« Reconstruire » la IVe Internationale01/10/19671967Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

« Reconstruire » la IVe Internationale

Presque trente ans après la fondation de la IVe Internationale, la faiblesse des organisations trotskystes, leur éparpillement, leur division, leur carence totale d'intervention dans la lutte des classes, nationale et internationale, semblent dresser un véritable bilan de faillite. C'est une constatation banale qui entraîne le plus souvent le rejet du programme et des idées trotskystes par ceux qui n'ont d'autres critères que la force numérique et qui finissent toujours par s'incliner devant le fait accompli.

Mais ce fatalisme pseudo-marxiste ne mène pas loin, dans le meilleur des cas, il conduit tout droit au réformisme ou au stalinisme. Et ce n'est pas l'un des moindres paradoxes de notre époque qu'il faille toujours faire la preuve de la justesse des idées révolutionnaires, alors que la décomposition de la société, due au retard de la révolution mondiale, fait chaque jour de façon éclatante le procès du stalinisme.

En fait, c'est chercher une mauvaise querelle au trotskysme que de le juger et de le condamner d'après les organisations qui se proclament aujourd'hui : « IVe Internationale ».

Il existe pour le moins quatre prétendants au titre de Direction Internationale : le Secrétariat Unifié (Frank) héritier « juridique » de la IVe Internationale issue de la Guerre ; la IVe de Posadas (ex Bureau Latino-américain), issue de la précédente en 1952 par scission ; la tendance Marxiste Révolutionnaire de la IVe Internationale (ex Bureau Africain), toujours issue de la même branche commune, en 1965, autour de l'exclusion de Pablo ; et, enfin, le CI qui se sépara de Frank en 1952-53 et qui, tout en s'intitulant plus modestement Comité International de la IVe Internationale, montre dans les faits une mégalomanie digne de ses prédécesseurs.

A côté de ces « centres dirigeants » dont la caractéristique commune est de ne rien diriger, existent des « francs-tireurs » du trotskyste, issus de scissions partielles, opérées au sein d'une formation nationale de la IVe Internationale, ou même d'un parti stalinien, et qui se refusent à choisir un tronçon de l'internationale plutôt qu'un autre.

On pourrait croire, qu'afin de redonner force et vie au trotskysme, il suffirait de réunifier tout ce qui existe de par le monde comme trotskystes et apparentés. Et, de fait, la majeure partie de l'activité « internationale » des groupes précités, semble être de « travailler » telle ou telle section, ou tendance au sein d'une section, afin qu'elle regagne le droit Chemin, et quitte les sentiers fourvoyés de « l'autre Internationale ». Une part extraordinaire de l'énergie des organisations trotskystes est ainsi absorbée par un travail inutile au sein du mouvement trotskyste. Séparer le bon grain de l'ivraie ne peut se faire qu'au travers d'une toute autre activité.

Ce lent travail a abouti à deux résultats. Le premier, sous l'égide de Frank, fut le « Congrès Mondial de réunification de la IVe Internationale » en 1963. Le titre seul en fut glorieux, ainsi que la déclaration de principes qui affirmait : « Il a été mis fin à la scission du mouvement trotskyste international qui durait depuis dix ans.. La réunification a rassemblé les principales forces du mouvement trotskyste international ». Plus modestement, il s'agissait surtout du retour au bercail du SWP, après une longue période d'éloignement et de rapport avec le CI. Le passé était enterré par un tour de passe-passe verbal : les motifs de la crise de 1952-53 qui avait entraîné le départ du SWP lui-même, étaient simplement « dépassés » sans autre explication A croire que tous avaient eu raison, ceux qui partirent comme ceux qui restèrent. On ne peut s'aveugler plus allègrement, et afficher plus naïvement son mépris pour les idées et les militants. Bien entendu, la prétendue réunification mondiale, si elle changeait dans une mince mesure la disposition des pions sur l'échiquier trotskyste, ne changeait en rien la situation du trotskysme dans le monde et ses perspectives concrètes. Le bluff devenait transparent quand, deux ans plus tard, Pablo partait à son tour, entraînant avec lui le « Bureau Africain ». Dans le même temps une crise grave se développait au sein du SWP, aboutissant aux scissions qui sont à l'origine de l'actuel groupe Spartacist et du groupe Tim Wolforth (CI).

La deuxième tentative paraissait plus sérieuse. Elle émanait du CI, et se donnait pour but de « reconstruire » la IVe Internationale. A cet effet, elle conviait à la Conférence de Londres d'avril 1966, tous ceux qui désiraient sincèrement s'atteler à cette tâche. Dans le texte préparatoire, les causes de l'effondrement de la IVe Internationale étaient abordées de façon erronée - nous l'écrivîmes à l'époque - mais un fait semblait positif : le CI reconnaissait que la IVe Internationale était à reconstruire, et le terne lui-même indiquait assez clairement qu'une pareille tâche ne pouvait être menée à bien par une simple réunification. C'est ce qui motiva notre participation, et nous allâmes à la conférence afin d'y aborder l'analyse, pour nous préliminaire à toute tentative de reconstruction sérieuse, celle des causes de l'échec de la IVe Internationale. Mais après deux jours de conférence, la Socialist Labour League modifiait ses textes : il n'était plus question de reconstruire, mais de « rebâtir ». La nuance, ô combien subtile, ne signifiait d'ailleurs qu'une chose : la IVe Internationale n'était pas morte. elle n'avait cessé de vivre dans la personne politique et physique des membres du CI, seuls héritiers légitimes de Léon Trotsky. Les voies de la reconstruction se réduisaient à une perspective unique : abattre le pablisme, ou révisionnisme trotskyste, idéologie qui, pour le CI, désigne directement l'organisation du SU (abattre est, bien sûr, une figure de style.). Le pablisme devenait le baudet chargé de tous les péchés du trotskysme, et le CI, lui, était sans tache, sans faille : s'il n'avait aucun bilan de luttes politiques favorables à présenter, c'est que le pablisme avait toujours saboté ses efforts, compromis ses espérances (cf. la « grève générale » de 1953 en France). Ainsi, en matière d'aveuglement, le CI ne le cédait en rien au SU. Les travaux de la conférence pouvaient se résumer à cet unique refrain : « Si la révolution mondiale n'a pas eu lieu, c'est la faute à Pablo ». C'est surtout dérisoire et infantile. La conférence toute entière offrait le spectacle de la plus totale extravagance : tandis que l'on remaniait fiévreusement les textes pour en supprimer le mot infamant de « reconstruction » (qui avait servi de titre à la résolution préparatoire), les membres invitants du CI procédaient aux expulsions, condamnations et autres proclamations mélodramatiques ( « Nous déclarons la guerre à la Voix Ouvrière » ). Nous étions venus à une conférence qui se donnait pour but de reconstruire la IVe Internationale, et nous nous retrouvions devant une prétendue Internationale de plus.

Un an et demi après cet épisode, il n'est évidemment rien sorti de cette Conférence mondiale. Et ce n'est pas une question de temps : on ne peut rien bâtir sur le sable en prétendant par surcroît se passer de fondations.

En fait, de telles tentatives ne pouvaient mener qu'à l'échec. Car la méthode elle-même est mauvaise. Il ne suffit pas de réunir dans une salle ou dans une autre, certaines organisations trotskystes, ou même, pourquoi pas, l'ensemble des organisations trotskystes, pour recréer l'unité indispensable, sous la direction d'un centre reconnu et accepté de tous. L'histoire même de la création de la IVe Internationale l'illustre clairement. Il fallut des années de discussions, de controverses, de contacts pris et rompus, pour parvenir à la proclamation en 1938 de la IVe Internationale. Et pourtant, Léon Trotsky bénéficiait auprès de tous les membres de l'Opposition d'un capital de confiance, que nul aujourd'hui ne peut revendiquer. Sa valeur personnelle, son extraordinaire expérience militante, sa participation dirigeante aux combats décisifs de la Révolution Russe, les liens historiques et politiques qui l'unissaient aux bolchéviks-léninistes d'Union soviétique, faisaient de lui, à la fois, le chef incontesté de la future IVe, et aussi l'unique et irremplaçable maillon de la chaîne qui devait relier, par delà l'extermination d'une génération de militants révolutionnaires, les forces jeunes de la nouvelle Internationale, à la tradition militante du bolchévisme. L'autorité de Léon Trotsky ne reposait que sur cette confiance, reconnue, vérifiée et constamment renouvelée. Et seule son intervention vigilante, inlassable, dans la vie des sections et de l'Internationale, pouvait, non seulement assurer la cohésion politique indispensable, mais encore entreprendre la formation, ou plutôt la transformation, des militants intellectuels petits-bourgeois qui composaient l'essentiel des forces du mouvement, en révolutionnaires de type bolchévique.

Le rôle effectif joué par Léon Trotsky, fait aujourd'hui l'objet d'imitations parodiques. Une compréhension mécaniste de ce qui fut, amène les « Internationales » actuelles, à essayer périodiquement les « recettes » de l'arsenal trotskyste. D'où les réunifications, les prises de contacts, les regroupements artificiels, d'où sortent ces références ouvertes (SU) ou voilées (CI) au centralisme démocratique qui régissait la IVe de Léon Trotsky. Mais si une organisation nationale ou internationale doit absolument avoir des principes, les principes seuls ne suffisent pas. Le centralisme démocratique n'a, en lui-même, aucun pouvoir créateur, il est au contraire une création vivante du développement organisationnel et politique d'un groupe. S'il en indique l'architecture générale et les proportions, il ne saurait être le ciment de l'édifice. Le ciment, c'est l'indispensable confiance que les militants manifestent entre eux et surtout vis-à-vis de leur direction. Le centralisme démocratique ne peut exister sur des bases purement juridiques. Pour qu'une minorité accepte de se plier à cette règle fondamentale, encore faut-il qu'elle ait un minimum de confiance dans la majorité, même, et surtout si des désaccords l'opposent à elle. Aucun statut ne garantit cette confiance. Elle se gagne et elle se perd. Et quand elle n'existe pas ou n'existe plus, le centralisme démocratique devient une arme bureaucratique entre les mains d'une direction qui a usurpé son poste. Aucun règlement, aucune référence à Trotsky, ne peuvent alors préserver la direction de l'isolement et l'organisation elle-même de l'éclatement.

La formation d'une direction compétente n'est pas le produit d'un congrès. Elle est le fruit de luttes, d'expériences, de vérifications multiples. Son autorité purement morale trouve son fondement dans la justesse de la ligne politique suivie. C'est-à-dire, en dernière analyse, dans sa compétence. C'est ainsi que la compétence de la direction bolchévique avait été « vérifiée » par la victoire de la révolution de 1917, bien plus que par le règlement, tout formel à ses débuts, de la IIIe Internationale, c'est cette référence historique qui devait asseoir l'autorité du PCR..(b) sur toute l'Internationale.

Nous ne reprochons pas aux actuelles organisations trotskystes de ne pas être cette direction « autorisée ». Pas plus que nous ne leur reprochons leur faiblesse. Mais ce que nous leur reprochons, c'est de se prendre pour une telle direction, c'est de ne pas mesurer la disproportion qu'il y a entre leur faiblesse réelle, politique et organisationnelle, et ce qu'elles prétendent être.

Aucun des prétendus centres dirigeants n'a le poids de se faire reconnaître comme tel, non seulement par l'ensemble des organisations trotskystes, mais encore par celles-là même qu'ils regroupent. D'où les scissions, exclusions, départs, etc.,. Les règlements bureaucratiques, les excommunications pompeuses, les fanfaronnades en tous genres, ne peuvent, nulle part, remplacer la confiance qui manque. Aujourd'hui, pour se « préserver » ou pour confirmer leur précaire autorité, ils en sont réduits à rechercher la filiation formelle avec l'organisation créée par Trotsky en 1938. C'est à qui sera le plus près du Seigneur. Cette façon mystique et grossière de poser le problème n'a, bien entendu, rien à voir avec le marxisme.

En fait, la réalité est plus simple. La direction internationale n'existe pas, parce que l'organisation internationale n'existe pas non plus. Elle a volé en éclats en 1940. Et l'assassinat de Trotsky lui a porté le coup fatal. La prétendue Internationale, créée au lendemain de la guerre, était politiquement différente de celle de 1938. Cette dernière était morte, emportée dans la grande tourmente de la guerre. Les mots eux-mêmes : mort, effondrement, faillite, semblent aujourd'hui hérétiques. Pour les avoir formulés, nous encourons les foudres du SU comme du CI. Mais qu'y a-t-il d'autre derrière les tentatives du SU et du CI si ce n'est cette évidence qu'ils ne veulent pas reconnaître. Comment parler de reconstruire ou de rebâtir, si l'on nie qu'il y ait eu destruction ? Ou alors c'est que les mots ne veulent rien dire, et que les idées ne sont que le camouflage d'une volonté sénile et mégalomane de jouer les centres dirigeants sur l'un des tronçons de feu l'Internationale.

Certes, c'est dans le mouvement trotskyste que réside la chance de construire le Parti Mondial de la Révolution. Mais pas dans le mouvement trotskyste tel qu'il est aujourd'hui. Dans un mouvement trotskyste transformé, conscient de ses erreurs, rendu apte à remplir les tâches qui lui incombent.

En fait, si le mouvement trotskyste n'arrive pas à surmonter ses propres scissions, si tout regroupement partiel n'est que le prélude à un nouvel éclatement, c'est qu'il ne faut pas chercher les racines du mal dans ce qui sépare les organisations trotskystes, mais, pourrait-on dire, dans ce qu'elles ont de commun. Les problèmes politiques et organisationnels qui ont marqué chaque éclatement, n'ont été que le prétexte des scissions ; ils ne peuvent en aucun cas rendre compte par eux-mêmes de l'échec du mouvement dans son ensemble. Ils en ont été le revêtement « théorique » encore bien mal ajusté. Et les scissions elles-mêmes ne furent que la manifestation extérieure, visible, d'un mal plus profond qui rongeait toute l'Internationale, et qui ronge aujourd'hui chacun de ses tronçons.

Pas plus qu'on ne peut guérir un malade sans connaître la maladie dont il souffre et ses causes, on ne peut reconstruire la IVe Internationale sans s'attacher d'abord à reconnaître, à analyser et à combattre, les causes réelles de son effondrement. C'est ce que nous tenterons de faire avec cette revue.

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