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Sacrifice de soi et conscience de classe

 

Au début du mois d'avril trois jeunes Français étaient arrêtés en Espagne pour avoir déposé ou tenté de déposer des bombes dans différents endroits à Valence, Madrid et Barcelone. Ces trois jeunes anarchistes devaient, selon la presse, être jugés le 13 juin. Mais « Le Monde » du jeudi 13 passa un communiqué selon lequel le jugement avait été reporté à octobre. Ces jeunes ont 17, 20 et 23 ans mais la justice de Franco ne leur fera aucun cadeau. Pour elle, la jeunesse, du point de vue pénal, se termine à 16 ans et le procureur a demandé contre eux des peines allant de 15 à 31 ans de prison. Ils seront jugés par un tribunal militaire, comme l'ont été depuis 1939 tous ceux qui avaient participé à la guerre civile dans le camp des vaincus ou ceux qui ont tenté de mener une opposition quelconque au régime. Il est peu vraisemblable qu'on puisse les condamner à de telles peines, l'exécution de Grimau a causé trop de remous parmi tous ceux qui se disent humains et civilisés, bien que dans ce cas là, le PCF et bien d'autres feront moins de bruit que pour Grimau.

Le PCF qui se prétend à l'avant-garde du mouvement ouvrier considère les anarchistes comme des « réactionnaires » déguisés et ne se demande pas pourquoi des jeunes peuvent en arriver à aller placer des bombes en pensant contribuer à la libération du prolétariat espagnol, Pas plus d'ailleurs que le PCF ne s'est demandé pourquoi des jeunes avaient pu déserter lors de la guerre d'Algérie, ou « porter des valises » pour le FLN, risquant ainsi eux aussi la prison.

Si en ce qui concerne la dictature de Franco le PCF offrait à la jeunesse de France d'autres solutions que le dépôt de pétitions à l'ambassade d'Espagne et s'il avait mené une lutte efficace contre la guerre d'Algérie, bien des jeunes n'auraient pas eu recours à ces actions qui traduisent principalement leur désespoir de ne pouvoir rien faire d'efficace.

Mais si tous les révolutionnaires (et le PCF s'exclut bien entendu de lui-même) doivent être solidaires de ces jeunes, de même que toutes les organisations prolétariennes doivent être solidaires entre elles principalement contre la répression malgré leurs divergences politiques, cela ne veut pas dire que l'action qu'ils ont menée soit efficace, recommandable ou même justifiable.

Il y a déjà quelques mois une organisation anarchiste clandestine avait envoyé un communiqué à la presse engageant les touristes à déserter l'Espagne et le Portugal et en les avisant que des attentats seraient commis rendant le séjour dans la Péninsule Ibérique dangereux, Cette organisation voulait en diminuant l'afflux de devises apportées par les touristes, frapper le régime au portefeuille. Et c'est dans cette optique que furent exécutés pendant les vacances scolaires de Pâques les attentats qui ont mené leurs exécutants en prison. C'est dans cette optique aussi que furent posées des bombes et des valises inflammables à Genève, Hambourg, Londres, dans des avions des Compagnies nationales de ces deux pays.

Sur le plan de l'efficacité c'est croire que la régime peut simplement s'effondrer parce que le pays est privé d'une part de ses ressources. En admettant même que cela soit vrai, cela ne peut faire que diminuer le niveau de vie de la population espagnole et c'est être pénétré d'un certain mépris pour les masses que d'en conclure que cela les incitera à se révolter. Ce n'est pas en luttant contre Franco de cette manière que l'on pourra aider si peu que soit le prolétariat espagnol à le renverser. Mais une forme d'action peut être inefficace sans être pour autant fausse et allant dans le sens inverse du but recherché. C'est précisément le cas de l'explosion de bombes dans des lieux publics.

Tout d'abord l'explosion de ces bombes pouvait toucher n'importe qui, y compris des prolétaires. Si on comprend encore que les anarchistes russes aient assassiné à la bombe des Grands-Ducs ou Tsars, personne ne peut comprendre ceux qui placent des grenades dans des vitrines, ou des bombes dans des avions. Leur action, même ne faisant pas de victimes, est entièrement coupée des préoccupations des masses. Les poseurs de bombes paraissent préoccupés uniquement de « leur » action et de la satisfaction de « leur » conscience, sans chercher à savoir si cela est bon ou mauvais pour la cause qu'ils prétendent défendre. En cela ils agissent en petits-bourgeois, coupés du prolétariat, voulant ignorer ses formes de lutte, en laissant, s'ils ne se sont pas fait prendre, les populations du pays se débrouiller seules face à la répression qui peut suivre.

Non seulement leur action n'a aucun lien avec les masses mais de plus elle ne peut que mettre les militants ouvriers, surtout dans un pays comme l'Espagne, dans des difficultés encore plus grandes que celles qu'ils connaissent déjà : l'activité militante s'assimile alors pour les masses ouvrières uniquement aux attentats terroristes.

Dans cette Espagne où, selon la « Vie Ouvrière » (n° 980) « ce dernier mois plus de 120 ouvriers ont été arrêtés et condamnés à de longues peines de prison pour faits de grève... » la lutte est encore plus dure que partout ailleurs. Ceci est une action, non seulement coupée des masses mais criminelle vis-à-vis de celles-ci et de leur émancipation véritable. Il est donc certain que l'acte de ces trois jeunes est faux politiquement. Mais que dire des organisations qui ont envoyé ces jeunes ? Comment ont-elles pu envoyer des jeunes aussi peu expérimentés ? Ils ont été arrêtés immédiatement, l'un n'ayant même pas eu le temps de déposer son engin. On a envoyé là non des professionnels de ce genre d'action (les anarchistes et socialistes-révolutionnaires russes étaient eux des professionnels, qui bien souvent ne pouvaient d'ailleurs accomplir leur action qu'une seule fois et s'enfuir dans le meilleur des cas) mais des lycéens en vacances tout dévoués à leurs idées, nais non préparés à ce type d'action.

Franco lui, a ajourné leur procès pour après les vacances, après la saison qu'ils voulaient lui saboter, peut-être pour ne pas effaroucher les touristes, ceux venant de France en particulier, en condamnant durement des jeunes Français. La saison touristique s'annonce bonne pour Franco, trois jeunes sont en prison peut-être pour fort longtemps, incompris de la masse de ceux pour qui ils croyaient lutter, y compris des militants qui chaque jour, essaient de s'organiser contre le régime qui les opprime.

Personne ne peut libérer les emprisonnés, ni les avocats qui ne sont pas admis, ni ceux qui, tout en condamnant leur actions, sont solidaires d'eux face à la répression. Seuls peuvent quelque chose ceux qui précisément mobilisent le prolétariat espagnol contre le pouvoir franquiste. Quant aux jeunes Français, le seul moyen efficace qu'ils aient de lutter contre le franquisme c'est de lutter contre leur propre bourgeoisie, de construire un parti révolutionnaire là où ils se trouvent. Ce n'est que triomphante qu'ils pourront exporter la révolution et non, comme ils ont pu le croire, en construisant des attentats en Espagne.

 

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