Les militants révolutionnaires et l'activité syndicale en France (III)01/07/19671967Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Les militants révolutionnaires et l'activité syndicale en France (III)

Nous avons dit dans les précédents articles que, selon nous, les révolutionnaires devaient militer principalement dans la CGT, dominée par l'appareil stalinien, parce que c'est le Parti Communiste qui, de loin, a l'influence la plus grande au sein de la classe ouvrière - la social-démocratie n'en ayant pratiquement aucune - et que c'est par l'intermédiaire de la CGT que le PCF exerce en majeure partie cette influence. Combattre le rôle réactionnaire des bureaucraties syndicales sans combattre de l'intérieur l'appareil bureaucratique stalinien, c'est combattre dans des secteurs qui ne sont pas déterminants pour le prolétariat français.

Cependant, il va de soi qu'il ne s'agit pas là d'un choix ne souffrant aucune exception. Un parti révolutionnaire doit avoir des hommes partout, et même des petites organisations comme celles des trotskystes français sont contraintes, dans bien des circonstances, d'engager la lutte syndicale ailleurs qu'à la CGT. Nous réaffirmons cependant que cela ne peut être qu'une activité secondaire ou complémentaire et non le pôle principal d'activité.

D'abord, il est évident que les militants appartenant à l'enseignement, ne peuvent appartenir qu'à la Fédération de l'Education Nationale et qu'il n'est là question ni de la CGT ni de la CGT-FO puisque la FEN n'a pas connu la scission de 1947 et qu'elle est autonome depuis cette date.

Cependant, il est, à part ce cas, un certain nombre d'autres circonstances où des militants ne peuvent plus militer à la CGT. Principalement lorsqu'ils en ont été exclus, mais aussi lorsque la situation qui leur est faite par l'appareil ne leur permet pratiquement pas d'y avoir une activité.

Le cas de l'exclusion ne demande aucun commentaire, et nous avons expliqué dans l'article précédent comment l'appareil cégétiste pouvait, dans les circonstances actuelles, isoler complètement un militant et, sans même se donner la peine de l'exclure, ne lui permettre d'avoir comme vie syndicale que le paiement d'un timbre à un collecteur une fois par mois (et sans plaisanterie aucune il est fréquent que le collecteur ne passe que tous les deux ou trois mois).

Ce sont, à notre avis, les seules situations qui soient acceptables. Même dans ce cas le travail syndical ne doit jamais déborder la tâche politique, c'est-à-dire que si un ou plusieurs militants sont contraints de quitter la CGT et doivent donc militer à la CGT-FO, les autres, s'il y en a, les plus jeunes qui pourraient être gagnés, doivent reprendre ou continuer le combat au sein de la CGT. Même lorsque localement, cela arrive dans certains secteurs, services publics par exemple, la CGT-FO est plus influente que la CGT on ne doit pas perdre de vue que sur le plan national, l'influence du stalinisme prédomine, et que ce serait une erreur de faire passer des résultats locaux de l'activité syndicale avant les problèmes politiques de portée générale. Dans ce cas encore les militants révolutionnaires doivent être d'abord à la CGT, même si pour cela ils doivent eux-mêmes créer le syndicat.

Bien entendu on pourrait envisager l'activité au sein de la CFDT, de la C.G.C. ou des syndicats indépendants. Le Programme de Transition prévoit même la possibilité de militer dans les syndicats fascistes. Cependant ce qu'envisage le Programme de Transition c'est bien entendu le cas de pays où le fascisme règne. Dans le cas des circonstances politiques françaises actuelles ce serait bien entendu une erreur tragique de la part des révolutionnaires de militer dans des syndicats objectivement réactionnaires même si dans leur comportement ils ne le paraissent pas plus que la CGT-FO ou la CGT. Une fois qu'il est dans l'impossibilité de militer à la CGT, le seul cadre de l'action d'un militant révolutionnaire ne peut donc être que la CGT-Force Ouvrière.

Si l'on considère le dernier critère cité, il y a là une raison de plus d'être à la CGT qui est de loin infiniment moins liée à l'appareil de l'État que ne l'est la CGT-FO. En passant disons que la CFDT n'est pas dans le présent, plus réactionnaire que la CGT-FO. Elle est même plus à gauche, et plus active depuis déjà plusieurs années. Elle a revendiqué officiellement cette attitude radicale en renonçant à la référence chrétienne dans son sigle. En fait, ce qui la rend plus réactionnaire c'est principalement son origine - syndicat chrétien pro-patronal - particulièrement sensible en province où la démarcation est beaucoup plus nette que dans les grandes villes entre l'Eglise et le patronat d'une part et la classe ouvrière de l'autre. C'est aussi et ce n'est pas une mince raison le fait que la CFDT vise ouvertement à prendre à la fois la place de la CGT et celle de la CGT-FO La CGT-FO est surtout liée à l'appareil d'État par ses racines social-démocrates, et la social-démocratie depuis bientôt dix ans de gaullisme n'est plus guère utile à la bourgeoisie française. Par ailleurs la CGT-FO et la social-démocratie voient leur influence diminuer constamment au sein de la classe ouvrière. La CFDT qui est liée à l'appareil d'État par des hommes politiques ouvertement bourgeois sinon réactionnaires (ex-MRP), qui est intégrée à différent niveaux dans des appareils patronaux de collaboration de classe par des hommes qui se veulent des représentants des « classes nouvelles » technocratiques, fait en ce moment et depuis quelques années, une politique démagogique qui lui fait d'ailleurs accepter l'unité d'action avec la CGT que la CGT-FO refuse afin d'augmenter son influence au détriment de FO d'abord, de la CGT, ensuite. Elle y a, il faut le dire, pas mal réussi. Vis-à-vis de l'appareil d'État, la CFDT parie sur le gaullisme avec ou sans de Gaulle, c'est-à-dire, un État « apolitique » ou le Parlement ne sert à rien et avec lequel le syndicalisme doit dialoguer et avoir des contacts directs. En deux mots, la CFDT vise à devenir un syndicat « efficient » mais « apolitique », support de gauche de l'appareil d'État, type syndicats américains. Et si la CFDT fait grand état, à l'heure actuelle, de la démocratie il y a gros à parier que si la situation évolue dans le même sens, d'ici quelques années, partout où elle sera majoritaire c'est à ses cogneurs, et non plus à ceux du stalinisme, que les minorités révolutionnaires auront affaire. Cela peut bien sûr par la force des choses changer à ce moment là, notre tactique vis-à-vis de la CFDT mais seulement en fonction d'une analyse faite sur le plan national. Pour le moment les révolutionnaires n'ont rien à y faire.

Il est évident, après tout ce qui précède, que les révolutionnaires qui ont leur activité syndicale au sein de la CGT-FO doivent cependant militer en fonction de l'analyse politique qui désigne le combat politique contre le stalinisme comme le centre d'activité principal et les travailleurs influencés par lui comme ceux qu'il faut gagner.

La CGT-FO fournit le cadre d'une activité syndicale, elle donne, par rapport à la légalité, aux militants révolutionnaires le moyen d'exister et d'apparaître dans l'entreprise, mais l'objectif et la lutte doivent rester les mêmes.

Autant, au sein de la CGT des problèmes de tactique et de conspirativité peuvent amener à ne pas défendre tous les points du Programme, autant la liberté d'opinion et d'expression dont on peut bénéficier à la CGT-FO doit être utilisée au maximum pour défendre intégralement nos opinions et notre programme. Plus même, le travail au sein de FO doit être subordonné à la tactique vis-à-vis de la CGT : la direction de la CGT-FO est violemment opposée à toute unité d'action avec la CGT, les trotskystes qui militent au sein de FO doivent saisir l'occasion de démontrer que, s'ils critiquent tel ou tel point de l'activité ou de la propagande de la CGT et du PCF ce n'est pas pour diviser les travailleurs, ce n'est pas pour paralyser l'action, au contraire. Ils ont l'occasion de le démontrer en acceptant, en proposant, à chaque fois que possible, l'unité d'action. Le fait qu'ils soient alors en opposition ouverte avec la direction de leur propre Centrale étant alors une démonstration plus claire de leurs idées et de leurs intentions. Autant au sein de la CGT les militants révolutionnaires doivent s'efforcer de montrer le rôle étouffant et réactionnaire de l'appareil bureaucratique, autant au sein de la CGT-FO cette démonstration n'est pas à faire. D'une part, parce que l'appareil bureaucratique, appuyé sur une autre base sociale que l'appareil stalinien, y est moins rigide, et d'autre part parce que cette démonstration est inutile car la majorité des travailleurs se fait des illusions à l'égard de la CGT mais n'en a guère à propos de FO. Militer dans les sphères supérieures de la CGT-FO sous ce prétexte n'a pas de justification et ce n'est en général qu'une façon de déguiser le fait qu'on cède à « l'intégration » au sein de l'appareil social-démocrate.

L'activité du militant révolutionnaire au sein de FO sera, à la base, identique à celle qu'il pourrait tenter au sein de la CGT : réunir régulièrement le maximum de travailleurs du rang, syndiqués et non syndiqués pour leur redonner le goût et l'habitude de discuter et de décider de leurs problèmes. Le discrédit de FO est cependant tel que cette activité est, tous comptes faits, bien moins facile qu'à la CGT. Le nombre de syndiqués y est nettement inférieur et le nombre de travailleurs non syndiqués intéressés par de telles réunions lui est proportionnel. Il faut dire que les conditions de l'activité des militants révolutionnaires à FO transforment un peu cette situation : les militants révolutionnaires exclus de la CGT sont souvent suivis volontairement par bon nombre de syndiqués CGT qui ne sont pas suffisamment conscients pour continuer seuls la lutte au sein de la CGT, mais qui le sont assez pour vouloir continuer une activité syndicale. Cela change un peu la situation mais pas dans des proportions très importantes et il est bien souvent très difficile de recruter sur la base de Force Ouvrière. Les militants révolutionnaires doivent d'autant plus se garder de l'esprit de chapelle, et doivent se préoccuper bien plus du rayonnement des idées révolutionnaires permis par l'exercice des responsabilités syndicales accessibles au sein de FO que de recrutement en concurrence avec la CGT.

Au sein de FO il est aussi possible, sans cacher ses idées politiques d'accéder aux responsabilités locales et parfois plus élevées. Dans les entreprises cette possibilité permet de présenter des militants révolutionnaires aux suffrages des travailleurs pour les fonctions de délégués du personnel. Mais, la loi sur les élections organisant celles-ci par scrutin de liste où les travailleurs votent pour une étiquette syndicale et non pour les militants qu'ils connaissent (ils ne peuvent connaître tous les noms de la liste) défavorise les militants révolutionnaires, car FO a généralement beaucoup moins d'élus que la CGT. Une juste politique permet d'avoir un minimum de sièges mais ne permet pas, étant donnée la situation générale, de surmonter le handicap que représente la « marque » FO

Cependant le fait de pouvoir s'exprimer dans l'entreprise, au sein du syndicat d'abord, en tant que syndicat lorsque les révolutionnaires arrivent à l'influencer complètement, représente un atout considérable dans la lutte révolutionnaire. Les militants trotskystes peuvent être connus en tant que tels et aussi en tant que militants syndicalistes. Les staliniens ne peuvent plus poser la question hypocrite : « vous critiquez, mais que faites-vous ? » (qu'ils se gardent bien de commenter en ajoutant que c'est eux qui empêchent les révolutionnaires de faire vérifier dans la pratique le bien-fondé de leurs opinions).

Dans un certain nombre d'entreprises nos militants font ce travail. Mais en aucun cas répétons-le, ce travail n'est effectué au détriment de l'activité (clandestine) au sein de la CGT, de l'activité politique des trotskystes connus en tant que tels par rapport à la CGT et au PCF, de l'activité politique publique des bulletins Voix Ouvrière.

Dans le cadre de la Confédération Force Ouvrière se pose le problème de la Lutte au sein de l'appareil à un niveau plus élevé qu'au sein de la CGT. Il est non seulement possible d'accéder à des responsabilités importantes au sein La FO mais il est possible aussi de participer à part entière aux différents Congrès et au Congrès national, de s'y exprimer et d'obtenir des votes sur ses propositions, chose quasi impossible au sein de la CGT où un militant trotskyste peut, à la rigueur, participer au Congrès mais très difficilement s'y exprimer et pour ainsi dire jamais obtenir un vote sur un projet de résolution (cela s'est très rarement vu dans des Congrès de syndicats ou de Fédérations et jamais depuis des années à un Congrès national)

Il est donc possible de mener au sein de FO une activité Syndicale proprement dite, à l'intérieur même de l'organisation syndicale, activité différente de l'activité dans l'entreprise, mais qui peut en être un complément et qui bien entendu, en théorie du moins, peut avoir une incidence nationale y compris sur la CGT.

Cette activité-là n'est pas à repousser par principe, nous ne le faisons pas, mais nous la considérons comme complémentaire des activités des militants révolutionnaires dans la CGT, dans l'entreprise par l'intermédiaire de bulletins politiques publics tels que les VO, de l'activité d'entreprise au sein de FO. Si les forces des faibles organisations trotskystes françaises ne permettent pas de tout faire, c'est à l'activité au sein de l'appareil bureaucratique FO, qu'il faut renoncer provisoirement, et non aux autres. Cela nous amène à avoir des divergences profondes avec l'organisation française du Comité International.

Ce sera l'objet du prochain article de cette série.

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