Les postulants28/11/19601960Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Les postulants

Il est manifeste que, depuis quelques semaines, la politique du Parti Communiste Français vis à vis des organisations ou, plus généralement vis à vis des militants ouvriers de la gauche a pris un nouveau caractère.

L'accent est toujours mis sur « l'unité des forces démocratiques » mais, à la tolérance de fait que le PC ou la CGT manifestaient pour les travailleurs de la CFTC, de Force Ouvrière, du PSU, ou de tout autre groupe de gauche, a succédé une offensive généralisée à toute la France contre ces mêmes militants.

Chez Renault, non contente de freiner de tout son poids la lutte des travailleurs contre les licenciements, la CGT a nommément dénoncé à la Direction certains militants dont le secrétaire du syndicat CFTC, qui ont été de ce fait licenciés ou mis à pied. Dans plusieurs entreprises les militants du PC, ou de la CGT, se sont attaqués physiquement aux diffuseurs d'organisations de gauche, et dans quelques endroits, ces tentatives d'intimidation étant rendues inopérantes par l'opprobre qu'elles soulevaient chez les travailleurs eux-mêmes, on a assisté à une collusion systématique avec la Direction de ces entreprises et avec la police pour empêcher ces militants de s'exprimer ou de diffuser leur presse. Ailleurs, à la Thomson-Houston de Bagneux, ce sont ses propres militants que la CGT dénonce pour « activités clandestines » et livre ainsi pratiquement à la répression.

Certains travailleurs ont dit : on se croirait en 1945.

En réalité c'est là l'explication. Le PCF tient à démontrer à la bourgeoisie qu'il est un parti de gouvernement et donne d'ores et déjà des gages de sa soumission et de son efficacité dans la répression de toutes les activités de gauche.

Si le PCF se contentait de rester passif, de ne pas engager la lutte contre le gouvernement, de ne rien faire contre la guerre d'Algérie, cela pourrait s'expliquer par la crainte de ses dirigeants de voir de Gaulle ne plus les tolérer. Mais il y a plus : le PCF se fait manifestement un auxiliaire du gouvernement, du patronat et de la police. Cela ne peut s'expliquer par la crainte. Cela est l'application d'une ligne politique : dans l'hypothèse d'une « option à gauche » de de Gaulle après le référendum, c'est à dire de la formation d'un ministère appuyé sur la gauche de l'assemblée, le PC fait officiellement acte de candidature.

Cette variante, cette possibilité d'une « option à gauche » de de Gaulle, le PCF mieux que quiconque sait qu'elle n'a qu'une faible chance de se réaliser et que, si elle se réalise, il n'y a qu'une chance infime pour que de Gaulle ait besoin d'offrir des portefeuilles au PCF

Mais c'est la seule perspective que puisse avoir le PC Toute sa politique depuis 1947 a été de tenter de rentrer au gouvernement. Sur la base du parlement de la IVe République c'était en tentant, sous la forme de Front Républicain ou de Front Démocratique, des alliances électorales avec les socialistes et les radicaux, payée bien entendu de toutes les compromissions possibles (soutien de Mendès-France en 1954, vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet en 1956, à Pfimlin en 1958).

Aujourd'hui, avec la Constitution de la Ve République, la différence c'est qu' aucune majorité parlementaire ne peut imposer à de Gaulle un gouvernement où des ministres qui n'aient pas son agrément. Il ne s'agit donc plus seulement d'un front électoral ou d'une alliance parlementaire, mais surtout de plaire au monarque. Echapper à cette alternative imposerait d'engager une lutte extra-parlementaire et violente contre le régime gaulliste, lutte que le PCF serait, le voudrait-il, bien incapable de mener.

On le verra, bien sûr, dans la période qui vient, « s'opposer » à de Gaulle, faire voter Non au Référendum (encore que le contraire ne soit pas exclu) parce qu'une telle opposition n'est pas déterminante et de Gaulle le sait bien. Au contraire, elle justifie le Référendum, elle le crédite, elle le légalise.

Où le P.C donne et donnera des gages, c'est dans les domaines qui sont déterminants pour le régime : lutte de classe économique ou contre la guerre. C'est là que le PCF peut jouer et jouera le principal rôle d'appoint au régime, et c'est là qu'il pourra monnayer sa participation. I1 est à prévoir d'ailleurs que ses réactions seront d'autant plus violentes et policières qu'elles rencontreront l'hostilité de ses propres militants.

Mais nous ne sommes plus en 1945. Le PCF peut persévérer dans ce cours, il y trouvera sa perte. Il arrive trop longtemps après la Social-Démocratie pour pouvoir s'intégrer complètement à l'appareil d'État bourgeois. Il est trop lié à la bureaucratie russe pour que la bourgeoisie française le considère autrement que comme un allié très provisoire.

Dans ces circonstances il y a dans le pays un nombre suffisant de militants ouvriers honnêtes pour prendre le relais et créer un parti ouvrier authentiquement révolutionnaire. Il leur faudra cependant dans la période qui vient ne pas se laisser intimider par les provocations et les attitudes policières du PCF, et tout faire pour ne pas laisser entre ses mains la direction des appareils syndicaux locaux. Si le PCF recule, la classe ouvrière elle n'en fera certainement pas autant. Il faut que dans ses luttes à venir elle trouve dans son sein les militants avertis, dévoués et compétents qui sauront guider ses luttes et lui redonner confiance, et surtout offrir une voie possible à tous ceux dont nous venons de parler qui se trouvent actuellement dans les rangs du PCF

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