Les fauteurs de paix22/03/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Les fauteurs de paix

Nul ne peut dire, sans excepter sans doute les dirigeants de la France ou du GPRA, quelle sera l'issue de la rencontre d'Évian, quand auront lieu les négociations elles-mêmes et combien de temps elles dureront. Mais il est une chose à peu près certaine, c'est que l'Algérie de demain, pour parler comme de Gaulle, sera indépendante au moins politiquement, aussi indépendante qu'il est possible de l'être dans un monde dominé par le capital financier.

Cela on pouvait virtuellement le prévoir au lendemain même de l'insurrection de 1954. Le mouvement d'émancipation qui avait depuis la fin de la guerre irrémédiablement amené à l'indépendance politique la quasi-totalité des peuples du Moyen-Orient et de l'Asie, et qui touchait alors l'Algérie après la Tunisie et le Maroc, avait trop de forces, mettait en mouvement trop d'hommes, près des trois-quarts de l'humanité, pour pouvoir être arrêté. Toute la puissance d'une armée moderne pouvait tout au plus contenir le mouvement, mais pas l'enrayer.

On pouvait le prévoir, et il est certain que la bourgeoisie française a mené cette guerre dès le début sans autre espoir que celui de faire durer un peu plus longtemps sa domination en Algérie. Tout le reste n'aura été finalement que propagande destinée à faire croire à l'armée qu'elle ne se battait pas pour rien.

Lorsqu'en 58 de Gaulle est venu au pouvoir, il était flagrant que l'impérialisme français allait rechercher un compromis avec le FLN, compromis le plus « honorable « possible bien entendu. Du haut de sa puissance militaire la France de de Gaulle invaincue militairement pouvait attendre que le FLN cède sur le préalable du cessez-le-feu, ou que les masses algériennes épuisées renoncent à la lutte.

Cela d'autant plus que la situation politique française loin de contraindre le gouvernement français à traiter au plus vite lui opposait une extrême droite aussi faible que jusqu'auboutiste, mais appuyée sur le million d'européens d'Algérie qui avaient cru et à l'efficacité de la guerre, et à qui le fossé de sang versé par la prolongation du conflit avait ôté beaucoup d'espoir de pouvoir vivre dans une Algérie indépendante, hors de l'ombre des barbelés et des blindés.

Ce que la gauche française est incapable de faire : contraindre la droite à plier, il eut fallu que de Gaulle le fasse. Cela il ne le pouvait pas s'il n'y était pas contraint. Il n'avait aucune raison majeure de le faire. Mais ce que cette gauche n'a pas pu faire, les manifestants algériens qui depuis décembre démontrent malgré l'impitoyable répression que leur combativité n'est en rien émoussée et que l'armée française risque si la guerre se continuait de se trouver dans l'impossibilité de tenir tout le territoire algérien. Ces manifestants ont aussi convaincu les Européens d'Algérie que l'aventure putschiste de droite n'avaient aucune chance. Qu'elle n'a pas été la stupeur de ces gens de voir les musulmans qu'ils poussaient devant eux pour leur faire reprendre leurs slogans, résister, couvrir leurs voix et s'engager dans des manifestations pour l'indépendance qui ont non seulement mis immédiatement fin aux manifestations de droite mais les ont dépassées et sont allées en s'amplifiant et en prenant un caractère pouvant devenir rapidement insurrectionnel.

C'est à ce double effet de ces manifestations, sur le gouvernement français d'abord, sur les Européens d'Algérie ensuite que nous devons aujourd'hui de voir le gouvernement renoncer au préalable du cessez-le-feu et accepter d'engager avec le FLN des pourparlers sur les modalités de l'autodétermination. L'intervention spectaculaire de Bourguiba n'ayant plus que le seul but, voulu par toutes les parties, de cacher ce rôle déterminant joué par l'intervention directe des masses.

Où sont les engagements solennels de nos gouvernants et de nos ministres ? Lorsque les masses montrent ne serait-ce qu'un peu de leur puissance le monde bourgeois tremble. Cela d'autant plus que ces manifestations sont aussi l'indice que si le gouvernement français tardait à trouver un compromis avec le FLN celui-ci ne serait peut-être plus possible dans l'avenir.

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