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L'OCI, la Ligue Communiste et le Portugal

 

Les événements du Portugal constituent un fait majeur du point de vue du prolétariat. Toutes les organisations d'extrême-gauche en France et, pour ce qui nous intéresse ici, les organisations trotskystes, donnent leur analyse de la situation au Portugal et tentent de définir une politique pour la classe ouvrière.

La politique définie par les organisations qui agissent en France, n'influe certes pas sur le déroulement des choses au Portugal. Elle est cependant significative de la politique que ces organisations mèneraient ici même en cas de montée ouvrière. C'est à ce titre qu'il nous semble nécessaire de discuter certains aspects de la politique de deux des principales organisations qui, comme nous, se réclament du trotskysme, en l'occurrence la Ligue Communiste et l'Organisation Communiste Internationaliste.

 

Une situation révolutionnaire

 

Dans un numéro d' Informations Ouvrières daté du 23 juillet, l'OCI se vante d'avoir été la seule à avoir reconnu que « le 25 avril 1974 la révolution prolétarienne a commencé au Portugal ». Il ne s'agit pas d'une clause de style puisque, dans le même numéro, Informations Ouvrières caractérise ainsi le 25 avril 1974 : « La dictature caetaniste salazariste s'est effondrée sous le double mouvement du coup d'État organisé par les militaires et du mouvement des masses laborieuses prenant en charge, quelques heures après le déclenchement du coup d'État la destruction des institutions salazaristes corporatistes de l'État bourgeois. En détruisant les institutions corporatistes, ce qui n'était en rien le but recherché par les militaires, les masses travailleuses ont démantelé l'appareil d'État bourgeois et amorcé le début de la révolution prolétarienne au Portugal. ».

Par ailleurs, le mouvement des masses lui-même n'a pas été pour l'OCI une conséquence du coup d'État du MFA, mais, inversement, le coup d'État lui-même était la dernière tentative désespérée de la bourgeoisie portugaise pour endiguer le mouvement des travailleurs.

C'était évidemment mettre la charrue devant les boefs et considérer comme accompli ce qui restait encore à accomplir. Au lendemain du 25 avril, non seulement les masses travailleuses n'en étaient pas encore à démanteler l'appareil d'État, mais elles accordaient à l'un des principaux piliers de cet appareil d'État, à l'armée, toute leur confiance. Confiance généreusement accordée, y compris au bénéfice d'hommes qui, comme Spinola, avaient occupé les premières places à la tête de l'État salazariste.

L'appréciation du 25 avril 1974 par la Ligue était plus prudente, en ce sens qu'elle met bien le renversement de Caetano au compte du MFA, mais elle n'en parlait pas moins d'un « février » des masses travailleuses portugaises, et de « la destruction de l'appareil d'État fasciste proprement dit » qui a été « surtout l'oeuvre de l'initiative des masses ouvrières et laborieuses ». (déclaration de la L.C. juin 74).

La discussion sur cette question n'est pas académique. La politique révolutionnaire consiste à définir et à défendre des objectifs correspondant au degré de conscience et de maturation du prolétariat ; des objectifs tels qu'il apparaisse nécessaire aux travailleurs de lutter pour les atteindre ; et qu'en luttant pour les atteindre, ils franchissent une étape dans la prise de conscience. En s'illusionnant sur le rôle et l'intervention réelle de la classe ouvrière, en prêtant à la classe ouvrière un degré de conscience et d'organisation supérieur à la réalité, en fixant des objectifs qui ne correspondent pas au degré de maturité réel, on n'avance pas, on retarde la prise de conscience.

Comment aurait-il été possible de définir une politique juste, en partant de l'idée que la classe ouvrière avait déjà détruit l'appareil d'État, alors même qu'elle avait d'immenses illusions à l'égard d'un des éléments constitutifs essentiels de l'appareil d'État, en l'occurrence l'armée.

Il est nécessaire de dire ici quelques mots quant à la politique de la LCR comme de l'OCI sur cette question. Car, justement, leur politique non seulement n'aurait pas été apte à éclairer les masses laborieuses sur le rôle de l'appareil d'État, mais au contraire, aurait encore renforcé les illusions.

L'un comme l'autre mettait en avant à cette époque l'idée de « l'épuration » de l'appareil d'État. Oh, marxisme oblige, ils ne parlaient pas de l'appareil d'État en général, mais de l'armée, c'est-à-dire une des parties constitutives de cet appareil d'État.

C'est ainsi qu'il y a un an, le numéro du 4 octobre 1974 de Rouge, mettait en avant comme un des objectifs essentiels d'un front anti-fasciste « la purge complète des forces armées des éléments droitiers réactionnaires, spinolistes, anti-communistes, réserve potentielle d'un putsch fasciste ». Cela, pour éviter que le Portugal ne devienne un nouveau Chili.

Autant il était nécessaire de définir une politique à l'égard du courant petit bourgeois radical qu'était, au sein de l'armée, le MFA en ses débuts, et de soutenir ceux des objectifs du MFA qui correspondaient aux aspirations des travailleurs et des paysans, autant il était faux de proposer aux travailleurs comme objectif d'épurer tout ou partie de l'appareil d'État. Car c'était là propager des illusions graves. L'État bourgeois ne peut être épuré, ni totalement, ni dans ses éléments constitutifs. Il doit être détruit. Tant qu'il est en place, sous quelque forme que ce soit, les dangers d'un coup d'État à la chilienne demeurent entiers. Il n'y a pas de bonne armée bourgeoise - pourquoi pas une armée démocratique ? - que les travailleurs pourraient obtenir en épurant l'armée de ses mauvais éléments.

Cette politique de la Ligue et de l'OCI, susceptible de propager des illusions à l'égard de l'armée et donc de l'État bourgeois, allait de pair avec une absence de politique à l'égard du MFA tenant compte des espoirs soulevés parmi les masses travailleuses par les objectifs que se proposait d'atteindre le MFA

L'OCI se contentait d'affirmer que le pouvoir du MFA était une dictature militaire - ce qui était sur le fond incontestable - et considérait que la question était réglée par cette considération générale. Il lui était tout naturel d'en conclure que tout ce qui venait des militaires était mauvais.

Mais l'idée ne lui est apparemment pas venue de se demander comment les travailleurs pouvaient comprendre une appréciation politique qui mettait un signe d'égalité entre les courants qui, au sein de l'armée, s'affirmaient partisans de transformations démocratiques dans le pays, qui avaient appelé au gouvernement les deux grands partis ouvriers et, d'autre part, les courants réactionnaires ?

Dans cette armée portugaise, dans ce corps des officiers travaillé par différents courants politiques, le MFA représentait - du moins en ses débuts - un courant petit bourgeois radical, se fixant des objectifs démocratiques bourgeois qui correspondaient aux aspirations de larges masses. Certes, objectivement, pour des raisons sociales profondes, ce courant ne pouvait pas aller jusqu'au bout de ses propres objectifs, il ne pouvait pas ne pas trahir, sous une forme ou sous une autre, ses propres idéaux. Les espoirs des travailleurs et des paysans à l'égard du MFA étaient donc fondés sur des illusions.

Mais les travailleurs ne pouvaient dépasser leurs illusions qu'en faisant leur propre expérience. Il fallait oeuvrer dans ce sens, en soutenant les objectifs du MFA qui allaient dans le sens des aspirations des masses travailleuses, en mobilisant les travailleurs sur ces objectifs, en sorte que les travailleurs se rendent compte par leur expérience de la contradiction entre les objectifs proclamés du MFA et ce qu'il faisait réellement.

Dans une période où de larges masses faisaient confiance au MFA, précisément parce que celui-ci se proposait de réaliser des objectifs correspondant à leurs aspirations, cela aurait été se couper des masses que de s'opposer en bloc à la politique du MFA

Il fallait au contraire soutenir ceux des objectifs du MFA qui étaient justes, la réforme agraire, par exemple. Il fallait, au contraire, affirmer hautement que, chaque fois que le MFA fait un pas en avant dans le sens de la satisfaction des revendications démocratiques, il a le soutien des travailleurs contre la réaction. Mais il fallait, en même temps, dire que la meilleure façon de faire en sorte que ces objectifs se réalisent, c'est que les travailleurs, les paysans pauvres, s'organisent pour imposer la satisfaction de ces revendications contre tous ceux qui y mettent des obstacles. Aux côtés du MFA si, lui, y était prêt, indépendamment sinon.

Une telle politique de front unique, un tel soutien à l'égard de certains aspects de la politique du MFA, une telle solidarité de fait face à la réaction n'est non seulement en rien contradictoire avec la nécessité de conduire les travailleurs à perdre leurs illusions à l'égard du MFA, mais c'est même la seule manière d'y parvenir.

 

Le Parti socialiste, le Parti communiste et le front unique

 

Un des principaux dangers dans la situation présente au Portugal, est que l'avant-garde de la classe ouvrière, ses éléments les plus avancés, se coupent de la grande masse des travailleurs. Ce serait d'un aventurisme irresponsable pour une organisation révolutionnaire que de fixer des objectifs politiques à partir de l'état d'esprit de la minorité la plus avancée, et de la conduire à des affrontements auxquels la majorité des travailleurs assisterait sans broncher, voire avec hostilité à l'égard de leurs camarades.

Il faut définir une politique correspondant aux aspirations communes des ouvriers socialistes, des ouvriers communistes, et proposer des objectifs en conséquence au Parti Socialiste, au Parti Communiste et à toutes les organisations ouvrières. C'est cela le fond d'une politique de front unique.

L'OCI comme la Ligue se proclament toutes les deux partisans d'une telle politique. Mais qu'y a-t-il derrière ces affirmations de principe ?

La politique de front unique est la seule à répondre aux nécessités de la situation qui exige que la classe ouvrière serre ses rangs pour défendre ses acquis et pour préparer ses solutions. L'agitation pour cette politique est aussi la meilleure façon de démontrer aux yeux des travailleurs que si les grands partis ouvriers, le Parti Socialiste et le Parti Communiste ne s'entendent pas entre eux, s'ils consacrent une large part de leurs activités à se combattre mutuellement, ce n'est pas parce que l'un des deux défend les intérêts des travailleurs et l'autre non mais parce que chacun défend une variante différente des solutions bourgeoises à la crise actuelle du pouvoir.

Encore faut-il justement que les organisations révolutionnaires refusent de rentrer dans le jeu des deux partis, refusent de cautionner la politique de l'un par rapport à la politique de l'autre. Car si on peut faire une certaine différence dans la composition et dans l'audience des deux partis, si l'on peut dire par exemple que le Parti Communiste a plus d'audience dans l'avant-garde la plus active de la classe ouvrière alors que le Parti Socialiste a une audience plus large, englobant également des secteurs de travailleurs attardés, moins conscients, la politique de la direction de l'un est aussi condamnable que la politique de la direction de l'autre.

Or, à des degrés très différents - et il faut tout de même souligner cette différence - la Ligue comme l'OCI épousent la querelle de l'un ou de l'autre des deux partis. Pour la Ligue, la préférence pour le Parti Communiste est très nuancée et elle se manifeste surtout dans la vigueur plus grande des coups portés au Parti Socialiste.

Lors de Affaire du Republica, la Ligue a fini par prendre position contre l'occupation de Republica, mais la première réaction de la Ligue a été de se démarquer de la campagne anti-communiste déclenchée par le Parti Socialiste à propos de cette affaire, sans dire un mot sur le fond de l'affaire elle-même, sans se démarquer tout aussi vigoureusement du danger profond que comportent pour le processus révolutionnaire les attaques contre la démocratie ouvrière, contre la totale liberté d'expression et de réunion au sein de la classe ouvrière, dont le Parti Communiste s'est fait le champion.

Par ailleurs, les révolutionnaires doivent combattre les staliniens lorsqu'ils s'opposent aux tendances à l'intérieur de l'organisation syndicale, même si le Parti Socialiste mène le même combat pour de tout autres raisons. Il est évident en effet qu'il n'appartient pas aux révolutionnaires de cautionner ni de près ni de loin la politique du Parti Communiste face à l'organisation syndicale. Cela signifie que les révolutionnaires ne reconnaissent pas l'Intersyndicale, direction mise en place par le PC, pour chapeauter l'ensemble des organisations syndicales, qui n'a jamais été élue par personne et qui n'est bien entendu pas révocable.

Dans le cas de l'OCI, il est question d'une politique délibérément choisie de soutien sans fard et sans honte au Parti Socialiste. A une question posée à Informations Ouvrières par un lecteur lui reprochant « d'identifier Soares à la révolution », IO. réplique : « Constater que /a radicalisation des masses utilise le canal du Parti Socialiste ne signifie pas adopter le programme ou la politique de la direction du PS portugais. Mais aveugle serait celui qui refuserait de voir que sur les problèmes brûlants de la révolution, aujourd'hui, le PS Portugais a engagé un combat qui rejoint les intérêts fondamentaux du prolétariat (démocratie ouvrière dans les syndicats, élections municipales, respect de la Constituante, liberté de la presse, etc...) » (IO. du 10 septembre). La petite réserve verbale ne pèse guère devant la suite...

Nous reviendrons ci-dessous sur le soutien accordé par l'OCI au PS sur le fond, c'est-à-dire sur le combat pour le parlementarisme bourgeois. Au moins, elle ne cache même pas les ambiguïtés dans ce domaine, en déclarant lors de son meeting à Paris : « Pour ses propres raisons, la social-démocratie vise à restaurer les cadres de la démocratie bourgeoise parlementaire et, ce faisant, elle ouvre des brèches au prolétariat ».

Le soutien embrasse tous les domaines. C'est ainsi que lors de l'affaire Republica, si l'OCI avait raison de prendre position sur l'attitude du PCP. et des gauchistes portugais face à la démocratie ouvrière, elle n'a pas complété cette prise de position en se démarquant de la campagne anti-communiste déclenchée par le PS en cette occasion. Au contraire, elle s'y est associée, mieux, elle en a fait son cheval de bataille politique pendant des semaines.

Dire que l'OCI épouse la querelle du PS contre le PC est peu dire. Elle le soutient sans condition, elle lui décerne des brevets, elle justifie sa politique, dans les grandes orientations comme dans la plupart des prises de position concrètes. Les masses ont voté PS car c'est le PC qui brise les grèves. Les masses ont voté PS contre le PC, agent direct offensif de la contre-révolution : voilà comment l'OCI commente le résultat des élections.

De la même manière, et sans la moindre nuance critique à l'égard des motivations du PS, l'OCI avait applaudi au départ des ministres socialistes du gouvernement Gonçalves comme « un acte correct du point de vue des intérêts des travailleurs ». Elle était par contre plus discrète sur le retour du même PS au gouvernement d'Azevedo...

Il est évident que faire du suivisme par rapport au Parti Socialiste d'une façon aussi éhontée n'a rien de révolutionnaire, n'éduque en rien les travailleurs, ne permet en rien de faire comprendre à la base ouvrière du PS la politique réactionnaire de sa direction. Il est vrai que c'est là que gît le problème : pour l'OCI, la politique de Soares n'est pas réactionnaire, objectivement « elle rejoint les intérêts de la classe ouvrière ».

Mais il est évident aussi que si une organisation qui se veut révolutionnaire professe une pareille admiration pour Soares, ses prises de position en faveur du front unique - et même si elle s'en est fait de longue date une spécialité - sont une clause de style.

Quel militant du Parti Communiste aurait envie de s'engager dans un front unique constitué sur la base des positions du Parti Socialiste ?

 

Le front unique et son programme

 

Dans sa résolution votée les 30 et 31 août la Ligue Communiste formule ainsi son programme de front unique : « Une orientation indispensable de Front Unique Ouvrier doit aujourd'hui s'articuler autour d'une campagne d'agitation, de propagande et d'initiatives concrètes pour appeler les militants et les directions des grands partis ouvriers traditionnels - PS et PCP. - à oeuvrer à la construction et à la centralisation de ces organes de pouvoir ouvrier naissant, où des travailleurs socialistes, communistes, révolutionnaires et non-affiliés se retrouvent déjà côte-à-côte pour défendre leurs conquêtes, organiser l'auto-défense en liaison avec les casernes et assumer de plus en plus les fonctions de prise en charge du contrôle ouvrier et de la gestion populaire relevant d'un embryon de pouvoir d'État ».

Il est vrai que la perspective du front unique, c'est la prise du pouvoir par le prolétariat, au travers d'organisations représentant l'ensemble de la classe ouvrière par delà la diversité des courants qui existent en son sein. Il est vrai que toute proposition concrète de front unique doit se situer dans cette perspective, et doit faire avancer la conscience des travailleurs vers la compréhension de la nécessité de la prise du pouvoir. Mais ces propositions doivent tenir compte du niveau de conscience déjà atteint par les travailleurs.

Dans le passage ci-dessus, la Ligue propose comme base concrète du front unique l'adoption par les autres organisations ouvrières, y compris par les grands partis réformistes... de la politique révolutionnaire. C'est une façon de ne pas être, dans les faits, pour le front unique, tout en en proclamant la nécessité.

Il est certes possible, par une politique de front unique adaptée, d'amener les organisations réformistes à aller bien au-delà de ce qu'elles souhaiteraient. C'est même finalement un des buts fondamentaux du front unique. Seulement, il n'est pas possible de convaincre ces organisations réformistes par des idées justes. Il est seulement possible de les pousser, en avançant une politique qui apparaisse comme juste à leur base, c'est-à-dire à la majorité des travailleurs socilistes et communistes. Mais c'est bien pourquoi il faut savoir ce que l'on propose concrètement. La nécessité d'une « centralisation des organes de pouvoir ouvrier naissant » n'est certainement pas admise par l'écrasante majorité de la classe ouvrière qui regarde vers la Constituante, vers les partis, vers le MFA.

Proposer aujourd'hui la centralisation des comités, en tant « qu'organes du pouvoir ouvrier naissant, alors même que les travailleurs sont très loin de se trouver représentés par les comités, même au niveau local, ce n'es pas une façon d'oeuvrer véritablement dans le sens de cette centralisation. C'est, ou bien du bavardage vide, ou, si la proposition est suivie d'effet, la centralisation serait tout à fait artificielle. En l'absence de la pression, du contrôle de la masse des ouvriers, ces « organes centralisateurs », seraient le champ clos d'affrontements entre groupes qui y participent. Jusqu'au moment en tous les cas, où chacun de ces groupes jugera préférable de créer son propre « centre de coordination », concurrent de celui du voisin.

Cela ne signifie évidemment pas que chercher à renforcer et à centraliser ces « organes de pouvoir naissant », chercher à montrer aux travailleurs qu'il y a là le fondement d'un pouvoir politique ouvrier, ne soit pas juste et indispensable. Seulement, cela, c'est la politique et la propagande des organisations révolutionnaires. Le travail reste encore à faire. Mais c'est encore mettre la charrue avant les boefs que de supposer que l'idée est tellement ancrée dans la tête des travailleurs qu'elles l'imposeront à des organisations réformistes qui, comme on le sait parfaitement, y sont hostiles.

Demain, les partis réformiste et stalinien seront sans doute dans ces conseils ouvriers, à la création desquels ils s'opposent aujourd'hui. C'est dans la nature des choses : le réformiste et chauvin parti social-démocrate allemand s'est dépêché en 1918 d'occuper les premières loges dans les conseils ouvriers. Mais encore faut-il que ces conseils existent ! Encore faut-il que les travailleurs en comprennent la nécessité. Et c'est précisément parce que la classe ouvrière portugaise, malgré la rapidité de sa prise de conscience, n'en est pas encore là, qu'il n'est pas juste de parler de situation révolutionnaire.

Alors, les propositions de front unique que l'on peut d'ores et déjà imposer aux organisations réformistes, doivent comporter des jalons dans cette évolution. C'est ainsi par exemple qu'il est parfaitement juste de proposer comme un des objectifs du front unique la défense de toutes les formes de démocratie ouvrière, donc la défense des comités de travailleurs. Il faut surtout actuellement multiplier ces comités, attirer vers eux le maximum de travailleurs. Il est également juste de proposer que ces comités puissent se donner les moyens de se défendre, et puissent organiser autour d'eux, sous leur contrôle, des milices ouvrières, sur la base des usines, sur la base des quartiers.

La défense des conditions d'existence des travailleurs, l'échelle mobile, le refus du chômage par répartition du travail, sont également des revendications parfaitement justifiées aux yeux de tous les travailleurs. Comme est justifiée la nécessité de proposer aux paysans de combattre ensemble pour la satisfaction d'un certain nombre de leurs revendications élémentaires de manière à les soustraire à l'influence de l'Église. Comme est justifiée la nécessité pour les organisations ouvrières d'armer les travailleurs contre un coup d'État, d'où qu'il vienne.

Tous ces points, et sans doute bien d'autres, peuvent être à la base de propositions de front unique concrètes, correspondant au niveau de conscience des travailleurs.

 

La question de la constituante

 

Après cinquante ans de dictature, l'aspiration à la démocratie, aux libertés démocratiques, etc..., est profondément inscrite dans la conscience de la classe ouvrière. Au niveau de conscience atteint par le prolétariat portugais, pour la grande majorité de celui-ci, l'Assemblée Constituante représente encore la concrétisation politique de ces libertés démocratiques. C'est prendre ses désirs pour la réalité que de croire que la révolution portugaise a atteint un degré de maturation permettant d'envisager de sauter par-dessus une phase parlementaire. C'est tout à fait ridicule, alors même que la classe ouvrière ne s'est même pas encore donné des organismes qui pourraient devenir des organes de son pouvoir d'État futur. Quand bien même existeraient déjà des conseils ouvriers, la question de l'Assemblée Constituante ne serait pas encore réglée pour autant. Car même si l'écrasante majorité de la classe ouvrière se retrouvait représentée dans des organismes de type soviétique il n'en serait pas nécessairement ainsi pour la paysannerie. Or, on ne sait que trop bien que le rythme de l'évolution des choses a pis du retard dans les campagnes. Il ne faut pas que la classe ouvrière dédaigne les aspirations démocratiques des campagnes, aspirations qui, jusqu'à nouvel ordre, se concrétisent dans l'Assemblée Constituante.

Mais, encore une fois, nous n'en sommes même pas encore là. La classe ouvrière elle-même regarde, pour une large part, vers la Constituante. Lorsque le Parti Socialiste se pose en combattant pour les droits de l'Assemblée Constituante, face au MFA, face au PC, il s'appuie sur des sentiments réels, y compris parmi les travailleurs. Aussi est-il parfaitement stupide de réclamer la dissolution de la Constituante, comme la font certains groupes maoïstes. Il n'est même pas juste, comme le fait la Ligue dans sa résolution déjà mentionnée des 30 et 31 août, de ne pas vouloir défendre l'Assemblée Constituante.

Il va sans dire que les révolutionnaires se battront contre toute tentative de coup de force de la réaction pour faire disparaître l'Assemblée Constituante. Il va sans dire que les révolutionnaires n'engagent pas la lutte contre cette institution, fut-elle comme le dit la Ligue, à juste titre, « une structure agonisante de l'État bourgeois délabré », tant que toute une partie des travailleurs, et la majorité de la paysannerie mettent leurs espoirs dans cette institution.

Il s'agit, là encore, de montrer concrètement, dans les faits, par l'expérience quotidienne, ce qu'est l'Assemblée Constituante.

Cela dit, L'OCI sombre dans l'électoralisme le plus complet à propos de l'Assemblée Constituante. Elle y voit l'expression de la souveraineté populaire, reprend à son compte, jusques et y compris les formulations les plus surannées de l'électoralisme. Qui pis est, elle essaie de mettre Trotsky dans sa galère, en répétant que Trotsky n'a jamais opposé les mots d'ordre de la démocratie bourgeoise à ceux de la révolution prolétarienne.

Trotsky ne l'a jamais fait en effet. Mais si le prolétariat révolutionnaire doit reprendre à son compte les mots d'ordre de la démocratie bourgeoise, c'est entre autres pour couper l'herbe sous les pieds des organisations bourgeoises libérales, comme d'ailleurs sous les pieds des organisations réformistes, en montrant que la réalisation des mots d'ordre démocratiques exige précisément ce que tous ces gens ne veulent pas, l'organisation et l'action décidées des travailleurs.

Constituante ? Soit. Mais il s'agit de, montrer que la politique du Parti Socialiste, son flirt avec le PPD, avec la réaction, conduit à enterrer la Constituante, et non pas soutenir le PS en proclamant qu'on le fait parce que le PS est pour la Constituante !

Il s'agit de montrer aux ouvriers qui font confiance aux règles de la démocratie bourgeoise, comme aux paysans, que c'est seulement leur organisation, leur armement, qui peut conquérir ou sauvegarder même ces règles. « Ouvriers, paysans, si vous voulez des organisations représentatives, si vous voulez que vos votes soient respectés, organisez-vous, armez-vous », c'est seulement avec un tel langage que l'on peut amener la classe ouvrière du stade parlementaire au stade où elle sera préparée à se passer de parlement. C'est seulement avec un tel langage que l'on peut éviter que les paysans ne considèrent les ouvriers en ennemis qui s'opposent à leurs aspirations démocratiques, et éviter aussi que les paysans ne se retrouvent derrière des partis réactionnaires qui se présentent aujourd'hui volontiers comme des partisans de la Constituante.

 

Gouvernement Parti socialiste - Parti communiste

 

Le couronnement de tout l'édifice politique de l'OCI est comme le résume le numéro du 10 septembre d'Informations Ouvrières : « Un gouvernement PS-PCP., sans ministres bourgeois ni du MFA, gouvernement présidé par Mario Soares. Ce serait là la voie la plus facile pour le peuple travailleur qui attendrait d'un tel gouvernement qu'il entreprenne de satisfaire ses légitimes revendications ».

S'il y avait un système de comités ouvriers. englobant l'ensemble du pays, si la grande majorité de la classe ouvrière se trouvait représentée par ces comités, exiger que les grands partis de la classe ouvrière assument leurs responsabilités en prenant le pouvoir à la tête de ce système de comités, cela aurait un sens précis. Le sens de mettre ces partis au pied du mur, de montrer qu'ils ne veulent ou ne peuvent exercer le pouvoir pour le compte de la classe ouvrière.

Mais revendiquer qu'ils exercent le pouvoir à la tête d'un État qui, avec le P.P.D. ou sans le P.P.D., serait un État bourgeois, c'est jouer les entremetteurs et, de surcroît, de façon dérisoire, car le PS et le PCP. n'ont nul besoin d'entremetteur pour servir la bourgeoisie à la tête de l'État.

Qui contrôlerait ce gouvernement, de manière à ce qu'il « entreprenne de satisfaire les légitimes revendications » des travailleurs ? L'Assemblée Constituante, « expression de la souveraineté populaire », répond sagacement l'OCI Si « crétinisme parlementaire » signifie quelque chose, qu'est-ce qu'il signifierait d'autre ?

La Ligue de son côté dénonce le mot d'ordre de « gouvernement PC-PS », en particulier dans sa résolution des 30-31 août. Mais dans le même texte elle dit - et l'idée revient à plusieurs reprises, donc il ne s'agit pas de maladresse de formulation : « ... La campagne propagandiste en faveur d'un gouvernement des travailleurs - à ce stade un gouvernement des organisations ouvrières puisque la centralisation des organes de pouvoir ouvrier n'est pas encore réalisé - qui satisfasse immédiatement les revendications ouvrières, paysannes, populaires, s'appuie sur les Comités des Travailleurs, commissions de moradores, assemblées populaires et qui soit responsable devant elles pour réaliser un programme de mesures anti-capitalistes . » .

Une campagne propagandiste démontrant la nécessité d'un gouvernement des travailleurs est bien sûr indispensable... Mais que signifie alors que « à ce stade » le gouvernement des travailleurs serait « un gouvernement des organisations ouvrières » ? Est-ce que cela signifie qu'il faut passer de la propagande à l'agitation, en proposant comme objectif immédiat un « gouvernement des organisations ouvrières » ? Mais un tel gouvernement serait à l'heure actuelle un gouvernement PC-PS La Ligue ajoute certes qu'il faut qu'un tel gouvernement soit responsable devant les comités. Mais c'est une clause de style, justement parce que « la centralisation des organes de pouvoir ouvrier » n'est pas réalisée ; justement parce que ces comités ne sont pas encore représentatifs de la classe ouvrière !

Que peut bien signifier dans ces conditions un gouvernement PC-PS du point de vue de la conscience de la grande masse des travailleurs ? Que ces deux partis devraient éliminer le MFA et gouverner seuls ? Comment ? En s'appuyant sur qui ?

« A ce stade », c'est-à-dire dans les conditions actuelles où la classe ouvrière ne s'est pas encore donné les moyens de contrôler le pouvoir politique ; où dans sa grande majorité elle n'est même pas encore consciente de la nécessité de le faire, un gouvernement PC-PS, à supposer qu'il soit possible, ne serait pas un gouvernement des travailleurs mais un gouvernement bourgeois. Revendiquer, aujourd'hui, un gouvernement des organisations ouvrières appuyé sur les masses travailleuses, est ou bien une phrase en l'air sans rapport avec le niveau de conscience réel des travailleurs, ou bien une façon honteuse de revendiquer un gouvernement PC-PS dans le cadre du parlementarisme bourgeois.

On voit donc, au travers de l'ensemble de ces problèmes, qu'il est possible de mettre bien des choses derrière des formulations trotskystes abstraites. Tout en utilisant le même vocabulaire, des différences importantes, parfois fondamentales, séparent notre politique de celle de la Ligue ou de l'OCI

 

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