Les élections législatives et les candidatures trotskystes01/04/19671967Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Les élections législatives et les candidatures trotskystes

Nous écrivions le mois dernier que les élections législatives ne modifieraient certainement pas la vie politique française. En effet, malgré une défaite sensible qui lui fit perdre 40 sièges, l'UNR, le Parti Gaulliste, reste majoritaire à l'Assemblée.

Malgré un gain de voix et de sièges considérable le Parti Communiste Français et son alliée, la Fédération de la Gauche Démocrate Socialiste, sont loin d'avoir conquis la majorité, et l'auraient-ils conquise que la Constitution ne leur aurait quand même pas permis de gouverner.

Ajoutons que le Parti Gaulliste n'a pas perdu de voix, car ce sont les alliances du second tour qui lui firent perdre des sièges, la loi électorale sur mesure qui régit les élections françaises ayant moins joué en sa faveur, du fait de la coalition qui lui fut opposée, qu'elle ne l'avait fait lors de la précédente consultation de 1962.

Cependant, cette perte de 40 sièges a permis au PCF et à la Gauche libérale de crier victoire et d'affirmer qu'ils feraient mieux la prochaine fois (dans 5 ans) et, phénomène plus important, elle fut saluée par la quasi totalité des travailleurs comme une véritable victoire. De Gaulle est toujours là, mais lui, son gouvernement, son parti et sa politique ont reçu un camouflet et, à défaut d'autre chose, cela réconforte. A vrai dire, c'est certainement en grande partie à ce sentiment qu'il faut attribuer les mouvements de grèves prolongés qui ont éclaté dans plusieurs entreprises et qui ont reçu le soutien des militants de base des syndicats. Le phénomène n'aura pas duré longtemps puisque les appareils bureaucratiques syndicaux ont partout réussi à faire reprendre le travail, mais pas sans heurts, non seulement avec les ouvriers, mais encore avec leurs propres militants.

Il faut dire qu'un mécontentement certain règne dans la classe ouvrière française, mécontentement qui s'est traduit le 5 mars par un gain d'un million de voix pour le PC, (qui récupère ainsi une grande partie des voix qu'il avait perdues en 1958) et qui se manifeste à l'heure actuelle dans ces mouvements de grèves prolongés dont la classe ouvrière française avait quelque peu perdu l'habitude.

Donc, dans ces élections, ce qui apparaît de plus notable, c'est, d'une part le maintien de l'influence électorale de l'UNR, grand parti de droite qui s'est créé après la venue de de Gaulle au pouvoir et qui a pratiquement unifié en une seule formation les divers partis de droite classiques de la bourgeoisie française ; et, d'autre part, une poussée à gauche très sensible : un million de suffrages de plus pour le PCF et des gains pour le PSU et la FGDS qui comprend les sociaux-démocrates. Poussée à gauche réelle puisqu'elle se continue dans le pays par une vague de grèves.

Dans ces conditions, quelle influence ont eu les candidatures « trotskystes » dont nous écrivions qu'elles n'étaient pas sérieuses et pas susceptibles d'inspirer confiance aux travailleurs ?

A Paris, dans le 18e arrondissement, s'est présenté un candidat voulant réaliser une Union Communiste Internationale et ayant un programme inspiré par les mêmes thèmes que les mouvements français pro-chinois. Cette candidature, pratiquement ignorée, recueillit 610 suffrages sur 33 000 votants. C'est peu, ridiculement peu, mais comme nous le verrons ce fut encore plus que d'autres, guère plus sérieuses mais plus prétentieuses.

La candidate du PCR (t), mouvement Posadiste, n'obtint que 407 voix sur 40 000 votants. Le PCR (t) n'a pratiquement pas fait de campagne et, n'étant guère connu, il n'y a rien d'étonnant à ce que les travailleurs n'aient pas trouvé de raison de soutenir cette candidature de leurs suffrages. Mais c'est encore beaucoup, il faut croire, puisque le candidat de l'OCI (organisation française du Comité International), n'obtint que 277 voix sur 54 000 votants.

Cela donne la mesure exacte du bluff que ces camarades ont fait avec cette candidature. Bluff conscient et prémédité, mais qui les a probablement trompés eux-mêmes, ce qui est presque plus grave, car cela révèle leur immaturité politique.

Mais il y a pire : dans le n° 326 « d'Informations Ouvrières », ces camarades tirent ce qui leur parait être la conclusion de ce scrutin :

« Y compris dans le premier secteur de Saint-Denis, les travailleurs et militants de Saint-Ouen, Villetaneuse et Epinay, se sont comptés en masse sur Fajon, ne donnant que 277 suffrages au trotskyste Stéphane Just. Par là même les travailleurs et militants submergés par les illusions parlementaires et électoralistes confirment que dans la conjoncture présente ils n'arrivent pas à se poser en termes concrets et d'organisation la défense de leurs intérêts de classe ». Ainsi, pour l'OCI, ce sont les travailleurs, qui une fois de plus, n'ont rien compris.

Nos camarades se sont-ils posé la question de savoir si leur organisation, leur façon d'intervenir, leur passé, pouvaient inspirer confiance aux travailleurs ? Non, évidemment. Et lorsque nous leur posions cette question, nous n'étions, selon eux, que des gens qui refusaient de s'intégrer à la lutte de classe.

Dans le n° 328 d' « Informations Ouvrières », on trouve une affirmation parallèle :

« Et pourtant le candidat de l'OCI n'a recueilli que 277 voix. Cela prouve avant tout que les masses encadrées par un réseau de permanents au niveau des usines et des municipalités localement, ont accepté de se placer sur le terrain des illusions parlementaires et électoralistes. La campagne antiparlementaire et anti-électorale des trotskystes n'a pas accroché. La classe ouvrière paiera cher ses illusions. Mais les trotskystes militants ouvriers ne séparent pas leur sort de celui de leur classe. Ils n'acceptent pas de contempler passivement une situation. Ni de juger majestueusement le prolétariat. Révolutionnaires prolétariens, les trotskystes doivent apprendre à lutter contre les illusions sur le terrain des illusions ».

Ainsi la classe ouvrière paierait cher le fait que les travailleurs d'une des circonscriptions de la banlieue parisienne n'aient pas voté Stéphane Just. C'est d'un comique triste ! Encore une fois, ce n'est pas l'OCI qui est responsable, ce n'est pas son travail passé qui est insuffisant, ou même négatif, ce n'est pas son programme et sa façon de se présenter dans ces élections qui étaient discutables, non, c'est que la classe ouvrière est inconsciente, inconscience qu'elle paiera cher, si l'on en croit nos augures de l'OCI. Heureusement pour les travailleurs que ces augures n'ont pas l'air très doués pour la prévision.

Et à quoi bon ces phrases pleines de hauteur sur les militants ouvriers qui ne sépareront pas leur sort de celui de leur classe : pour faire passer ce que les affirmations précédentes avaient de méprisant et de faux ? Et à quoi bon ces phrases qui ne sont que des phrases au sens péjoratif du terme, sur les illusions, et celles du même genre qui les précédaient dans le même texte :

« Dans une société ou les relations humaines sont basées sur le régime de la propriété privée des moyens de production, où le produit matériel et intellectuel du travail de l'homme échappe au contrôle du producteur et s'oppose à lui comme une force étrangère, la mystification est de règle. La résistance à la mystification qui sourd de tous les pores de cette société exige la conscience. Le marxisme en appelle à l'activité consciente, organisée, produit de la fusion intime et organique entre la théorie et la pratique. Le marxisme exige qu'il soit tenu un compte scrupuleux de tous les éléments, de tous les facteurs d'une situation, aux fins de dégager les voies du développement de l'action de classe. Nul ne saurait prétendre au marxisme s'il cède aux illusions de toutes espèces, engendrées pour la défense de son mode d'exploitation, par la société de classe ».

A quoi ces mots servent-ils ? A couvrir la pratique inverse : avant les élections, ces camarades écrivaient, entre autres, qu'il fallait un « front unique le classe » pour battre de Gaulle... aux élections.

Ce n'est pas par la grandiloquence, le bluff et les phrases qu'on ne se donne pas la peine de mettre en accord avec sa propre pratique, que l'on arrivera à construire un parti révolutionnaire dans ce pays et dans le monde. Et si nous insistons tant sur le sérieux nécessaire, c'est parce que le bluff est pour ces camarades une forme d'action qu'ils croient utile et même nécessaire.

Dans un numéro du « Newsletter », organe de la Section anglaise du Comité International, on peut lire un long article, d'une page entière, consacré à la candidature de Stéphane Just, sous le titre, sur toute la page : « L'OCI offre une véritable alternative à de Gaulle ».

Nous regrettons de ne pas pouvoir reproduire cet article empli de considérations plus dithyrambiques les unes que les autres sur l'importance de cette candidature. Or, ce numéro était daté du 11 mars et, même en comptant qu'il avait été composé 48 heures avant, les camarades anglais auraient pu avoir le résultat des élections publié entièrement le lundi 7 mars s'ils n'avaient porté à cette candidature que la centième partie de l'intérêt qu'ils prétendaient lui prêter.

Les quelques lignes suivantes, à la fin de l'article, signifient peut-être que l'auteur connaissait le résultat :

« La campagne conjointe de l'OCI et de Révoltes, quel que soit le nombre de suffrages recueillis dans ce scrutin par Stéphane Just, a transformé la scène politique en France''.

Auquel cas, et sans discuter de la transformation de la vie politique française que cette candidature a apportée, nous pensons que l'auteur aurait pu donner le nombre voix recueilli. Relevons par exemple, dans ce même article, une juxtaposition de faits, d'affirmations et d'allusions pour le moins tendancieuses pour qui connaît la réalité.

En parlant d'un appel que l'OCI a fait signer préventivement par différents militants syndicalistes pour condamner les violences physiques qui pourraient être exercées par les staliniens contre les réunions électorales de l'OCI, l'auteur de l'article écrit :

« Les membres de l'OCI et les jeunes de Révoltes firent largement circuler l'appel qui fut signé par de nombreux travailleurs. Cet appui, ajouté au soutien actif qu'apportèrent volontairement de nombreux travailleurs à l'encadrement des meetings de l'OCI permirent que la campagne se passe sans aucune terreur organisée contre l'OCI dans la circonscription.

Cela ne signifiait pas que le Parti Communiste avait renoncé à ses méthodes habituelles contre les trotskystes. Partout ailleurs où il le pouvait, il attaqua et calomnia.

Dans une autre circonscription de Saint-Denis, ou une candidate femme se réclamant du trotskysme se présentait pour la tendance Posadas, le Parti Communiste usa de la violence physique ».

Il est difficile de discuter de tels textes. L'OCI a fait une campagne préventive ; qu'elle affirme que cette campagne lui a permis de ne pas être attaquée physiquement, personne ne peut la contredire puisqu'on ne sait pas si, de toutes façons, elle l'aurait été. Quant aux violences qui ont eu lieu dans la circonscription où la camarade Roc'hongar du PCR. (t) (tendance Posadas) se présentait, elles ont eu lieu lors d'une vente du journal de la tendance Posadas sur le marché de Saint-Denis, violences qui ne sont ni les premières, ni les dernières. A notre connaissance, ses réunions n'ont pas été troublées. Quant à l'OCI, si elle avait tenté de vendre ses publications dans cette circonscription, aux mêmes endroits, on ne sait pas ce qui serait advenu. On ne peut donc comparer, même aussi légèrement que le fait la rédaction du « Newsletter ».

A lire l'article, on pourrait croire qu'il y eut deux attitudes des staliniens très différentes dans les deux circonscriptions, ce qui ne fut pas le cas. On ne peut guère tirer par ailleurs de conclusions d'un nombre de suffrages aussi faible, mais il semblerait que les travailleurs aient préféré l'attitude des Posadistes qui ne crient pas mais se battent depuis des années pour diffuser leur presse, plutôt que l'attitude de ceux qui crient sans qu'on les touche.

A dessein, nous ne relevons pas les « analyses » politiques concernant ce scrutin portées par « Informations Ouvrières » et « The Newsletter », car nous pensons que la politique est une chose sérieuse. Il faut d'abord que le mouvement trotskyste se débarrasse de ces méthodes et de ces procédés qui ne sont, finalement, que l'imitation, en ce qu'ils ont de pire, de la démagogie stalinienne et social-démocrate. La réussite n'est pas dans cette voie. Il faut non seulement dire qu'on est sérieux et sans illusions, mais le prouver et renoncer aux procédés de bateleurs de foire. Même le Programme de Transition ne peut couvrir l'insuffisance dans ce domaine, insuffisance qui a perdu en dernière analyse la IVe Internationale. Avant de discuter politique, il faut prouver son sérieux.

C'est ce que les travailleurs de Saint-Denis ont essayé de faire comprendre à leur façon, aux militants trotskystes qui se présentaient à leurs suffrages. Nous pourrons reconstruire la IVe Internationale lorsque nous aurons tous, compris cette leçon.

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