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Accion comunista de la « recherche » à l'égarement théorique

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, bien des groupes d'extrême gauche ont essayé d'expliquer l'impuissance du mouvement révolutionnaire à sortir des cercles étroits de la petite bourgeoisie intellectuelle de gauche, et à s'implanter dans la classe ouvrière, par le caractère prétendument inadéquat de son programme (au sens le plus large du terme, c'est-à-dire de son analyse de la société et des tâches qui en découlent). Au sein même du mouvement trotskyste, qui avait assuré la continuité politique avec la tradition révolutionnaire de Marx et de Lénine, certains considéraient ce programme comme dépassé, ou comme erroné. A plus forte raison les groupes qui se formèrent dans les années suivantes hors du mouvement trotskyste cherchèrent-ils la voie de la construction du parti révolutionnaire dans une remise en cause plus ou moins profonde de l'héritage politique du bolchevisme et du trotskysme.

De ce point de vue, les positions défendues par le groupe espagnol Accion Comunista depuis sa création, positions qui se sont singulièrement accentuées ces derniers temps, n'ont rien de très original. Mais Accion Comunista se distingue cependant de bon nombre de « rénovateurs » de programme en ceci qu'il proclame que la tâche prioritaire de l'heure est le travail d'implantation des révolutionnaires dans la classe ouvrière. Et il n'est donc pas inintéressant de voir comment ce groupe marie sa volonté maintes fois affirmée de « reposer et repenser les problèmes de la tactique et de la stratégie du mouvement ouvrier et de la construction du socialisme dans les conditions du dernier tiers du XXiei siècle » (Accion Comunista 14, novembre 1972), et ses professions de foi prolétariennes.

Accion comunista et le trotskysme

Accion Comunista a, par exemple, affirmé de façon particulièrement nette sa volonté de construire une organisation révolutionnaire réellement prolétarienne lors de la discussion qui s'est déroulée entre ce groupe et le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, discussion qui avait pour objet l'éventuelle adhésion de Accion Comunista au Secrétariat Unifié.

Reprochant au SU d'appliquer « le qualificatif « d'ouvriéristes »... à ceux qui se refusent à adopter la voie de la construction de la « direction » révolutionnaire avec des cadres étudiants », Accion Comunista demandait alors : « Comment une organisation de militants non-ouvriers peut-elle agir comme avant-garde du prolétariat ? Comment une organisation de ce type peut-elle orienter, approfondir les tendances et les revendications de la classe ouvrière ? ». Et Accion Comunista se refusait à « centrer la construction du parti en marge des problèmes réels de la lutte des classes » . ( « Réponse d'Accion Comunista à la lettre de la Quatrième Internationale », A.C. N° 14).

Mais cette condamnation de la politique du Secrétariat Unifié s'accompagnait d'un rejet du trotskysme en tant que tel, formulé dans un style cher, en ce domaine, à Accion Comunista (car de telles affirmations reviennent souvent dans sa prose) : « ... Nous considérons comme une nécessité urgente de bannir du marxisme toute conception religieuse ou semi-religieuse, tout rite talmudique, qui prétend résoudre les problèmes d'aujourd'hui en appliquant les schémas marxistes d'un hier déjà lointain » . C'est évidemment des références au programme trotskyste en général, et au Programme de Transition en particulier, qu'il est question. Et Accion Comunista continuait : « Il est indispensable de reconsidérer d'une manière marxiste le marxisme même, de procéder à une réélaboration critique de la théorie révolutionnaire, dans laquelle les apports des classiques sont un point de départ fondamental... mais dont les insuffisances sont palpables... et, pour cela, doivent être dépassées » .

Accion Comunista s'était d'ailleurs expliquée encore plus ouvertement sur la manière dont elle se situe par rapport aux différentes tendances se réclamant du marxisme révolutionnaire, dans un précédent numéro de cette revue. Dans un article intitulé « Sur la pensée politique d'Accion Comunista » (A.C. N° 12, avril 1970) on pouvait lire en effet : « En honneur à la vérité, nous, les militants de A.C., nous voyons obligés de dire que A.C. n'est pas une organisation « trotskyste », que nous ne sommes pas « trotskystes » . Et le même auteur ajoutait plus loin : « On peut dire sans crainte de se tromper que notre pratique politique d'aujourd'hui, comme la pensée politique qu'elle sécrète (ou comporte) ont beaucoup de Rosa Luxemburg » . Et dans une note qui suivait cet article, la rédaction de A.C. précisait : « ... Les militants groupés autour de cette revue ne se sont réunis ni autour d'un « isme » déterminé -si ce n'est le marxisme comme fondement du socialisme scientifique- ni autour d'un retour mythique à un âge d'or disparu du mouvement ouvrier, préconisé parfois par certains « ismes » ( « retour à Lénine », « reconstruire le bolchevisme » )... Ce n'est pas notre intention de nous enfermer dans un des « ismes » constitués en orthodoxie » .

La démarche de accion comunista

Ce n'est certes pas d'aujourd'hui que Accion Comunista pose les problèmes de cette façon.

Ce groupe s'est constitué en 1965, autour d'anciens militants du Front de Libération Populaire, organisation dont le nom, à lui seul, indiquait suffisamment qu'elle était bien loin de se situer sur le terrain du marxisme révolutionnaire. Sans critiquer cependant de manière explicite leur propre activité passée, les fondateurs de Accion Comunista rompirent dès le premier numéro de leur revue avec leur ancienne politique frontiste, en dénonçant ce qui était à leurs yeux une des maladies de l'extrême gauche espagnole (dont ils avaient, mais ils ne le précisaient pas, longtemps souffert) : « La répugnance à adopter la théorie marxiste, et l'inclination à la diluer et à former de vagues fronts dans lesquels doivent coexister dans le compromis des éléments partisans du marxisme et de la dictature du prolétariat et des éléments réformistes, libéraux et chrétiens » .

Mais les fondateurs de Accion Comunista se posaient déjà en rénovateurs du marxisme : « La nécessité d'une discussion théorique sérieuse est ainsi maintenant ressentie par la majorité des militants, des sympathisants, de la classe ouvrière en général, qui ne se satisfont plus des vieux lieux communs avec lesquels ils ont été mystifiés jusqu'à présent ». Et après avoir ainsi fait de leur propre désir de « dépasser » les vieux programmes une exigence de « la classe ouvrière en général », rien de moins, ils continuaient : « Il existe aujourd'hui à cause de cela un grand appétit de discussion et d'orientation théoriques, un vif désir de voir examinée et étudiée l'expérience du dernier demi siècle, de sortir des vieilles scolastiques pédantes que sont venus offrir, sous la fausse étiquette de marxisme, les vieux dirigeants disqualifiés, de voir restituer le marxisme comme doctrine critique révolutionnaire » .

Et l'article-programme dont ces lignes sont extraites définissait ainsi les tâches du nouveau groupe : « Accion Comunista se propose donc de lancer une discussion ample et responsable sur les problèmes du socialisme et du parti ouvrier révolutionnaire, et cela sans la moindre censure, et en même temps de devenir un trait d'union, un instrument de coordination des groupes marxistes révolutionnaires aujourd'hui dispersés, avec l'objectif de participer à la construction du grand parti ouvrier de la Révolution socialiste » ( A.C. N° 1, janvier 1965).

Voyons donc à quoi ont abouti, dix ans après, ce refus de s'enfermer dans de « vieilles » idées, dans des « ismes » quelconques, cet effort de rénovation de la pensée marxiste que Accion Comunista prétendait entreprendre.

Accion comunista et le role du prolétariat dans la révolution socialiste

Dans la « Plateforme politique de Accion Comunista » ( A.C. N° 14) on peut lire : « Seul le prolétariat peut offrir une solution globale capable de dépasser et de remplacer le capitalisme, car aucune autre force sociale n'est si directement et si profondément intéressée à trouver une réponse qui ne se limite pas à améliorer la situation des classes opprimées... mais une solution impliquant nécessairement'la liquidation de toutes les classes et avant tout celle du prolétariat lui-même, c'est-à-dire la transformation de tous les exploités en travailleurs socialistes libres. Il est clair que la direction de cette lutte doit revenir à la classe ouvrière industrielle... Nous entendons par révolution socialiste le remplacement du régime de domination qu'imposent actuellement les monopoles capitalistes par un régime où la domination sera exercée par les travailleurs » .

Alors que tant d'autres tendances du mouvement révolutionnaire se sont empressées de voir dans d'autres couches sociales le moteur possible de la révolution socialiste, ces rappels du rôle que le prolétariat seul peut et doit jouer dans cette révolution sont les bienvenus.

Mais dès que Accion Comunista pose le problème du pouvoir en termes un peu plus concrets, les choses commencent à se gâter : « Les nationalisations ne constituent pas un progrès vers le socialisme si elles ne s'accompagnent pas de l'expulsion des représentants des monopoles dans l'appareil d'État et de la conquête du pouvoir politique par les travailleurs » . Voilà Accion Comunista perdue sur le problème-clef de toute politique, sur celui sur lequel il est, moins que sur tout autre, permis de se tromper, sur le problème de l'État. La révolution prolétarienne ne peut en effet se borner à « expulser » les représentants des monopoles de l'appareil d'État bourgeois. Elle doit briser celui-ci de fond en comble, et construire un nouvel appareil d'État, ouvrier celui-ci, sans lequel il ne peut y avoir de « conquête du pouvoir politique par les travailleurs ». Et il ne s'agit pas d'une maladresse de formulation, ou d'une erreur fortuite. Toutes les positions de Accion Comunista, sur une série de problèmes de première importance, se ramènent finalement, nous allons le voir à cette révision de la théorie marxiste de l'État.

Accion comunista et le « bloc dit socialiste »

Fidèle à ses affirmations de principe sur le rôle de direction que seul peut jouer le prolétariat dans la révolution socialiste, Accion Comunista se refuse à voir dans les pays de « démocratie populaire », ou dans la Chine ou Cuba, des pays « socialistes », et n'emploie jamais les termes « États ouvriers dégénérés », ou « États ouvriers déformés » pour les désigner. Dans la « Réponse » déjà citée au Secrétariat Unifié, Accion Comunista reproche d'ailleurs, et à juste titre, à celui-ci un certain nombre d'erreurs, « par exemple, l'appui à Tito comme leader révolutionnaire international, l'entrisme au sein des PC » comme découlant de l'analyse que fait le SU de la nature des pays de l'Europe de l'Est.

Mais tout en employant une terminologie différente de celle du Secrétariat Unifié (ou de celle des organisations de l'ancien Comité international, ou des Posadistes, qui est fondamentalement la même), Accion Comunista n'en tombe pas moins dans la même faute fondamentale, celle qui consiste à assimiler les démocraties populaires, la Chine et Cuba d'une part, et l'URSS d'autre part (qualifiés « d'États ouvriers dégénérés » par le SU, et « d'États bureaucratiques » par A.C.), en oubliant purement et simplement la « petite » différence entre l'une et les autres : la révolution prolétarienne d'octobre 1917, qui en Russie a effectivement donné naissance à un État ouvrier, alors que rien de semblable ne s'est produit dans les autres pays considérée Et voilà nos novateurs lancés sur une pente glissante (encore que pas nouvelle du tout) qui va les amener à nier dans un deuxième temps ce qu'ils avaient si fièrement affirmé dans un premier temps sur le rôle du prolétariat.

Voilà en effet ce qu'on peut lire dans leur « Plateforme politique », dans le chapitre sur « le bloc dit socialiste » : « Les contradictions internes du capitalisme dans sa phase impérialiste ont abouti à des explosions révolutionnaires et à la chute de la bourgeoisie dans des pays où le développement capitaliste était extrêmement faible » . Des explosions révolutionnaires ? En U. R. S.S., il y a incontestablement eu, non seulement une « explosion révolutionnaire », mais bel et bien une révolution prolétarienne. Mais où et quand de telles explosions ont-elles eu lieu en Europe de l'Est au moment de la formation des « démocraties populaires » ? Nulle part, même pas en Tchécoslovaquie où le fameux « coup de Prague » n'a été qu'une mise en scène soigneusement organisée, n'ayant absolument rien d'une « explosion ». Et en ce qui concerne la Chine ou Cuba, si l'on peut effectivement y parler d'explosions révolutionnaires, faut-il rappeler que le prolétariat qui « seul... peut offrir une solution globale capable de dépasser et de remplacer le capitalisme » selon les propres termes de Accion Comunista ne s'y est jamais manifesté de manière autonome.

Mais poursuivons notre lecture : « Ainsi donc, correspondant à une phase de transition entre un état pré-capitaliste ou capitalisme « primitif » et le seuil du socialisme, sont apparus des régimes qui ne peuvent pas être considérés comme socialistes ». Comment peuvent-ils être considérés alors ? « La nature de ces régimes est contradictoire, ambiguë, bâtarde : on y trouve des germes de socialisme (collectivisation des moyens de production et, dans certains cas, comités d'autogestion d'entreprises et milices populaires) étouffés par des structures qui s'opposent au socialisme et constituent sa négation, qui représentent un obstacle sur le chemin du socialisme (stratification de la société, pouvoir incontrôlé de la bureaucratie, etc.) » .

Mais quelles forces sociales ont donc mis en place ces curieux régimes « de transition », dont on cherche vainement le sexe dans l'analyse de Accion Comunista, États bourgeois ou États ouvriers ?

Puisque Accion Comunista accepte tout de même de se référer à un « isme », de marxisme en tant que fondement du socialisme scientifique », il faut lui rappeler que c'est précisément le marxisme qui a forgé la notion de nature de classe d'un État, comme instrument de domination dune classe sociale, et que l'affirmation du Manifeste communiste selon laquelle « le caractère distinctif de notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les antagonismes de classe... en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat » , signifie également qu'il ne peut plus exister à notre époque (plus d'un siècle après que ces lignes aient été écrites) que des États bourgeois ou des États ouvriers.

A la question de la nature de ces États, le programme marxiste (dont le programme trotskyste n'est que la continuation et l'incarnation à notre époque) répond simplement : l'U R. S.S., où l'État actuel est le produit de la dégénérescence bureaucratique de l'État ouvrier mis en place par la révolution d'octobre 1917 est un État ouvrier dégénéré ; tous les autres États où la propriété privée a été plus ou moins abolie, mais où ces transformations se sont faites sans aucune intervention autonome de la classe ouvrière restent fondamentalement des États bourgeois.

La tentative de Accion Comunista de « repenser » le marxisme l'a amené à gommer toute différence qualitative entre la notion d'État bourgeois et d'État ouvrier, à ne plus y voir les deux termes d'une antinomie irréductible, autrement dit, sans même qu'il s'en rende compte, sur de « vieilles positions », qui ont toujours été celles des réformistes en tous genres.

Accion comunista et le programme révolutionnaire dans les pays sous-développés

Il ne s'agit pas dans tout cela d'une simple querelle de mots, car derrière ces terminologies différentes se cachent des conceptions différentes de l'évolution des sociétés humaines. Il s'agit en particulier de savoir s'il existe à notre époque, d'autres forces sociales que le prolétariat capables de faire progresser l'humanité. Le marxisme répond non. Accion Comunista, sans les désigner explicitement, répond oui, en affirmant l'existence de toute une série d4États qui seraient des États de transition entre le capitalisme et le socialisme, et qui seraient issus de l'action d'on ne sait trop quelle force sociale.

En ce qui concerne les pays capitalistes avancés, y compris les plus pauvres (par exemple l'Espagne), personne, parmi ceux qui se réclament du marxisme révolutionnaire, n'ose dire que les transformations socialistes pourront y être l'oeuvre d'une autre classe sociale que le prolétariat. Quand des groupes révolutionnaires s'alignent sur telle ou telle lutte de tel ou tel secteur petit-bourgeois (par exemple sur le mouvement étudiant), ce sont toujours des considérations tactiques qu'ils mettent en avant, en expliquant par exemple qu'il s'agit de se servir de ces mouvements comme détonateur pour mettre en branle la classe ouvrière, ou des positions que les révolutionnaires peuvent conquérir dans des milieux extérieurs à la classe ouvrière, ou périphériques par rapport à elle, pour partir ensuite à la conquête de cette classe ouvrière. Mais quand il s'agit des pays sous-développés, où la petite bourgeoisie citadine, et surtout la paysannerie, peuvent jouer un bien plus grand rôle, les forces sociales dont les groupes gauchistes sont l'expression apparaissent au grand jour.

Accion Comunista n'échappe pas à la règle, car c'est dans le chapitre de sa « Plateforme politique » consacré aux « mouvements anti-impérialistes » qu'il apparaît le plus clairement que ce groupe ne fait que défendre avec d'autres mots, une politique au fond identique à celle qu'il reproche au Secrétariat Unifié. On peut en effet y lire : « Le prolétariat... est solidaire de ces mouvements étant donné leur caractère anti-impérialiste ; il doit y soutenir les éléments les plus radicaux, et les pousser à poursuivre de façon ininterrompue l'évolution vers le socialisme » . « L'évolution » , mais même le Secrétariat Unifié n'aurait jamais osé écrire cela ! Et ce n'est pas une faute typographique. Cela éclaire simplement ce qu'on pouvait déjà lire dans le premier numéro de Accion Comunista : « Il y a une série de conditions essentielles... pour qu'une société mérite le qualificatif de socialiste, et cette série de conditions ne se voit encore réunie totalement nulle part. En certains lieux, nous espérons que nous ne tarderons pas à les voir réunies, que le socialisme se construit effectivement, qu'on va droit vers lui (Cuba) » . Il est vrai que Accion Comunista avoue dans le même texte que le castrisme possède une certaine « séduction » , due, entre autres choses, à « sa manière originale d'aborder la construction du socialisme, en s'écartant même d'un léninisme strict et pointilleux » , et voit dans la révolution cubaine un exemple de « révolution ininterrompue » .

Ainsi donc, à la théorie révolutionnaire de la révolution permanente, qui assignait comme tâches aux communistes des pays sous-développés, de lutter pour maintenir l'indépendance de classe du prolétariat, et pour diriger le prolétariat vers la prise du pouvoir, Accion Comunista oppose une conception évolutionniste de la « révolution ininterrompue », qui ressemble d'ailleurs comme deux gouttes d'eau à la conception de la révolution permanente telle qu'elle a été falsifiée par le SU, et qui n'est que la glorification après-coup des révolution bourgeoises accomplies en Chine ou à Cuba.

On le voit, comme c'est bien souvent le cas, les théories capitalistes dÉtat de Accion Comunista ne sont qu'une version gauchiste des vieilles erreurs pablistes.

Accion comunista et le probleme du parti

La manière éclectique dont Accion Comunista aborde le problème de la nature de l'État dans les pays du « bloc dit socialiste » n'est pas sans conséquences sur sa politique en Espagne même.

D'une part parce qu'elle amène ce groupe, si l'on en croit le texte d'un « avant-projet » de « Programme de transition » qu'il vient de soumettre à « l'information publique », à voir dans les partis staliniens des pays capitalistes occidentaux les agents dune éventuelle transformation sociale analogue à celle qui a été accomplie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans les pays de l'Europe de l'Est (alors que les P. C. de ces pays n'ont joué aucun rôle réel dans ces transformations, dont l'occupation par l'armée soviétique a été la cause de loin la plus importante). C'est ainsi que dans cet avant-projet, Accion Comunista distingue en ce qui concerne les nationalisations entre les perspectives des sociaux-démocrates : « nationalisations et prise du pouvoir sont alors synonymes du renforcement du secteur capitaliste d'État » , et les perspectives des staliniens : « constitution de l'économie collectivisée d'État ». Et c'est une erreur qui peut avoir des conséquences graves, car voir dans le PC espagnol, non un parti qui aspire à gérer les intérêts de la bourgeoisie espagnole, mais un parti qui aspire à construire une « économie collectivisée d'État » , c'est se condamner à ne plus rien comprendre à sa politique.

D'autre part, l'analyse que fait Accion Comunista des pays du « bloc dit socialiste » l'amène à voir dans le parti centralisé l'une des causes de la bureaucratisation (ce qui nous ramène en plein idéalisme historique, puisque cela revient à voir dans les formes du parti qui prend le pouvoir l'origine des futurs rapports de production et de distribution). C'est ainsi que « l'avant-projet » déjà cité, a propos du « problème des relations avantgarde-masses, parti-organes du pouvoir ouvrier » , parle de « la dynamique ambiguë qu'ont montrée dans la pratique les « révolutionnaires professionnels » (en Russie d'abord, mais ensuite également en Yougoslavie, en Chine, et finalement à Cuba » . Comme quoi'l'identification de I'U. R. S. S. à la Chine et à Cuba n'aide vraiment pas à comprendre les réalités sociales, puisqu'elle amène à mettre sur le même plan un État où les masses ouvrières ont été écartées du pouvoir qu'elles avaient elles-mêmes créé, et des États : où elles en ont toujours été écartées, parce que ces États avaient fondamentalement été construits contre elles.

Accion Comunista va même plus loin en ce domaine, affirmant que « la thèse suivant laquelle « la crise historique de l'humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire »... renferme une conception profondément bureaucratique non seulement du mouvement de masse, de son organisation, de sa maturation et de sa prise de conscience, mais, bien pire, de l'histoire ».

Pour un groupe qui explique l'incapacité des autres groupes à intervenir dans la lutte des classes par leur incapacité à « repenser » la théorie, cette affirmation est déjà paradoxale. Mais pour un groupe espagnol, qui prétend soumettre à la critique révolutionnaire les cinquante dernières années d'histoire du mouvement ouvrier, elle fait preuve dune parfaite incompréhension de l'histoire des luttes de classe dans son propre pays. Car s'il y a eu un épisode de la lutte des classes qui a montré à quel point l'affirmation de Trotsky sur la « crise de la direction révolutionnaire » était juste, c'est bien la lutte du prolétariat espagnol entre 1931 et 1939.

Accion Comunista prétend que la « crise de la direction révolutionnaire » est la « litanie que le mouvement trotskyste ne cesse de répéter depuis 1938 » et ajoute : « C'est sur des obstacles bien plus grands que bute la classe ouvrière espagnole pour récupérer la défaite de 1937 : sa propre immaturité, les misérables conditions salariales et culturelles, la répression continuelle à laquelle elle est soumise, la récente origine paysanne de la majorité, l'impossibilité d'exercer les plus minimes droits pour commencer son apprentissage dans la lutte, etc... Ce sont celles-là, entre autres, les difficultés réelles pour créer des organisations efficaces, solides, mûres, avec des idées claires » .

Que l'activité des militants révolutionnaires espagnols se heurte à tous ces problèmes, c'est l'évidence même. Mais puisqu'il s'agit de discuter, non pas des conditions dans lesquelles se pose le problème de la construction du parti révolutionnaire en Espagne, mais de savoir si oui ou non « la crise de l'humanité est la crise de la direction révolutionnaire », alors, la question qui se pose à propos des conditions espagnoles actuelles nées clé la défaite de 1937, c'est celle des raisons de cette défaite.

Et la réponse est claire. Si malgré les prodiges de dévouement et d'héroïsme dont il a fait preuve, le prolétariat espagnol a été vaincu, c'est bien à cause de la « crise de la direction révolutionnaire ». Et pas seulement à cause de la trahison des directions social-démocrates et staliniennes, passées avec armes et bagages du côté de l'ordre bourgeois.

Mais aussi à cause de la politique du parti qui se réclamait du marxisme révolutionnaire, le POUM, qui n'a cessé pendant toute la montée de la révolution espagnole de mener une politique centriste, marquée entre autres choses par sa signature du Front Populaire, et par sa participation au gouvernement bourgeois de la Généralité de Catalogne, qui s'est toujours refusé, précisément, à apparaître comme une direction révolutionnaire s'opposant à tous les autres partis.

Or le POUM est précisément le seul groupe qui trouve grâce aux yeux de Accion Comunista. Dès le premier numéro de leur revue, les rédacteurs de Accion Comunista expliquaient que « la position du POUM coïncide en partie avec la nôtre » .

Et si Accion Comunista a formulé quelques critiques sur le POUM, c'est sur le POUM actuel « pratiquement relégué en exil, constituant comme une association d'anciens combattants, incapable de montrer les voies nouvelles » , non sur le POUM des années 1930, qui a pourtant eu une tout autre importance historique. « La sénilité et l'isolement paraissent être les raisons de sa récente affiliation à l'Assemblée de Catalogne, option qui contredit ses principales traditions » nous dit encore Accion Comunista (N° 15, décembre 1973), en oubliant au contraire que ce n'est pas d'aujourd'hui que date l'opportunisme catalaniste du POUM, que Trotsky dénonçait il y a près de quarante ans. Et quand Accion Comunista ajoute que ce même POUM « a été le point de référence indispensable pour tous les groupes qui ont essayé de renouer avec les meilleures traditions du prolétariat espagnol » , elle avoue, elle qui prétend se méfier des « héritages », de quelle filiation politique elle se réclame en fait.

Accion comunista et le néo-capitalisme

Mais puisque Accion Comunista se refuse à voir dans la « crise de l'humanité », « la crise de la direction révolutionnaire », il lui faut bien donner une autre explication au retard de la révolution mondiale. « L'avant-projet » de « programme de transition » déjà cité s'y emploie. « Tout le programme de Trotsky est fondé sur la stagnation du capitalisme et sur le manque d'élasticité réformiste de celui-ci » , peut-on y lire. « Une telle vision doit être aujourd'hui critiquée radicalement, car, de fait, toute la stratégie politique capitaliste... s'appuie sur une réalité diamétralement opposée ».

Notons d'abord que s'il est vrai que le capitalisme a connu au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale une période de stabilisation relative que personne n'avait prévue, il est difficile à partir de cela de parler de son « élasticité réformiste » (c'est-à-dire, si nous comprenons bien, de sa capacité à accorder un certain nombre de réformes économiques au prolétariat)... surtout en Espagne, si l'on en juge par la manière dont Accion Comunista définit les conditions qui y règnent (dont le paragraphe précédemment cité sur les difficultés que rencontre la construction d'une organisation révolutionnaire dans ce pays).

Et Accion Comunista va plus loin, sur les capacités d'expansion du capitalisme : « L'expansion actuelle de la production doit-elle être considérée comme un phénomène conjoncturel ou répond-elle à des transformations structurelles ? » s'interrogent encore les auteurs de « l'avant-projet » pour répondre aussitôt : « Quant à l'idée suivant laquelle l'expansion capitaliste est simplement conjoncturelle et transitoire, il faut se méfier d'elle, car elle sert à protéger la paresse d'économistes et de politiques marxistes qui ont décidé d'attendre « la prochaine crise mondiale ». Cette expansion dure depuis un quart de siècle, et rien ne laisse prévoir qu'elle s'arrêtera dans la prochaine décennie » .

Rien, c'est vrai, ne permet de prédire à quel rythme la crise du système capitaliste dans laquelle nous sommes dores et déjà entrés s'approfondira. Mais de là à expliquer que des modifications « structurelles » du capitalisme lui ont peut-être permis d'éviter les crises, il y a un pas difficile à franchir. C'est le genre de propos dont les économistes bourgeois étaient coutumiers il y a encore quelques années, mais aucun n'ose plus en tenir de semblables. Il n'y a guère que Accion Comunista pour oser reprendre en 1974 en guise « d'approfondissement » du marxisme, ce qui fut un lieu commun d'intellectuels petits-bourgeois dans les années 1960. Et pour en déduire quoi ? Une autre tarte à la crème de l'extrême gauche petite-bourgeoise : la mise en avant de revenudications dites auto-gestionnaires.

Les « ismes » de accion comunista éclectisme et confusionnisme

Nous voyons en fin de compte à quoi se ramènent les fières prétentions de Accion Comunista à « repenser la stratégie révolutionnaire » sans « s'enfermer dans un « isme » : à un salmigondis de toutes les idées à la mode dans la petite bourgeoisie intellectuelle de gauche, car quand on veut échapper à tous les « ismes », il y en a forcément deux dans lesquels on saute à pieds joints : l'éclectisme et le confusionnisme, comme le prouvent toutes les positions de Accion Comunista que nous avons discutées dans cet article (sans chercher à dresser un catalogue exhaustif de ses errances).

Et cela n'est que logique. Le marxisme n'est certes ni un dogme, ni un système figé. Le programme révolutionnaire n'est pas un évangile dont aucune virgule ne puisse être changée. Mais s'il n'y a pas de pratique révolutionnaire possible sans théorie révolutionnaire, il ne peut pas y avoir de progrès de la théorie révolutionnaire indépendamment de la pratique d'organisations révolutionnaires réellement implantées dans le mouvement des masses et dans la lutte des masses, et ne partant pas du point de vue le plus élevé précédemment atteint par la théorie révolutionnaire.

En refusant tous les « ismes » (c'est-à-dire en refusant le léninisme et le trotskysme, car les autres « ismes » imaginables, il était évidemment juste de les laisser au vestiaire), « si ce n'est le marxisme », les militants de Accion Comunista tiraient en fait un trait sur tout l'acquis du mouvement révolutionnaire depuis Marx. Et en se privant de cette boussole théorique, ils s'exposaient à naviguer en aveugles, au gré des vents et des courants dominants de l'intelligentsia de gauche. D'autant plus que ce n'est pas leur propre pratique qui pouvait leur permettre de compenser cela (à supposer même que cela soit possible, dans le cas d'un groupe infiniment plus important et plus implanté dans les luttes ouvrières que le leur).

La référence au programme trotskyste (qui est pour nous le programme marxiste révolutionnaire de notre époque) ne suffit certes pas à protéger des errements opportunistes. La politique de la plupart des organisations trotskystes est malheureusement là pour démontrer le contraire, car en l'absence de méthodes organisationnelles rigoureuses, permettant à une petite organisation révolutionnaire d'échapper, au moins en partie, à la pression de la petite bourgeoisie intellectuelle, un tel garde-fou n'existe pas. Chez la plupart des groupes trotskystes, la lettre du programme est simplement devenue un moyen de camoufler une politique opportuniste derrière des « explications » révolutionnaires. Et il ne s'agit plus d'une théorie servant à guider l'action, mais d'une justification pseudo-théorique, et élaborée après-coup, d'une pratique opportuniste.

Mais cela ne signifie nullement, bien au contraire, que le programme soit inutile, et qu'il suffise de se fixer comme tâche prioritaire la construction dune organisation ouvrière pour échapper au danger opportuniste. Toute la politique de Accion Comunista est là pour le prouver.

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