Les prisons de l'indépendance11/12/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Les prisons de l'indépendance

Beaucoup de militants français ont nourri, durant la guerre d'Algérie, de tenaces illusions quant à la nature socialisante, voire « socialiste », du nationalisme algérien. Ces séduisantes rêveries, le FLN se charge de les détruire à grand renfort d'arrestations, d'interdictions et d'internements.

La situation a considérablement évolué, depuis que les accords d'Evian ont sanctionné l'indépendance de l'Algérie. Exécutions de plusieurs dizaines d'Algériens coupables d'avoir fait main basse sur les avoirs de certains Européens, règlements de comptes entre Ben Bellistes et Ben Kheddistes, ont retenu l'attention de la presse. Celle-ci a par contre été fort discrète sur le sort réservé à bon nombre de militants algériens qui, ayant quitté la France pour rejoindre leur pays libéré, ont pu apprécier à sa juste valeur l'air pur de la liberté dans les prisons de l'Algérie indépendante.

Mais la récente interdiction du Parti Communiste Algérien, les opérations policières qui se poursuivent contre les militants de ce Parti et du Parti de la Révolution Socialiste nouvellement créé, ont une signification et une portée considérables.

Les rapports entre le PCA et les nationalistes algériens n'ont jamais été très amicaux.

Ce n'est qu'en 1935 que le Parti Communiste Algérien fut détaché organisationnellement du PCF. Les militants staliniens prétendaient que la libération algérienne ne pouvait venir que comme le résultat de la révolution en France. En fait, le PCA ne sera jamais autre chose que la queue algérienne du PCF et il suivra fidèlement les acrobaties en matière coloniale du « grand parti frère français'', soumis lui même dans ce domaine-là comme dans d'autres, aux zigzags de la diplomatie de l'URSS.

Après un flirt éphémère lors des années 30 entre le PCF et l'Etoile Nord-Africaine de Messali Hadj, le Front Populaire octroya aux Algériens le projet Blum -Violette d' » assimilation » qui, d'ailleurs, n'entra jamais dans les faits. Le même gouvernement de Front Populaire dissout l'ENA Il n'était pas question du droit de l'Algérie à disposer d'elle-même. Les nationalistes algériens qui osaient réclamer le divorce à la France « populaire » ne pouvaient être que de dangereux réactionnaires, voire des fascistes. Il ne fallait pas mécontenter les radicaux, hostiles à l'Allemagne.

Lorsqu'en 1945, les masses algériennes revendiquèrent cette indépendance qu'on leur avait fait miroiter pour gagner leur participation à la guerre, plus de 40 000 Algériens furent massacrés dans le Constantinois. La région de Sétif fut bombardée par l'aviation française dont le ministre était le stalinien Tillon. Le PCF, alors au Gouvernement, ne reconnaissait que le « patriotisme français », et dénonçait les manoeuvres subversives des « nationalistes fascistes du P.P.A. ». Léon Faix écrivait dans « L'Humanité » du 12 mai 1945 : « Ce qu'il faut, c'est châtier impitoyablement les organisateurs des troubles »... En fait, il s'agissait d'empêcher une indépendance de l'Algérie que l'impérialisme américain pouvait exploiter à son profit. Mieux valait conserver l'Algérie dans le giron de la France. Le. PCF n'était-il pas au pouvoir ?

Jusqu'en 1956, les staliniens défendirent l'idée que la place de l'Algérie était dans une véritable « Union Française ». Ils reprochaient aux colonialistes hostiles à la paix de jeter l'Algérie dans les bras de l'impérialisme américain. « Les véritables défaitistes étaient au pouvoir » (Casanova dixit, dans un discours à l'Assemblée Nationale le 20.3.57). Seuls les staliniens « défendaient les véritables intérêts de la France ».

D'ailleurs, affirmait Thorez depuis 1939, l'Algérie n'est qu'une nation « en formation ». Cette thèse servait de barrière « idéologique » contre le nationalisme algérien et la revendication de l'indépendance. Or donc, la nation algérienne se formait avec « comme éléments composants, non seulement les huit millions de Musulmans, mais aussi le million d'Européens, ou plus exactement, d'Algériens d'origine européenne » (Jacques Duclos - discours à l'Assemblée, le 11.10.1955).

Armé d'une telle politique, le PCA bien entendu ne s'implanta jamais dans les masses algériennes. Il n'eut d'influence que dans les couches les plus prolétarisées des Européens d'Algérie. Bab-El-Oued était « rouge », c'est-à-dire que les petits blancs votaient PCA. Leurs convictions politiques ne résistèrent pas longtemps à l'épreuve du feu ; dans leur coeur l'OAS prit la place du PCA. Ainsi se dressèrent l'un contre l'autre « les éléments composants de la nation algérienne en formation ». L'Histoire ne voulait décidément pas tourner à l'horloge théorique des staliniens.

Le 1er novembre 1954, éclate l'insurrection. Le 8 du même mois, le PCF publiait un communiqué où il affirmait : « Fidèle à l'enseignement de Lénine (!), le PCF, qui ne saurait approuver le recours à des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes, si même ils n'étaient pas fomentés par eux, assure le peuple algérien de la solidarité de la classe ouvrière française dans sa lutte de masse contre la répression et la défense de ses droits ». Le PCA, de son côté, déclarait qu'il fallait rechercher une « solution démocratique qui respecterait les intérêts de tous les habitants de l'Algérie sans distinction de race ni de religion et qui tiendrait compte des intérêts de la France ». Le train de la révolution s'ébranlait, mais le PCA restait à quai. Il attendait que « les masses » se mettent en mouvement et réclamait une solution qui ne brime personne, et surtout pas « la France ».

Par la suite, il tenta bien d'accrocher son wagon. Certains groupes de militants à la base prennent le maquis. Un an après le début de l'insurrection, le PCA est dissous. Il passe à la clandestinité et diffuse un journal : « LIBERTE ». Nombre de ses militants sont soumis à la torture des mercenaires de l'impérialisme français, mais en dépit des Maillot, Audin et Alleg, les groupes de combat du PCA sont très faibles. Ils sont rapidement intégrés à ceux du FLN (certains même auraient été liquidés par l'ALN) et le PCA lui-même se dissout en 1957 dans le FLN. Celui-ci n'a que mépris pour l'activité du PCA. « El Moudjahid » affirme que « le communisme est absent » dans le combat de la révolution algérienne, en-dehors de certaines initiatives individuelles. Mais le FLN doit malgré tout traiter avec le PCA, dans la mesure où celui-ci est l'agence de l'URSS en Algérie, URSS dont le FLN sollicite l'aide, au même titre d'ailleurs qu'il réclame l'aide des USA et de l'Allemagne Fédérale.

Le PCA n'est donc pas liquidé physiquement par le FLN, comme le MNA le fut en grande partie. D'ailleurs, le PCA ne se manifeste pas politiquement. Aucune déclaration ne le distingue des positions de la petite bourgeoisie dirigeant le FLN.

Il n'existe pratiquement que sous la forme de l'appareil, isolé des masses algériennes. La présence d'une telle agence de l'URSS en Algérie n'était pas incompatible avec le nouveau pouvoir algérien.

A quels impératifs a donc obéi le gouvernement de ben bella en interdisant le PCA ?

A- t-il voulu donner un gage de sa bonne volonté à l'impérialisme, au moment même où son représentant Khémisti venait discuter avec le Gouvernement et certains industriels français ? Le rapprochement dans le temps de ces deux décisions n'est certainement pas une simple coïncidence, mais il faut chercher ailleurs l'explication véritable.

Si le PCA n'a actuellement aucun poids dans la vie politique de l'Algérie, dans la mesure où il possède un appareil indépendant du FLN, il peut, dans un avenir plus ou moins proche, être le canal par lequel un mécontentement populaire pourrait s'exprimer. Après l'euphorie de l'indépendance, les masses algériennes ne voient pas pour autant les problèmes économiques et sociaux résolus ; la disette, le chômage sévissent actuellement. Le Gouvernement annonce dans le même temps une rigoureuse « politique d'austérité ». A travers l'interdiction du PCA et la réaffirmation du principe adopté au dernier CNRA de Tripoli, en juin, du parti unique, le gouvernemment Ben Belliste vise peut-être beaucoup plus le PSR. (Parti de la Révolution Socialiste) qui, lui, depuis sa récente création est clandestin. Le PSR, des forces et de l'influence duquel il est difficile de se faire une idée, ne ménage pas, contrairement au PCA, ses critiques à Ben Bella, et propage des idées plus radicales. D'ailleurs, il semble que la répression en cours soit beaucoup plus ferme à son égard qu'à celui du PCA (le quotidien « Alger-Républicain », virtuellement entre les mains des staliniens, est toujours autorisé),

Historiquement, les mouvements nationaux-révolutionnaires petits-bourgeois ont toujours été monolithiques et n'ont jamais accepté la concurrence d'une opposition plus ou moins organisée. Le FLN et le MNA, ni plus ni moins « socialistes » l'un que l'autre, se sont disputé le monopole de la direction révolutionnaire à coups de revolver. Le FLN, sorti vainqueur de cette lutte, bien avant d'accéder au pouvoir, a pris soin dans ses statuts de prévenir toute formation politique autre que la sienne propre.

Enfin, le pluralisme des partis est un luxe que ne peuvent se permettre les pays pauvres. Exerçant sa dictature sur les masses, mais s'appuyant sur ces masses contre l'impérialisme, la petite bourgeoisie nationale ne peut que jouer un rôle bonapartiste. Et le bonapartisme, dans un pays sous-développé, revêt un visage particulièrement brutal. La presse bourgeoise a fait, à propos de l'interdiction du PCA et des vastes opérations policières entreprises en Algérie, un rapprochement avec la situation égyptienne.

Et, effectivement, si l'on pouvait penser qu'au lendemain de l'indépendance, les dirigeants FLN avaient le choix entre la voie égyptienne et la voie cubaine, il est de plus en plus apparent que c'est la première qu'ils ont choisie.

Il n'est pas encore dit cependant que le peuple algérien et, en particulier, le prolétariat, ne dira pas son mot au fur et à mesure que ses illusions se dissiperont.

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