Cuba : le retour en grâce ?01/06/19771977Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Cuba : le retour en grâce ?

Au terme de plusieurs mois de tractations au cours desquels les choses se sont petit à petit précisées, les États-Unis et Cuba viennent de réaliser un pas décisif dans le rapprochement, pas concrétisé par l'échange de diplomates. Même si ces derniers sont de « rang moyen », comme on le précise officiellement, le fait est en soi suffisamment nouveau et marquant pour que l'on puisse parler à ce propos d'une « normalisation » des relations américano-cubaines.

Les choses sont encore bien entendu loin d'être définitivement réglées. De leur côté, les dirigeants américains invoquent le rôle qu'auraient joué les soldats cubains en Afrique, de l'Angola à l'Éthiopie, pour menacer de ne pas aller plus loin dans la voie de l'ouverture. Ils soulignent leur intention de réaliser graduellement l'amélioration des relations entre les deux pays. Il s'agit pour le gouvernement Carter d'obtenir le maximum de concessions politiques de la part de Cuba. Dans ce cadre, il a même le cynisme de mettre en avant les indemnisations que, selon les États-Unis, Cuba devrait aux compagnies américaines expropriées dans les premières années du régime castriste.

Castro, de son côté, n'est pas non plus acculé à en passer par les conditions américaines. La rupture des relations de son pays avec les USA remonte à 1961 ; l'embargo économique total dont il est victime de la part de son puissant voisin date de 1962. Au cours de toutes ces années de crise entre les USA et Cuba, le régime castriste aura repoussé victorieusement l'invasion de mercenaires patronnée par le gouvernement Kennedy (avril 1961), résisté aux raids organisés par des commandos d'exilés partisans de Batista et proches de la CIA, contourné l'embargo américain sur le sucre cubain qui représentait 80 % des exportations de l'île, et survécu aux pires difficultés économiques. La politique américaine d'isolement à son égard aura été un échec.

Castro peut se permettre aujourd'hui, dans le jeu qu'il joue avec les États-Unis, d'avancer un préalable à des discussions formelles, et il ne se fait pas faute de proclamer que tant que l'embargo ne sera pas levé, son gouvernement en restera avec les USA au niveau de simples contacts.

D'autre part, Carter n'étant pas contraint à se presser pour renouer en bonne et due forme avec ce petit pays qu'est Cuba, chacun peut donc encore camper sur ses positions pendant un moment. Mais la perspective est tracée. Les uns comme les autres y ont intérêt, et elle s'intègre aussi bien dans la politique des États-Unis que dans celle de Cuba.

Depuis l'époque de la rupture (1959-1960) entre les USA et Cuba, la politique internationale des États-Unis a changé de cap. Il y a eu le Vietnam, il y a eu le « dégagement » des USA du Cambodge et du Laos, il y a eu le rétablissement des relations avec la Chine après plus de 20 ans d'isolement. Les États-Unis ont abandonné la politique du « containment » au profit d'une politique internationale plus souple, présentée comme une politique de détente. Cuba est restée pourtant jusqu'à présent écartée d'une normalisation diplomatique.

Et en effet, si le changement de la politique globale des USA a créé le cadre, la possibilité, d'un rapprochement avec Cuba - qui eût sans aucun doute été inenvisageable à une époque encore marquée par la politique de la guerre froide - cette réorientation générale décidée par les États-Unis ne les obligeait pas automatiquement à y venir.

Dans les années 70, les principaux problèmes pour l'impérialisme américain se sont posés dans l'Asie du Sud-Est. Le règlement général de ces problèmes l'a amené à reconsidérer son attitude envers la Chine, en vue de lui faire jouer dans cette partie du monde le rôle de gendarme que les États-Unis y jouaient eux-mêmes directement auparavant.

Mais l'Amérique Latine reste la chasse gardée des États-Unis, un continent soumis à leur domination directe, vis-à-vis duquel ils ne se sont guère jamais embarrassés de formes pour y faire régner leur ordre. Au travers des administrations qui se sont succédé à la tête des États-Unis durant ces dix dernières années, la politique générale de détente pratiquée dans le monde par les USA ne s'est pas appliquée à l'Amérique Latine des dictatures sous leur coupe.

Il peut sembler pourtant paradoxal qu'ayant renoué avec une puissance comme la Chine, les USA aient attendu plusieurs années avant d'envisager d'en faire autant vis-à-vis du minuscule Cuba, qu'ils aient maintenu à son seul égard un tel ostracisme. C'est bien entendu que Cuba n'est justement pas seul en cause et c'est de l'ensemble de la politique américaine envers l'Amérique Latine qu'il est question en l'occurrence. Tant que cette politique ne changeait pas, rien ne pressait les États-Unis à débloquer leurs rapports avec Cuba. Mais depuis quelques mois, on a vu le gouvernement Carter prendre à plusieurs reprises ses distances à l'égard des dictatures les plus discréditées du continent latino-américain. Même si ce n'est que verbalement, ses réserves sur Pinochet par exemple marquent quelque chose de nouveau. C'est en liaison avec ce tournant de la politique américaine qu'il faut apprécier la reprise des contacts avec Cuba, du moins des contacts publics et officiels. Elle s'inscrit dans le cadre d'une politique de détente particulière vis-à-vis de l'Amérique Latine, qui s'amorce, qui se met en place actuellement.

« Nous commerçons bien avec Moscou et Pékin » , dit le sénateur Mac Govern, qui qualifie le maintien de l'embargo contre Cuba de « relique de la guerre froide » . Et Fidel Castro répond en écho : « Une levée partielle n'est pas suffisante. Les ÉtatsUnis négocient avec la Chine, avec l'Union Soviétique et les pays socialistes. Pourquoi donc cette discrimination arbitraire à notre égard ? » (interview à Afrique-Asie, mai 1977).

Il faut bien constater que les États-Unis peuvent trouver un intérêt certain à tenter de refaire de Cuba un allié ou en tous les cas à le neutraliser, maintenant qu'ils ont eu le temps de se convaincre qu'ils ne sont pas parvenus à briser le régime de Castro par une politique d'isolement. Ce corps étranger, lié à l'URSS, dans son voisinage immédiat, ne peut qu'être gênant pour eux. Et c'est surtout pour cette raison que Cuba, malgré sa petitesse, a constitué pendant des années et constitue encore un pôle d'attraction pour tous ceux qui, dans les pays d'Amérique Latine, aspirent à soustraire leur pays à la tutelle de l'impérialisme américain. En prenant le pouvoir, les compagnons de Fidel Castro ont soulevé dans le monde entier, et dans l'Amérique Latine avant tout, un enthousiasme formidable. La dictature corrompue du sinistre Batista était renversée par les paysans cubains, avec à leur tête une poignée d'intellectuels : la chose était donc possible, et c'est du même coup toutes les masses misérables de l'Amérique Latine qui recouvraient la dignité. En résistant aux agressions de l'impérialisme, en tenant tête aux États-Unis, Castro a renforcé encore cet enthousiasme. En butte aux représailles du plus puissant pays du monde, Cuba - un des plus petits - a tenu. Les dirigeants cubains en ont tiré auprès des travailleurs et des paysans de toute l'Amérique Latine un prestige considérable.

Et pour l'impérialisme, c'est cela qui'est le plus gênant. C'est, à cause de ce rôle de pôle d'attraction joué par Cuba qu'en une autre période, en 1959-60 le gouvernement américain décida de l'isoler. L'Amérique Latine semblait à la veille de bouleversements sociaux, et il n'était pas question de laisser le régime des guerilleros cubains servir d'exemple.

Cette politique d'isolement diplomatique et de guerre économique n'est cependant pas parvenue à réduire Cuba. Aujourd'hui où le contexte est différent, c'est par une autre politique que le gouvernement américain envisage de désamorcer ce problème. Rétablir des relations normales, y compris commerciales, peut être le prélude à un rapprochement politique. Il faut rappeler que Castro ne s'était aligné politiquement sur le bloc russe qu'après que les nécessités économiques les plus vitales l'eurent contraint d'entrer en relation avec l'URSS. Ce n'était pas un choix, sinon celui de résister à l'impérialisme américain et de survivre.

Les USA auraient un intérêt évident à intégrer un Cuba consentant dans une opération générale de « dégagement » politique en Amérique Latine, à l'avoir pour allié ou sinon tout au moins à le neutraliser. Ils tentent l'opération maintenant, « à froid » en quelque sorte.

Il faut bien dire que rien, dans la nature de l'État cubain, ne s'opposerait à une telle évolution à terme. Il n'a guère fallu de temps à la Chine de Mao pour, une fois rentrée en grâce auprès de l'impérialisme, se ranger systématiquement et ouvertement dans son camp dans toutes les questions politiques internationales.

Il ne s'agit pas là pour nous de reprocher à Cuba une éventuelle reprise des relations avec les États-Unis. Mais l'attitude passée de Cuba à l'égard des USA, sa résistance aux États-Unis et la phraséologie anti-impérialiste qu'il a utilisée, ont trop souvent servi d'arguments, même dans le mouvement trotskyste, pour présenter la politique de Castro comme une politique anti-impérialiste conséquente, voire comme de l'internationalisme prolétarien. Même au temps du plus grand rayonnement du régime cubain, il n'en a jamais été question. Et à plus forte raison maintenant qu'un rapprochement est en vue. La classe ouvrière américaine n'a jamais fait l'objet des préoccupations des dirigeants cubains.

D'ailleurs, pas plus que l'isolement de Cuba, son rejet par l'impérialisme ne suffisent à lui décerner un quelconque label de socialisme prolétarien, pas davantage, un État ouvrier ne se caractérise forcément par son isolement total. La jeune Russie des Soviets ne coupa d'ailleurs pas toutes relations avec le monde occidental.

D'une manière générale, c'est une politique fondamentalement nationaliste que mène le régime castriste, et ce depuis ses origines, malgré l'enthousiasme qu'il a suscité à travers tous les pays du Tiers-Monde. Pour les masses paysannes, ce régime qui tenait tête au géant US et qui donnait une dignité nouvelle aux plus déshérités, incarnait et incarne encore tout simplement l'espoir d'une autre vie. Pour la petite bourgeoisie, les intellectuels des pays du Tiers-Monde, c'est-à-dire les homologues des dirigeants cubains, il incarne la possibilité pour leur classe de jouer enfin un rôle dans leur pays, de s'en trouver à la tête. Dans le cadre national : c'est leur seule chance historique.

Aussi l'éclat du régime cubain dans de nombreux pays, les émules qu'il y a suscités, les guerillas qu'il y a plus ou moins influencées, ne sont-elles ni surprenantes ni à mettre au crédit d'une prétendue politique internationalistes de la part de Castro. C'est involontairement, pourrait-on dire, que son régime a eu cet effet international : son but n'était nullement « d'exporter » sa révolution, mais, ayant pris le pouvoir avec ses compagnons, de tenir, face à la politique d'agression américaine. Cette situation, les castristes n'en étaient pas les maîtres, ils ne l'avaient pas recherchée, mais elle les contraignait et les contraint encore jusqu'à nouvel ordre à se chercher des alliés en-dehors de l'orbite américaine, et si leur rayonnement international est considérable, cela est indépendant d'eux.

Pratiquement toute l'extrême-gauche s'est enthousiasmée en son temps pour Cuba, y compris la plupart des organisations du mouvement trotskyste. Sur le plan de sa politique extérieure, on voulait voir une renaissance de l'internationalisme prolétarien en action bien que pour certains, au sein du Comité International en particulier, quelque peu entaché d'hésitations et de faiblesses. Il était pourtant clair que les méandres de l'attitude des dirigeants cubains en politique extérieure épousaient étroitement la ligne des intérêts nationaux de Cuba : de la caution aux gouvernements latino-américains jugés démocratiques, même dans l'orbite américaine, dans les premiers temps du régime, tant que les États-Unis n'avaient pas encore coupé les ponts, à la caution apportée aux partis staliniens latino-américains à partir du basculement dans le bloc russe, Cuba n'a manifesté avec les guerilleros qu'une solidarité épisodique, n'a pas eu de stratégie anti-impérialiste, comme on le prétendait à l'époque jusque dans les rangs trotskystes. Sans même parler d'une politique spécifique en direction des travailleurs. Même à l'époque de la conférence Tricontinentale (1966) qui déclencha de véritables panégyriques parmi les intellectuels occidentaux, l'internationalisme de Castro n'était que la politique toute naturelle d'un petit pays isolé, menacé, se cherchant et se ménageant des appuis partout où cela lui était possible. Prétendre qu'il y avait là-dedans le moindre internationalisme prolétarien est une escroquerie, de même que parer du terme d'État ouvrier l'État cubain. Même si celui-ci, s'alignant sur le bloc russe, se déclarant république socialiste, a utilisé une terminologie où reviennent les mots d'internationalisme, de révolution socialiste, de classe ouvrière : c'était bien le moins qu'il devait à son puissant protecteur, et cela n'engage à rien...

Pour les différentes branches du mouvement trotskyste, Cuba a été caractérisé comme un État ouvrier : « sui generis » pour les organisations du Secrétariat International, de même que pour le Parti Ouvrier Révolutionnaire cubain, lui-même « dégénéré » ou « déformé » pour les groupes se situant autour du Comité International rival - ou même « en transition », « non développé », « n'ayant pas encore les formes de la démocratie prolétarienne » comme pour la majorité du SWP américain. Il y avait bien désaccord entre certains sur la date précise à laquelle cet État était devenu ouvrier : fallait-il pour cela prendre en considération la rupture avec les politiciens bourgeois traditionnels restés membres de la coalition gouvernementale jusqu'à l'automne 1959, ou bien la série importante de nationalisations intervenue en septembre-octobre 1960 ? Quoi qu'il en fût, tous s'accordaient sur la nature ouvrière et socialiste du régime cubain ; et même la SLL anglaise qui caractérisait le régime castriste et sa politique sociale comme « de nature capitaliste » parla à son propos de « gouvernement ouvrier et paysan », de « dualité de pouvoir » ouverte, bien qu'inconsciente... Le plus gênant, bien entendu, était que Castro et ses camarades dirigent inconsciemment une révolution socialiste, et édifient tout aussi inconsciemment un État ouvrier. Mais lorsque les leaders cubains se mirent à user de la terminologie de l'URSS des bureaucrates, et en particulier lorsque Che Guevara se découvrit « marxiste » (il l'avait, disait-il, en somme toujours été, sans le savoir, comme tout biologiste est forcément un disciple de Pasteur), cette gêne n'avait même plus lieu d'être.

On n'en finirait pas de citer les textes de l'époque des organisations trotskystes officielles, et sur lesquels elles ne sont jamais revenues quant au fond politique et théorique. Leurs positions ont en tout cas conduit les camarades du SWP à abandonner à l'époque toute idée de construire un groupe trotskyste à Cuba, et à s'aligner avec « loyauté » et « confiance », selon leurs propres termes, sur le parti unique qui a résulté alors à Cuba de la fusion du mouvement castriste et du parti stalinien.

En réalité, il était visible dès 1959-1960 que si le régime castriste s'engageait dans la voie de l'expropriation des biens américains et des mesures radicales sur le plan agraire et industriel, ce n'était pas là une politique délibérée et systématique de sa part. Toutes ces mesures ont été prises au coup par coup, en réaction aux étapes successives des agressions de l'impérialisme US On peut les qualifier de mesures pragmatiques d'auto-défense économique et sociale.

C'est Guevara qui le disait lui-même : « A l'exception de notre réforme agraire, que le peuple de Cuba désirait et mit sur pied lui-même, toutes nos mesures révolutionnaires ont été une réaction directe contre l'agression des monopolistes... La pression des États-Unis sur Cuba a rendu nécessaire la radicalisation de la révolution ».

Les USA eux-mêmes avaient pourtant lâché le dictateur Batista à l'époque de la prise du pouvoir par les « barbudos », et ils avaient parlé de coopération dans les premiers temps du nouveau régime. Castro s'était rendu aux USA et y avait rencontré Nixon, alors vice-président du gouvernement Eisenhower. Mais, bientôt, celui-ci laissa faire des raids aériens contre l'île à partir de la Floride, et se mit à exiger une compensation considérable pour les biens américains expropriés avec paiement immédiat en dollars - ce que, bien évidemment, Cuba ne pouvait accepter. C'est Eisenhower qui autorisa l'entraînement des commandos d'exilés pro-Batista en vue de renverser Castro, et qui fît décider de réduire le quota sucrier cubain sur le marché américain, acculant Castro à chercher ailleurs un partenaire économique. C'est alors seulement que Cuba noua des relations commerciales avec l'URSS, que le rythme des nationalisations s'accéléra, et que l'ensemble des biens américains de l'île fut exproprié. C'est en riposte à la tentative américaine de le faire condamner par l'Organisation des États Américains (OEA), toute dévouée à l'impérialisme, que Castro prononça son premier discours de la Havane où il s'affirma comme un leader parmi les plus résolus du nationalisme des pays du Tiers-Monde.

Les USA étaient alors dans une période électorale dont la surenchère anticastriste était un des thèmes, repris à son tour par J.F. Kennedy. L'hégémonie des USA sur l'Amérique Latine menaçait d'être battue en brèche, il fallait isoler Cuba. Dans ce contexte furent prises par Eisenhower les premières mesures d'embargo sur les exportations US à destination de Cuba (octobre 1960), mesures étendues plus tard aux produits alimentaires et aux médicaments.

Dès la fin de l'année 1960, Cuba basculait dans le camp russe. Ce sont les USA qui ont fait que le neutralisme ne lui était pas possible. Cuba recevait l'aide militaire de l'URSS, et le processus de son alignement sur le bloc de l'Est était enclenché pour de bon.

er mai 61. Les fins de non-recevoir brutales opposées par l'administration Kennedy, puis Johnson, aux ouvertures faites par le régime cubain dans leur direction, si elles n'ont pas permis à celles-ci de déboucher, n'ont pas empêché Castro et son équipe de renouveler périodiquement leurs tentatives de rapprochement envers les États-Unis - et notamment encore au lendemain de la crise de 1962, dont les USA sortaient les vainqueurs. De Moscou, Castro répéta alors ses appels à la négociation et à la reprise des relations avec les USA. A propos des propriétaires américains dépossédés, il déclara : « S'ils veulent être indemnisés dans des conditions honorables pour Cuba et pour les États-Unis, nous pouvons en discuter ». Des contacts non-officiels furent pris alors, qui furent interrompus par l'assassinat de Kennedy. Ce qui gênait alors officiellement ce dernier, c'était les liens de Cuba avec Moscou, liens auxquels les USA eux-mêmes par leur intransigeance et leur guerre économique avaient contraint le régime nationaliste cubain. Aujourd'hui que cela ne fait plus problème, il est dans la logique que les relations normales souhaitées par les dirigeants cubains eux-mêmes se rétablissent. Comme il est logique que ceux-ci tentent d'obtenir le maximum possible sur le plan des relations économiques, et qu'avec la détermination particulière dont ont toujours fait preuve les nationalistes castristes, ils se battent là-dessus résolument.

Le régime castriste ne constitue pas en lui-même une objection aux bonnes relations entre les USA et Cuba. L'isolement de Cuba au sein du monde occidental, à 90 milles des côtes du géant impérialiste, était nécessairement lié à la stratégie internationale de l'impérialisme, qui ne pouvait tolérer, surtout à ses portes, un régime nationaliste plus radical que la plupart. Ce passé de Cuba le met d'ailleurs vis-à-vis des États-Unis, dans le cadre de la reprise des relations entre eux, dans un rapport de forces plus favorable que ne le sont la plupart des petites bourgeoisies dirigeantes des pays du Tiers-Monde. Et même si, pour le moment, on n'en est qu'à l'amorce d'une telle évolution, il ne serait pas contre nature pour les anciens compagnons de Che Guevara d'envisager de renouer avec l'impérialisme.

Ne pourront en être déçus demain, s'ils ne le sont déjà, que ceux qui avaient vu en Castro autre chose que ce qu'il est : à savoir un dirigeant exceptionnellement résolu d'une petite bourgeoisie très pauvre, menant une politique conforme aux intérêts nationaux de son pays, simplement parée d'une phraséologie marxisante.

A l'heure actuelle, c'est à propos de l'Afrique qu'on le voit reprendre cette politique.

On l'a vu au cours de son voyage à travers l'Afrique apporter sa caution aux régimes soi-disant progressistes du continent africain ; ce qui ne manque pas de rendre la plume lyrique à des gens comme Simon Malley (Afrique-Asie, mai 77) qui, ayant longuement interviewé le leader cubain, célèbre son « internationalisme conséquent ». Les troupes cubaines en Angola aux côtés du MPLA et d'Agostinho Neto, l'envoi de techniciens cubains dans divers pays d'Afrique, c'est là selon lui - et selon Castro - les manifestations concrètes de cet internationalisme conséquent.

Il est clair pourtant que ces gestes s'inscrivent dans le cadre de la diplomatie cubaine et servent étroitement les intérêts du régime, sans plus. C'est dans ce cadre que Castro décerne à profusion ses labels « d'authentique révolutionnaire » à des gens comme Mengistu et insiste pour caractériser ce qui se passe en Éthiopie comme « une vraie révolution » ; qu'il apporte sa caution à des hommes d'État comme Boumédiène ou Kadhafi.

Que les tenants des nationalismes africains les moins liés aux USA s'en réjouissent cependant et parlent d'internationalisme à ce propos est quelque chose qui peut se comprendre. Les régimes qu'ils soutiennent sont fondamentalement de la même nature que le régime cubain. Il s'agit simplement pour les uns comme pour l'autre de se faire, ou de se faire reconnaître, au soleil de l'impérialisme, la petite place que celui-ci admettra de leur tolérer.

Mais il est plus surprenant de constater que subsistent encore aujourd'hui bien des ambiguïtés sur la nature du régime cubain dans les rangs trotskystes. La revue théorique Intercontinental Press qui exprime les vues du SWP, l'organisation américaine du Secrétariat Unifié, ne consacre pas de longs développements à l'évolution récente des relations américano-cubaines, se contentant le plus souvent de relater les faits, mais ses articles traduisent pourtant une certaine gêne. Elle se borne (numéro du 21 mars) à noter : « Il y a eu un changement dans la politique des dirigeants cubains depuis les premiers jours de la révolution. A l'époque, l'équipe constituée autour de Castro et Guevara cherchait à étendre la révolution cubaine, d'abord dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, en particulier en Amérique Latine. Ils se différenciaient nettement des partis communistes, et cherchaient à les faire changer de voie par la pratique de la guerilla » .

Pour conclure : « Après l'échec de Guevara en Bolivie, les dirigeants cubains n'ont pas progressé jusqu'à comprendre la stratégie léniniste de la construction du parti, mais ont au contraire fait marche arrière » .

Mais nulle analyse là-dedans de cette subite régression politique.

Aujourd'hui, le gouvernement Carter reproche à Cuba son ingérence en Angola, et Castro revendique le droit de mener la politique étrangère de son choix. Mais pour lui reconnaître ce droit, comme à tout pays du Tiers-Monde vis-à-vis de l'impérialisme américain, est-il besoin, comme le fait Intercontinental Press (9 mai 77), d'affirmer qu'en cette affaire (d'enjeu est le droit pour Cuba de continuer à servir d'exemple et d'inspiration pour la lutte de libération des pays coloniaux et semicoloniaux » ?

Si le régime cubain continue de jouer ce rôle auprès des masses populaires abusées en Afrique, le devoir des international istes prolétariens est bien davantage de le démystifier que de maintenir l'ambiguïté à son propos. Car si aujourd'hui Castro dénonce encore avec virulence la politique de la Chine, en particulier en Afrique, comme se rangeant systématiquement dans le camp de l'impérialisme et trahissant les intérêts des peuples, l'évolution normale de son propre régime peut bel et bien le mener dans la même direction.

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