Italie : le PC contraint de gérer la crise sans contrepartie politique01/12/19761976Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Italie : le PC contraint de gérer la crise sans contrepartie politique

 

Comme un certain nombre de gouvernements européens - en particulier le gouvernement français - le gouvernement Andreotti, en Italie, a pris à l'automne 1976 un certain nombre de mesures d'austérité draconiennes, visant à frapper durement le niveau de vie et la consommation de la classe ouvrière et de l'ensemble des couches populaires.

Mais en Italie, c'est avec l'approbation officielle des dirigeants du Parti Communiste Italien et des dirigeants syndicaux qu'est imposée cette politique d'austérité qui se déroule. C'est l'abstention du Parti Communiste lors de l'investiture d'Andreotti, au mois d'août, qui a permis la mise en place de ce gouvernement « monocolore » démocrate-chrétien, minoritaire au parlement. C'est l'abstention du Parti Communiste qui a permis que les mesures d'austérité soient adoptées. Cette abstention lors des votes parlementaires s'accompagne sur le plan politique d'un soutien ouvert à la politique d'austérité. C'est ainsi que les dirigeants du PCI, à plusieurs reprises, ont reconnu « la nécessité d'une politique d'austérité », se bornant, en tout et pour tout, à critiquer le fait que les mesures d'Andreotti soient « fragmentaires », et affirmant leur intention de lutter, simplement pour que ces mesures d'austérité comportent « plus d'équité ». Cela signifie, bien sûr, non que le PCI réclame que l'on frappe le grand capital, mais qu'il demande que l'on frappe plus durement, outre la classe ouvrière, d'autres catégories sociales : cadres, petits commerçants, professions libérales. Pour l'essentiel, les dirigeants des confédérations syndicales adoptent, dans les négociations qu'ils ont engagées avec le gouvernement, une attitude similaire.

Pourtant, les élections du 20 juin dernier avaient confirmé que le Parti Communiste, avec plus de 34,4 % des suffrages, était devenu pratiquement l'égal de la Démocratie-Chrétienne. Toute la crise politique qui avait abouti, en juin 1976, à l'organisation d'élections anticipées, tournait autour de la question de l'intégration du PCI au gouvernement. Il semblait que désormais, aucun gouvernement ne pourrait plus se faire, en Italie, sans la participation du PCI. Et, en effet, avec la force parlementaire et politique qu'il représentait désormais, le PCI semblait en état, à tout le moins, de poser l'exigence d'une participation gouvernementale. C'est en tout cas ce qui se serait produit avec tout autre parti politique bourgeois ordinaire ayant remporté un succès électoral de ce genre.

Mais le PCI n'a même pas posé cette exigence. Et, sans demander la contrepartie que serait la participation gouvernementale du PCI, il a pris, face à la classe ouvrière, la responsabilité de la politique d'austérité lancée... par la Démocratie-Chrétienne !

Militants du Parti Communiste et responsables syndicaux doivent affronter, dans les entreprises, le mécontentement ouvrier. Sans doute, ce mécontentement ne se traduit pas aujourd'hui par une perte de contrôle du PCI et des organisations syndicales sur la classe ouvrière, mais bien plutôt par le découragement et les désillusions de celle-ci. Mais le PCI devra bien payer, d'une façon ou d'une autre, le prix politique de son soutien à Andreotti. Il est trop tôt pour dire sous quelle forme il devra payer ce prix. Ce peut être sous la forme d'une perte de voix sur le plan électoral, les voix qui s'étaient portées sur le PCI lors des élections de 1975 et 1976 se détournant à nouveau de lui, pour refluer vers la Démocratie-Chrétienne ou le Parti Socialiste. C'est en tout cas, dès à présent, le renforcement politique de la Démocratie-Chrétienne. Malgré son affaiblissement électoral de ces deux dernières années, celle-ci apparaît grâce à l'abstention du PCI comme la maîtresse du jeu sur le plan politique, comme le parti qui, au prix de concessions minimes, et en tout cas tout en s'opposant à l'entrée du PCI au gouvernement, a pu amener ce dernier à composition. Le PCI l'a ainsi largement aidé à surmonter une situation qui, il y a quelques mois encore, semblait très difficile pour elle, et se caractérisait par une crise grave en son sein.

 

La démocratie-chrétienne n'a rien cédé

 

Contre ce soutien du PCI, la Démocratie-Chrétienne n'a dû donner que des contreparties minimes. Le seul compromis accepté par elle a été de laisser au PCI la présidence de l'Assemblée Nationale, et celle d'un certain nombre de commissions parlementaires. Mais la Démocratie-Chrétienne a repoussé fermement l'hypothèse du « compromis historique », c'est-à-dire d'une participation gouvernementale du PC. Et celui-ci, respectueux, n'a donc même pas formulé cette exigence.

Sans doute il existait, pour le parti d'Enrico Berlinguer, une autre alternative. Devant le refus de la Démocratie-Chrétienne de l'accepter au gouvernement, le PC pouvait adopter une attitude d'opposition, exiger qu'on lui fasse une place et, en tout état de cause, refuser toute collaboration à la politique du gouvernement mis en place sans lui. Il n'y aurait eu là rien de révolutionnaire : c'eût été une simple attitude d'opposition parlementaire. Et le PCI disposait de suffisamment d'atouts pour pouvoir la mener à bien, en espérant provoquer une crise à l'issue de laquelle un recours au PCI aurait été obligatoire.

Les dirigeants du PCI ne semblent pourtant pas avoir envisagé une seconde de mener une telle politique. Et ce choix est significatif.

Ces derniers temps, la bourgeoisie italienne a exercé, sur le PC, une pression considérable : de toutes parts, les possédants italiens attiraient l'attention sur la gravité de la crise économique et sur la nécessité, selon eux, de la surmonter par des mesures d'urgence : augmentation de la productivité dans les usines, blocage des augmentations de salaires, résorption de l'endettement international du pays par une réduction des importations, et donc par une réduction de la consommation populaire. Et, de toutes parts aussi, les possédants italiens réclamaient l'instauration d'un « consensus » social, c'est-à-dire la collaboration du PCI et des organisations ouvrières à ce plan d'urgence, collaboration qui était selon eux la condition minimum du succès d'un tel plan.

Ce plan d'urgence est aujourd'hui concrétisé sous la forme des mesures d'austérité du gouvernement Andreotti, et le soutien du PCI à ce plan est une chose acquise. Le PCI s'est montré responsable, comme on le lui demandait. Mais, du même coup, apparaît son absence de perspectives politiques. Malgré ses succès électoraux, le plus puissant parti communiste d'Europe occidentale ne peut même plus apparaître comme une alternative au gouvernement de la droite, comme le parti d'un changement politique radical. En contrepartie du mécontentement et de l'impopularité qu'ils rencontrent, les militants du PCI n'ont rien obtenu : même pas la satisfaction morale d'avoir « un des leurs » au gouvernement ; même pas la justification que pourrait leur fournir un gouvernement à participation de gauche qui aurait, au moins, fait des promesses ! Les dirigeants du PCI ne peuvent même pas expliquer à leurs militants et à la classe ouvrière que les sacrifices d'aujourd'hui sont la condition du maintien de la gauche au gouvernement et, plus tard, de la réalisation de leurs espérances !

 

Une participation gouvernementale nullement assurée

 

Les dirigeants du PCI peuvent-ils du moins espérer que la difficile situation dans laquelle ils se trouvent aujourd'hui ne soit que le prix à payer pour obtenir dans quelques mois ou quelques années une participation gouvernementale ? Peuvent-ils espérer qu'elle n'est que la dernière longueur à parcourir, la dernière épreuve à supporter avant d'être enfin acceptés par la bourgeoisie comme un parti bourgeois à part entière, participant, au même titre que les autres, à la répartition des portefeuilles ministériels ? Ce n'est nullement certain.

Depuis des années, les dirigeants du PCI ont pourtant multiplié les gages de leur bonne volonté et de leur responsabilité devant la bourgeoisie. Togliatti, le premier parmi les dirigeants des partis communistes occidentaux, a proclamé qu'il y avait une « voie nationale au socialisme », etcommencé à distendre les liens qui unissaient le PCI à l'URSS. Ses successeurs ont poursuivi la même politique, profiter de chaque occasion pour affirmer l'image de « parti national » du PCI, et refuser toute solidarité avec la politique de l'URSS. La dernière étape de ces concessions a été, au printemps de 1976, l'acceptation de l'OTAN par Berlinguer et la promesse que si son parti vient au gouvernement, il ne demandera pas la sortie de l'Italie du Pacte Atlantique !

Mais la source de la défiance de la bourgeoisie à l'égard des partis communistes occidentaux ne réside pas seulement dans leurs liens internationaux avec l'URSS, liens qui sont de plus en plus distendus. La bourgeoisie redoute également leurs liens avec la classe ouvrière. Par leur simple existence, les partis communistes entretiennent la possibilité de troubles sociaux, car ils ont dans la classe ouvrière une base de militants qui sont souvent les plus combatifs et les plus décidés, et qui voient dans l'existence de leur parti la possibilité d'un changement politique sinon révolutionnaire, du moins radical. Pour faire confiance aux partis communistes, pour les admettre à part entière comme des gestionnaires possibles au niveau gouvernemental, la bourgeoisie exige qu'ils soient prêts à sacrifier aussi cela : leur influence sur la classe ouvrière. Elle exige que dans leur gestion des affaires de la bourgeoisie, ils soient prêts à tout sacrifier, y compris leur influence sur la classe ouvrière, tout comme les partis socialdémocrates, dans le passé, ont accepté de le faire.

Sur ce plan-là aussi, le PCI a multiplié les preuves de sa responsabilité. Il a pendant des années contenu les luttes de la classe ouvrière, en les détournant sur le plan électoral, ou en les enfermant dans le cadre de mouvements pour des vagues réformes de structure. Aujourd'hui, il fait plus encore. A la demande de la bourgeoisie, qui lui assigne le rôle de faire accepter, à la classe ouvrière, une vague sans précédent de mesures d'austérité, il répond « présent », sans même réclamer de contrepartie politique importante ! Ainsi, les dirigeants du PCI pensent sans doute administrer une preuve décisive de leur responsabilité et de leurs aptitudes à être des dirigeants bourgeois comme les autres. C'est là la raison profonde de leur choix politique actuel, et de leur soutien au gouvernement et au plan Andreotti.

Pourtant, paradoxalement, il n'est nullement sûr que cette dernière épreuve du PCI le rapproche finalement d'une participation gouvernementale et de cette intégration complète au système à laquelle il aspire. Car l'attitude du PCI démontre justement à la bourgeoisie que, pour obtenir sa collaboration à l'austérité, pour obtenir qu'il affronte le mécontentement de la classe ouvrière, l'étape d'un gouvernement à participation PCI n'est peut-être nullement nécessaire. Son influence sur la classe ouvrière, sa capacité, par conséquent, à lui faire accepter des mesures anti-ouvrières, étaient le principal argument du PCI pour se faire accepter au gouvernement. Aujourd'hui, il se trouve contraint, sans même exiger le maigre salaire que serait un portefeuille ministériel, de prendre vis-à-vis de la classe ouvrière la responsabilité de mesures d'austérité prises par d'autres. Mais du même coup, il se prive de tout argument pour justifier sa demande de participation gouvernementale : pourquoi donc partager le pouvoir avec le PCI, si l'on obtient son « consensus » même sans cela ?

Sans doute, une participation gouvernementale du PCI dans l'avenir n'est pas exclue. Un approfondissement de la crise économique, une crise sociale, un rebondissement de la crise politique, peuvent la rendre nécessaire. Mais la situation politique italienne, dans les circonstances d'une grave crise économique et politique, permet de mesurer la seule place que la bourgeoisie est prête à faire aux partis communistes : dans le meilleur des cas un strapontin gouvernemental, et encore ce n'est pas sûr.

Le PCI est trop responsable pour choisir une attitude que l'ensemble de la bourgeoisie lui interdit. Mais du même coup, il doit constater que celle-ci, dans la situation actuelle, lui demande beaucoup, mais ne l'autorise pas à réclamer grand-chose pour lui-même.

 

La marge de manoeuvre étroite des partis communistes

 

A l'époque de la décadence impérialiste, les partis communistes ont bien du mal à devenir des partis bourgeois comme les autres, comme l'ont fait avant eux les partis social-démocrates. Car la bourgeoisie n'est pas prête à faire à la classe ouvrière, ou du moins à des couches importantes de celle-ci, d'importantes concessions économiques. Cela est d'autant plus vrai dans une période de grave crise économique comme la période actuelle. Et cela explique toute l'étroitesse de la marge de manoeuvre laissée par la bourgeoisie aux partis communistes.

Le Parti Communiste Italien, le plus important parti communiste d'Europe occidentale, est en train de mesurer toute cette étroitesse. Alors même qu'il semble toucher au pouvoir, alors même qu'il vient d'obtenir les plus forts scores électoraux de toute son histoire, il doit constater que la bourgeoisie n'est pas prête à lui céder grand-chose. Sans offrir de contrepartie, elle lui demande d'assumer toute l'impopularité résultant de la crise économique et politique. Et le PCI n'a pas d'autre choix que d'accepter. Il ne peut même pas frapper du poing sur la table et exiger, au moins, des contreparties pour lui-même, sous forme de portefeuilles ministériels. Car ce simple geste politique, que n'importe quel parti bourgeois se permettrait sans le moindre scrupule, risque, en prolongeant la crise politique, de provoquer un affrontement social. Cela risquerait de compromettre la paix sociale et l'équilibre économique recherchés par la bourgeoisie. Ainsi, c'est l'étroitesse de la marge de manoeuvre économique de la bourgeoisie qui conditionne l'étroitesse de la marge de manoeuvre politique du PCI, et la faiblesse des concessions politiques de la bourgeoisie à celui-ci. Et pour tout remerciement, on peut entrevoir que, très probablement, la bourgeoisie le rejettera à nouveau dans l'opposition, une fois que sa politique aura créé les conditions d'un retour en force de la droite.

La « voie nationale au socialisme » débouche en Italie sur une impasse de plus en plus évidente. C'est toute l'impasse du réformisme à l'époque de l'impérialisme décadent, qui condamne les partis communistes des pays occidentaux quelle que soit leur force à tendre sans cesse la main vers le pouvoir, sans jamais réussir à l'atteindre, sauf pour les instants de crise où l'on a besoin d'eux. L'exemple italien est en train de démontrer - dans les circonstances politiques particulières de l'Italie, il est vrai - que la bourgeoisie n'est même pas contrainte même dans une telle période de crise, de céder des strapontins ministériels aux partis communistes. Et que ceux-ci, respectueux de la règle du jeu, sont alors bien forcés de s'accommoder de cette situation.

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