L'International Communist League et les problèmes de l'unité du mouvement trotskyste01/02/19771977Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

L'International Communist League et les problèmes de l'unité du mouvement trotskyste

 

Nous publions ci-dessous, à la demande des camarades de l'International Communist League (Grande-Bretagne), un texte qui était la réponse de cette organisation à l'Adresse au mouvement trotskyste signée par les quatre organisations Combat Ouvrier (Antilles), Lutte Ouvrière (France), Spark (États-Unis) et l'Union Africaine des Travailleurs Communistes Internationalistes (immigration africaine en France). Nous y proposions à l'ensemble des groupes et des tendances qui se réclament du trotskysme de mettre sur pied un cadre permanent de discussion et de collaboration ouvert à tous les groupes trotskystes.

Cette adresse fut publiée dans le numéro 34 de Lutte de Classe. A la suite de celle-ci, rappelons-le, plusieurs conférences internationales eurent lieu qui aboutirent à la création, en novembre dernier, d'un Comité de Liaison International auquel participent justement Combat Ouvrier, ICL, Lutte Ouvrière, Spark et l'UATCI. Il a été convenu entre autres entre ICL et Lutte Ouvrière d'un échange d'articles dans les revues des deux organisations.

 

Adresse à la conférence internationale convoquée par lutte ouvrière (mars 1976)

 

Nous avons précisé notre position dans la résolution de fondation de l'ICL.

« Dans l'après-guerre, le mouvement de la Quatrième Internationale a subi l'érosion et la désorientation idéologique... Au matérialisme dialectique de Trotsky, on a substitué un évolutionnisme vulgaire, qui voit la « révolution mondiale » en tant que « processus » mystique qui se propage irrésistiblement, agissant derrière ou même en dépit de la lutte réelle de classes... A cette désorientation idéologique générale, les courants « anti-pablistes » ont ajouté un élément de plus de confusion empoisonnée.

Dès maintenant, nous précisons nos tâches comme les suivantes :

a) construire une organisation communiste-internationaliste dans la classe ouvrière britannique ;

b) contribuer aux dialogues, discussions et débats à l'échelle internationale et, sur cette base, chercher à construire des liens internationaux avec ceux qui sont du même avis.

Il faut une tâche énorme de régénération idéologique pour établir les bases pour une nouvelle Internationale communiste. Nos principes sont des principes léninistes. Ils exigent de nous non pas des déclarations d'affinité avec la vaste variété des tendances politiques issues du trotskysme de 1938, mais des critiques politiques vives et des démarcations claires.

Plusieurs tendances se réclament de la tradition du trotskysme. Aux problèmes des 30 années dernières, elles donnent des réponses tout à fait différentes. En effet, bien que toutes se réclament des mêmes idées de base, elles ont des programmes différents. Si nous les estimons toutes « trotskystes », alors le terme « trotskyste » est aussi vague et flou que le terme « marxiste ».

Il nous faut nous battre contre les faux programmes « trotskystes », et reconstruire un programme communiste-internationaliste authentique et vivant. Nous rejetons l'unité sur la base de l'étiquette « trotskyste » ou sur la base des « textes classiques » en commun. Une telle unité serait contraire au principe communiste de base de la primauté du programme - si nous comprenons le programme en tant que sommaire vivant d'une réponse active aux événements, pas en tant que « textes classiques ».

Les textes classiques sont importants. Mais il faut que leur signification et leur pertinence soient toujours réétablies à travers une lutte contre les fausses interprétations. Kautsky et les dirigeants de la IIe Internationale ont toujours prétendu suivre les textes classiques de Marx et d'Engels.

Les faux programmes avec l'étiquette « trotskyste » sont plus nuisibles que les programmes qui déclarent ouvertement leur différence avec l'internationalisme communiste.

Nous pouvons discuter patiemment avec des ouvriers juifs au sujet du sionisme. Néanmoins nous crachons sur ceux - tels le « Comité Organisateur pour la Reconstruction de la IVe Internationale » - qui se compromettent avec le sionisme sous prétexte d'un souci « trotskyste » pour l'unité des ouvriers juifs et arabes.

Nous pourrions discuter patiemment avec des ouvriers vietnamiens qui auraient des illusions à l'égard du Front de Libération Nationale. Nous condamnons ces « trotskystes » - tel le Secrétariat Unifié de la IVe Internationale - qui abandonnent le programme élémentaire de la révolution ouvrière au Vietnam.

Nous pouvons discuter patiemment avec des ouvriers réformistes qui veulent retirer la Grande-Bretagne du Marché Commun afin de suivre la « voie parlementaire au socialisme ». Nous ne pouvons que condamner des « trotskystes » qui disent qu'ils veulent retirer la Grande-Bretagne du Marché Commun - afin de construire les États-Unis socialistes d'Europe !

Nous avons davantage de choses en commun avec des simples militants social-démocrates qu'avec ces tendances qui essaient de présenter une politique social-démocrate comme « trotskyste » - tels l'OCI en France, la tendance « Militant » en Grande-Bretagne, etc.

International Communist League

 

Réponse de Lutte Ouvrière

 

Il est tout à fait exact que l'un des reproches essentiels que l'on puisse faire à pratiquement toutes les tendances du mouvement trotskyste, et notamment à celle qui compose le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, est effectivement d'avoir substitué « un évolutionnisme vulgaire » au « matérialisme dialectique ». Et il est vrai que cela a conduit ces tendances à accrocher leur wagon à tel ou tel mouvement nationaliste radical dans les pays sousdéveloppés, ou à tel ou tel courant réformîste ou stalinien dans les pays industrialisés. En tout cas ce fut là la méthode de raisonnement qui servit à justifier le fait de céder à la pression de ces mouvements ou de ces partis.

Sur ce point nous sommes en accord avec l'ICL. L'une des caractéristiques politiques de Lutte Ouvrière est justement d'avoir toujours refusé de voir des partis ouvriers dans des partis nationalistes radicaux de ces trente dernières années à travers le Tiers Monde, même si ces partis se paraient eux-mêmes de l'étiquette socialiste ou communiste, comme à Cuba ou au Vietnam par exemple (et à plus forte raison bien sûr de voir des États ouvriers dans les États mis en place par ces partis). Ou encore de croire qu'aujourd'hui en France, autre exemple, une politique révolutionnaire ouvrière consiste à mettre en avant le mot d'ordre de gouvernement Parti Socialiste-Parti Communiste, en qualifiant un tel gouvernement de gouvernement des partis ouvriers et en feignant de croire que d'une manière ou d'une autre sa mise en place ouvrirait automatiquement la voie de la révolution prolétarienne et du socialisme.

Et en ce sens nous nous battons et nous continuerons à nous battre contre « Ies faux programmes trotskystes » et pour « un programme communiste internatîonaliste authentique et vivant ».

Critiquer sans concession le programme et la politique des autres tendances ou groupes trotskystes est une chose nécessaire et indispensable. Y renoncer sous prétexte d'unité du mouvement trotskyste, c'est-à-dire conclure des accords opportunistes où chacun fait semblant de ne pas voir ce avec quoi il est en désaccord dans la politique des autres, est condamnable. Chaque fois que cette politique fut pratiquée - et elle le fut plus d'une fois - la suite a prouvé que sur de telles bases pourries, il était impossible de rien construire. Bien des scissions dans le mouvement trotskyste de ces dernières années ne s'expliquent pas autrement.

Mais ce n'est pas ce que nous proposons ni ce que nous proposions dans l'Adresse. Nous prenions bien soin même d'indiquer tout le contraire.

Le problème est de savoir si cette critique sans concession doit empêcher d'une part un réel dialogue entre les différentes tendances du mouvement trotskyste, d'autre part de faire un certain nombre de choses en commun.

Nous ne le pensons pas. Et d'ailleurs nous pensons que le Comité de Liaison International que nous avons mis sur pied avec, entre autres, l'ICL., avec qui nous avons pourtant bien des divergences, peut prouver le contraire.

De même d'ailleurs que peuvent prouver le contraire les discussions et les actions communes que notre tendance internationale a commencées avec le Secrétariat Unifié, avec qui nous avons aussi bien des divergences.

Et nous ne le pensons pas parce que nous pensons que, quels que soient leurs errements, quelquefois énormes, nous avons quelque chose en commun avec les tendances ou les groupes qui se réclament du trotskysme, du Programme de Transition et de la Quatrième Internationale, que nous n'avons pas avec tous les autres.

Certes les « vieux textes » ne sont pas des talismans qui protègent des erreurs, loin de là, mais le fait de se réclamer explicitement du communisme, de l'internationalisme, de la lutte de l'Opposition de gauche contre la dégénérescence stalinienne a tout de même une signification. Le fait de vouloir construire une Internationale communiste sur les bases du Programme de Transition aussi. Ce sont la base et le but que nous avons en commun dans le mouvement trotskyste. Ce n'est pas rien.

Pour construire la Quatrième Internationale, il nous faudra gagner des ouvriers juifs, aujourd'hui sous l'influence sioniste, des ouvriers vietnamiens, qui ont considéré le FNL comme leur organisation, et des militants sociaux-démocrates. C'est vrai.

Mais dire que nous avons plus de choses en commun avec des militants sociaux-démocrates, qui ne se disent pas révolutionnaires, qui ne se disent pas internationalistes, qui sont anti-communistes, qu'avec des militants trotskystes sous prétexte que ceux-ci cèdent ou ont cédé à la pression... de ces mêmes sociaux-démocrates est un non sens. Ou alors les mots ne veulent plus rien dire.

Ou plutôt ce pourrait être la justification d'une politique... très semblable à celle des groupes que l'ICL. critique si fort : la politique qui consiste à développer un sectarisme outrancier contre toutes les autres tendances trotskystes accusées des pires trahisons, tout en développant les plus amicales relations avec certains groupes réformistes et le plus grand suivisme vis-à-vis d'eux. l'OCI. justement nous a donné une excellente illustration de ce phénomène en France en faisant du « pablisme » son pire ennemi, tout en étant plus que suiviste vis-à-vis de la bureaucratie du syndicat Force Ouvrière.

Pour notre part nous continuons à penser que l'un des moyens de reconstruire au plus vite la Quatrième Internationale est, tout en défendant notre programme et attaquant toutes les politiques opportunistes menées par des trotskystes, de développer le dialogue et la collaboration entre les différentes tendances de ce mouvement trotskyste. C'est dans un tel cadre que les différentes politiques pourraient être confrontées et jugées par l'ensemble de ce mouvement, et donc qu'il pourrait se débarrasser le plus facilement de ses déformations ou rectifier ses erreurs.

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