La politique de la CGT et le développement des luttes revendicatives01/03/19741974Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

La politique de la CGT et le développement des luttes revendicatives

Tandis que la CGT a pris l'initiative d'une grève illimitée avec occupation de l'entreprise chez Rateau, à La Courneuve, tandis qu'elle a mené, d'un bout à l'autre, un conflit de même nature chez Pygmy-Radio, petite entreprise de La Plaine-Saint-Denis, on voit les militants de cette même centrale syndicale mettre en avant, à quelques centaines de mètres des usines occupées... des débrayages limités à quelques heures comme à la C.E.M. au Bourget, on les voit décommander un débrayage de solidarité prévu en faveur des grévistes de Rateau à Babcock (La Courneuve), tandis qu'au récent congrès de l'Union des Syndicats des Travailleurs de la Métallurgie de la Seine-Saint-Denis, les responsables expliquaient aux militants cégétistes de la région le caractère exemplaire de la grève Rateau... tout en les laissant dans le vague en ce qui concerne l'attitude de la CGT face à la défense du pouvoir d'achat des travailleurs et aux augmentations de salaires.

Ce qui se passe actuellement dans la Seine-Saint-Denis, département sans doute le plus industrialisé de France, où la CGT est particulièrement bien implantée, avec de nombreux militants et un appareil puissant et discipliné, et où elle dispose, plus qu'ailleurs, des moyens de sa politique, est révélateur de l'attitude de la CGT et de la politique qu'elle entend développer dans la situation présente.

Lors de la grève des cheminots du bassin lorrain, la CGT n'a pas hésité à appeler les mineurs à la grève générale tandis que, quelques semaines plus tard, à Caen, elle s'opposait à l'occupation de l'usine Saviem en préconisant des débrayages tournants.

La CGT prend l'initiative de manifestations centrales, regroupant plusieurs dizaines d'entreprises, sur le thème de la défense de l'emploi dans la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et certaines villes de province... mais elle ne participe qu'avec réticence aux développements de l'action revendicative au Crédit Lyonnais à Paris et y freine la grève.

Elle soutient, et souvent organise des grèves avec occupation pour l'augmentation des salaires dans de petites entreprises de la région parisienne ou de province (Hurel-Dubois, Ugîlor...) mais fait preuve d'une prudence extrême dans les grandes entreprises et les grands groupes industriels - dans l'aéronautique à Toulouse et à Bordeaux, les mouvements sont soigneusement programmés en fonction des négociations salariales qui se déroulent avec la direction, dans le trust Thomson-C.S.F., les entreprises sont appelées à débrayer les unes après les autres.

Une attitude oui découle des perspectives politiques du p.c.f.

La politique mise en avant par la CGT, avec ses fausses audaces comme chez Rateau et ses reculades comme à Caen ou au Crédit Lyonnais, n'a rien de mystérieux ni même de surprenant. Elle ne peut désorienter que ceux qui, particulièrement au sein du mouvement gauchiste, voient dans la CGT « un-appareil-qui-freine-toujours », ou au contraire ceux qui croient, ou plus souvent feignent de croire, que la CGT passe son temps à échafauder des plans de subversion tendant à entraîner les ouvriers à un affrontement généralisé avec le régime. La réalité est bien différente... et bien plus nuancée. La tactique que développe actuellement la CGT n'est pas le fruit d'un plan machiavélique tendant à démoraliser les travailleurs et à étouffer leur combativité. Elle ne relève pas davantage de grandes manœuvres visant à écourter par l'intervention de la classe ouvrière le septennat de Pompidou. Elle est la traduction, au niveau de la classe ouvrière, des préoccupations du PCF face à la crise qui approche, et dont les premiers effets se font déjà sentir... et des perspectives politiques qui pourraient s'ouvrir à lui.

Il est incontestable que l'approche de la crise, le spectre du chômage, la réalité de l'inflation de plus en plus insupportable, la possibilité de dérèglements économiques, donnent de nouvelles perspectives aux partis de gauche et au Parti Communiste Français, dont le projet politique peut se résumer en deux phrases : entrer au gouvernement et participer à la gestion des affaires de la bourgeoisie. Mais ce projet, pour hypothétique qu'il soit, n'est réalisable qu'à la condition, nécessaire mais non suffisante, que le PCF apparaisse aux yeux de la bourgeoisie comme le seul parti capable d'imposer aux masses les sacrifices nécessaires, d'organiser la pénurie, de faire tourner les entreprises le cas échéant. Et ces sacrifices, le Parti Communiste Français ne pourra les demander que s'il dispose, au sein de la classe ouvrière, d'un crédit suffisant et d'un capital de confiance important. Ce crédit et cette confiance, le parti de Marchais en dispose incontestablement au sein du monde du travail. Mais ils ne sont pas illimités. Les ouvriers ne sont pas mariés à vie avec le PCF, sans possibilité de divorce. Ils n'ont pas signé, les yeux fermés, un chèque en blanc donnant droit à un crédit illimité. Dans la période actuelle, les travailleurs, et aussi les militants ouvriers, inquiets des menaces de chômage et surtout irrités par l'augmentation affolante des prix et les coupes sombres qui affectent leur pouvoir d'achat, attendent de leurs organisations syndicales, et particulièrement de la CGT, la plus puissante d'entre elles, une protection contre la dégradation du pouvoir d'achat et une intervention contre les menaces de chômage.

Ce sont ces deux exigences, contradictoires, donner, à chaque étape, des gages de sérieux et d'esprit responsable à la bourgeoisie, et apparaître comme les défenseurs des intérêts actuellement menacés des travailleurs, qui dictent au PCF, et partant à la CGT, sa politique face aux luttes revendicatives de la classe ouvrière.

Organiser des luttes limitées... éviter une offensive généralisée de la classe ouvrière

Au cours de la période actuelle, la CGT ne craint pas de prendre la tête de luttes dans certains secteurs de la classe ouvrière, de les susciter, de les organiser, voire de les durcir : occupation de l'entreprise, mise en place de piquets de grève, demain peut-être, affrontement avec la police. A cet égard, la grève Rateau, et aussi le conflit Lip, bien que la CGT ait été en retrait par rapport à la CFDT, ont une valeur test. Ils montrent que les bureaucraties syndicales, la CFDT comme la CGT, ne redoutent nullement les grèves avec occupation, les manifestations de rue, la mobilisation d'un secteur de la classe ouvrière. Elles ne les redoutent nullement, mais à la condition expresse que ces luttes soient circonscrites, par leurs objectifs mêmes, à une fraction précise de la classe ouvrière, qu'elles ne puissent servir de point de départ à une offensive généralisée. Par définition même, les luttes pour la défense de l'emploi, notamment dans la période présente où une infime partie de la classe ouvrière est affectée par des menaces de chômage, répondent à ces impératifs de la politique des bureaucraties syndicales. Et ce n'est pas le fait du hasard si, au cours des derniers mois, les luttes dont les syndicats ont largement parlé, celles qui ont été popularisées, qui ont bénéficié d'une information massive dans les entreprises, ont été les grèves de Lip et de Rateau. « Ils se battent héroïquement pour la défense de leur outil de travail, applaudissons-les et donnons-leur quelques sous » voilà quelle a été, en substance, la politique de la CGT et aussi de la CFDT dans les récents conflits concernant la défense de l'emploi.

Face a la crise s'attaquer au capital, développer un programme ouvrant des perspectives

Mais, pour l'heure, le grand problème qui se pose aux travailleurs est celui de la défense de leur pouvoir d'achat face aux effets dévastateurs de l'inflation. Ce problème concerne tous les salariés, il pourrait facilement être le point de départ d'une vague de grèves visant à arracher au patronat et à l'État des augmentations de salaire. Cela, la CGT le sait parfaitement, et c'est ce qui explique sa prudence extrême dans les conflits portant sur l'augmentation des rémunérations. Non seulement elle se garde bien de mettre en avant des revendications générales pour toute la classe ouvrière : une augmentation de 300 F par mois par exemple, mais encore elle craint toute contagion possible d'une grève pour l'augmentation des salaires. Si une telle grève éclate dans une petite entreprise, à Paris ou en province, comme chez Hurel-Dubois ou Ugilor par exemple, la C.G.T'est disposée à en prendre son parti, voire à organiser l'occupation de l'usine, l'exemplarité étant par la force des choses, limitée. Mais dans une importante entreprise, un conflit sérieux sur les salaires pourrait rapidement cristalliser le mécontentement dans d'autres entreprises et devenir le point de départ d'une mobilisation importante de la classe ouvrière. Aussi, dans la fonction publique, dans les administrations et le secteur nationalisé, dans les grandes entreprises du pays, la CGT table-t-elle uniquement sur les négociations autour du tapis vert, essayant de mendier, lors des discussions sur les contrats annuels, des augmentations de 2 ou 3 % pour « rattraper » les pertes dues à l'inflation et se contentant d'organiser des mouvements tournants, limités, toujours localisés atelier par atelier ou, au mieux, entreprise par entreprise, comme c'est le cas chez Dassault ou dans les usines du trust Thomson-C.S.F.. Et encore, la CGT n'organise-t-elle de tels débrayages limités qu'au compte-gouttes, en prenant garde qu'ils ne fassent monter la température, qu'ils ne soient le point de départ d'une lutte sérieuse des travailleurs. Et lorsque de tels mouvements, malgré la CGT, conduisent à un affrontement avec la direction, comme ce fut le cas à la Saviem de Caen ou à Usinor Dunkerque, où avant la séquestration des cadres par les travailleurs en colère, la CGT avait organisé des arrêts de travail service par service, on voit la CGT faire marche arrière, mettre tout son poids dans la balance pour stopper l'escalade et freiner l'action revendicative, abandonnant ainsi allégrement les revendications salariales des travailleurs.

Face à la crise qui menace et à la dégradation du pouvoir crachat de la classe ouvrière, la CGT se livre à un duel à fleurets mouchetés avec le pouvoir et le patronat. Les luttes qu'elle suscite ou qu'elle encadre, même lorsqu'elles prennent un tour quelque peu spectaculaire comme chez Rateau, même si elles se multiplient en surface, ne posent en aucun cas les problèmes qui sont vitaux pour la classe ouvrière. La CGT n'a d'autre objectif que de maintenir, au sein du monde du travail, un capital de confiance qui servira demain au PCF à mieux tromper les travailleurs... si la bourgeoisie veut bien faire appel à lui en cas de crise aiguë.

Car toute la politique actuelle de la C.G.T et du PCF est axée sur une participation au pouvoir des partis de gauche, sur la gestion par les partis ouvriers des affaires de la bourgeoisie. Dans cette voie, les travailleurs ne rencontreront pas de succès. Ni sur le plan strictement revendicatif. Ni sur le plan politique. La manière dont la CGT conduit les luttes permettra peut-être d'obtenir, dans certains cas précis, quelques miettes : réduction du nombre des licenciements envisagés dans une entreprise et obtention d'une prime de licenciement relativement conséquente (comme cela vient d'être obtenu chez Pygmy-Radio), augmentation de salaire dans telle ou telle usine. Mais la période qui vient, marquée par l'approche de la crise, n'est pas de celles où la classe ouvrière peut aller au combat en ordre dispersé, sans programme, sans perspectives. Elle n'est pas de celles où quelques luttes isolées permettront de sauvegarder les acquis ouvriers, où le simple jeu de l'offre et de la demande sur le marché de l'emploi permettra d'assurer le maintien, voire une relative progression du pouvoir d'achat.

La grande question que la crise met à l'ordre du jour est d'une autre envergure : qui fera les frais de la faillite du système ? Les capitalistes, qui sont les seuls responsables de la déroute qui se prépare ? Ou la classe ouvrière, l'innombrable armée de ceux qui produisent toutes les richesses de cette société ? Cette alternative laisse foin derrière elle toutes les demi-mesures et les mini-réformes qui ne réforment d'ailleurs pas grand-chose. Ou la bourgeoisie aura les mains libres pour imposer ses solutions, avec son personnel politique classique ou à l'aide des Bigeard et des Massu, les Pinochet français, ou la classe ouvrière saura imposer ses solutions, en refusant catégoriquement la dégradation du pouvoir d'achat, en n'acceptant pas que le fléau du chômage s'installe dans ses rangs. Quitte, pour cela, à faire de profondes incursions dans le domaine sacro-saint de la propriété privée, à violer les tabous du secret commercial en ouvrant les livres de comptes, quitte à mettre à l'ordre du jour l'expropriation des fauteurs de pagaille et l'organisation de la production par les travailleurs eux-mêmes, suivant un plan économique rationnellement conçu visant à satisfaire les besoins vitaux de la classe ouvrière.

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