Reconstruire la Quatrième internationale01/07/19751975Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Reconstruire la Quatrième internationale

 

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un puissant mouvement de révolte des masses opprimées a réussi à secouer le joug de l'oppression coloniale dans la quasi-totalité des pays dominés par l'impérialisme.

Durant la même période, dans les pays capitalistes avancés, la classe ouvrière, elle non plus, n'est pas restée passive.

Et pourtant dans aucun des pays ne s'est constituée une direction révolutionnaire, prolétarienne, implantée, pouvant jouer un rôle décisif dans le déroulement des luttes sociales. A plus forte raison - les deux étant liés - il n'existe pas de direction internationale, d'Internationale digne de porter ce titre.

Aujourd'hui, alors, d'une part, qu'une nouvelle fois le monde capitaliste est au bord d'une crise grave, alors, d'autre part, que des contradictions se font jour, de plus en plus profondes, au sein du bloc dominé par la bureaucratie stalinienne, et en URSS même, l'absence d'une telle Internationale. se fait d'autant plus cruellement sentir.

Les partis staliniens ont depuis bien longtemps sombré dans l'alignement servile sur les intérêts de la diplomatie de la bureaucratie stalinienne et dans la collaboration de classe - cette orientation ayant été sanctionnée par la dissolution de l'Internationale Communiste par Staline en 1943.

Dans l'extrême gauche, ou se prétendant telle, le mouvement maoïste qui s'est constitué essentiellement autour de conceptions tiers-mondistes, apparaît comme une somme de mouvements nationalistes, mais certainement pas comme un courant internationaliste véritable. Il en a été de même du mouvement castriste qui l'avait précédé,

Seul le mouvement trotskyste a su maintenir, en dépit de multiples vicissitudes, une tradition internationaliste. Certes, trente-sept ans après la fondation de la IVe Internationale, la faiblesse des organisations trotskystes, leur éparpillement, leur division peuvent apparaître comme un bilan de faillite.

Ce bilan, il ne s'agit pas, pour nous qui nous considérons comme partie du mouvement trotskyste, ni de l'éluder, ni de refuser de l'assumer. Nous ne sommes pas de ceux - et ils sont nombreux dans l'extrême gauche, y compris parmi ceux qui se réclament du trotskysme - qui ont pris l'habitude d'ignorer leur propre histoire lorsqu'elle est devenue gênante pour eux, ou même pire, qui repeignent leurs échecs aux couleurs du succès. La vérité seule est révolutionnaire, ont toujours affirmé les marxistes, non pas au nom d'un vague principe moral, mais parce que seule la vérité permet de comprendre la réalité, donc d'agir sur cette réalité. Les comportements qui s'écartent de ce principe, s'écartent, par là-même de la voie révolutionnaire.

Mais ce bilan, on ne peut le dresser que du point de vue militant, d'un point de vue révolutionnaire. Ceux qui, parce que les trotskystes n'ont pas réussi à construire une direction prolétarienne digne de ce nom, en rejettent et le programme et les idées, parce qu'ils n'ont comme critères que des critères de réussite numérique, sont les mêmes qui finissent par s'incliner devant le fait accompli. Ce fatalisme ne mène généralement pas loin. Dans le meilleur des cas il conduit tout droit au réformisme et au stalinisme. Quelquefois il aboutit tout simplement à la rupture totale avec la classe ouvrière et ses combats, à qui l'on impute ses propres insuffisances et ses propres défaillances.

Les faiblesses du mouvement trotskyste sont indéniables. Elles se manifestent, entre autre, dans la multiplicité des organisations qui se proclament « IVe Internationale » à l'exclusion des autres qui sont toutes, aux yeux de chacune de ces tendances, un ramassis d'usurpateurs quand elles ne sont pas considérées, tout simplement, comme des groupes contre-révolutionnaires. L'histoire de ces « IVe Internationale » se résume, pour l'essentiel, à des polémiques féroces, les unes contre les autres, polémiques qui n'ont rien à voir avec la discussion indispensable entre tendances révolutionnaires.

Mais cette situation n'est pas née de rien. Elle n'est pas le résultat de la fantaisie de quelques esprits qui se sont délibérément installés hors de toute réalité sociale, pour poursuivre des discours intelligibles aux seuls initiés. Elle résulte certes de l'isolement du mouvement trotskyste. Mais cet isolement est lui-même le produit d'une situation objective, qu'il est nécessaire de rappeler.

Le mouvement trotskyste est né dans les années 1930, en réaction à la dégénérescence stalinienne, à une époque de défaite internationale du prolétariat, de montée grandissante du fascisme, à l'époque de l'extermination des bolcheviks-léninistes en Union Soviétique. Elle est née à contre-courant, dans une situation objective qui lui était incontestablement défavorable.

Trotsky connaissait mieux que personne cette situation. Mieux que personne il connaissait les défauts et les faiblesses des jeunes cadres de la IVe Internationale. Il savait qu'en période de recul ouvrier, ce sont les intellectuels qui gardent confiance dans les idées révolutionnaires quand toute perspective révolutionnaire semble tout à coup disparaître. Car alors seule la force des idées, seule la valeur du raisonnement théorique permet de se retrouver dans le naufrage général.

« Une tendance révolutionnaire nouvelle, qui va contre le courant général de l'histoire à un moment donné, se cristallise d'abord autour d'hommes qui sont plus ou moins coupés de la vie nationale, dans quelque pays que ce soit : et, c'est précisément pour eux qu'il est le plus difficile de pénétrer dans les masses. Bien entendu, nous devons critiquer la composition sociale de notre organisation et la modifier, mais nous devons comprendre aussi qu'elle n'est pas tombée du ciel, qu'elle est déterminée au contraire aussi bien par la situation objective que par le caractère de notre mission historique en cette période ». (Trotsky, interview à J.P.R. James, avril 1938).

Et l'un des éléments, et non des moindres, de cette situation objective, était constitué par la terreur que le mouvement stalinien faisait régner contre tous ceux qui, relevant le drapeau révolutionnaire, osaient mettre en cause l'orientation politique dictée par Staline et la bureaucratie qui avait usurpé le pouvoir révolutionnaire en URSS Les staliniens sont particulièrement mal venus aujourd'hui de se gausser de la faiblesse du trotskysme, eux qui recouraient aux pires moyens, à la calomnie déversée à haute dose, mais aussi à l'assassinat, contre le mouvement révolutionnaire dans son ensemble, mais plus particulièrement contre le mouvement trotskyste.

Mais rappeler les conditions extraordinairement difficiles dans lesquelles naquit et se développa l'Opposition de Gauche, puis la IVe Internationale, ne suffit pas à expliquer son isolement persistant. Le poids des conditions historiques est considérable, mais les révolutionnaires ne peuvent s'en servir comme alibi. Le fatalisme est à l'opposé de la pensée militante.

Isolée à sa fondation à cause des conditions objectives, la IVe Internationale n'existait, selon le mot de Trotsky lui-même, que comme « avant-garde de l'avant-garde ». En 1938, l'Internationale était proclamée, mais ses sections n'avaient, dans la plupart des cas, qu'une existence embryonnaire. Sa force était dans l'avenir, elle donnait aux futurs cadres du mouvement ouvrier un programme et un espoir, elle assurait, en la personne de Léon Trotsky, le lien vivant avec le passé révolutionnaire et la tradition bolchevique. L'Internationale décapitée par l'assassinat de Trotsky pouvait et devait survivre, mais il fallait donner chair et vie au programme. Il fallait que les sections se consacrent en priorité, et c'était ce préalable qui conditionnait tout le reste, à la construction d'organisations en contact réel et suffisamment important avec la classe ouvrière.

En fait, les organisations trotskystes officielles allaient se révéler incapables de se lier aux masses. Non parce qu'elles se réclamaient du trotskysme, mais parce que leur pratique organisationnelle, leur conception même du travail nécessaire, était étrangère aux traditions révolutionnaires du bolchevisme, leur composition petite-bourgeoise, circonstancielle et même inévitable à une époque donnée, allait devenir un élément permanent, caractérisant la nature de ces organisations.

Ce comportement, cette pratique organisationnelle ont marqué l'activité et les méthodes de travail, aussi bien dans la construction des organisations nationales qu'internationales.

Cela s'est traduit par une activité essentiellement proclamatoire. Plusieurs organisations aujourd'hui revendiquent le titre de IVe Internationale sans qu'aucune ne se posé réellement le problème de sa construction. A quoi bon puisqu'elles sont la IVe Internationale. Pourtant, s'il fallait une preuve que cette Internationale n'existe pas aujourd'hui, qu'il nous faut oeuvrer à la constituer dans les faits, on la trouverait dans l'éparpillement même du mouvement trotskyste en plusieurs tendances rivales. C'est la preuve même qu'il n'existe nulle part une véritable direction internationale, éprouvée, sélectionnée dans la lutte, jouissant d'un capital de confiance suffisant auprès de l'ensemble' des militants pour disposer de l'autorité nécessaire.

Mais cela n'empêche pas les organisations qui s'intitulent IVe Internationale de se donner un mode de fonctionnement complètement inadapté à ce qu'elles sont réellement, et qu'elles justifient en se présentant comme des directions réelles du prolétariat international.

Ces règles de fonctionnement vidées de tout contenu, deviennent alors des recettes mécaniquement appliquées, qui servent à masquer la réalité du mouvement trotskyste officiel, mais qui, en aucune façon, ne le transforme en mouvement réel. Il ne s'agit pas de nier la valeur des principes. Mais les principes seuls sont insuffisants. Ainsi, par exemple, les organisations qui se sont proclamées « IVe Internationale » ont un mode de fonctionnement aujourd'hui, qui découle, prétendent-elles, des principes du centralisme démocratique. C'est-à-dire qu'elles imposent aux différentes sections qu'elles se soumettent aux décisions de la majorité.

C'est certes une règle indispensable pour qu'existe une direction digne de ce nom, capable de jouer pleinement son rôle. Mais la règle ne suffit pas pour qu'existe cette direction. Le fait de se réclamer du centralisme démocratique n'a en lui-même, aucun pouvoir créateur, le centralisme démocratique est au contraire une création vivante du développement organisationnel et politique d'un groupe. S'il en indique l'architecture générale et les proportions, il ne saurait être le ciment de l'organisation. Le ciment, c'est l'indispensable confiance que les militants manifestent entre eux et surtout vis-à-vis de leur direction. Le centralisme démocratique, la discipline qui en découle, ne peuvent exister sur des bases purement juridiques. Car pour qu'une minorité accepte de se plier, aux règles de discipline générale, aux décisions de la majorité encore faut-il qu'elle ait un minimum de confiance dans cette majorité. Aucun statut n'institue cette confiance Elle se gagne et elle se perd.

Or la formation d'une direction compétente n'est pas le produit d'un règlement. Elle est le fruit de luttes, d'expériences, de vérifications multiples. Son autorité trouve son fondement dans la justesse de la ligne politique suivie, c'est-à-dire, en dernière analyse, dans sa compétence. C'est ainsi que la direction bolchevique avait réussi à acquérir l'autorité qui fut la sienne au lendemain de la Révolution Russe, sur l'ensemble du mouvement communiste, non pas dans les statuts, tout formels à ses débuts, de la IIIe Internationale, mais dans sa capacité de mener le prolétariat russe à la victoire en 1917. C'est cette référence concrète qui. devait asseoir l'autorité de la direction du parti bolchevik sur l'ensemble de l'Internationale.

Le mouvement trotskyste, dans la période actuelle, est loin de disposer d'un tel capital, et aucune section nationale n'en dispose, ne serait-ce que partiellement. Il ne faut pas chercher plus loin l'explication de son éclatement en de multiples tendances. Quelle « minorité » accepterait la loi absolue d'une majorité dont elle ne reconnaît pas la compétence ? Chacune des tendances préfère alors scissionner et fonder sa propre organisation, au sein de laquelle elle sera soumise à sa discipline propre.

En fin de compte, la référence mécanique au centralisme démocratique, loin d'être un instrument d'efficacité, devient dans ces conditions au contraire un instrument bureaucratique destiné. à empêcher que les débats puissent avoir lieu au sin de l'organisation. Ce n'est pas un facteur de cohésion, mais un élément de division.

Certes il ne s'agit pas pour nous de reprocher aux organisations qui se réclament du trotskysme, et nous-mêmes en faisons partie, leur faiblesse numérique, ni de renoncer, à cause d'elle, à une organisation internationale des communistes révolutionnaires. Nous pensons au contraire qu'il faut construire l'Internationale, et que cette Internationale ne peut être construite que sur la base du programme trotskyste, sur les bases du programme de fondation de la IVe Internationale.

Mais pour ce faire, il faut en finir avec les illusions, avec les rodomontades et avec le bluff qui ne sont qu'un aspect des moers et des pratiques organisationnelles petites-bourgeoises. La Quatrième Internationale n'existe plus organisationnellement. C'est un fait qu'il faut reconnaître ouvertement. Cela signifie qu'il faut la reconstruire. Et pour cela, il ne s'agit pas d'abandonner tout travail international, mais au contraire faire ce travail au niveau des hommes et des organisations tels qu'ils existent aujourd'hui.

A l'heure actuelle, seule aurait un sens, parce qu'elle permettrait de travailler plus efficacement à la reconstruction de la IVe Internationale, une organisation internationale reconnaissant le droit de fraction, admettant en son sein toutes les organisations se réclamant du trotskysme, même s'il y en a plusieurs dans un même pays, une direction qui ne se prétendrait pas « direction internationale » parce qu'elle ne le serait pas, mais qui serait le lieu de confrontation pour tous les militants qui combattent sous le drapeau de la IVe Internationale.

C'est au sein d'une telle organisation, à travers une telle confrontation, que pourrait se qualifier et se sélectionner peu à peu une direction internationale reconnue. C'est ainsi que pourrait se forger une organisation internationale pour laquelle le centralisme démocratique ne serait pas une simple prétention, mais serait une réalité.

Ces propositions, nous les avons défendues publiquement à maintes reprises. A chaque fois que l'occasion s'en est présentée, nous avons fait des propositions en ce sens. C'est ainsi par exemple que nous posions le problème lors des pourparlers qui eurent lieu entre Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste en 1972. Elles se sont à chaque fois heurtées à une fin de non-recevoir, plus ou moins ouverte.

En faisant de telles propositions, cela ne signifiait nullement, encore une fois, que nous renoncions à une Internationale centralisée, nécessaire état-major de la révolution mondiale. Mais nous pensions, et nous continuons à penser, que ce n'est pas en se fondant sur des fictions, sur des faux-semblants, sur une apparence de direction que nous pourrons un jour donner corps à cette direction véritable.

La Quatrième Internationale n'existe plus. Mais le trotskysme n'a pas fait faillite. Et le fait que, près de soixante ans après la Révolution Russe, ce soit la seule tendance qui existe à l'échelle internationale en est la meilleure preuve.

Mais pour que cette reconstruction devienne possible, il faut savoir faire en toute lucidité le bilan, sans concession, sans faiblesse, sans accommodement diplomatique et complaisant avec la réalité, de l'histoire du mouvement trotskyste. Il faut rompre avec les moers et les méthodes actuelles. Ce n'est qu'à ce prix que peut commencer cette oeuvre de reconstruction. Mais y renoncer serait renoncer à faire lucidement ce bilan, ce serait renoncer à la reconstruction de la Quatrième Internationale, et en même temps renoncer à la perspective de la révolution.

 

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