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Quand l'OCI et la LCR cultivent les illusions sur le gouvernement PC-PS

 

Que les élections législatives aient lieu à la date prévue ou que Giscard décide de recourir à une consultation anticipée, il est indéniable désormais que la vie politique française est marquée par les échéances électorales, même si les préoccupations en ce domaine sont plus le fait des états-majors politiques que celui de la majorité de la population.

Prenant appui sur les résultats des cantonales de mars, l'OCI et la LCR se sont adressées aux partis de la gauche parlementaire, leur disant en substance : « maintenant que vous êtes majoritaires, prenez vos responsabilités. Exigez le pouvoir ». C'est ainsi qu'Informations Ouvrières écrivait, dans son numéro du 18 mars, sous le titre « Faut-il attendre deux ans ? » : « Répétons-le, tout tourne autour de cette alternative : les dirigeants des partis ouvriers vont-ils, oui ou non, engager dans l'unité une campagne politique pour la dissolution de l'Assemblée Nationale ? ». C'est ainsi encore que Rouge, au lendemain de ces cantonales, titrait « Giscard en minorité absolue, dehors ! ». Et quelques jours plus tard, dans le numéro 3 de Rouge quotidien, Krivine écrivait : « ... les travailleurs ont utilisé les urnes pour dire au gouvernement qu'ils en ont assez et demander aux partis de gauche de prendre leurs responsabilités... Le problème du pouvoir est posé, du moins sur le plan électoral. Il ne sera résolu que par le mouvement d'ensemble de la classe ouvrière. Dans une telle situation, les travailleurs ont raison de dire au PC et au PS : nous vous avons donné la majorité, utilisez-la ! Il est possible de chasser ce régime minoritaire en s'appuyant sur nos luttes. PC, PS, prenez vos responsabilités ! ».

Certes, il n'est pas faux, en soi, sur un plan propagandiste général, d'utiliser une situation précise pour mettre les partis de la gauche parlementaire en contradiction avec leurs déclarations, de leur dire : « Vous prétendez qu'il faut la majorité électorale pour pouvoir accéder au gouvernement, vous l'avez, eh bien, que faites-vous ? ». Cela peut être un moyen de démystifier les propos électoralistes des partis de l'Union de la Gauche. Mais tout dépend de la façon dont on présente les choses. L'OCI et la LCR savent bien que, ni le PS, ni le PC au gouvernement n'appliqueront une politique qui vise à mettre en oeuvre les revendications fondamentales des catégories laborieuses. Elles font semblant de le croire, invoquant le fait que la masse des travailleurs a des illusions à cet égard. Sous prétexte de s'appuyer sur les illusions des masses, elles contribuent à les perpétuer, afin, disent-elles, de créer une situation de crise qui provoquera immanquablement une dynamique des luttes qui mettra les partis de gauche au pied du mur.

C'est un tel raisonnement qu'il faut discuter, non pas en général, mais en fonction de la situation politique française, telle qu'elle se dessine actuellement.

Car, en effet, revendiquer aujourd'hui des élections anticipées, cela implique de postuler que la classe ouvrière et les masses populaires posent, ne serait-ce que de manière déformée, informulée, le problème du pouvoir. Il est hasardeux de le déduire du résultat des élections cantonales. En tout cas, ni l'OCI qui réclame depuis des années avec obstination un « gouvernement PS-PC sans ministre bourgeois », précisant même qu'elle ne pose pas de préalable programmatique à cet objectif, ni la LCR, n'ont produit une analyse qui permette d'affirmer que la classe ouvrière et les masses laborieuses se posent le problème du pouvoir. Elles se contentent de vagues affirmations journalistiques sur « la crise politique ». Toute la stratégie que ces deux organisations mettent en avant est fondée sur cette ambiguïté. « Le problème du pouvoir est déjà posé, du moins sur le plan électoral », affirme Krivine. Mais quel pouvoir ? S'il s'agit de l'alternative représentée par Mitterrand au pouvoir de la majorité de droite, il s'agit-là d'une évidence. Mais la formulation choisie, volontairement floue, laisse entendre qu'il s'agit d'autre chose. D'un pouvoir qui changera de caractère « grâce au mouvement d'ensemble de la classe ouvrière », selon la formulation employée par Krivine dans la citation que nous avons faite plus haut.

Certes, le problème de l'alternance est posé. Mais pas forcément dans le cadre défini par la LCR et l'OCI.

Mitterrand peut effectivement être appelé à la tête du gouvernement, non pas porté par les masses, mais appelé « à froid » par la bourgeoisie. Présenter comme une alternative valable pour la classe ouvrière l'accession au gouvernement du PS et du PC c'est, par voie de conséquence, faire silence sur cette alternative. Et un tel choix de la bourgeoisie n'a pas du tout la même signification politique.

Car si cette crise s'approfondit, il n'est pas exclu que giscard ait recours à mitterrand avant même 1978, pour remplacer chirac. certes, la bourgeoisie préfère voir à la tête du gouvernement des hommes de droite, mais elle peut recourir à des hommes de gauche, ne serait-ce que provisoirement, pour faire accepter à la classe ouvrière le coût de la crise. cela se ferait, bien entendu, en sacrifiant les intérêts particuliers d'une partie du personnel politique qui se situe dans la majorité actuelle - encore que bon nombre d'entre eux sauraient sans doute se reconvertir à temps. lorsque les circonstances l'exigent, lorsque ses intérêts fondamentaux sont en cause, la bourgeoisie sait faire de tels choix. n'est-ce pas celui qu'elle se prépare à faire, par exemple, en s'adjoignant les services du pc, en italie ?

Elle peut le faire sans crainte - même si une fraction de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie se méfie congénitalement de la gauche - d'autant plus facilement que Mitterrand s'est engagé dès le départ à ne pas mettre en cause les intérêts de cette bourgeoisie. Il l'a fait lorsqu'il a signé le Programme Commun. Il l'a réaffirmé tout au long de sa campagne présidentielle. Il éprouve le besoin de le redire à chaque occasion, flanqué de son alter-ego Rocard. « La gauche au pouvoir, ce ne sera pas le paradis » a-t-il dit encore récemment. Et pour doucher l'enthousiasme de ceux qui pourraient conserver des illusions il a rappelé qu'une fois la gauche au pouvoir, il faudra que la classe ouvrière consente à faire des sacrif ices.

Mitterrand a fait des promesses à la bourgeoisie. il les tiendra. mais parce qu'il refusera de s'attaquer aux intérêts des capitalistes, il lui faudra s'attaquer à ceux des autres catégories sociales. plus la crise sera grave, plus impérieuse sera pour lui la nécessité de mettre en oeuvre une politique d'austérité. et pour ce faire, il utilisera à la fois son crédit populaire et le poids des appareils syndicaux pour inciter les travailleurs à produire plus et à revendiquer moins. le rôle des révolutionnaires n'est pas de faire silence sur une telle hypothèse, d'autant qu'en l'état actuel des choses, c'est celle qui a le plus de chance de se réaliser.

C'est pourtant ce que font la LCR et l'OCI. Certes, elles n'ignorent ni les intentions, ni les projets politiques de Mitterrand et des partis de l'Union de la Gauche. Mais elles les gomment dans leur propagande, parce que, prétendent-elles, ce qui sera décisif, ce ne sont pas les intentions des dirigeants des partis de gauche, mais le développement des luttes sociales qu'immanquablement provoquerait l'accession de la gauche au gouvernement. C'est là fonder toute une stratégie entièrement sur un pari. Même en 1936, période à laquelle ces organisations se réfèrent pour justifier leur analyse, il est faux de prétendre que le mouvement de grève eut pour origine la victoire électorale et l'arrivée au pouvoir du Front Populaire. La poussée ouvrière s'était manifestée bien avant cettevictoire, sur le terrain des luttes sociales et politiques. La victoire électorale n'en a été qu'un des reflets. Et si elle a pu jouer dans l'extension de la grève, tout comme peuvent jouer dans la vie sociale tel ou tel événement - les manifestations étudiantes en mai 68 par exemple - elle n'en a pas été la cause. Il est par ailleurs tendancieux de se référer à juin 36 en omettant de faire état du rôle du Front Populaire qui, s'il ne fut pas le facteur essentiel du déclenchement de la poussée ouvrière, joua par contre un rôle décisif pour le contrôler et y mettre un coup d'arrêt.

Et n'est-ce pas justement la présence du PC et du PS au gouvernement qui permit encore à la bourgeoisie française de traverser la période de l'immédiat après-guerre, en imposant à la classe ouvrière les frais de la « reconstruction » ?

Certes, il est impossible de prévoir les effets que pourrait avoir l'arrivée de la gauche au gouvernement sur la classe ouvrière. Mais il est d'ores et déjà possible de prévoir les obstacles politiques qu'elle trouvera devant elle. Ne pas en faire état, sous prétexte que les illusions que la classe ouvrière entretient à l'égard des dirigeants de la gauche parlementaire peuvent avoir un rôle positif dans le développement des luttes sociales, c'est une attitude opportuniste.

Le rôle des révolutionnaires n'est pas de jouer sur les illusions de la classe ouvrière mais, au contraire, de montrer qu'en l'état actuel des choses, elle risque de payer cher de telles illusions si elle s'en remet à Mitterrand et à l'Union de la Gauche.

Il se peut que la classe ouvrière ne perde ses illusions que lorsqu'elle aura vu la gauche à l'oeuvre au pouvoir. L'influence des révolutionnaires n'est pas telle aujourd'hui que ce qu'ils disent soit entendu. Ils ne sont pas suffisamment crédibles pour que ce qu'ils disent soit accepté. Il ne s'agit pas de l'ignorer. Mais est-ce une raison pour qu'ils s'alignent sur la conscience politique moyenne de la classe ouvrière et des masses populaires, et qu'ils capitulent dans les faits devant la politique du PS et du PC ? Leur rôle est au contraire d'armer politiquement la classe ouvrière de façon qu'elle soit capable d'aff ronter les prochaines échéances politiques en pleine conscience. Que cette conscience ne soit pas donnée, nous le savons. C'est la raison pour laquelle les révolutionnaires s'affirment solidaires de la majorité des travailleurs et des catégories laborieuses même lorsqu'ils savent que les choix des travailleurs ne sont pas justes. L'opportunisme n'est pas là. Il est dans la politique qui consiste à faire semblant de croire que ces solutions politiques seront positives pour les travailleurs.

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