Vitesse de libération18/06/19631963Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Vitesse de libération

Une femme dans le cosmos. Toute la presse a présenté cela comme un événement extraordinaire et, de ce fait, a souligné combien le sentiment de supériorité de l'homme sur la femme était vivace. Par contre la concierge interrogée par France-Soir a trouvé cela naturel car, dit-elle ; « Les femmes conduisent bien les autobus dans Paris ». Evidemment la réponse est peut-être un peu simpliste mais au moins révèle-t-elle que pour elle, contrairement à la plupart des journalistes, la démonstration des capacités de la femme n'était pas à faire, cela ne pouvait être qu'une constatation.

Mais pour notre société où la vedette n'est donnée à la femme que dans son rôle de Miss Keeler ou dans celui de mère au foyer, la manifestation d'une telle émancipation serait effectivement assez remarquable. Devait-on la voir dans le pays qui vécut la Révolution d'Octobre 17 ? C'est ce que l'on pouvait croire un instant en apprenant le départ de Valentina. Le gouvernement soviétique paraissait réparer l'erreur historique de n'avoir pas envoyé jusqu'ici de femme dans l'espace et se décidait à le faire. Et de prôner hautement par ce geste l'égalité de l'homme et de la femme. Las, las, le fair-play masculin ne pouvait être que défiguré dans le pays du socialisme dans un seul pays et l'égalité de l'homme et de la femme que rester du domaine de la phraséologie officielle.

Ce geste de propagande d'une portée considérable, vu l'émotion qu'une telle nouvelle ne pouvait manquer de provoquer dans les pays bourgeois, n'était pas destiné à illustrer par un coup de maître les rapports nouveaux qu'au pays de la Révolution d'Octobre 17, la mentalité communiste avait su établir entre les hommes et les femmes ! Valentina et Valéry ne sont pas les porte-parole d'une éthique et d'une société nouvelles, d'où aurait disparu l'antique asservissement de la femme. Il eut été naïf de le croire, l'envoi de Valentina dans l'espace devait confirmer bien au contraire qu'en ce domaine, comme en bien d'autres, les Russes poussent l'imitation de la morale bourgeoise jusqu'à l'exploitation des sentiments les plus réactionnaires. Car, si Valentina embarquait à bord d'un Vostok, elle n'y embarquait pas à égalité avec Gagarine, Titov et les autres cosmonautes masculins qui l'avaient précédée. En effet, comme l'indique la presse et particulièrement « l'Humanité » du 17 juin 1963, il y a deux ans, Valentina travaillait dans une filature et Gagarine écrit dans les « Izvestia » : « Elle a éprouvé des difficultés à assimiler la technique des fusées et le maniement de l'équipement spatial ». Mais comment se fait-il qu'au pays qui se dit socialiste et qui se vante d'avoir le plus fort pourcentage d'ingénieurs, il n'existe pas de femmes ayant des capacités intellectuelles et des connaissances techniques égales ou supérieures à celles d'un Gagarine ou d'un Titov ? Est-ce à dire que la structure de la société « socialiste », le poids des préjugés et des traditions entretenus dans son sein, interdisent aux femmes l'accession en nombre équivalent à celui des hommes à ce type de culture ?

On a toujours dit que les cosmonautes devaient posséder, outre des qualités physiques et psychologiques données, une grande formation technique qui leur permettait à la fois de garder leur équilibre moral et d'effectuer les manoeuvres nécessaires. En conséquence, ou bien les Russes n'ont pu sélectionner une femme ayant les aptitudes physiques requises et les capacités techniques nécessaires parce qu'ils manquaient d'un grand nombre de techniciens de valeur parmi lesquels faire ce choix, ou bien c'est autre chose qu'ils voulaient démontrer que la réalisation de l'égalité des sexes en URSS Comme l'écrit Max Léon dans son article de « l'Humanité » du 17 juin, intitulé « Une preuve de plus de l'éclatante maîtrise de l'astronautique soviétique », la mise en orbite d'une cabine spatiale est presque devenue maintenant « pratique courante » pour les Russes et « sans vouloir médire des pilotes fermes, l'envoi de Valentina Terechkova dans le cosmos confirme la très belle tenue du matériel soviétique, la perfection de la cabine spatiale et les conditions de vie créées à bord des Vostok. On a trop de considération ici pour la jeune fille, pour la soumettre à des épreuves physiques trop cruelles... » C'est vraiment touchant pour la gent féminine. Et pour ne pas trop nous dépayser dans les rapports hommes femmes, la radio annonçait que les deux Vostok qui tournent actuellement s'étaient rapprochés à une distance de 5 kilomètres l'un de l'autre mais que c'était Valéry Bykovski qui avait fait les manoeuvres... Galanterie de l'espace, ajoute le commentateur de la radio.

En fait, l'URSS a fait la démonstration que grâce à la qualité et à la maîtrise de la technique du vol spatial, même une femme pouvait prendre place dans un Vostok. La preuve est faite avec Valentina. Elle l'a été avec des fleurs, mais la presse, communiste, notamment, ne pouvait s'empêcher de soulever le voile qui cachait la réalité. Cette réalité ne pouvait être celle du socialisme. Car les conditions dans lesquelles les Soviétiques ont envoyé une femme dans l'espace révèlent de toutes manières, sinon un parti pris d'infériorité, du moins un état de fait attestant la permanence de la mentalité bourgeoise en URSS, dans les rapports sociaux.

Car si les Russes voulaient donner une démonstration de la supériorité de leur matériel et de leur technique, pourquoi ne pas avoir envoyé en ce cas un citoyen « moyen » pris parmi d'autres dans une filature ou un kolkhoze ? Pourquoi avoir choisi une femme, si ce n'est pour exploiter l'admiration condescendante et hypocrite qui les hommes ne manqueraient pas de manifester à l'égard d'une faible femme devenue pour quelques heures leur « égale » dans une partie faussée d'avance, comme la presse n'a pas manqué de le souligner.

L'émancipation de la femme sera l'oeuvre du socialisme, et surtout celle du communisme. Si le socialisme doit voir une société où les rapports économiques seront entièrement bouleversés et où il n'y aura plus de place pour l'exploitation de l'homme par l'homme, il faudra de longues années d'une telle société pour que ne reste plus trace de la mentalité bourgeoise. Il faudra de longues années pour que les hommes ne soient plus « galants » mais aient spontanément et simplement le respect de tout être humain et donc un comportement communiste. Il faudra de longues années pour que les femmes perdent leur mentalité d'opprimées. Et cela ne sera possible que sur la base d'une égalité dans toutes les activités humaines.

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