Contre la dissolution de la Ligue communiste01/09/19731973Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Contre la dissolution de la Ligue communiste

Le 28 juin dernier, le gouvernement français interdisait la Ligue Communiste (section française de la IVe Internationale - Secrétariat Unifié). Quelques jours auparavant Pierre Rousset, un de ses dirigeants, avait été arrêté lors d'une perquisition au local parisien de la Ligue Communiste, perquisition au cours de laquelle la police avait saccagé la librairie et une partie de l'imprimerie. Deux jours plus tard, Alain Krivine, le plus connu des leaders de la Ligue Communiste, était arrêté à son tour.

Le prétexte à cette dissolution, invoqué par le ministre de l'Intérieur, était la contre-manifestation organisée par un certain nombre de groupes d'extrême gauche, parmi lesquels la Ligue Communiste était le plus important mais non le seul, à l'occasion d'un meeting raciste « contre l'immigration sauvage » tenu à Paris par l'organisation d'extrême droite Ordre Nouveau.

Le prétexte pouvait sembler en or au gouvernement. Pratiquant l'amalgame, il interdisait du même geste et la Ligue Communiste et Ordre Nouveau dont il avait fait pourtant protéger le meeting par sa police quelques jours plus tôt. Ainsi il pouvait se présenter comme le champion impartial de l'ordre contre les fauteurs de désordre, quels qu'ils soient, de droite comme de gauche.

Mais c'était bien la Ligue Communiste qui était visée. Ce sont ses militants qui ont été arrêtés et poursuivis. Pour cela, le pouvoir a dû aller chercher des lois vieilles de quarante ans, alors qu'Ordre Nouveau et ses membres, qui tombaient pourtant sous le coup de récentes lois contre le racisme, promulguées par l'actuel gouvernement lui-même, n'étaient inquiétés en rien.

Messmer et marcellin, l'ex-légionnaire et l'actuel premier flic de france, ont sans doute cru qu'en interdisant l'une des principales organisations de l'extrême gauche, ils allaient porter à celle-ci un coup sensible. peut-être même, car la mesquinerie n'est pas absente chez nos politiciens, ont-ils encore plus simplement voulu se venger de cette extrême gauche qui, quelques semaines auparavant, avait été à la tête des luttes des étudiants et des élèves des lycées et des collèges, luttes qui avaient montré la totale impuissance du pouvoir contre la révolte de la jeunesse. enfin - et ce n'est sans doute pas le moins important des motifs - cette interdiction de la ligue communiste venait compléter la figure que ce gouvernement a choisi de se donner : celle du champion de l'ordre moral. messmer, son chef, multiplie les déclarations conservatrices ou mêmes réactionnaires. druon, ministre de la culture et académicien, s'en prend aux artistes et intellectuels contestataires. royer, maire de tours, qui s'y est fait une réputation de cagot puritain, est appelé au sein du gouvernement où, en tant que ministre de l'artisanat et du commerce, son premier geste est de réclamer l'abaissement de l'âge limite de la scolarité obligatoire de 16 à 14 ans. marcellin a voulu donner la dernière touche au tableau, en montrant que ces champions de l'ordre, de la morale et de la réaction, ne se contentaient pas de paroles mais étaient fort capables de passer aux actes.

Ce que le gouvernement n'escomptait pas, c'était l'ampleur des réactions devant son mauvais coup. Réactions de l'extrême gauche, bien sûr, mais aussi de la gauche. Pour la première fois on a vu ainsi le Parti Communiste Français protester publiquement contre les coups qui étaient portés contre une organisation trotskyste, et participer même à l'organisation de meetings de solidarité. On n'avait jamais vu cela en France. Depuis 1968, chaque fois que le PCF parlait des « gauchistes », c'était pour les attaquer, les vilipender, les insulter. Réactions en France, mais aussi à l'étranger. D'un peu partout, d'innombrables organisations d'extrêmegauche et de gauche - ainsi un certain nombre de députés du Labour Party de Grande-Bretagne, par exemple - firent connaître leur réprobation contre l'interdiction et leur solidarité avec la Ligue Communiste.

Et comme toujours lorsqu'il a affaire avec un fort mouvement de l'opinion publique, ce pouvoir qui se veut musclé et fort, a commencé à tourner en rond et même à battre en retraite. Tout de suite, certains ministres ont fait savoir qu'ils étaient en désaccord avec l'interdiction. Une partie de la majorité gouvernementale ne s'est pas gênée pour affirmer que le pouvoir avait fait un pas de clerc qui, loin de porter un coup à l'opposition révolutionnaire, avait au contraire contribué à souder un peu plus l'opposition tout court. Au sein même de l'appareil d'État, dans la police et la magistrature, les critiques se firent entendre haut et fort.

Aussi maintenant le pouvoir, non seulement hésite, mais tente de se débarrasser en douceur de cette affaire qu'il a lui-même créée de toutes pièces. Alain Krivine, maintenu en prison plusieurs semaines, a été finalement libéré sous caution en plein milieu des vacances, une date choisie sans doute pour que cette libération, véritable désaveu de l'action de Marcellin, passe le plus inaperçue possible. Pierre Rousset, lui, a été jugé quelques semaines plus tard et s'est vu infliger deux mois de prison ferme. Du point de vue de la stricte justice cette sentence est parfaitement inique. Mais du point de vue politique elle est surtout une nouvelle preuve que le pouvoir recule. Deux mois fermes c'est en effet le temps exact que Rousset vient de passer en prison préventive (et on sait qu'en France les juges ont l'habitude de justifier cette prison préventive en infligeant de toute manière au prévenu, qu'ils le jugent condamnable ou pas, une sentence qui corresponde au temps de prison qu'il a déjà fait préventivement). C'est aussi la limite au-delà de laquelle il aurait eu à accomplir une autre peine pour laquelle il avait obtenu un sursis lors d'un procès précédent.

De toute évidence la justice ne confirme pas la politique de répression de l'exécutif. De toute évidence le pouvoir recule. Si cela se confirme il est à parier que le procès d'Alain Krivine n'aura jamais lieu.

Pourtant ce recul ne suffit pas. Il ne suffit pas que maintenant, conscient d'avoir fait une gaffe le 28 juin dernier, le pouvoir abandonne discrètement les poursuites qu'il avait commencées. La Ligue Communiste reste interdite. C'est cette interdiction que le mouvement révolutionnaire, que le mouvement ouvrier doivent faire lever.

C'est pour cela que de partout, en france, bien sûr, mais aussi à l'étranger, les protestations doivent continuer à se faire entendre et la campagne se poursuivre pour obtenir l'annulation du décret de dissolution de la ligue communiste.

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