Les deux bouts d'un même bâton03/04/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Les deux bouts d'un même bâton

Le fait dominant de ces derniers quinze jours est, sans conteste, la fusillade d'Alger. On a dit beaucoup de cette affaire. On a même dit que c'était une provocation de l'OAS

A notre époque, où l'on a pu voir des députés (après l'OAS) rejeter l'attentat d'Issy-les-Moulineaux sur les « barbouzes » et rappeler au Premier Ministre qui s'en indignait, en pleine séance de l'Assemblée, l'affaire dite du Bazooka où les activistes de l'époque voulurent assassiner Salan, trop « tiède », il est difficile de savoir où commence et où se termine la provocation. Il y a entre les hommes de l'État et de l'OAS trop de points communs, pour ne pas dire d'identités pour que l'on puisse faire de distinctions.

Cependant, après le bouclage de Bab-el-Oued, la répression à Oran et cette journée du 26 mars, il semblerait que le Gouvernement soit décidé à réduire l'OAS et que l'Armée ait accepté de le faire.

La réalité n'est pas si nette. Tout d'abord, la répression des menées activistes telle que la conçoit le Gouvernement, s'exerce beaucoup plus contre la population (bouclages, mitraillages de manifestants) que contre les instigateurs (ceux de l'État-Major par exemple). Le Gouvernement préfère massacrer des « pieds-noirs », à défaut des musulmans que fusiller ses généraux. De même qu'à Paris, toutes proportions gardées, le Gouvernement préfère gêner la population entière par des fouilles dans la rue ou des barrages, plutôt que mettre hors d'état de nuire les bailleurs de fonds et d'armes.

Ensuite, les CRS et l'armée acceptent de participer sans mollesse à la répression plus parce qu'ils ont des morts à venger... et qu'ils craignent d'en avoir d'autres, que pour toute autre raison. Et cela, c'est vrai au niveau des hommes de troupes mais beaucoup moins aux niveaux supérieurs. Lorsqu'ils sont engagés dans une opération, les hommes font ce qu'il faut, mais les opérations voulues ne sont pas toujours décidées. Il n'est que voir avec quelle facilité les hommes de l'OAS mitraillent les cafés maures, assassinent des malades dans leur lit d'hôpital ou de clinique... et tirent au mortier en plein Alger. Et cela ne gêne en aucune façon les hommes de l'État-Major qui font l'OAS, de lancer des hommes, des femmes et des enfants dans la rue - côté OAS - et de les y faire mitrailler - côté forces de l'ordre. Pour un général, l'homme de troupe compte un tout petit peu plus quand il est de son camp, mais guère. Et, en tous cas, moins qu'un général d'en face.

L'OAS, côté dirigeants, se moque éperdument du sort de l'Algérie et de celui des « pieds-noirs ». Ces derniers sont utilisés par l'OAS mais l'objectif de cette dernière se situe en métropole. Plus les « pieds-noirs » seront montés, aigris, désespérés même, moins ils auront de chances de rester en Algérie et plus, une fois en France, ils seront accessibles à la propagande et à l'activité fasciste. C'est ce qu'espère l'OAS et ce sur quoi elle parie. Elle ne s'oppose en fait, et de façon toute relative, qu'aux visées à court terme de la bourgeoisie française, mais pas à ses intérêts à venir. La politique algérienne de l'OAS n'est pas celle de la bourgeoisie en ce sens que l'impérialisme français sait que l'indépendance de l'Algérie est inéluctable et l'admet, mais que si l'OAS le sait aussi, elle joue la carte de l'opposition forcenée à la « politique d'abandon » pour pouvoir mobiliser, aujourd'hui et plus tard, les « pieds-noirs » et asseoir son prestige tant auprès d'eux qu'auprès de toute l'extrême-droite métropolitaine. Demain ou après-demain, l'OAS sera peut-être un facteur important dans la vie politique française. Face à la puissance des organisations de gauche, à celle des syndicats, un parti de type fasciste, numériquement important et puissamment outillé, sera peut-être un contre-poids grâce auquel la bourgeoisie pourra se passer de la bonne volonté des premiers, bonne volonté qui ne lui a jamais fait défaut, mais qui lui coûte au moins quelques compensations politiques et économiques. Sans compter que ces organisations de gauche peuvent toujours en certaines circonstances être le canal par lequel s'exprime l'énergie révolutionnaire des masses. L'OAS peut même être un jour la dernière planche de salut de la bourgeoisie française. Et celle-ci le sait, tout comme l'OAS C'est pourquoi de Gaulle « contient » l'OAS dans la mesure où elle s'oppose au règlement en Algérie, mais il le fait y compris en faisant tirer sur la foule sans chercher à détruire ses cadres, car il réserve l'avenir. C'est pourquoi l'OAS commet des actions qui paraissent des suicides, comme de faire descendre dans la rue une foule désarmée face aux blindés, ou de faire abattre des gendarmes, des CRS ou des soldats du contingent. Il ne s'agit pas « d'erreurs » de sa part. Encore une fois, elle est la dernière à croire à la possibilité de l'Algérie française. La population européenne de l'Algérie n'est pour elle qu'une masse de manoeuvre et, comme telle, elle l'utilise y compris en l'envoyant à des massacres inutiles.

De Gaulle participe à ce jeu, si l'on peut dire, en tirant sur les gens qu'on lui envoie pour cela, en bouclant des quartiers ou des villes, mais en s'abstenant de détruire (et emprisonner n'est pas détruire) les hommes qui, au sein de l'armée ou de l'appareil d'État, oeuvrent à préparer, comme il le faisait au temps de sa retraite, les futures options de la bourgeoisie française.

Participent à ce jeu tous ceux qui sur la gauche de de Gaulle, pleurent, protestent ou se lamentent, mais restent dans le cadre qu'il trace, pendant que la bourgeoisie se prépare aux combats de rue.

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