Une guerre qui ne dit pas son nom10/09/19631963Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Une guerre qui ne dit pas son nom

Il y a près de trois ans, le 11 novembre 1960, un putsch militaire tentait de renverser le gouvernement Diem. Il échouait car il n'avait pas l'appui total du gouvernement américain. Effectivement devant la résistance de Diem qui s'accrochait au pouvoir et les possibilités ainsi données aux masses d'intervenir dans le conflit, l'impérialisme américain renonçait à soutenir une équipe de rechange même si l'ancienne paraissait bien usée. Depuis trois ans, l'usure du gouvernement Diem n'a fait que s'aggraver et son existence est constamment remise en question. Cependant il demeure toujours en place. Même les hautes sphères de l'armée se refusent pour le moment à le contester, prenant notamment la responsabilité de l'opération anti-bonzes. Cependant l'agitation au Sud-Vietnam s'empare des milieux lycéens et universitaires et la répression n'épargne même pas les très jeunes, tels ceux du lycée de Cholon où 750 élèves ont été conduits en prison pour avoir manifesté contre Diem.

Que la répression prenne une telle ampleur dans les milieux qui représentent en majorité l'élite ou la future élite bourgeoise, donne une idée de la répression que peut subir tout rebelle paysan pauvre ou travailleur. Les prisons de Diem sont nombreuses, une centaine de grands pénitenciers CHI HOD à Saïgon avec plus de 3 000 détenus, PHU LO avec plus de 6 000 détenus sans compter les moyens et petits centres de détention, écoles et églises transformées en geôles. Les grandes villes sont surveillées suivant un réseau de surveillance classique fasciste. Les familles doivent inscrire devant la maison le nombre de présents et d'absents.

Dans les campagnes, les villages sont depuis longtemps « regroupés », comme les villages algériens l'ont été par l'armée française, le long des routes stratégiques contrôlées par l'armée. Le gouvernement Diem, officiellement mis en place par le gouvernement français, mais pratiquement par le gouvernement américain, après les accords de Genève en 1954, n'existe que par les dollars et la peur de l'impérialisme américain de la « subversion ».

Lorsque l'impérialisme américain prit la relève de l'impérialisme français dans ce qui restait de l'lndochine, le Sud-Vietnam venait de connaître neuf années de guerre menée contre l'impérialisme français. Un bon nombre de propriétaires terriens avait pris la fuite et les paysans pauvres avaient occupé les terres. Dès son arrivée, le régime Diem promulguait une « réforme agraire » qui devait « rendre la terre aux tenanciers, faire accéder la paysannerie à une vie aisée ». L'ordonnance limitait la propriété au Sud-Vietnam à 100 ha mais un article permettait aux propriétaires de garder 25 ha par enfant à partir du quatrième. Ils pouvaient en plus faire une séparation de biens en faveur de leur femme, etc, etc. Les propriétaires fonciers allaient ainsi reprendre les terres que les paysans avaient mises en valeur pendant les années de guerre et ces derniers reprenaient la condition de métayers. Le taux de fermage est actuellement aussi élevé qu'à l'époque coloniale (50 à 60 % de la récolte).

Aussi, si le gouvernement de Diem a pour lui quelques propriétaires fonciers et quelques « délégués métayers » prioritaires dans les partages : « militaires, fonctionnaires, serviteurs zélés du régime », il a contre lui toute la masse paysanne qui, ramenée aux conditions coloniales, soutient contre lui une guérilla sans trêve. Le Sud-Vietnam qui était le « grenier à riz » du pays a vu depuis 1960 la production de paddy tomber à 3 millions de tonnes, chiffre largement inférieur à celui d'avant-guerre. La grande industrie sud-vietnamienne est aux mains de capitalistes étrangers et une grande partie aux mains de capitalistes français : compagnie de verreries de Kanh Hoi, compagnie Vinafil, etc... ce qui explique « l'intérêt », que peut porter le gouvernement français aux événements du Sud-Vietnam. Le gouvernement Diem ne tient donc que grâce aux dollars. La seule force existante de la bourgeoisie qui puisse lui être opposée est l'armée. Dès sa venue au pouvoir le gouvernement Diem se distinguait par sa capacité à réprimer les sectes Cao-Daïstes, Hoa Ho, Binh Xuyen qui avaient constitué des troupes de partisans. A l'époque, le Parti Communiste Vietnamien ne faisait pas d'agitation, se bornant à attendre l'application des « accords de Genève » qui prévoyaient des élections pour 1956 en vue d'une réunification. Il était bien le seul à croire en cette clause que les impérialistes s'empressèrent d'oublier. Il permit ainsi à Diem d'asseoir son régime, de réduire au silence les sectes religieuses par trop belliqueuses et de mettre sur pied son armée.

L'armée diemiste est exceptionnellement importante. On compte environ 200 000 hommes de troupe plus 100 000 hommes des milices communales. La jeunesse des écoles, tous les fonctionnaires sont incorporés d'office dans l'organisation para-militaire des « jeunesses républicaines » - décret du 22 juillet 1961 mobilisant tous les jeunes de 18 à 33 ans. La célèbre Mme Ngo-Dinh-Nhu a organisé une formation de 1500 cadres féminins chargés de donner une formation para-militaire aux lycéennes et aux femmes. Le gouvernement Diem veut mobiliser « le pays » contre ce qu'il appelle la « subversion communiste » mais c'est le pays tout entier qui, commence à manifester contre Diem.

Depuis 1959-1960, la guérilla a pris de l'ampleur, les Vietcongs ont constitué des groupes de partisans qui, avec le soutien des paysans vietnamiens, tiennent tête à l'armée diemiste et dominent la presque totalité de la campagne. Le gouvernement américain qui est toujours généreusement intervenu dans les affaires du Viet-Nam en fournissant l'armement nécessaire même lors de la « sale guerre d'Indochine » menée par l'impérialisme français, s'est vu obligé de prendre en charge directement cette guerre. L'État-Major américain se penche particulièrement sur le sud Viet-Nam et y déploie tout son génie. Ce génie se manifeste soit dans la recherche des armes particulières contre les « rebelles », bombes pour rendre les partisans vietcongs sourds, recherche des produits pour tuer le feuillage des forêts où se cachent les Vietcongs, soit dans les opérations aéroportées ou navales de pilonnages à partir des côtes ou de dévastation au napalm. C'est une guerre sans pitié que l'État-major américain mène au Sud-Viet-Nam

L'armée diemiste dispose de tout l'armement nécessaire et des plus varié. Les hommes de troupe sont vietnamiens, le financement de l'entretien de ces troupes est assuré par l'aide américaine. Officiers, sous-officiers et intendance sont en majorité composés d'Américains. L'encadrement d'ailleurs se plaint de ces hommes de troupe qui, la plupart du temps, ne se battent pas lorsque le Vietcong attaque par surprise des centres militaires et qui abandonnent souvent les officiers américains dans des conditions cocasses lorsqu'elles ne sont pas mortelles pour eux. Mais le gouvernement américain qui mène au Sud Viet-Nam une dure guerre, sans l'avouer, ne peut envoyer ses « boys » comme lors de la guerre de Corée. Pour lui le problème est de demeurer militairement dans cette partie de l'Asie à la limite de la coupure du monde en deux blocs. Il a construit de nombreux aérodromes - 46 en 1961 - 2 ports de guerre, des autoroutes représentant en fait des axes opérationnels quadrillant le pays. L'ampleur des moyens mis en action sur un pays relativement peu étendu lui permet de maintenir ce contrôle. Le type même de guerre que l'impérialisme américain livre au peuple vietnamien et, le fait d'utiliser pour cela les hommes de troupe autochtones, l'oblige à tenir compte du facteur politique dans le rapport des forces en présence. Si le gouvernement américain semble favorable au départ de Diem ce n'est nullement parce que les méthodes autoritaires de Diem ou de Nhu le choquent. (C'est avec la bénédiction de Spellman et de l'Eglise que Diem gouverne). Pas plus qu'il n'était choqué par celles de Syngman Rhee, de Batista ou de Trujillo. Mais uniquement parce que l'opposition au gouvernement Diem devient telle que son maintien risque de créer une situation plus favorable à la « subversion communiste ».

Le régime dictatorial de Diem a réussi à dresser contre lui toutes les couches de la population. L'opposition des bouddhistes a pris naissance dans la ségrégation religieuse sévissant dans tous les milieux : armée, magistrature, universités, où les catholiques protégés de Diem bénéficient de tous les privilèges et donc des bonnes places. Cette opposition distincte du « communisme » inquiète l'opinion internationale car elle donne la mesure du « pourrissement » de la situation. Le départ de Diem étant souhaité activement par la majorité de la population, le changement de l'équipe gouvernementale se pose incontestablement. Jusqu'à ce jour le gouvernement Diem-Nhu surprend par sa vitalité. Mais en fait le gouvernement américain ne peut supprimer « l'aide américaine » au gouvernement Diem. Le front National de Libération animé par le Parti Communiste ne peut espérer militairement vaincre. Dans son programme de révolution nationale et démocratique « dans l'union la plus étroite de toutes les couches sociales », sa seule ambition réelle est de pouvoir participer à un gouvernement neutraliste. C'est dire que pour le peuple vietnamien l'indépendance et l'unité nationale ne surgiront pas de la crise actuelle. Car en effet, même si les Américains pouvaient abandonner Diem pour une autre équipe moins compromise et apparemment plus démocratique, ils ne pourraient que mener avec elle la même politique de répression.

Pour le Viet-Nam comme pour la Corée, la division du monde en deux blocs empêche toute solution sur la seule bases des forces nationales. La « coexistence pacifique » et les grandes amours de Kennedy et Krouchtchev restent pour la galerie mais ne concernent nullement les points brûlants où les deux blocs s'affrontent.

On « désarme » sur le papier à Moscou. Mais au Viet-Nam c'est la guerre. Pas plus que les accords de Genève, d'éventuelles solutions neutralistes ou autre proposition qui pourraient être discutées à l'ONU, ne régleront le problème, la libération du peuple vietnamien et son unité restent liées à la montée révolutionnaire dans les autres pays.

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