Les malheurs de Johnny18/06/19631963Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Les malheurs de Johnny

L'Angleterre est en pleine crise politique. Jamais le gouvernement conservateur n'a semblé aussi menacé. On a même parlé de dissolution de la Chambre des Communes, d'élections anticipées qui mèneraient les travaillistes au pouvoir. Et ce n'est pas. fini. Et pourtant, ce ne sont pas des divergences politiques sérieuses qui se sont fait jour entre le gouvernement et « l'opposition de sa majesté ». A la base de tout ce « remue-ménage », on ne trouve que les relations qu'entretenait l'honorable ministre conservateur sir John PROFUMO, et la jeune Christine KEELER.

A en juger par la surface que cette affaire occupe dans la presse française, la vie politique anglaise se limite vraisemblablement depuis plusieurs jours aux multiples amours de la belle Christine.

Monsieur PROFUMO, ministre de la guerre, se livrait, comme tous ses collègues occidentaux, à la préparation minutieuse de la troisième guerre mondiale. Le tract récemment distribué par les « marcheurs de la paix » nous avait même appris que dans ce domaine rien n'était laissé au hasard, et que les abris atoniques réservés aux autorités étaient déjà prêts.

Que l'on prépare ainsi de sang-froid le futur grand massacre, l'extermination de la moitié de l'humanité peut-être, pour la protection et les plus grands bénéfices de la bourgeoisie anglaise, les socialistes de Sa Majesté n'y trouvent rien à redire. A la place du ministre conservateur ils auraient d'ailleurs fait la même politique. Et ce qu'ils lui reprochent c'est d'avoir laissé percer le secret de l'emplacement de ces abris.

Les travaillistes n'ont pas de préjugés, et puis, jurent-ils, dans le pays qui a donné au monde le mot « fair-play », pas question « d'accabler un homme à terre », d'exploiter ce « scandale » à des fins politiques, L'avoir suscité leur suffit amplement.

Car, non seulement ce sont les travaillistes qui ont fourni les pièces à conviction et obtenu, malgré les réticences officielles, l'ouverture d'une enquête, mais encore n'est-il pas exclu que PROFUMO ne soit pas purement et simplement tombé dans une provocation.

Le ministre de la guerre n'était, certainement pas le seul parlementaire anglais ayant une maîtresse appointée. Et c'est bien pourquoi la révélation de ce seul fait n'aurait pas suffi à le contraindre à démissionner. La riposte eût été trop facile, et les nobles assemblées eussent bientôt été dépeuplées. Mais, qui pouvait mieux que les organisateurs d'un réseau de call-girls, le compromettre à son insu et réunir au fur et à mesure toutes les pièces du dossier ?

Car ce n'est pas tant au nom de la morale, mais au nom de la défense nationale bien comprise, que l'opposition se déchaîne. Sur le fond les travaillistes n'ont rien à reprocher à la politique militaire de PROFUMO, le centre du drame, ce sont les relations ayant existé entre Christine Keeler et l'attaché militaire soviétique (rappelé en URSS il y a plus de six mois). Il faut bien reconnaître que tout cela met les conservateurs en fâcheuse posture. Toute la presse réactionnaire et puritaine, qui n'a généralement pas assez de louanges à leur décerner se voile le. face devant le spectacle de cette « petite traînée », comme l'écrit si élégamment le conservateur « Times », partageant ses faveurs entre un Anglais, un Russe, et, horreur, un Jamaïcain.

Du coup, nombre de vertueux conservateurs se seraient sentis obligés de s'abstenir dans le scrutin de confiance, si, heureusement pour Macmillan, leur bon ange n'avait rappelé à ces défenseurs de la morale qu'ils risquaient fort de ne pas retrouver leur siège en cas de nouvelles consultations électorales. Le gouvernement Macmillan a obtenu, comme c'était prévisible, un sursis. Mais sa démission, après ce vote où sa majorité est tombée de 98 à 69 voix (près de 30 députés conservateurs lui ayant refusé leur confiance), n'est pas exclue, et de toute manière, cette affaire aura sans doute des répercussions importantes sur le résultat des prochaines élections quelle que soit leur date.

Parmi tous les partis « socialistes », le parti travailliste, si l'on en croit ses statuts, est le plus « ouvrier » puisqu'il réunit en son sein tous les travailleurs anglais syndiqués. Mais dans le pays qui fut longtemps le premier et le plus riche des impérialismes, la dégénérescence réformiste est encore plus poussée que celle que nous connaissons, et il n'est en fait qu'un parti bourgeois de rechange, jouant par rapport aux conservateurs le rôle que les démocrates jouent pas rapport aux républicains aux USA.

C'est d'ailleurs à une forme semblable de parlementarisme où deux partis bourgeois se disputent le pouvoir et l'assument à tour de rôle, que rêve actuellement la bourgeoisie française, et ce n'est pas la « vertu » de nos socialistes, mais l'existence d'un parti communiste fort qui rend cette solution impossible.

Mais, sur ce terrain là, le parti travailliste, lui, n'a pas de concurrent sérieux à gauche, et le voilà débarrassé du souci d'élaborer un programme. L'affaire PROFUMO suffira bien aux besoins de la campagne électorale d'un parti « socialiste » à qui « France-Dimanche » pourrait facilement tenir lieu d'organe politique.

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