Le Vietnam : un mauvais terrain pour la guerilla de l'extrême-gauche contre le PCF02/04/19681968Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Le Vietnam : un mauvais terrain pour la guerilla de l'extrême-gauche contre le PCF

 

Le Vietnam n'est pas seulement le lieu géographique où s'affrontent un peuple qui lutte pour sa liberté et la plus grande puissance impérialiste du monde. C'est aussi le terrain politique ou le PCF a décidé de faire pièce à certains groupes d'extrême-gauche français, qu'ils soient pro-chinois ou trotskystes.

Certes, cette lutte peut sembler bien mesquine, ridicule même, si on la compare, par l'enjeu et l'ampleur, à celle que mènent les Vietnamiens eux-mêmes. Il est tout de même indispensable pour les militants révolutionnaires d'examiner le front sur lequel le PCF a choisi de mener l'une des batailles qu'il compte leur livrer.

 

LE TOURNANT

La déclaration de guerre s'est faite le 16 janvier dernier, lorsque le Comité Central du PCF, réuni en séance plénière, a décidé la création d'un « Comité National d'Action pour le soutien et la victoire du peuple vietnamien », comité composé uniquement de membres du parti. A qui connaît les traditions du PCF, toujours soucieux d'intégrer des « personnalités non-communistes », dans les comités ou mouvements qu'il suscite ici ou là, à propos de tel ou tel problème, l'intention était évidente : souligner que la politique et l'action du dit comité étaient celles du PCF et de lui seul.

C'était là un virage à gauche indéniable quoique surprenant. Bien sûr, les tournants politiques, à gauche comme à droite, ne sont pas chose rare dans l'histoire des partis staliniens, et notamment du parti français. On en a connu jadis de bien plus spectaculaires. Depuis dix ou quinze ans pourtant, le PCF, menant sur tous les points une politique de plus en plus réformiste, et cherchant ouvertement à s'intégrer le plus complètement possible à la société bourgeoise française, nous avait fait oublier ses capacités à accomplir semblable volte-face sur sa gauche.

Les occasions de lutter pour la victoire d'un peuple que l'impérialisme veut enchaîner ne lui ont pourtant pas manqué. L'impérialisme français est celui qui a mené les plus longues et les plus dures guerres coloniales de ces vingt dernières années. Ce record, peu enviable, est sans doute en passe de lui être ravi aujourd'hui par son compère américain. La sauvagerie des répressions entreprises partout, depuis l'Indochine et Madagascar jusqu'à l'Algérie, Djibouti et la Guadeloupe, montre bien que s'il n'a pu se hausser au niveau des USA, c'est uniquement une question de moyens et non pas de volonté.

Jamais, au cours de la guerre d'Algérie par exemple, qui a pourtant duré sept ans, le PC n'a crée un « Comité National d'action pour le soutien et la victoire du peuple algérien ».

Sur le Vietnam même, où la guerre dure depuis des années, et où les premiers soldats américains ont débarqué depuis bien longtemps : le PCF s'était borné jusque là à réclamer « la paix au Vietnam, comme il avait réclamé avant « la paix en Algérie » ou la « paix en Indochine ».

Les quelques manifestations organisées par lui, pas bien nombreuses d'ailleurs, se sont toujours déroulées sous ce signe. Et ceux qui tentaient d'y introduire d'autres mots d'ordre plus radicaux, étaient menacés d'en être expulsés sans ménagement aucun. Ainsi le 21 octobre dernier encore, à Paris, le « Comité Vietnam National », lors d'une manifestation organisée pourtant en commun par lui et divers mouvements pro-staliniens, ne put-il défiler jusqu'au bout que grâce à la solidité de son service d'ordre. Brandir des drapeaux FNL, crier « FNL vaincra », était toujours considéré comme une provocation par le service d'ordre du PCF.

 

LE DANGER « GAUCHISTE »

Pourquoi donc ce virage qui semble avoir surpris certains des membres du PCF eux-mêmes ? Bien qu'il se soit produit à un moment où le conflit au Vietnam prenait lui-même beaucoup plus d'ampleur du fait de l'offensive du FNL dans les villes, le virage du PCF avait en réalité peu de rapport avec le conflit lui-même. Car ses véritables raisons sont àtrouver dans la politique française elle-même, la seule préoccupation du PCF, ici, étant de répondre au développement relatif et à l'agitation de ceux qu'il appelle les « gauchistes », c'est-à-dire tous les groupes qui se situent sur sa gauche, pro-chinois ou trotskystes. L'examen du contexte dans lequel cette initiative se place ne permet guère d'en douter.

Dans le même temps en effet, qu'était décidé ce virage à gauche, se déroulait aussi toute une campagne contre l'extrême-gauche. Alors que le PCF s'apprêtait à reprendre sur le Vietnam les mots d'ordre qui étaient ceux de l'extrême-gauche depuis des années, celle-ci en général, et VOIX OUVRIÈRE et L'HUMANITÉ NOUVELLE en particulier, était la cible quasi quotidienne d'attaques, le plus souvent injurieuses et calomnieuses de L'HUMANITÉ. Il n'était cependant pas possible à L'HUMANITÉ de déverser les mêmes calomnies sur le « Comité Vietnam National » ou les « Comités Vietnam de Base » : ils étaient les seuls à se manifester à propos du Vietnam. Et cela gênait bien L'HUMANITÉ. Il fallut donc remédier à cela.

D'ailleurs, sur le problème du Vietnam lui-même, la création du « Comité National d'action » a été précédée de plusieurs initiatives qui répondaient à la même préoccupation. En organisant, quelque temps après la manifestation du 21 octobre une nouvelle manifestation des Jeunesses Communistes, le PCF n'avait qu'un seul but : démontrer à ses jeunes sympathisants que, face aux « Comités Vietnam de Base », de tendance pro-chinoise, ou au « Comité Vietnam National », où l'on retrouve des éléments trotskystes, et dont l'activité rencontrait un succès croissant dans la jeunesse, il était capable de faire beaucoup plus et beaucoup mieux.

De même, la collecte du « bateau pour le Vietnam », qui venait des mois après celle du « milliard pour le Vietnam », à laquelle le PCF n'a pas participé. Là aussi il s'agissait de démontrer aux sympathisants ou aux militants, que le PCF, sur ce point, pouvait faire mieux et plus que quiconque. Ce qu'il a effectivement fait, puisque les derniers résultats ont surpassé largement ceux obtenus par le mouvement du « milliard ».

La création du « Comité National d'action pour le soutien et la victoire du peuple vietnamien » est venue couronner tout cela. Il s'agissait de convaincre les derniers hésitants que le PCF, non seulement est capable d'actions plus importantes, plus efficaces que celles organisées sans lui, mais aussi que sa ligne politique peut être au moins aussi radicale que celle de n'importe quel autre groupe politique.

 

PAS D'INFLUENCE POSSIBLE SUR LES LUTTES DE LA CLASSE OUVRIÈRE FRANÇAISE, DONC DE RUPTURE AVEC LA BOURGEOISIE

Nous avons déjà dit (Cf Lutte de Classe N° 9 - Novembre 1967) comment, en France, les militants révolutionnaires qui consacraient l'essentiel de leur activité au problème du Vietnam faisaient fausse route.

Il est impossible sur ce seul sujet, non seulement d'ouvrir des perspectives révolutionnaires à la classe ouvrière française, mais même de faire la démonstration de la justesse de la politique et des idées de l'extrême-gauche.

La politique actuelle du PCF est en train d'en administrer la preuve.

Car, si le PCF a décidé de durcir sa politique sur la question vietnamienne, ce n'est pas seulement parce que c'était sur ce point qu'il se sentait particulièrement visé par l'activité de l'extrême-gauche, trotskyste, ou pro-chinoise, et, de ce fait, mis en question par sa propre base.

Mais c'est surtout parce que, sur ce point, il pouvait gauchir sans danger et son action, et sa propagande.

Que peut-on en effet pratiquement faire en France pour le soutien du peuple Vietnamien, a part donner témoignage de sa solidarité ? Pratiquement rien.

Naguère, un « Comité National d'action pour le soutien et la victoire du peuple Algérien » eût trouvé, lui, à s'employer activement, quand les soldats qui brûlaient les douars et massacraient la population étaient de jeunes Français, quand les munitions dont ils se servaient étaient fabriquées en France et embarquées dans des ports français, quand les responsables des tueries et des massacres étaient à Paris. Ou bien il eût été facile de dégonfler cette prétendue politique radicale, c'est bien pour cela que le PCF n'a jamais fait mine de se diriger dans cette voie.

Aujourd'hui, personne ne peut reprocher au « Comité National d'action » de laisser partir au Vietnam des soldats et des armes, embarqués, instruits ou fabriquées à des milliers de kilomètres du territoire français.

Chacun sait bien que le maximum que nous pouvons faire ici est de manifester notre solidarité. Personne n'est capable de faire plus. Et « Comités Vietnam de Base » ou « Comité Vietnam National », s'ils l'ont fait avant le PCF, n'ont pas fait davantage non plus.

Les limites de l'action possible sur cette question étaient ainsi tracées, le PCF pouvait bien alors livrer la bataille. Puisqu'il ne s'agit tout compte fait que d'un témoignage, victoire reviendra à la longue à celui qui aura organisé le plus important, ont certainement estimé les dirigeants staliniens. Sur ce terrain le PCF peut s'estimer évidemment, vu le rapport des forces, gagnant d'avance.

Aujourd'hui les manifestations en faveur du peuple vietnamien et du FNL se multiplient. « Comités Vietnam de Base » et « Comité Vietnam National » doivent en effet, pour défendre leur droit à l'existence que leur conteste le PCF, surenchérir sur les activités de celui-ci.

Jusque là ils l'ont pu, en réagissant plus vite ou plus durement que lui. De ce point de vue d'ailleurs les pro-chinois ont sans doute saisi plus vite que les trotskystes le seul point faible du PCF en prenant sur eux d'affronter physiquement la police.

En organisant des manifestations interdites, d'abord à la Mutualité pour empêcher la tenue d'un Meeting d'extrême-droite en faveur du gouvernement de Saïgon, ensuite devant l'ambassade du Vietnam du Sud, ils se sont engagés sur la voie où le PCF peut plus difficilement les suivre.

Ce n'est qu'avec un temps de retard que les trotskystes ont suivi sur cette voie (manifestation du 20 mars devant l'American Express).

A l'heure où sa seule perspective est de conclure une alliance avec la Fédération de la gauche, le PCF tient trop à se donner, aux yeux de la bourgeoisie française, une réputation de respectabilité, pour ne pas hésiter à prendre délibérément sur lui la responsabilité d'un affrontement avec les forces de l'ordre.

C'est pour cela, pour bien montrer comment il pouvait être raisonnable et responsable, qu'il s'est incliné lorsque le gouvernement lui a interdit, comme il en avait d'abord manifesté l'intention, d'organiser une manifestation devant l'ambassade américaine à Paris, le 13 février. Ce n'est donc pas sans répugnance qu'il pourrait s'engager sur cette voie et il fera le maximum pour l'éviter.

Pourtant s'il le fait - c'est-à-dire si la surenchère des pro-chinois risque de prendre sur une partie de ses propres troupes - il ira alors jusque-là. Un soir prochain nous verrons descendre sur le pavé de la capitale 10 ou 15 000 militants du PCF, nous les verrons affronter les flics. Cette soirée sans lendemain possible, sinon une autre soirée semblable puis encore une autre, n'aura pas mis l'État français en danger. Mais elle aura fait la preuve - sans appel possible - de la supériorité du PCF à mobiliser les « masses » françaises en faveur du peuple vietnamien.

 

UNE VICTOIRE À LA PYRRHUS

Certes avoir amené le PCF à radicaliser sa position, peut passer pour une victoire des camarades qui ont, depuis des mois, axé toute leur activité sur la question vietnamienne. Et il est vrai que c'est sans aucun doute, grâce à cette activité que le PCF se déclare depuis trois mois partisan de la victoire du FNL.

Il semble bien pourtant que ce soit là une victoire à la Pyrrhus. Car bien loin d'apporter un peu plus de clarté dans l'esprit et la conscience et de la classe ouvrière toute entière et surtout des militants du PCF, elle ne fait guère que rendre les choses un peu plus confuses encore. Comme nous le disions plus haut, cette « propagande » ou ces « démonstrations » en faveur de la lutte du peuple vietnamien, toutes utiles qu'elles soient, ne feront pas avancer d'un pas la conscience et la combativité de la classe ouvrière française, et ne mettront en rien la bourgeoisie française en danger. Et ceci est tellement vrai que les gaullistes dits « de gauche » viennent de créer un « Comité de Soutien à la Résistance Vietnamienne » qui se déclare « déterminé à participer, en étroite collaboration avec les organisations déjà existantes, aux manifestations et à l'aide en faveur de la lutte de libération nationale du peuple vietnamien ».

Même les militants du PCF - mis à part peut-être quelques uns, bien rares n'ont en rien conscience que les responsables de ce pas en avant de leur parti sont les « groupuscules gauchistes ». Ils n'ont d'ailleurs, la plupart du temps, même pas conscience du pas en avant lui-même, tant on les avait déjà persuadés que le mot d'ordre « paix au Vietnam » équivalait au fond à « victoire pour le FNL ». Tout au plus ont-ils conscience que les petits mouvements qui existent sur la gauche du PCF ont encore moins de raison d'être qu'auparavant puisqu'ils ne font que répéter ce que dit le PCF lui-même.

C'est pour cela que la hargne ou même les coups à leur égard n'ont pas cessé du fait que les mots d'ordre officiels peuvent se confondre.

Le 13 février dernier, lors d'une manifestation organisée de la République à la Bastille par le « Comité National d'action » du PCF, certains membres du service d'ordre tentèrent à nouveau de couvrir la voix du groupe formé par le « Comité Vietnam National ». Pour cela ils en vinrent même à reprendre le « paix au Vietnam » tant était grand leur désir de faire pièce au « FNL vaincra » du C.V.N..

Plus près de nous, le 15 mars, à une autre manifestation, organisée celle-ci par le « Mouvement de la Paix », toujours à Paris, des coups furent échangés entre le service d'ordre stalinien et les pro-chinois qui étaient venus au rendez-vous en groupe compact et sous leurs propres banderoles.

Et l'on voit toujours, dans les quartiers, des membres des jeunesses communistes mobilisés le soir pour aller effacer des murs, les inscriptions « FNL vaincra » inscrites par leurs adversaires politiques d'extrême-gauche.

Et il est bien évident que plus on ira, et plus la question de savoir qui a lancé le premier le mot d'ordre juste sera oubliée, et plus aussi l'opposition au PCF sur ce terrain apparaîtra à beaucoup comme la manifestation mesquine d'un esprit de chapelle.

L'extrême-gauche révolutionnaire ne peut faire la preuve qu'elle a un rôle à jouer qu'en démontrant sa capacité à s'intégrer à la lutte de la classe ouvrière française, à la diriger, à lui ouvrir des perspectives révolutionnaires que le PCF ne veut ni ne peut envisager.

En limitant son activité au soutien à une lutte - serait-elle révolutionnaire - à laquelle elle ne participe pas, parce qu'elle est hors de sa portée, son utilité au contraire se réduirait à jouer les mouches du coche.

Il y a bien trop longtemps qu'une grande partie d'entre elle limite là ses ambitions.

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