Du « Vietminh » au Vietcong03/04/19681968Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Du « Vietminh » au Vietcong

« Vis-à-vis de la bourgeoisie nationale, le Parti doit se montrer habile, souple... Vis-à-vis des trotskystes : point d'alliance, ni de concession. Il faut, par tous les moyens, démasquer ces agents du fascisme, il faut les anéantir sur le plan politique ». HO CHI MINH Juillet 1939

Le soutien inconditionnel qu'apportent les révolutionnaires marxistes au peuple vietnamien et au Front National de Libération qui dirige sa lutte, ne signifie nullement l'adhésion pure et simple aux options politiques prises par le FNL

En effet, celui-ci ne se bat, et ne s'est jamais battu sur le terrain du socialisme. Tant le programme de 1960 que celui de 1967 indiquent clairement que le but des dirigeants frontistes est une large union nationale, regroupant toutes les couches de la société vietnamienne, en vue de faire du Sud Vietnam un État démocratique, indépendant et neutraliste.

De ce point de vue, le Front National de Libération ne se différencie nullement des divers mouvements nationalistes des pays coloniaux et ex-coloniaux qui, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, ont mobilisé les masses populaires dans la lutte pour l'indépendance. Le plus connu sans doute de ces mouvements, est le Front de Libération National (FLN) algérien qui pendant huit années s'opposa à l'impérialisme français en Algérie.

Le caractère nationaliste bourgeois du FLN algérien, malgré les illusions sur son compte entretenues par les camarades du Secrétariat Unifié, s'est affirmé dès sa naissance et le régime de Boumedienne en est l'aboutissement logique.

Mais, pour de nombreux camarades trotskystes, il existerait une différence essentielle entre l'organisation nationaliste algérienne et le FNL du Sud Vietnam. Car le second ne serait, en fait, que la couverture du Parti Populaire Révolutionnaire, c'est à dire du Parti Communiste Sud Vietnamien. De ce fait, la victoire du peuple vietnamien amènerait à la construction, à terme, d'un État ouvrier, puisque ce combat est dirigé par un parti stalinien représentant « de façon déformée » les intérêts de la classe ouvrière.

C'est justement cette affirmation que nous voudrions discuter. Tout d'abord il est évident que l'élément moteur du Front est constitué par l'organisation stalinienne. La présence au Comité Central du Front de représentants des Eglises catholique, bouddhiste, Hoa Hao, Caodaïste, et de représentants de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie urbaine, ne change rien au fait que toute l'ossature du FNL est solidement tenue en mains par les staliniens.

Mais, au Vietnam, l'organisation stalinienne peut-elle être qualifiée d'organisation « ouvrière » ? (Même si l'on entend par ce terme un parti stalinien de type occidental). Une très grande partie des militants révolutionnaires répond par l'affirmative à cette question. C'est sans doute le groupe « La Voie » qui exprime le plus clairement cette conception dans une brochure intitulée « La Révolution Vietnamienne ». Voici ce qu'écrivent ces camarades : « En fait la pensée qui guide les communistes vietnamiens - et nous touchons ici à la deuxième série d'explications relatives au programme du Front - est inspirée par la conception stratégique qui fut « classique » à l'époque stalinienne et qui demeure vivace d'ans la plupart des partis communistes. La révolution de peut procéder que par étape, l'étape démocratique nationale, caractérisée par le bloc des classes doit s'étendre sur une longue période de temps pour que s'ouvre l'étape socialiste... Le Parti Populaire Révolutionnaire au Sud, comme le Parti des Travailleurs au Nord, sont des partis staliniens qui ont su déclencher et diriger une lutte dont le caractère révolutionnaire est évident ».

Mais, le fait de qualifier de staliniens le Parti Populaire Révolutionnaire du Sud et le Parti des Travailleurs du Vietnam du Nord ne définit nullement leur nature sociale.

Car si le stalinisme est en URSS l'expression politique d'une certaine couche sociale, la bureaucratie, l'idéologie réactionnaire qu'il représente a pris appui hors d'URSS sur des couches sociales très diverses. Dans les pays industrialisés, le stalinisme s'est appuyé sur des organisations ouvrières, qui s'étaient rapidement bureaucratisées, les partis dits « communistes ».

Mais, dans de nombreux pays économiquement arriérés, le phénomène a été sensiblement différent. Là, le stalinisme a, dans certaines situations, servi de couverture idéologique à des fractions radicales de la petite-bourgeoisie et cela ne peut étonner. La bureaucratie a constamment cherché hors de la classe ouvrière des appuis circonstanciels pour contrebalancer la pression que l'impérialisme faisait peser sur elle. Les exemples les plus connus ont été l'appui au Kuo Min Tang en Chine, et au parti de La Follette aux USA

Mais outre l'embellissement canaille d'organisations ouvertement bourgeoises, l'Internationale stalinienne a développé en son sein des courants non prolétariens qui, sous l'étiquette « communiste », représentaient en fait des couches sociales qui n'avaient plus rien à voir avec le prolétariat. L'Asie nous offre de bons exemples de ce phénomène. Le plus connu est sans aucun doute celui de Mao Tsé Toung et du Parti Communiste Chinois qui après l'écrasement de la révolution de 1927 quitta les villes et, peu à peu, par son programme et son action s'appuya exclusivement sur la paysannerie.

Abordant le problème de la nature sociale de telles organisations Trotsky écrivait le 22 septembre 1932 dans une lettre aux camarades chinois intitulée « La guerre des paysans en Chine et le prolétariat » : « ... Le fait que des communistes se trouvent individuellement à la tête des armées paysannes ne change en rien le caractère social de ces dernières même si la direction communiste a une bonne trempe prolétarienne... La plus grande partie des communistes du rang dans les corps de partisans rouges (chinois) se compose de toute évidence de paysans qui très honnêtement et sincèrement se prennent pour des communistes mais qui sont des révolutionnaires paupérisés ou des petits propriétaires révolutionnaires... Si nous ne sommes pas d'accord pour identifier les corps d'armées de paysans avec l'armée rouge, comme la force armée du prolétariat... Par contre nous nous rendons parfaitement compte de la signification de l'importance énorme du caractère démocratique révolutionnaire des guerres de paysans... »

Un rapide historique de l'histoire du Parti Communiste Indochinois, ancêtre du Parti Populaire Révolutionnaire, montrera que tout comme le PC Chinois il ne s'agissait nullement d'une organisation ouvrière mais d'une organisation nationaliste petite-bourgeoise appuyée sur la paysannerie.

DE L'ASSOCIATION DE LA JEUNESSE RÉVOLUTIONNAIRE DU VIETNAM AU VIETMINH

La première organisation qui en Indochine prendra l'étiquette « communiste » n'apparaîtra sur la scène politique qu'en 1929 c'est-à-dire à un moment où l'Internationale Communiste est en pleine décomposition opportuniste.

Avant cette date les militants qui se réclament de l'Internationale Communiste avaient créé en juin 1925 l'Association de la Jeunesse Révolutionnaire du Vietnam. Bien que ses dirigeants, dont le plus connu est Ho Chi Minh, aient travaillé en liaison étroite avec l'Internationale Communiste, leur organisation se voulait un parti nationaliste à tendances socialistes. La littérature de cette organisation faisait appel aux sentiments de solidarité des Vietnamiens face à l'impérialisme mais n'établissait aucune distinction entre le prolétariat et la bourgeoisie vietnamienne.

Au premier congrès de cette organisation, qui se tint à Hong Kong en mai 1929, éclata une crise grave. Toute une partie des militants de la région de Hanoï, qui était une des bases ouvrières les plus importantes, demanda que le congrès décide la création d'un parti communiste. La direction de la « Jeunesse Révolutionnaire », fidèle à Ho Chi Minh, refusa ce qui entraîna une scission. L'organisation du Tonkin (région de Hanoï) et une fraction de celle de l'Annam (Vietnam central) se proclamèrent Parti Communiste Indochinois (Dông Duong Công San Dang). Un délégué fut envoyé en Cochinchine où le nouveau parti progressa rapidement. Lors de la scission les délégués publièrent un document où ils qualifiaient ainsi le groupe de la « Jeunesse Révolutionnaire » dirigé par Ho Chi Minh : « ...un groupement de nationalistes à tendances socialistes, un groupement de farceurs préconisant la révolution nationale et la révolution mondiale, qui n'a jamais porté ses efforts sur les masses prolétariennes, qui n'a jamais adhéré à la IIIe Internationale, le seul organe de la révolution mondiale et qui a, par contre, demandé l'admission de ses représentants au IIIe Congrès du parti national chinois (Kuo Min Tang), c'est-à-dire un parti réactionnaire et anti-prolétarien ».

Mais très rapidement la « Jeunesse Révolutionnaire », pour ne pas être tournée sur la gauche, car le nouveau parti communiste progressait très vite, se transforma en Parti Communiste d'Annam (Annam Công San Lang).

En 1930 fut donc constitué le Parti Communiste Indochinois unifié. Outre les deux groupes issus de la « Jeunesse Révolutionnaire », y adhérait un groupe qui venait de l'organisation nationaliste « Parti Révolutionnaire du Nouvel Annam et d'une petite organisation défendant en Cochinchine un programme agraire radical à tendances socialistes : l'« Association N'Guyen-an-Ninh ».

De ce fait, l'immense majorité des adhérents et des militants du parti communiste était soit des paysans, soit des semi-intellectuels (instituteurs, étudiants etc...). En outre, à la différence du PC Chinois ; le PC Vietnamien ne s'était jamais implanté dans les masses ouvrières et ne le fera d'ailleurs pratiquement pas dans la période suivante. Le cours gauchiste de la troisième période se traduisit essentiellement par la formation de soviets « paysans » qui s'emparèrent des grandes propriétés dans la période 1930-1931. Mais très rapidement tous ces mouvements furent noyés dans le sang.

Quelques années plus tard, pendant la période du Front Populaire, le PC Vietnamien préconisa l'alliance avec tous les « éléments bourgeois honnêtes ». Dans sa propagande il allait même jusqu'à distinguer, en juin 1936 « les colonialistes français antifascistes », à qui il fallait tendre la main, des « ultra-colonialistes » qu'il fallait combattre. Cette ligne de collaboration avec l'ensemble de la bourgeoisie vietnamienne, et parfois même avec l'impérialisme, le PC Vietnamien la conservera jusqu'en décembre 1946.

DE LA COLLABORATION À LA LUTTE CONTRE L'IMPÉRIALISME

En mai-juin 1941, le Parti Communiste Vietnamien va créer la « Ligue pour l'Indépendance du Vietnam » ( « Viet Nam Doc Lap Dong Minh » soit en abrégé « Viet Minh » ) Il s'agissait d'un large front regroupant les bourgeois, une partie des propriétaires fonciers, la paysannerie et toutes les autres couches de la société dans la lutte pour l'indépendance. La réforme agraire qui était dans le programme du PC, fut mise en veilleuse. « Le Comité Central », écrivait Giap, « définissait par ailleurs une nouvelle politique du Parti : suspendre provisoirement le mot d'ordre de la révolution agraire et y substituer celui de la réduction des taux de fermage et de prêt »... (Guerre du Peuple, Armée du Peuple, p.80). Et en mars 1944, Ho Chi Minh participait à un gouvernement provisoire mis sur pied avec des groupements bourgeois pro-Kuo Min Tang et pro-japonais.

Le 8 mars 1945 les Japonais éliminent d'Indochine l'administration française qui y était demeurée pendant la guerre. Mais le 10 août le Japon capitule. La Ligue Vietminh va alors s'emparer du pouvoir à la faveur du vide politique créé par le départ des Japonais et nous allons voir de quelle manière.

LE VIETMINH ET LA CLASSE OUVRIÈRE

Le 19 août, les ouvriers de Saïgon ont créé des comités du peuple pour suppléer à l'effondrement de l'administration et à l'incapacité des groupes fantoches pro-japonais du gouvernement.

Le lendemain toute la région de Saïgon se couvre de comités et, le 21 août, pour tenter d'apaiser le mouvement, les groupements de droite regroupés dans le « Front National Unifié » organisent une manifestation pour célébrer l'indépendance. Les militants trotskystes de la Ligue Communiste Internationaliste s'y rendent avec comme mots d'ordre « La terre aux paysans, nationalisation des usines sous contrôle ouvrier. Ils parviennent à rassembler plusieurs dizaines de milliers d'ouvriers derrière leurs banderoles.

Mais les staliniens de la Ligue Vietminh vont rapidement réagir. Le 23 août, ils obligent les partis bourgeois du Front National Unifié à se rallier à eux, et le 25 ils s'emparent des principaux postes de commande du gouvernement. Ce que beaucoup ont plus tard qualifié de « révolution » fut un coup d'État sans participation des masses populaires. Voici ce qu'écrivait un militant vietnamien sur cet événement dans « IVe Internationale » de septembre-octobre 1947 :

« A 5 h. du matin le 25 août, tous les postes gouvernementaux furent occupés par les chefs du Front Vietminh sans que le peuple s'en rendit compte. Le changement du pouvoir d'État s'opéra silencieusement à l'insu de toute la population. Le Vietminh montait au pouvoir ayant avec lui toutes les classes dirigeantes de la société et l'appareil complet de l'État bourgeois... Ce ne fut pas une révolution mais seulement un coup d'État monté avec l'appui de toutes les classes d'exploiteurs derrière le dos des masses révolutionnaires ».

A partir de ce moment, la politique du Vietminh a deux aspects : vis-à-vis des masses populaires une politique de répression dans la mesure ou celles-ci tentent de s'organiser d'une façon autonome, vis-à-vis des impérialistes français une politique de compromis pour tenter de parvenir « à l'amiable » à l'indépendance.

La République proclamée, les premières déclarations des nouveaux ministres sont essentiellement dirigées contre les ouvriers et les paysans :

« Seront sévèrement et impitoyablement punis ceux qui auront poussé les paysans à s'emparer des propriétés foncières » déclare le 27 août N'Guyen Van Tao, ministre de l'intérieur. « Ceux qui incitent le peuple à l'armement seront considérés comme des saboteurs et des provocateurs ennemis de l'indépendance nationale. Nos libertés démocratiques seront octroyées et garanties par les Alliés démocratiques » déclare le gouvernement le 1er septembre.

Mais dans la première semaine de septembre, suite notamment à divers attentats commis sans doute par des colonialistes français contre des manifestations pacifiques, les Comités Populaires se généralisent dans tout le Vietnam mais en particulier dans la région sud autour de Saïgon. Bientôt ils se proclament seul pouvoir révolutionnaire et décident de se fédérer à l'échelle du pays. Le Vietnam, qui ne parvient pas à les contrôler en Cochinchine, décide donc de les abattre.

Le 7 septembre, le gouvernement vietminh déclare : « Seront considérés comme des provocateurs ceux qui appellent le peuple à l'armement et surtout à la lutte contre les alliés », c'est-à-dire contre les impérialistes franco-anglais.

Le 12 septembre, les comités du peuple protestent contre l'attitude du gouvernement à leur égard. Le 14, le Vietminh fait arrêter les dirigeants des comités et les met en prisons. Quelques mois plus tard les dirigeants trotskystes seront liquidés.

LE VIETMINH ET L'IMPÉRIALISME

Le 16 septembre, le Vietminh qui affirme avoir pris le pouvoir au nom des « alliés démocratiques » se déclare prêt à négocier avec de Gaulle sur la base de l'adhésion du Vietnam à l'Union Française. Pendant ce temps les impérialistes français tentent d'acheminer vers le Vietnam les maigres troupes dont ils disposent. En attendant ces troupes, le 13 septembre 1945 avec l'aide d'une compagnie d'un régiment d'infanterie, d'un bataillon et de mille deux cents Français, anciens prisonniers des Japonais, le colonel français Cedile, parachuté peu de temps auparavant, attaque les troupes vietminh et les chasse de Saïgon. La population ouvrière, écrasée par le Vietminh dix jours auparavant, ne réagira pas.

Le 5 octobre, Leclerc arrivait à Saïgon et peu à peu les troupes françaises commençaient àdébarquer.

Le gouvernement français n'a pas la force d'attaquer l'ensemble du Vietnam. Il cherche donc à gagner du temps. De son côté, Ho Chi Minh ne demande qu'à négocier. Le 6 mars 1946, un accord est conclu entre le gouvernement vietnamien et le gouvernement français qui reconnaît l'indépendance du Vietnam dans le cadre de l'Union Française et de la Fédération Indochinoise.

Le gouvernement Ho Chi Minh se déclara prêt à accueillir amicalement les troupes françaises à Haïphong. Leclerc fit donc débarquer 15000 soldats dans la capitale du Tonkin sans rencontrer la moindre résistance de la part du Vietminh qui ne demandait qu'à collaborer.

Mais toute une partie du Vietnam, la Cochinchine, n'est pas rattachée au nouvel État. L'impérialisme français promet d'y organiser un référendum, mais dès le 1er juin, l'amiral d'Argenlieu, Haut Commissaire de France en Indochine, y fait proclamer la « République de Cochinchine », État indépendant du Vietnam, et y installe ses troupes. La veille, Ho Chi Minh est parti pour la France pour continuer les négociations sur la base de l'accord du 6 Mars.

Pendant ce temps les troupes françaises commencent l'occupation des hauts plateaux. Cela n'empêche nullement Ho Chi Minh de déclarer le 15 août au journal « Franc Tireur » : « Je suis venu pour faire la paix, je ne tiens pas à rentrer à Hanoï les mains vides. Je veux y retourner avec la France, c'est-à-dire, apporter au peuple Vietnamien la certitude de la collaboration que nous souhaitons... ».

Le 11 septembre. il déclare à l'agence « Associated Press » au sujet des négociations un cours : « Il n'y a pas de discordes véritables entre nous. Nos divergences sont celles que l'on trouve au sein de chaque famille ». La famille était constituée cette fois par l'impérialisme français d'une part, par la faible bourgeoisie vietnamienne de l'autre, représentée par le Vietminh.

Un nouvel accord, qui reprenait les termes de celui du 6 juin, fut signé le 14 septembre 1946. Il prévoyait entre autres un arrêt des combats dans le sud entre troupes françaises et vietminh. Mais la bourgeoisie française avait toujours considéré le compromis qu'elle avait du signer avec le Vietminh le 6 mars comme un armistice avantageux, préalable à une nouvelle offensive contre les masses du Vietnam.

En arrivant à Haïphong à son retour de Paris, l'oncle Hô, pour bien montrer son attachement à l'accord intervenu, fit chanter « La Marseillaise » à la foule venue l'acclamer.

Le 23 novembre, les canons du croiseur « Suffren » écrasent un quartier d'Haïphong sous les obus, faisant 6000 victimes. Et les 19 et 20 décembre 1946, les troupes françaises tenteront de désarmer les milices vietminh qui, dès lors, avec Ho Chi Minh et Giap reprendront les maquis. Le court épisode qui s'étend d'août 1945 à décembre 1946 a bien montré que le Vietminh n'était nullement le farouche mouvement anti-impérialiste que l'on a voulu en faire plus tard (et l'aurait-il été que cela ne l'aurait pas rendu « socialiste » pour autant). Jusqu'au bout la direction du Vietminh se déclara prête à négocier avec l'impérialisme français en lui donnant de très larges garanties. Mais ce fut la bourgeoisie française qui, comme elle le fera en 1954 en Algérie se refusa à tout compromis, sûre d'écraser la population vietnamienne. Pendant toute l'année 1947, le gouvernement vietminh ne cessa de proposer l'arrêt des combats à la France sur des bases qu'il jugeait acceptables pour tout le monde. Chaque fois, l'appareil d'État français s'y refusa.

Le Parti communiste indochinois, qui s'était dissous en novembre 1945, continua dans des naquis la politique d'alliance avec toutes les classes sociales « patriotes » y compris les propriétaires fonciers. Ce n'est qu'à partir des années 1952-1953, c'est-à-dire six ans après la reprise des hostilités, que le Vietminh « préconisa la levée des masses pour la réduction intégrale des taux de fermage et la réalisation de la réforme agraire... grâce à ces mesures la combativité des paysans fut puissamment stimulées » (Vo Nguyen Giap « Guerre du peuple, armée du peuple » page 103).

Mouvement nationaliste petit-bourgeois le Parti communiste indochinois, reconstitué en 1951 du dans la zone nord sous le nom de Parti des Travailleurs du Vietnam fut incontestablement le noyau central de la lutte pour l'indépendance du Vietnam. Mais rien dans son passé, son action ou la politique de ses dirigeants ne permet de la qualifier de « parti ouvrier ».

DU VIETMINH AU VIETCONG

La tactique adoptée au Sud-Vietnam par les militants du Parti Populaire Révolutionnaire, c'est-à-dire le parti stalinien, est rigoureusement identique à celle que menait le PCV. au sein du Vietminh. Le PPR est l'élément moteur du Front National de Libération fondé en décembre 1960 au Sud-Vietnam. Son programme ne dépasse pas les limites d'un démocratisme bourgeois dans tous les domaines y compris dans celui de la question agraire.

Lors de son premier congres, le FNL déclarait à ce sujet : « A l'égard des propriétaires fonciers, le Congrès réaffirme la politique du FNL reconnaissant le droit de propriété foncière en faveur de tous les propriétaires terriens qui ne se conduisent pas actuellement en agents sanguinaires de l'impérialisme américain ou en hommes à sa dévotion, tout en exigeant d'eux le respect de la politique actuelle du FNL (réduction des rentes et garanties aux fermiers du maintien des superficies affermées). Le futur gouvernement d'union nationale rachètera une partie de leurs terres par voie de transaction et à prix équitable, afin de les partager entre les paysans. Ces propriétaires terriens seront aidés s'ils veulent s'adonner à des entreprises industrielles et commerciales. Le FNL est prêt à admettre dans ses rangs les propriétaires terriens patriotes ».

Le nouveau programme du Front publié en 1967 reprend à peu de choses près les mêmes idées en spécifiant que le statut des terres des propriétaires fonciers absents, terres provisoirement distribuées aux paysans, sera réglé ultérieurement selon l'attitude politique de chaque propriétaire foncier. En outre, il s'engage à « respecter le droit de propriété légitime sur les terres appartenant à l'Eglise, au Clergé bouddhique, au Saint-Siège caodaïste, et au Saint-Siège Hoa Hao ».

Sur le plan extérieur le Front préconise une politique neutraliste et déclare se battre pour l'établissement d'une république démocratique au Vietnam.

Sur le plan intérieur il tend la main à la bourgeoisie à laquelle il réserve, d'après ses statuts, des sièges à son Comité Central et tente de rallier des « éléments récupérables » de l'administration des généraux Thieu et Ky. Et lors de l'offensive du Têt, les comités de libération des provinces ont été souvent dirigés à la demande du Front, par des personnalités locales, très éloignées de son programme et de ses positions.

En fait, il ne s'agit nullement de la tactique erronée d'un parti ouvrier vis-à-vis de la bourgeoisie nationale. Ce que veut prouver le PPR, par l'intermédiaire du Front, c'est qu'il représente réellement les intérêts de l'ensemble des couches de la population vietnamienne face à l'impérialisme. Il est de ce point de vue l'aile marchande du mouvement national mais nullement son aile prolétarienne.

L'appui qu'a trouvé le Front dans les campagnes et dans les villes, il le doit au fait que le régime imposé par les Américains est de plus en plus intolérable à l'ensemble de la population.

Dans les campagnes, c'est dès 1956, c'est-à-dire quatre ans avant la création du Front, que la guerre agraire a commencé lorsque Diem tenta de reprendre les terres que les paysans s'étaient partagées lors de la guerre contre les Français.

Dans les villes, c'est l'ensemble des couches sociales qui peu à peu est entré en conflit avec un régime honni par toute la société et qui, à part les troupes américaines, n'a plus aucun appui dans le pays.

Son influence, le Front ne l'a donc pas gagnée par le radicalisme de son programme. Dans les campagnes bien avant qu'il existe, les paysans s'étaient déjà partagé les terres, Dans les villes, la perspective d'encourager la bourgeoisie industrielle et commerçante à « contribuer au développement de l'industrie, de la petite industrie et de l'artisanat » comme il est dit dans son programme, ne doit guère enthousiasmer les ouvriers et les employés.

Mais sa force, l'influence qu'il a acquise, le Front les doit avant tout au fait qu'il n'a pas hésité à prendre les armes pour tenter d'obtenir l'indépendance nationale, ralliant ainsi à lui les meilleurs éléments de toutes les classes sociales

Et le réformisme de son programme n'est nullement en contradiction avec le radicalisme de ses méthodes. C'est même le propre de la plupart des organisations petites bourgeoises des pays sous-développés. Si le PPR se bat sous le drapeau national, ce n'est pas par tactique, c'est parce qu'il aspire à représenter, face à l'impérialisme, les intérêts de la nation vietnamienne toute entière et non ceux du prolétariat mondial. D'ailleurs le prolétariat est quasiment absent de son programme et on peut être sûr que dans les mêmes conditions que le vietminh en 1945, le Front aurait la même attitude vis-à-vis de la classe ouvrière.

Le rôle des révolutionnaires n'est donc pas d'enjoliver la nature sociale et politique du Front National de Libération mais de comprendre que si aujourd'hui le caractère démocratique révolutionnaire du Front apparaît clairement dans sa lutte contre l'impérialisme américain, son caractère anti-prolétarien qui se traduit par le refus d'organiser la classe ornière en tant que telle et la volonté de la dissoudre dans les « classes populaires », apparaîtra un jour ou l'autre ouvertement au Sud-Vietnam comme il apparut au Nord il y a 23 ans.

Il serait peut-être temps que les militants trotskystes qui manifestent aux cris d « Ho Ho Chi Minh » s'en rendent enfin compte.

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