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Place Rouge

Non, il ne s'agit pas de la Place où s'élève devant le Kremlin l'ignoble mausolée, mais dans ce mausolée de la place sanglante, maintenant vide, à côté de Lénine. Place qui est le symbole d'une autre place vacante, ou plutôt pas encore entièrement occupée, celle de Staline à la tête de la bureaucratie russe.

Krouchtchev a dénoncé certains des crimes de Staline. Il a parlé pendant huit heures nous dit-on. Aurait-il parlé le double ou le triple de temps qu'il n'aurait pu, même s'il en avait eu l'intention, les citer tous.

La bureaucratie russe n'a plus besoin de Staline au mausolée ou ailleurs : Krouchtchev s'est montré digne de lui succéder, c'est ce qu'on peut en conclure.

Le fait qu'il ait eu besoin de déboulonner les statues de Staline sur l'ensemble du territoire est, paradoxalement en apparence seulement, le fait d'un candidat à la dictature absolue.

En 1956, lors du XXe Congrès, les attaques de Krouchtchev contre Staline étaient apparues à certains comme le fait d'une pression populaire frayant la voie vers la démocratisation de la société russe. Plus personne, ou presque ne soutient cela et ce que fait aujourd'hui Krouchtchev est communément interprété comme une preuve de son emprise sur le parti.

La nature de la bureaucratie russe, stalinienne car elle l'est toujours au sens historique du terme, est de ne pouvoir se passer de la dictature comme mode de gouvernement.

Dictature, dont la dictature personnelle est l'aboutissement logique et inévitable dans une société dont la démocratisation serait la mort, l'arbitre intouchable et indiscuté qui tranche, en dernière instance, tous les problèmes, est une nécessité rigoureusement vitale.

Pour que Krouchtchev puisse occuper cette place, il faut lui faire un passé, donc, étant donné l'homme, faire le vide dans le passé de tout le pays. Quels que soient les autres facteurs qui ont pu y contribuer, le limogeage et la liquidation posthumes de Staline, trouvent là leur origine.

Tant qu'existera le honteux mausolée construit par Staline pour la dépouille mortelle de Lénine, c'est que le culte de la personnalité n'aura pas disparu de l'URSS Si l'on en a retiré le corps de Staline c'est que, dans le mausolée comme à la tête de l'État russe, il n'y a place que pour un.

Car il ne faut pas oublier que, maintenant, le mausolée n'est pas différent de ce qu'il était du temps de Staline mais, au contraire, exactement semblable.

(extrait de « État ouvrier, thermidor et bonapartisme » - L. Trotsky - 1935)

« Les contradictions au sein de la bureaucratie elle-même ont abouti à la sélection d'un ordre qui exerce le commandement ; la nécessité de la discipline à l'intérieur de l'ordre a abouti au pouvoir personnel, au culte du chef infaillible. Le même régime règne à l'usine, dans le kolkhoze, à l'université, dans l'État : le chef avec une douzaine de fidèles ; les autres suivent le chef. Staline ne fut jamais et ne pouvait, par sa nature, être un chef de masses : il est le chef des « chefs » bureaucratiques, leur couronnement, leur personnification.

Plus les problèmes économiques deviendront complexes, plus les exigences et les intérêts de la population s'accroîtront, plus les contradictions entre le régime bureaucratique et les exigences du développement socialiste seront aiguës, et plus la bureaucratie luttera âprement pour le maintien de ses positions, et plus elle recourra cyniquement à la violence, à la tromperie, à la corruption.

Le fait que le régime politique empire constamment alors que l'économie et la culture se développent, ce fait criant s'explique par ceci, et par ceci seulement, que l'oppression, les persécutions, les répressions servent maintenant pour une bonne moitié non pas au maintien de l'État, mais au maintien du pouvoir et des privilèges de la bureaucratie. D'où, précisément, la nécessité toujours plus grande de masquer les répressions à l'aide de fourberies et d'amalgames. »

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