers que la situation est la pire, et plus particulièrement dans les quartiers habités par les travailleurs noirs et par le sous-prolétariat.

Depuis quelques années, la population noire s'est organisée et lutte pour obtenir de meilleures écoles pour ses enfants. Le gouvernement a répondu à leurs revendications par le « bussing » : il propose d'organiser le transport par autobus de quelques enfants noirs jusqu'aux écoles publiques jusque-là fréquentées uniquement par des Blancs (écoles qui bénéficient en général de meilleures conditions) - et, à l'inverse, de transporter des enfants blancs dans des écoles fréquentées uniquement par des Noirs. En réalité, le problème scolaire n'est pas réellement abordé, cependant qu'enfants noirs et blancs sont dressés les uns contre les autres dans une compétition pour les quelques conditions convenables qui existent.

Depuis un an et demi, il y a eu plusieurs agressions contre des noirs, et en particulier des enfants noirs, en réaction au « bussing ». au cours de la dernière année, le rythme de ces agressions s'est accru : des centaines ont eu lieu. et les agresseurs s'enhardissent. on a pu en voir récemment, dans le métro, dans les autobus municipaux, en face même de l'hôtel de ville, ou dans un parc en plein milieu de la ville - et toutes ont lieu pendant la journée. actuellement, les noirs ne sont nulle part en sécurité dans les rues de boston, et à aucun moment de la journée. et le groupe raciste qui a organisé l'essentiel de l'opposition au « bussing » (le groupe « restaurez nos droits aliénés » - roar) tient des meetings hebdomadaires dans la mairie.

En fin de compte, c'est au développement d'une nouvelle sorte de violence raciste que nous assistons dans le Nord : les milices organisées. Ces associations, telles que les « South Boston et Charlestown Marshalls », dominent dans la rue. Ce sont des organisations racistes paramilitaires qui dirigent des attaques de masse contre les Noirs, jusque dans leurs quartiers.

Ils ont aidé à l'organisation d'agressions de la part des travailleurs blancs du bâtiment contre les ouvriers noirs de la même corporation. et ils ont organisé une opération en vue de « maintenir les communistes hors de boston sud ». il n'existe pas actuellement d'organisation fasciste à l'échelle des états-unis, mais ces associations se développent dans cette direction.

C'est à Boston que la situation est la pire. C'est en partie dû au « bussing » ; mais aussi, ce qui est plus significatif, au fait qu'à Boston, les Noirs sont une petite minorité et cela enhardit les racistes.

Boston est un baromètre pour l'avenir des États-Unis. Ce qui s'y produit actuellement peut s'étendre à beaucoup d'autres villes demain. Il est certain qu'il y a eu dans tout le pays une augmentation du nombre des attaques racistes éparses. Étant donné que la violence raciste fait partie intégrante de la vie quotidienne aux USA, cet accroissement n'est pas aussi évident qu'à Boston, mais il est pourtant général.

Ce niveau actuel de violence raciste est lié à deux facteurs.

Depuis deux ans, le châmage est important aux États-Unis. Officiellement, il se maintient aux alentours de 8 % ; en réalité, il faut compter près du double de ce chiffre. Parmi les travailleurs noirs, ce chiffre est nettement supérieur, en particulier parmi les jeunes. Aussi la course à l'emploi s'est-elle intensifiée et il s'agit souvent d'une compétition entre travailleurs noirs et blancs pour les mêmes emplois.

Cela est particulièrement vrai dans l'industrie du bâtiment, où le chômage est très répandu, et où les travailleurs blancs, syndiqués, très qualifiés, ont dressé traditionnellement une barrière raciale entre eux et les ouvriers noirs. De récents changements technologiques dans cette industrie, font que le même degré de qualification n'est plus exigé, de sorte que nombre d'ouvriers blancs syndiqués, très qualifiés et mieux payés, ont été licenciés. Une partie d'entre eux a été remplacée par des travailleurs noirs, non syndiqués. Or, dans des villes comme Boston, New York et Chicago, les travailleurs du bâtiment représentent une partie notable de la classe ouvrière.

La recherche des emplois a entraîné une vague nouvelle d'hostilité raciale dans les grandes villes industrielles, comme après la première guerre mondiale, ou à la fin de la grande crise des années 30, ou à celle de la deuxième guerre mondiale.

Dans le même temps, les conditions de vie se sont dégradées dans les villes elles-mêmes. Les services publics, comme la voirie, les transports, les pompiers, les services de santé ou de protection infantile, et les écoles, ont subi une sévère régression. Comme la situation économique s'est détériorée, l'argent des impôts se trouve de plus en plus détourné des services publics au profit des dépenses militaires et des subventions aux grandes compagnies. Dans une certaine mesure, les gens contraints de rester dans les villes en déclin en sont venus à se disputer les uns les autres la jouissance des divers services publics.

Ce sont la situation objective et la poltique actuelle cela bourgeoisie qui engendrent une nouvelle poussée du racisme aux USA. Mais la gauche américaine a contribué dans une certaine mesure à cette situation par la politique qu'elle a menée au cours de ces vingt-cinq dernières années.

Pour une génération entière, les deux principales composantes de la gauche, à savoir le Parti Communiste et le Socialist Workers Party (SWP), ont été absentes du mouvement ouvrier. Au cours de toutes ces années, de nombreux petits groupes ont fait la critique de leur politique, et en ont scissionné. Mais les nouveaux groupes ainsi formés ont continué à tourner le dos à la classe ouvrière. Ce qui signifie que, pour toute une génération, la gauche ne s'est pas trouvée, tout simplement physiquement, en position de pouvoir s'occuper des problèmes du racisme au sein de la classe ouvrière. Il n'y a pas eu de groupe révolutionnaire qui se soit adressé à la classe ouvrière, qui lui ait donné l'espoir d'une autre solution aux problèmes auxquels elle est confrontée.

Etant donné cette carence des vingt-cinq dernières années, il n'est pas surprenant que les travailleurs blancs puissent être amenés à des positions racistes alors même qu'ils ont à affronter les problèmes nés de la crise.

La classe ouvrière, en tant que classe, n'a pas avancé ses propres solutions à la crise. Aussi les travailleurs blancs recommencent-ils à tenter de se protéger aux dépens des travailleurs noirs. Impuissants à voir les véritables solutions, beaucoup d'entre eux cherchent des boucs émissaires. Comme ils recommencent à considérer leurs frères et soers noirs comme les responsables de leurs difficultés, certains d'entre eux en viennent à des attaques violentes contre la population noire.

Cela ne constitue pas une situation nouvelle aux États-Unis. Périodiquement, les Noirs ont été attaqués et ont été victimes de vagues de lynchage, de violences, etc.... Mais cette fois, il est clair que les jeunes Noirs ne sont pas disposés à accepter ce rôle de victime. A Boston et d'autres villes, cette année a vu des réactions à la violence raciste. Il y a eu des contre-attaques de la part de groupes de jeunes Noirs. Ces réactions ne sont pas organisées, elles ne sont pas le fait d'une organisation en voie de se construire. Elles ne sont que la riposte désespérée d'un peuple qui refuse d'accepter plus longtemps d'être une victime consentante. Mais malgré leur combativité, il n'y a aucune organisation révolutionnaire susceptible d'attirer ce potentiel de militants.

Là encore, la gauche porte une responsabilité certaine dans le fait qu'il n'y a aucune organisation révolutionnaire dans la classe ouvrière qui soit à même d'offrir une issue à la masse des jeunes noirs, aujourd'hui enragés, et prêts à la lutte.

Si toutes les organisations de la gauche avaient orienté leur activité en direction de la classe ouvrière au cours des vingt-cinq dernières années, en y défendant systématiquement les idées socialistes, en y combattant le racisme jour après jour, en ouvrant d'autres perspectives, la situation ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui.

Le pire de tout est qu'aujourd'hui encore, la gauche tout entière refuse de reconnaître sa responsabilité en ce domaine. Chaque groupe, aussi bien dans le mouvement trotskyste qu'au sein des courants maoïstes et staliniens, affirme qu'il n'était pas possible de mener une activité politique dans la classe ouvrière pendant les longues années de réaction. Ils déclarent qu'il était plus utile, pour les révolutionnaires, d'être présents dans le mouvement étudiant, pendant la contestation des années 60. C'est la situation objective qu'ils rendent entièrement responsable du fait que, pendant vingt-cinq ans, ils n'ont fait aucune tentative pour combattre la montée du racisme dans les rangs de la classe ouvrière.

Même aujourd'hui, ils ne remettent pas leur propre politique en cause. Ils rejettent même toute responsabilité dans l'apparition de ces circonstances objectives défavorables. Ils sont donc condamnés à rééditer les mêmes erreurs.

Ce fut clair à Boston le 24 avril. Le SWP, au travers d'une organisation qui lui est liée, la Coalition Nationale Étudiante contre le Racisme (NSCAR), militait depuis des mois pour l'organisation d'une manifestation à Boston. Cette manifestation était présentée comme un soutien au « bussing », et pour cette raison elle obtint d'abord le soutien de plusieurs alliés libéraux, comme l'Association Nationale pour l'Avancement des Gens de Couleur (NAACP).

Rassembler des gens dans tout le pays pour une marche dans boston nécessitait beaucoup de publicité, d'autant plus que le swp n'a pas une base importante dans cette ville même. et il comptait sur ses alliés libéraux pour faire venir de nombreux participants.

Mais au fil des mois, la violence raciste s'accrut à Boston. Dans un premier temps, les organisateurs de la marche proclamèrent qu'ils ne se laisseraient pas intimider, et qu'ils la transformeraient en une manifestation de défense de la population noire. Mais alors les alliés libéraux se retirèrent. Comme le SWP dépendait d'eux, et qu'il avait espéré organiser une démonstration massive sur la base d'un coup de bluff, on vit ce bluff s'effondrer. Le SWP décommanda la manifestation, en invoquant comme raison que la police ne protégerait pas la manifestation contre la violence !

Ce petit drame n'a fait qu'encourager encore plus la violence raciste dans les rues de Boston. Car les racistes sont lâches. Ils n'attaquent qu'en groupes. S'ils pensent rencontrer de la résistance, ils reculent. Inversement, lorsqu'ils voient leurs adversaires se dérober, ils en tirent plus de hardiesse.

La gauche aurait pu organiser par elle-même sa manifestation à Boston. Le SWP aurait pu en être l'organisateur, s'il s'était adressé dès le début au reste de la gauche et à la classe ouvrière de Boston - au lieu de choisir les libéraux.

Cela n'aurait été qu'une petite manifestation - quelques milliers de personnes seulement. Mais, du moins, elle aurait apporté la preuve qu'il existe des gens prêts à s'opposer à la violence raciste. Elle aurait pu constituer un encouragement à la population noire de Boston et aux Blancs qui n'approuvent pas la violence raciste. Elle aurait pu encourager les personnes comme ces deux conducteurs d'autobus blancs de Boston qui sont venus au secours de leur camarade noir attaqué par une foule raciste. Et elle aurait pu constituer un avertissement pour les racistes.

Mais dans une situation concrète, la gauche s'est ainsi montrée incapable de donner cet avertissement. Le SWP ne porte pas seul la responsabilité de cet échec. Presque toute la gauche était impliquée dans cette affaire. Avant que le SWP n'annule cette manifestation, plusieurs des groupes maoïstes avaient refusé d'y participer parce qu'elle était organisée par les trotskystes. De toute évidence, pour eux, la défense de la population noire en butte à la violence raciste est moins importante que leurs prétentions sectaires. Le Parti Communiste, quant à lui, ignora la manifestation, comme si elle - et le problème lui-même - n'existait pas.

Les groupes qui participaient à la marche, pour leur part, ne firent pas mieux. Ceux des maoïstes qui la soutenaient (ceux qui se retrouvent dans le journal le « National Guardian » ) se sont trouvés d'accord avec le SWP pour annuler la manifestation. Et la Spartacist League trotskyste avait retiré sa propre participation avant même que la marche ne fût annulée.

Tous, du Parti Communiste aux gauchistes, en sont finalement venus, dans les faits, à la même politique. Pourquoi ? Parce que tous fondent leur politique sur le bluff.

Maintenant qu'ils consacrent en fin de compte une partie de leur attention à la classe ouvrière, ils affirment organiser de nombreux travailleurs, ils grossissent leurs effectifs et leur implantation. Ils prétendent qu'ils dirigent des grèves. Certains d'entre eux, comme la Spartacist League et la Revolutionary Socialist League (RSL), affirment avoir mis sur pieds une milice d'auto-défense. Toutes ces affirmations ne sont que du bluff, et qui n'est pas différent du bluff du SWP prétendant organiser une manifestation contre la violence. La carence du SWP a été plus spectaculaire parce que la manifestation a été annulée, mais fondamentalement, leur politique est la même.

C'est la même politique que menaient ces organisations quand elles se consacraient uniquement au milieu étudiant. Maintenant qu'elles ont transféré une partie de leur activité dans le milieu ouvrier, elles mènent pratiquement la même tactique de bluff et de prétention qui est courante dans le mouvement étudiant. Dans ce mouvement, ces opérations de bluff peuvent souvent marcher car peu d'actions y ont des conséquences au niveau de la lutte des classes. Mais transposées dans la classe ouvrière, ces pratiques n'ont pas le même succès.

Le fait que ces organisations continuent à mener la même politique qu'auparavant est bien la preuve qu'elles ne comprennent toujours lias les erreurs de leur propre passé.

Il serait pourtant vital qu'elles sachent les voir et les corriger. Pour elles-mêmes comme pour la classe ouvrière américaine qui, avec la crise actuelle, risque bien d'avoir à affronter des problèmes extrêmement graves dans la période qui s'ouvre. La montée actuelle du racisme, qui approfondit encore le fossé entre les travailleurs noirs et blancs des USA, en est le plus aigu.

Sans doute leur faiblesse actuelle ne permet pas aux organisations d'extrême-gauche - et spécialement l'extrême-gauche trotskyste - d'y apporter une solution immédiate. C'est pourtant d'elles - et de leur capacité à entamer une politique correcte en direction de la classe ouvrière américaine - qu'il dépend que cette solution existe dans un avenir plus ou moins proche.

NOTE : Par le terme de « gauche », il faut entendre là le Parti Communiste Américain et les groupes, essentiellement maoïstes ou trotskystes, qui se situent à la gauche de celui-ci. Cette gauche, en particulier si on la compare avec la gauche de la plupart des pays européens, comme la France par exemple, est très minoritaire et très faible. Elle a tout de même une existence réelle, attestée par exemple par la présentation de candidats du Parti Communiste et du SWP - le principal groupe trotskyste - aux prochaines élections présidentielles.

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