Un martinet ne fait pas le printemps12/02/19631963Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Un martinet ne fait pas le printemps

Les commentaires de la presse n'étaient guère optimistes après la dernière séance du Congrès d'Alfortville, et Le Monde titrait même : « Le PSU devra faire de gros efforts pour survivre ». Ainsi, à peine plus de deux ans près sa fondation, et moins d'un an après que se fut terminée cette guerre d'Algérie qui lui avait permis d'attirer de nombreux jeunes, le nouveau Parti semble déjà bien malade. Le phénomène n'a d'ailleurs rien d'étonnant quand on songe à la multitude d'organisations à l'existence éphémère, se situant entre le Parti Communiste et la SFIO quand ce n'étaient pas les radicaux, et oscillant entre ces pôles, que l'on a vu tour à tour naître et mourir au cours des quarante dernières années.

Toutefois, malgré ces nombreux prédécesseurs, une partie importante des membres du PSU se targuent de former la « gauche nouvelle ». Critiquant la « sclérose » des organisations traditionnelles, qui ne seraient que des formes figées correspondant à un passé révolu, elle prétend représenter la formation politique capable de résoudre les problèmes de la société actuelle, société caractérisée pour eux par la formation au cours des dernières décades de « couches nouvelles ». Ce fut d'ailleurs une des grandes questions discutée ; au cours de ce congrès.

Gilles Martinet, le représentant le plus typique de cette tendance, qui est d' ailleurs la plus importante numériquement si on en juge par sa représentation à Alfortville, vient d'ailleurs d'exposer récemment, dans un ouvrage intitulé « Le marxisme de notre temps », l'essentiel de ces idées.

Ce livre ne manque pas d'ambition, il serait plus juste même de dire de prétention, puisqu'en 172 petites pages, notre auteur, qui se prend sans doute pour « le Marxinet de notre temps » se livre à une critique, bien peu « nouvelle » d'ailleurs, des conceptions de Marx, de Lénine et de Trotsky sur l'État où l'ouvrage fondamental de Lénine n'est désigné que par les termes de « petit livre », à un exposé de la théorie de la révolution permanente revue et corrigée par lui-même, et enfin, et c'est le point qui se rattache directement à l'actualités à l'explication de ses propres conceptions, qui sont d'ailleurs on ne peut plus floues, sur la nature et le rôle de cette « gauche nouvelle ».

Martinet reconnaît que 1e PSU est loin d'avoir « la base traditionnelle d'un parti ouvrier ». Mais pour lui, le fait que PSU ne se soit pas implanté dans le prolétariat, que son recrutement soit essentiellement petit-bourgeois n'est pas un fait négatif, car les « couches nouvelles » qu'il a touchées sont « les couches sociales les plus directement concernées par l'évolution du capitalisme moderne et par le dirigisme qu'il introduit dans l'économie ».

Mais ce faisant, Martinet ne fait pas que développer des positions réformistes qui n'ont même pas le mérite de l'originalité (on n'a guère inventé dans ce domaine depuis Bernstein), il théorise aussi un état de fait. Faute de grives on mange des merles dit le proverbe, et à défaut d'une base ouvrière Martinet et ses amis sont fiers de leurs « couches nouvelles ». Et ce n'est même pas un choix dans l'orientation de leur travail qu'ils ont fait, tout simplement ils ont ouvert leurs portes et la classe ouvrière l'a boudée. Il se sont montrés incapables de gagner une base prolétarienne, et pourtant ce serait la seule manière pour eux d'acquérir aux yeux de la bourgeoisie, et n'est-ce pas ce qui leur importe, un poids politique,

Si l'absence d'un noyau révolutionnaire bolchevik ne permet pas de conclure à l'impossibilité de la construction d'un parti révolutionnaire (et la nécessité de celui-ci est au contraire démontré ab absurdo par l'échec des novateurs en tous genres), le foisonnement des réformistes de tous poils en dehors des grands appareils, et leurs multiples tentatives prouvent par contre qu'il est actuellement impossible de créer un parti ouvrier réformiste, et même une nouvelle grande formation électoraliste de gauche viable.

Le réformisme est aussi vieux que le socialisme, et pour cause, puisqu'il est né de la pression exercée par la société et l'idéologie bourgeoise, mais il n'a pu gangrener que les organisations prolétariennes existantes. Les partis socialistes qui se formèrent à la fin du XIXe siècle avaient de nombreux traits négatifs, mais ce n'est que l'épreuve de la première guerre impérialiste qui révéla le degré du décomposition qu'ils avaient atteint. Mais aussi pourrie qu'elle ait été, la social-démocratie avait une base ouvrière incontestable.

Il en a été de même pour un certain nombre de partis communistes, nés d'ailleurs d'une scission au sein des vieux partis, qui après la dégénérescence de l'URSS formèrent un nouveau type de parti réformiste implanté dans la classe ouvrière.

L'existence de ces partis est d'ailleurs limitée aux pays impérialistes , les seuls qui aient un revenu permettant de donner une base sociale à ce réformisme.

Et de plus, l'on n'a nulle part, en dehors du cas bien particulier de l'Italie, assisté longtemps, après que le stalinisme ait jeté son masque ultra-gauche des premières années, à la présence simultanée d'un PC et d'un PS puissants. En France, par exemple, on a assisté depuis la dernière guerre à la transformation de la SFIO en un parti purement électoral, alors qu'en Allemagne fédérale, n'existe plus au contraire que la social-démocratie (le Parti Communiste était déjà pratiquement inexistant lorsqu'il a été interdit).

« Les ouvriers sont particulièrement conservateurs un matière d'organisation » constate Martinet, et parlant des partis traditionnels il reconnaît que « leur seule existence nous interdit de faire progresser notre propre organisation au-delà d'un certain seuil ». Mais qu'a-t-il à présenter aux travailleurs de tellement plus séduisant que le socialisme frelaté de ses concurrents.

Depuis plus d'un demi-siècle les places sont prises, et ceux qui les détiennent connaissent leur importance. Se représenter les partis traditionnels seulement comme des vieillards victimes de leur grand âge, sans tenir compte de leur rôle social est une explication puérile. Lorsque Guy Mollet dit qu' « il faut redire les vieux mots », il ne fait pas preuve d'une particulière sclérose, mais au contraire il montre qu'il connaît bien les ficelles de son « métier ». Si les staliniens ont gardé quelque chose du bolchévisme c'est bien la notion de la nécessité de tenir les usines. Et s'ils l'ont gardée, ce n'est pas dans un but révolutionnaire, mais c'est parce que leur poids politique aux yeux de la bourgeoisie dépend directement de leur implantation et de leur influence dans la classe ouvrière, et que trahir les intérêts de celle-ci n'est donné qu'à ceux qui possèdent déjà sa confiance.

C'est à gagner ou à garder celle-ci qu'ont servi depuis près de quarante ans le dévouement et les sacrifices d'innombrables militants du Parti Communiste Français. Et ce type de militant manque totalement au PSU pour être présent dans la vie des travailleurs, là où se situe le terrain quotidien de la lutte des classes, à l'entreprise.

La classe ouvrière a raison d'être méfiante, et une organisation qui voudrait la gagner à elle devrait lui parler un autre langage, non pas un langage « nouveau » au sens où l'entendent les martinet, mais un langage que l'on ne lui parle plus depuis longtemps, un langage révolutionnaire. et actuellement, cela ne saurait se faire autrement que par un travail de longue haleine dirigé vers les entreprises. mais le PSU n'a d'ailleurs pas l'objectif de gagner la classe ouvrière. c'est le parti type de la petite bourgeoisie. il représente parfaitement l'idéologie de ces « nouvelles couches » qui ne sont jamais que les couches supérieures de la classe ouvrière « embourgeoisées », ou ce qui revient un peu au même les intellectuels prolétarisés, qui aspirent à la direction politique et économique de la société, et la revendiquent, du fait qu'ils en assurent - au niveau de l'exécution, sais s'en rendent-ils compte ? - l'administration technique, mais sont incapables de transformer cette société, de la détruire et d'en construire une autre.

Ils dénient au prolétariat le droit et la possibilité de le faire, ils revendiquent de la bourgeoisie, qu'elle leur accorde à eux en reconnaissant leurs mérites. De là leurs critiques vieilles d'un siècle, du marxisme, de là aussi leurs attaques aussi bruyantes qu'inefficaces contre la bourgeoisie, les monopoles et les atteintes à la liberté. Leur idéologie c'est le dieu Modernisme, dans lequel ils voient justement la prolifération de leur compétence. Comme l'écrivait Marx il y a cent dix ans, le petit-bourgeois n'est pas nécessairement guidé par l'intérêt sordide, il est seulement persuadé que les voies de développement de sa classe, la petite bourgeoisie, que ses intérêts moraux et matériels sont ceux de la société toute entière.

Mais pas plus que la classe qu'il représente n'a d'avenir propre, autre que celui d'être ballottée entre les deux principales classes de notre époque, le prolétariat et la bourgeoisie, le PSU n'a d'autre avenir politique que d'être à la remorque des positions politiques ou sociales des partis de la bourgeoisie et du prolétariat, ou même des deux à la fois, comme l'a illustré la multiplicité et l'affrontement des tendances au Congrès d'Alfortville.

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