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Marchons au pas camarades

Toute la presse s'est livrée à une débauche d'hypothèses sur la signification de la conférence des 81 partis « communistes et ouvriers » qui s'est tenue récemment à Moscou. Et chacun de s'essayer à une exégèse de la déclaration finale des « 81 ». Ainsi, généralement présentée comme un règlement de comptes entre Russes et Chinois, la conférence aurait vu le succès des idées de Moscou sur celle de Pékin, les premières ayant recueilli une large majorité.

La tâche des journalistes, bourgeois ou autres, en cette occasion n'était guère facile. Et pour extraire du long document qui clôt les délibérations, publié par l'Humanité du 6/12/60, ce que certains ont cru y voir, il aura certainement fallu d'épaisses lunettes à lire entre les lignes. En fait, cette déclaration ne fait que reprendre dans la forme et le style habituel des écrits staliniens, les affirmations et les thèses habituelles de la bureaucratie soviétique : « dès avant la victoire complète du socialisme sur la terre, et bien que le capitalisme subsiste encore dans une partie du monde, une possibilité réelle apparaîtra de bannir la guerre mondiale de la vie sociale » (souligné par l'Humanité) ; possibilité pour la classe ouvrière de « conquérir une solide majorité parlementaire et transformer le Parlement d'instrument au service des intérêts de la classe de la bourgeoisie, en instrument au service du peuple travailleur. » etc.

L'idéologie des « 81 » n'a pas changé d'un iota à l'issue de cette conférence. Et ces partis n'ont pas tort, qui, au début de leur déclaration, « réaffirment unanimement leur fidélité à la déclaration et au manifeste de la paix adoptée en 1957 » .

Pourquoi donc cette conférence ? La presse répond en choer : pour régler « en famille » le « différend » russo-chinois.

Est-il nécessaire de rappeler qu'il y a longtemps que la bureaucratie soviétique a perdu l'habitude de régler ces différends par des débats démocratiques, que ce soit à l'intérieur des PC nationaux ou sur le plan international entre les différents PC. Pour la bureaucratie russe les partis communistes ne sont que des pions de son jeu diplomatique et de sa politique extérieure. Elle se moque éperdument de la révolution dans les autres pays et des intérêts du prolétariat mondial, y compris le prolétariat russe. C'est pour cela qu'elle ne peut pas plus tolérer la démocratie maintenant qu'auparavant dans les partis communistes ou entre les partis communistes.

Certes la situation du PC chinois est différente de la plupart des autres PC du monde. Ayant pris le pouvoir dans un immense pays de 600 000 000 d'habitants sans aucune aide véritable de l'URSS, presque malgré la bureaucratie stalinienne et sa propre direction qui, jusqu'au dernier moment, visèrent seulement au partage du pouvoir avec Tchang-Kaï-Chek, il a de ce fait une plus grande indépendance vis-à-vis de la bureaucratie soviétique. Mais il y a-t-il réellement des risques de rupture entre la Chine et l'URSS ? ou, pour poser la question plus clairement : en quoi les intérêts des bureaucraties russe et chinoise divergent-t-il ?

Certains, lorsqu'ils parlent de rupture mettent en avant l'exemple de la Yougoslavie. Or, la prise du pouvoir par les communistes en Chine a été radicalement différente de la prise du pouvoir par les communistes dans les pays de l'est européen, pour lesquels l'appui russe a joué le rôle principal. En revanche d'ailleurs, l'URSS entendait bien se livrer à un véritable pillage de l'économie des démocraties populaires de l'Europe de l'est, ce qui a abouti à créer un antagonisme considérable entre l'URSS et ces pays. La Yougoslavie a pu rompre avec l'URSS. Dans les autres pays du Glacis, nous avons eu les explosions un fort caractère anti-russe de Berlin Est, Potsdam et Budapest. La Chine, elle, n'a pas été soumise à une pression économique de ce genre de la part de l'URSS. Bien au contraire, celle-ci lui fournit une certaine aide technique et financière. Bien que celle-ci soit faible, la Chine n'a aucune raison de la perdre.

Par contre, la situation politique de la bureaucratie chinoise est certes très différente de celle de la bureaucratie russe. Pour se maintenir au pouvoir, il lui est nécessaire d'agiter l'épouvantail de l'ennemi extérieur. D'autre part la situation extérieure de la Chine communiste est moins assurée que celle de l'URSS : le blocus économique de la part des pays capitalistes, ainsi que le boycottage diplomatique, la tiennent à l'écart de la politique et de l'économie mondiale : un des principaux désirs de la Chine populaire n'est-il pas d'être admise à l'ONU ? Mais ce n'est certainement pas pour cela que la Chine serait plus ou moins portée en général que l'URSS à soutenir ou à ne pas soutenir les pays ex-coloniaux contre l'impérialisme et, dans ces pays, les nationalistes aux dépens des communistes. La Chine comme l'URSS subordonne la lutte des peuples à ses intérêts diplomatiques. Elle peut entrer en conflit de ce point de vue avec l'URSS sur un cas particulier (lorsqu'elle est menacée et que l'URSS ne l'est pas, par exemple à la fin de la guerre d'Indochine et de la guerre de Corée), mais cela ne peut en aucun cas aboutir à une rupture dans les conditions actuelles.

Ce qui était important pour la bureaucratie russe, c'était de reprendre en mains les différents PC nationaux.

On a assisté là au dernier épisode des hésitations de la bureaucratie russe entre le maintien d'un exécutif international des partis staliniens (le terme est toujours valable) et l'abandon d'un tel organisme. Les avantages en sont évidents pour la diplomatie russe, et les inconvénients en sont aussi grands aussi car il signifie malgré tout une certaine unification de la politique des PC différents, ce qui est souvent inconciliable avec la politique étrangère russe. On a vu ainsi Staline dissoudre en 1943 l'internationale communiste, à la demande de ses alliés impérialistes ; créer ensuite le Kominform en 1948 au début de la guerre froide ; le dissoudre quelques années après ; et maintenant nous voyons apparaître le moyen terme de Conférences internationales périodiques.

Il fallait pour les Russes, dans la perspective d'un règlement à l'échelle mondiale entre les deux grands, règlements qui ne pourra se faire que sur le dos d'un certain nombre de peuples et de pays, persuader les différents partis communistes nationaux qu'il n'y avait justement aucune faille dans l'appareil bureaucratique. Et qu'en particulier il ne fallait pas compter sur un différend sino-russe. Moscou, en garantissant à la Chine que le traité éventuel entre les « les deux K » ne se ferait pas sur son dos à elle, s'est épargné le souci d'une lutte idéologique étrangère à la question. Quant aux autres, ils n'ont qu'à appliquer la ligne.

Les différents partis communistes de l'ex-IIIe internationale ont abandonné la cause de la révolution prolétarienne pour prendre le chemin des compromis avec la bourgeoisie et du réformiste. Mais le danger pour la bureaucratie est alors que ces PC suivent la logique des positions réformistes et petites bourgeoises prises sous la direction de la bureaucratie, basculent dans le camp de la bourgeoisie nationale et abandonnent la bureaucratie et la défense de l'URSS. L'exemple de la Yougoslavie sert d'avertissement et ce n'est peut-être pas un hasard si l'exemple de cette Yougoslavie a été longuement stigmatisé encore dans la récente déclaration des 81 à Moscou. On ne cultive pas sans danger le patriotisme et le chauvinisme. Il suffit d'ailleurs de rappeler que lors de la signature du pacte germano-soviétique, une partie des députés communistes au Parlement français quittèrent le PCF et qu'en 1945 le Parti communiste américain, se considérant sans objet, s'est dissous.

La conférence qui vient de se terminer n'est pas autre chose qu'un moyen pour la bureaucratie de garder le contrôle sur le mouvement « communiste » international. Une conférence des partis « communistes et ouvriers » à Moscou a le mérite, aux yeux de la bureaucratie russe, de refuser à la fois le mythe toujours dangereux d'une Internationale communiste et de rappeler tout de même devant le monde entier, le lien fondamental des PC nationaux et de la bureaucratie soviétique.

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