Les fumées du feu22/08/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Les fumées du feu

Bien qu'elle n'ait pas encore atteint son apogée, la crise de Berlin tient aujourd'hui tout le devant de l'actualité et, quoiqu'il apparaisse qu'elle se résoudra comme les précédentes par un accord, aussi fragile que provisoire, certaines de ses conséquences sont déjà tragiques pour de nombreux Berlinois.

Cette crise rend patent le fait que nous vivons dans un monde où la paix, et non la guerre, est l'état aberrant. Elle n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein, mais un épisode saillant dans une situation que seule l'habitude nous fait considérer comme normale. Dans tous les pays du monde, la France n'est pas une exception, les militaires détiennent une puissance quasi incontrôlable et parfois incontrôlée. Les États-Unis, qui ignoraient il y a encore une dizaine d'années la conscription obligatoire, ont aujourd'hui rattrapé et dépassé les pays les plus « avancés« . L'hebdomadaire l'Express publie actuellement un reportage romancé sur le « système défensif » US, dans lequel un journaliste américain montre, quoique dans un style quelque peu science-fiction, que même le Président ne pourrait guère éviter de poursuivre une offensive déclenchée par un seul général bien placé. La bourgeoisie a fait de ses armées des monstres dévorants auxquels elle doit elle-même, peu ou prou, se soumettre. Ce n'est pas parce que les militaires ont cette puissance que la guerre est inévitable, c'est le contraire. Mais il va de soi que la transformation du monde en un immense camp retranché augmente les risques de déflagration et fait des libertés, « démocratiques » ou « populaires », selon le côté du rideau de fer envisagé, un simple motif de broderie sur les étendards des belligérants en puissance.

D'après tous les commentateurs bourgeois plus ou moins autorisés, presque sans jeu de mots, l'actuelle épreuve de force n'ira pas jusqu'à un conflit ouvert et, il apparaît effectivement qu'aucune des grandes puissances qui dominent le monde n'est acculée à la guerre dans l'immédiat. La casuistique stalinienne où les pays impérialistes sont à l'affût de prétextes pour déclencher la guerre, le fin du fin de la lutte pour la paix étant d'éviter de leur en donner, ne résisterait pas aux événements actuels, si elle faisait un appel quelconque à la raison ou à l'expérience. C'est la nécessité qui oriente les lorgnettes au travers desquelles les impérialistes voient le monde et surtout le montrent aux peuples. Mais notre époque est grosse d'une troisième guerre mondiale et bien que ni les Occidentaux ni, a fortiori, les dirigeants russes, n'aient l'intention délibérée d'entrer en guerre à propos de Berlin, cette réalité-là oriente les événements et leur imprime sa marque.

Nous avons eu l'exemple d'un pareil phénomène avec Bizerte. Au départ, cela ne devait pas être plus grave qu'après Sakhiet, il s'agissait seulement pour Bourguiba de faire oublier l'appui qu'il apportait à la France contre le GPRA à propos du Sahara, par un baroud à Bizerte, et il aurait peut-être même pu obtenir l'évacuation de la base, sans grand mal mais de façon spectaculaire, sans le contexte international. L'une des raisons, et non la moindre, de la brutale réaction française est l'épreuve de force dont le centre est Berlin et la circonférence partout. L'impérialisme français s'est vu contraint de s'attaquer à l'un de ses plus fidèles soutiens et de placer aujourd'hui les dirigeants des autres pays Africains « d'influence« française... dans la situation de devoir mordre la main du maître ou de risquer d'être vomis par leurs peuples. Politique de grandeur, imbécile et à courte vue, en disent Bourdet et Servan-Schreiber, ces petits bourgeois trempés dans l'encre, mais politique à laquelle est condamné un système économique qui ne règle ses dettes qu'en tirant d'autres traites.

Sous l'éclairage actuel, la ldblquote crise de Berlinrdblquote apparaît comme devoir se terminer par un accord, qui durera au plus ce qu'ont duré les précédents mais, tout comme à la veille de Bizerte on ne pouvait prévoir ses six cents morts, on ne peut affirmer que Berlin n'est pas le début d'un processus qui fera six cents millions de victimes.

La paix (en ce sens qu'il n'y a pas eu de guerre mondiale) qui dure depuis quinze ans, n'est limitée dans l'absolu que par les possibilités d'adaptation de l'impérialisme. Le répit dont le prolétariat des pays impérialistes dispose pour mettre à mort un système dont l'agonie risque d'être celle de l'humanité, s'il risque d'être abrégé par des circonstances telles que celles que nous vivons à l'heure actuelle, n'est pas limité par des enchaînements rigoureux comme ce fut le cas entre 1933 et 1939. Il reste le temps de construire les partis révolutionnaires et la direction internationale nécessaires. Mais il reste juste le temps.

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