Modernisme ou gâtisme24/09/19631963Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Modernisme ou gâtisme

La constitution de 1958 a donné de tels pouvoirs au Président de la République, que l'élection de 1965 est déjà depuis longtemps au coeur de la vie politique française. La « gauche » est à la recherche de son candidat, et pour elle, finalement, le problème s'arrête là, car ce qu'elle met en cause ce n'est pas tant le régime présidentiel que la personne de de Gaulle, et bien des opposants s'accommoderaient fort bien d'un Président de la République « de gauche » élu dans le même cadre constitutionnel.

S'appuyant sur de nombreux exemples similaires, de l'Algérie de Ben Bella à l'URSS de Khrouchtchev, de l'Egypte de Nasser aux États-Unis de Kennedy, les démocrates de la nouvelle vague prétendent que le « phénomène de Gaulle » n'est ni un cas particulier, ni un accident de la politique française, mais qu'il correspond en fait à une tendance à la personnalisation du pouvoir universellement répandue. Le régime présidentiel, « la personnalisation du pouvoir » serait la forme « moderne » de la démocratie.

Le fait en lui-même est indéniable. Dans tous les pays dits sous-développés, comme dans la plupart des pays de la vieille Europe, le pouvoir politique semble se concentrer entre les mains d'un seul homme.

Dans tous les pays ayant récemment accédé à l'indépendance, malgré les beaux discours de leurs dirigeants sur la démocratie, le pouvoir politique évolue toujours vers une dictature personnelle plus ou moins prononcée. C'est que, pour la bourgeoisie, la démocratie politique est un luxe qu'elle ne peut s'offrir que parvenue à une certaine richesse, lorsqu'elle est capable de faire, le cas échéant, des concessions aux masses exploitées. Aucun des États du Tiers-Monde n'atteint ce niveau de développement nécessaire et, paradoxalement, les pays qui essaient de créer une économie nationale, de rattraper les puissances impérialistes, doivent imposer de lourds sacrifices aux masses, et rétrécissent par là-même encore la base sur laquelle ils pourraient asseoir un régime démocratique. Ainsi, qu'ils croupissent sous la domination impérialiste comme le fait l'Inde, ou qu'ils essaient de développer une économie nationale d'une manière indépendante, comme Cuba, les pays du Tiers Monde sont de toute manière condamnés à la dictature politique.

Les pays occidentaux, comme les USA, ont connu, eux, ce stade où la classe dirigeante peut jouer la comédie démocratique, mais cette période appartient déjà à leur histoire, car ils ressemblent de moins en moins à l'image traditionnelle de la démocratie bourgeoise.

C'est que la stabilité politique des vieilles bourgeoisies est bien compromise, et la France de 1958 était l'exemple typique d'un pays devenu incapable de résoudre les problèmes auxquels il se trouve confronté dans le cadre d'institutions parlementaires classiques, Mais elle n'est pas seule, et le sort réservé aux partis communistes, aux USA comme en Allemagne de l'Ouest, permet de se faire une idée de la démocratie qui règne dans ces pays.

Ainsi, qu'elles soient déjà gâteuses comme celles de la vieille Europe, ou encore embryonnaires et pourtant déjà séniles comme celles des pays « sous-développés », les classes bourgeoises doivent peu à peu renoncer aux formes démocratiques.

Depuis cinquante ans, avec des à-coups et des retours en arrière, mais d'une manière inéluctable, la démocratie bourgeoise quitte la scène de l'histoire.

Ainsi, si la « personnalisation du pouvoir » est un phénomène bien réel, c'est une contre-vérité évidente que de parler de forme « moderne » de la démocratie, car ce qui est « moderne », c'est-à-dire spécifique de notre époque, c'est au contraire la disparition de la démocratie, à moins de considérer comme des prophètes de la démocratie future Franco, Salazar et Hitler !

Qualifier de forme « moderne° de démocratie les régimes qui fleurissent à l'heure actuelle, parler de « néo-capitalisme » devant l'intervention sans cesse croissante de l'État-médecin dans l'économie, équivaut à dire d'un agonisant, qui n'est plus maintenu qu'artificiellement en vie, qu'il est entré dans une forme « moderne » de vie, une « néo-existence » !

Les hommes politiques bourgeois de « gauche », admirateurs de la « personnalisation du pouvoir » ne font que chercher de nouvelles formules acceptables dans le cadre de la société impérialiste en décadence. Ils préparent, dans l'espoir que la bourgeoisie en ait un jour besoin, un éventuel gouvernement de « gauche » dans le cadre de la Ve République, et ils sont sûrs d'avoir ce jour-là le soutien de leurs compères, les « rénovateurs de la démocratie » en tout genre.

Mais à cette misérable perspective d'un possible intermède de « gauche » dans la marche à une bien plus probable catastrophe, les révolutionnaires ont bien autre chose à opposer.

La « personnalisation du pouvoir », dans les pays capitalistes comme en URSS, n'est que le reflet du retard de la révolution prolétarienne mondiale. La vieille société bourgeoise a fait son temps, et ce n'est pas à replâtrer ce qui va s'effondrer, à rêver à une démocratie bourgeoise de plus en plus chimérique que le spectacle du monde « moderne » doit nous inciter, mais à nous préparer à construire sur les ruines du vieux monde une société où fleurira la démocratie ouvrière, comme la Russie des Soviets nous en donna l'exemple en 1917.

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