Portugal : le MFA seul au pouvoir, un bonapartisme bien fragile01/07/19751975Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Portugal : le MFA seul au pouvoir, un bonapartisme bien fragile

Avec le départ volontaire des socialistes et des centristes du gouvernement et la dissolution du gouvernement, une page a été tournée au Portugal.

Cette page, ce n'était pas les socialistes qui l'avaient ouverte, mais ils ont cru un temps qu'elle annonçait pour eux une situation politique dont ils seraient les principaux bénéficiaires. Quand le complot des officiers du MFA eut renversé la dictature de Caetano, nombreux furent les civils et les militaires qui pensèrent que l'ère de la démocratie à l'occidentale, c'est-à-dire du parlementarisme, venait de s'ouvrir au Portugal. Le MFA s'était engagé à assurer dans un délai d'un an maximum des élections à une assemblée Constituante qui aurait pour tâche de définir les institutions civiles réglant la vie politique du Portugal nouveau. Il s'agissait donc pour les partis, pour la bourgeoisie et son personnel politique de se tenir prêts à gagner ces élections et à diriger selon les règles traditionnelles de la démocratie parlementaire les affaires de l'État. Les élections à la Constituante ont bien eu lieu, mais ces résultats ont été d'emblée rendus caducs par l'évolution de la situation politique. En fait, avant même que les élections se déroulent, il était manifeste qu'elles étaient déjà frappées de nullité car elles correspondaient à un schéma politique totalement dépassé. En s'y accrochant cependant, les socialistes de Mario Soares ont tenté jusqu'au bout de retarder le processus qui devait les éliminer. Ils y ont réussi un temps, ils ne pouvaient à long terme qu'échouer.

La dissolution du gouvernement provisoire portugais où coexistaient aux côtés des militaires, et tant bien que mal, les représentants des partis socialiste, centriste et communiste ou apparentés, a donc simplement entériné un état de fait. Les officiers du MFA qui avaient délibérément et artificiellement, en dehors de toute consultation populaire, associé au gouvernement des partis politiques au lendemain du 25 avril 1974, se décidaient finalement après un an de pouvoir à les écarter au moins au niveau de l'État pour gouverner désormais seuls.

En choisissant cette solution, les officiers du MFA ne faisaient eux aussi que s'incliner devant les exigences de la réalité sociale et politique du Portugal. Il est apparu, au fur et à mesure que le MFA présidait aux destinées des affaires politiques du Portugal ; qu'une démocratie à l'occidentale ne pouvait convenir à un pays sous-développé par bien des aspects, et où les puissances féodales et les puissances d'argent réactionnaires occupaient une large place dans la vie économique. Les officiers du MFA qui avaient réalisé le coup d'État partageaient le rêve de la petite bourgeoisie urbaine portugaise d'un décollement économique du Portugal, d'un développement industriel permettant de rattraper le retard accumulé et d'une société moins marquée par les vestiges du féodalisme. Nul doute que le modèle d'un développement à la chinoise, ou. plus exactement d'une tentative de développement à la chinoise, a influencé certains des capitaines qui ont réalisé le renversement de la dictature. Mais nul doute aussi que les grands groupes capitalistes portugais envisageaient favorablement un pouvoir qui, mettant fin à l'absurde et inutile guerre coloniale, saurait préserver les liens impérialistes avec les colonies et favoriser à l'intérieur une relance économique du pays. En tout cas, le régime issu du 25 avril a joui d'emblée, outre d'un immense consensus populaire, d'un assentiment plus ou moins implicite et de la grande bourgeoisie portugaise, et de l'impérialisme américain et franco-britannique.

En fait, au bout d'un an d'exercice du pouvoir, il est devenu manifeste que ce projet de développement déjà bien aléatoire était en outre compromis par la crise internationale et qu'il était en tout état de cause incompatible avec un fonctionnement de type parlementaire.

En fait, ce n'est pas seulement le projet de développement économique qui s'avérait incompatible avec le parlementarisme, c'était même les simples décisions nécessitées au jour le jour par la direction des affaires nationales, dans une situation de crise et de tempête, face à l'hostilité d'une partie de la bourgeoisie soucieuse d'envoyer des capitaux à l'étranger, face aux revendications parfois tumultueuses d'une classe ouvrière libérée de cinquante ans de dictature et qui voulait tout de suite une amélioration de son sort, face aussi à un personnel politique trop compromis avec l'ancien régime pour s'adapter à la période. Dans une telle situation, le pouvoir ne peut être que bonapartiste, il ne peut se laisser paralyser par la lourde machinerie parlementaire, les discussions de partis, les explications pour rassurer la droite et convaincre les travailleurs, la recherche d'une majorité à la chambre à la fois stable et fidèle. Pour agir, le MFA avait besoin des pleins pouvoirs, et un an d'expérience de gouvernement lui a appris que cette nécessité n'était pas provisoire, et qu'il aurait encore besoin de ce pouvoir exceptionnel, au-dessus du jeu électoral et parlementariste, simplement pour gouverner un pays encore sous-développé, et touché par une grave crise économique. Et ces pleins pouvoirs, il s'est convaincu aussi qu'il était le seul à pouvoir les exercer dans le sens souhaité au départ. Car, non seulement le personnel politique de la bourgeoisie se montrait trop soumis aux possédants pour prendre les mesures énergiques qui s'imposaient, mais les partis de type du Parti Socialiste liaient leur sort à celui de la démocratie parlementaire et s'appliquaient avant tout à rassurer les possédants sur leur légalisme et leur pacifisme. Or la pression économique était telle que le MFA était appelé à prendre des mesures de nationalisation, de début de réforme agraire, de stimulation économique qu'il put imposer de façon autoritaire mais qui n'auraient jamais été votées par une assemblée dite représentative. La rupture entre les illusions démocratiques et les nécessités économiques était d'autant plus visible que la crise s'accentuait. Le MFA avait en main l'appareil exécutif, c'est-à-dire l'essence du pouvoir. Il ne pouvait pas s'en déposséder même au nom de cette démocratie politique dont il avait lui-même rêvé.

Au lendemain du 25 avril, pour réaliser son projet de développement économique et de démocratie politique, le MFA avait d'emblée associé au pouvoir les partis socialiste et communiste, cela lui avait permis de gagner à la fois l'assentiment de la petite bourgeoisie et l'enthousiasme discipliné de la classe ouvrière dont le Parti Communiste s'employait à maintenir les revendications dans des limites acceptables pour le pouvoir. Mais la tâche des partis s'arrêtait là, les perspectives démocratiques parlementaires étant bouchées, leur rôle et en particulier celui du Parti Socialiste ne pouvait aller plus loin. Plus les difficultés s'accumulaient sur le chemin du MFA, et plus la résistance des partis cherchant à jouer la carte du parlementarisme lui paraissait intolérable. Pour des raisons de politique internationale, le MFA s'est employé le plus longtemps possible à préserver la façade d'un gouvernement mêlant civils et militaires et associant à l'exercice du pouvoir les représentants des grands partis du Portugal nouveau, mais la rupture devait obligatoirement intervenir.

En démissionnant d'eux-mêmes, en prenant les devants de ce qui devait de toute façon intervenir, les socialistes ont dans une certaine mesure rendu service aux militaires bonapartistes du MFA La militarisation du pouvoir apparaît ainsi autant comme une conséquence de la désertion socialiste que comme une volonté délibérée du MFA Et comme il était hors de question pour les militaires portugais, représentants nationalistes de la partie la plus dynamique et la plus radicale de la bourgeoisie portugaise, de gouverner en accord avec les seuls communistes, ce qui aurait sur le plan international des conséquences graves, le retrait des socialistes impliquait à plus ou moins bref délai la dissolution du gouvernement provisoire et l'éviction sans gloire du Parti Communiste. Le parti d'Alvaro Cunhal le savait, il avait d'avance accepté.

En fait, depuis le début, le Parti Communiste Portugais à lié son sort à celui du MFA Sorti de la clandestinité et de l'exil pour parvenir d'emblée aux fonctions gouvernementales, le Parti Communiste sait qu'il doit ce privilège d'abord et avant tout aux capitaines eux-mêmes. Ayant renoncé depuis bien longtemps à toute politique autonome de la classe ouvrière, le Parti Communiste Portugais n'avait et ne voulait avoir aucune perspective indépendante à offrir aux travailleurs. Ayant renoncé à la révolution prolétarienne, il ne pouvait camoufler son réformisme fondamental que sous l'exaltation des vertus qualifiées de révolutionnaires du MFA Pour conserver la participation à un pouvoir que le MFA n'a au fond jamais cessé d'exercer seul, le Parti Communiste Portugais a accepté de jouer le rôle que les militaires attendaient de lui. Il a su mettre fin à la grande vague de grèves qui a suivi le 25 avril 1974 et déferlé jusqu'à l'automne de la même année, il a su canaliser et discipliner les espoirs des ouvriers et mettre la population au travail à travers ces fameux dimanches rouges où les travailleurs offraient gratuitement leur travail en échange d'on ne sait quel avenir radieux. Il a obtenu en contrepartie un certain nombre de positions fortes dans le mouvement syndical. Aujourd'hui le Parti Communiste se trouve lui aussi écarté du gouvernement, mais il n'est pas dans l'opposition. Même si ce n'est pas de gaîté de cœur qu'Alvaro Cunhal accepte cette éviction, car cela représente une perte d'influence au plus haut niveau, le Parti Communiste Portugais, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, essaie de limiter les dégâts et de se trouver sa place tant bien que mal dans les nouvelles structures que le MFA s'efforce de mettre en place. Il pense, et sans doute à juste titre, que le MFA a encore besoin de lui. Et il est prêt à mettre à la disposition du nouveau pouvoir militaire toutes les commissions de travailleurs de quartiers, de villages qu'il avait créées et fait vivre. Au nom du prétendu développement du processus révolutionnaire, le Parti Communiste Portugais se rallie aux organismes unitaires de base, ce qui revient en fait à faire coiffer par les militaires les organismes déjà existants ou ceux à créer.

L'alliance MFA-peuple, c'est pour le Parti Communiste Portugais l'espoir de maintenir une alliance MFA-PCP. le plus longtemps possible et quelle qu'en soit la forme.

En d'autres termes, le Parti Communiste continue à ne pas ménager son soutien au MFA et à sa politique radicale. Ce soutien pourrait se justifier circonstanciellement par la défense des intérêts de la classe ouvrière portugaise. Mais ce n'est le cas ni sur le fond, ni dans la forme. Même si la classe ouvrière et ses partis pouvaient justement conclure avec le MFA une alliance tactique face à la contre-révolution menaçante, ou même face à la démission de la bourgeoisie libérale et du Parti Socialiste devant la nécessité de heurter de front les intérêts particuliers de telle ou telle fraction de la bourgeoisie portugaise, rien ne justifie l'exaltation par le Parti Communiste Portugais du rôle révolutionnaire du MFA et le désarmement consenti de la classe ouvrière portugaise.

Le Parti Communiste ne fait pas de l'alliance MFA-peuple une position tactique dictée par les nécessités, il en fait sa ligne politique et cela parce qu'en l'absence de toute politique révolutionnaire, il n'a pas d'autre perspective politique que d'emboîter le pas au MFA et de se rendre indispensable afin de jouir, sinon d'une parcelle du pouvoir, du moins d'une parie de son autorité. Il entre donc dans le jeu du MFA sans aucun souci des intérêts ouvriers qu'il prétend défendre.

Or si le MFA a encore besoin du Parti Communiste, il n'en a plus besoin en tant que tel. En tant que membre du gouvernement, il était même un allié gênant. En tant que parti influent dans la classe ouvrière notamment par l'intermédiaire du syndicat, il est toujours utile mais il n'est plus indispensable. Le Conseil de la révolution a décidé de créer ses propres organismes de mobilisation populaire afin justement de se passer des partis. Ces organismes sont encore définis de façon bien vague, mais ils reposent sur la participation unitaire du MFA et du peuple. Cela signifie que le MFA sera présent partout dans le moindre village, dans toutes les usines, toutes les banlieues, dans tout comité de locataire ou dans toute municipalité, et que ses délégués seront en quelque sorte les proconsuls du pouvoir central. Les assemblées locales seront désignées sans tenir compte des partis, quant aux organismes déjà existants, c'est le MFA qui, en tant que mouvement situé au-dessus des partis, sera seul apte à en définir la représentativité.

Il faut pour, le moins, toute la mauvaise foi de la presse bourgeoise occidentale pour voir là la dictature militaro-communiste, et des verres pour le moins gauchisants pour y déceler la dictature du prolétariat. Il s'agit de la part des officiers du MFA d'une tentative directe d'encadrement de la population et d'une militarisation de la vie politique locale.

Dans l'épreuve de force qui a opposé le MFA au Parti Socialiste Portugais, la majorité de l'extrême-gauche s'est rangée résolument du côté du MFA, tant il est vrai que, dans son combat pour la démocratie bourgeoise, le Parti Socialiste s'alignait sur les positions classiques de la droite. Mais l'affrontement avec le Parti Socialiste n'est que l'aspect le plus visible de ce qui se passe au Portugal, il n'en est pas l'aspect fondamental.

Le MFA, quelles que soient ses dissensions intérieures, et il est faux d'en exagérer l'importance, était conduit par l'arriération même du pays à une prise en main directe, bonapartiste, du pouvoir. Les hommes qui ont fait le 25 avril ne sont pas des révolutionnaires prolétariens, ce sont des officiers de grades divers qui représentent dans leur majorité les aspirations de la partie la plus dynamique de la bourgeoisie portugaise. Ces aspirations se heurtent au conservatisme des grands propriétaires et de la partie la plus réactionnaire des possédants portugais. Pour leur forcer la main, le MFA dispose du pouvoir étatique, c'est un incomparable levier mais c'est aussi une arme fragile. Car si le MFA joue sur les antagonismes entre la bourgeoisie nationale et même nationaliste et l'impérialisme, entre la classe ouvrière et la bourgeoisie réactionnaire, entre la paysannerie et les latifundiaires, entre les mouvements d'émancipation coloniale et l'extrême droite portugaise nostalgique de Caetano et Salazar, l'appareil d'État qui représente sa force propre est encore bien imparfait et bien divisé. L'armée n'est pas homogène malgré les décisions du Conseil de la révolution sur l'appartenance obligatoire au MFA et la dynamisation culturelle de l'armée sous peine d'exclusion, la police est presqu'entièrement héritée de l'époque de la dictature, il en est de même pour l'appareil judiciaire, l'administration pénitentiaire, le corps diplomatique et l'administration tout court. C'est pour cela que le MFA a eu besoin dès le départ des partis communiste et socialiste, c'est pour cela qu'il se résout aujourd'hui difficilement à s'en passer et qu'il a si longtemps cédé devant les pressions et le chantage du Parti Socialiste à la démission.

Aujourd'hui, les militaires du MFA se trouvent engagés dans une voie étroite et qui mène peut-être à une impasse. Contre la partie la plus réactionnaire de la bourgeoisie portugaise, ils ont besoin de la mobilisation et du soutien populaires, mais pour tenter de réaliser leur projet nationaliste d'un développement du Portugal, il leur faudra gouverner en fait contre les intérêts du prolétariat portugais. La situation est d'autant plus difficile que la crise économique sévit au Portugal dans des proportions catastrophiques et que le Portugal ne peut se passer d'aide extérieure. L'impérialisme a les moyens de prendre à la gorge l'économie portugaise ; de son côté l'aide exclusive de l'URSS et des Démocraties Populaires risquent d'entraîner le MFA dans une voie qui n'est pas la sienne et qui peut faire éclater sa vulnérable et précaire cohésion. L'assentiment populaire qu'il demande ne lui a pas été jusqu'ici refusé et sur le plan intérieur, sa position est certainement plus favorable que sur le plan extérieur - ne serait-ce que parce que le Parti Communiste et l'intersyndicale multiplient les appels au soutien inconditionnel - mais jusqu'à quand son auréole de libérateur, jusqu'à quand sa phraséologie socialisante et ses promesses d'une société sans exploitation feront-elles illusion auprès des travailleurs ?

En lançant la bataille de la production, en décrétant le blocage des salaires, en interdisant les occupations de terres et de logements, le MFA montre bien son programme : mettre la classe ouvrière au travail, obtenir d'elle des sacrifices, volontaires, stopper ses initiatives, contenir ses revendications. Il a beau baptiser cela du titre pompeux d'édification de la société socialiste portugaise, les travailleurs, qui sont chaque jour confrontés à une flambée formidable des prix et à un chômage grandissant, se montrent de plus en plus réticents. Certes, le MFA jouit encore d'un consensus populaire considérable, mais déjà bien des espoirs ont été déçus et les travailleurs portugais ont compris que la fin de la dictature n'était pas la fin de leur misère et de leur exploitation. La politisation du prolétariat portugais a fait en un an des progrès considérables, l'engouement populaire pour les clubs, les cercles et les commissions, la passion des idées, la soif d'organisation, tout cela s'est traduit par la création d'organismes populaires locaux dans lesquels la gauche communiste et l'extrême gauche, des différents groupes maoïstes aux castristes, en passant par les trotskystes de la L.CI, se sont taillés une certaine place.

Mais cet éveil de la conscience ouvrière peut être noyé demain dans la grande vague de militarisation du régime. le parti communiste l'accepte, les mouvements d'extrême gauche l'appréhendent, mais la plupart se refusent à en dénoncer le danger car ils espèrent que leurs conseils d'ouvriers, de paysans ou de soldats, aussi minimes soient-ils, bénéficieront au départ de l'investiture du MFA. c'est encore une façon de démissionner. car ces organismes populaires étaient un endroit où pouvait se dessiner une politique indépendante du prolétariat et c'est précisément ce que le MFA. veut empêcher en chapeautant par le haut tout ce qui est l'expression autonome des travailleurs.

Entre le réformisme du Parti Socialiste qui ne s'accommode que de la démocratie parlementaire et le réformisme du PC qui se soumet à ces petits bourgeois radicaux en uniformes que sont les officiers du MFA, aucune perspective n'est ouverte aux travailleurs portugais. Quant à l'extrême gauche aussi faible et divisée soit-elle, elle peut avoir un rôle à jouer dans l'élaboration d'une politique indépendante du prolétariat si elle n'y renonce pas, elle aussi, par opportunisme.

L'opportunisme au Portugal ne consiste pas aujourd'hui, pour un mouvement révolutionnaire, à soutenir les initiatives radicales du MFA ou à entrer dans les organismes populaires qu'il prétend créer. Il consiste à le faire sans dire clairement aux travailleurs ce qu'est le MFA, les limites de son radicalisme, les limites de l'expérience qu'il est en train de tenter, et sans préparer les travailleurs aux affrontements à venir.

Quand le MFA nationalise les banques et certains secteurs industriels, quand il essaie d'empêcher la fuite des capitaux et prétend contrôler le commerce extérieur, il est juste que les travailleurs et les partis qui se réclament d'eux le soutiennent. Mais quand il bloque les salaires, quand il limite le droit de grève, les travailleurs n'ont pas à l'accepter. Et ils doivent savoir que le MFA, ce n'est pas simplement ces jeunes officiers radicaux voire gauchisants qu'ils apprécient, ou ces simples soldats décontractés et populaires qu'ils côtoient chaque jour. Le MFA, c'est aussi et d'abord des hommes de l'état-Major, qui ont conquis leur grade de généraux et d'amiraux sous Salazar et Caetano. Ce sont des hommes prêts aujourd'hui à gouverner en s'appuyant sur les travailleurs sous certaines réserves, mais qui demain peuvent se retourner contre eux et réprimer durement toute manifestation, toute revendication ouvrière. Le MFA n'est pas homogène, il représente aujourd'hui une politique bourgeoise, radicale, jacobine. Il est prêt à bousculer certains intérêts privés, il est prêt à se heurter à l'église et aux latifundiaires, il est prêt à nationaliser quelques trusts, tout cela au nom de la défense des intérêts généraux de la bourgeoisie. Mais les intérêts des travailleurs ne coïncident pas avec toutes ces initiatives dès aujourd'hui. Demain, ils peuvent diverger totalement. Cela, les travailleurs doivent le savoir. Une politique prolétarienne révolutionnaire devrait aujourd'hui expliquer cela aux travailleurs et préserver, à travers le soutien aux mesures radicales du MFA, l'organisation indépendante du prolétariat, développer toute une politique en direction de la masse des soldats déjà acquis au peuple, mais qui peuvent être demain isolés de lui, avant d'être utilisés contre lui, préparer et armer moralement, matériellement et politiquement les travailleurs en prévision de la situation de crise ouverte qui peut survenir d'un moment à l'autre.

Une organisation authentiquement prolétarienne devrait se donner pour tâche de préparer dès maintenant - car les événements peuvent aller très vite au Portugal - la nécessaire conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière portugaise.

Partager