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Les concurrents

A en croire la lecture de la presse de ces dernières semaines, les combats de la « Résistance » ne sont pas encore terminés.

En se réclamant de son exemple et de son esprit, au nom de leur client, et par là même de l'OAS, les avocats de « l'ex-général Jouhaud » ont profondément scandalisé toute la « gauche ».

Car il ne fait aucun doute pour celle-ci qu'elle seule a animé et inspiré politiquement la Résistance, à preuve le programme social du C.N.R. Incapable d'ailleurs de donner un exemple de lutte antifasciste authentique, elle a, cette gauche, largement fait appel dans sa propagande anti-OAS aux souvenirs de cette époque. En signant avec le député U.N.R, Van der Mersch l'appel des cent résistants, le PCF voulait montrer que la « Résistance » se retrouvait aujourd'hui unanime pour condamner l'OAS En faisant publier par Tillon son livre sur les FTP, il essayait de prouver que de Gaulle n'avait jamais été un authentique résistant, ce qui expliquerait ses indulgences actuelles pour les fascistes.

Mais de l'autre côté, les hommes de l'OAS, ne veulent pas laisser échapper un si bel exemple de bon général « perdu », et entendent prouver que ce n'est ni de Gaulle, ni le PC, mais bien eux (les Salan, les Massu, n'ont-ils pas participé à la lutte contre Hitler ?) qui représentent l'authentique « esprit de la résistance ».

Pour cette « gauche », la Résistance aurait été la lutte de la démocratie contre le fascisme, d'une démocratie non seulement politique, mais économique puisqu'elle réclamait la nationalisation des grandes entreprises, l'amélioration du niveau de vie, en quelque sorte le retour à « l'esprit Front Populaire ».

Que cette résistance ait donné naissance à la quatrième République et à la guerre d'Indochine, ne s'expliquerait que parce qu'elle a été trahie, et par de Gaulle en premier.

Que Bidault ex-président du C.N.R., Soustelle ancien dirigeant du B.C.R.A. - et ce ne sont pas des cas isolés - soient aujourd'hui à la tête de l'OAS ne s'expliquerait aussi que par leur trahison.

Il y a beau temps, il est vrai, que le stalinisme a substitué à l'analyse politique marxiste, une explication manichéiste de l'histoire par la lutte entre les traîtres et les non-traîtres (ceux-ci n'étant d'ailleurs, le plus souvent, que des traîtres en puissance). L'explication de ce problème, ne réside pas dans l'évolution de tel ou tel personnage, (ils n'ont d'ailleurs le plus souvent pas tellement évolué. De Gaulle n'est pas plus de droite en 1962 qu'en 1942), mais dans la nature même de ce que l'on a appelé la « Résistance ». Si la « gauche », comme l'extrême-droite, peuvent aujourd'hui s'en réclamer, c'est qu'il ne s'agissait pas d'un mouvement anti-nazi, mais d'un mouvement se plaçant aux côtés des « alliés » dans la guerre impérialiste, un point c'est tout.

Bien sûr, l'immense majorité des jeunes qui ont formé ses troupes étaient amenés par la gauche, et certains d'entre eux voulaient autre chose que « chasser l'armée allemande ». mais les illusions que pouvaient nourrir ses propres militants ne changent rien au rôle politique de la résistance.

Lorsqu'en mai 1940 l'armistice fut signé, les hommes politiques de la bourgeoisie française se groupèrent en deux camps. Les uns représentèrent les intérêts de la bourgeoisie française auprès de l'impérialisme allemand. Les autres firent de même auprès des anglo-américains. Si toute la gauche (à l'exception d'ailleurs de quelques réformistes) se retrouva dans le second camp, ce fut parce qu'il n'y avait pour elle pas de compromis possible (et pas à cause d'elle) avec Vichy ou Berlin, et, pour le PC, à partir de 1941, parce que l'Allemagne était entrée en guerre contre l'URSS. Mais le second camp groupait aussi des hommes de droite.

Si la « Résistance » usa de phrases et de discours démagogiques afin d'utiliser les sentiments anti-fascistes et anti-capitalistes des masses, elle ne s'en rangea pas moins sur le terrain de l'impérialisme français, et elle combattit contre l'impérialisme allemand et non pour la démocratie et la liberté. De la « Résistance » à la guerre d'Indochine et d'Algérie, il n'y a pas eu une rupture, mais une parfaite continuité politique.

Il n'est donc finalement paradoxal qu'à première vue de voir des hommes tel que Jouhaud, de Gaulle ou Thorez se réclamer d'un même « idéal », et cela, loin de semer la confusion, a une signification profonde qui devrait apparaître clairement : aussi graves que soient les divergences politiques de ces messieurs, et qui se solderont peut-être par une lutte à mort, ils ont au moins pour dénominateur commun le terrain de classe sur lequel ils se placent.

S'ils luttent tous pour avoir seuls le droit de brandir le drapeau tricolore de la bourgeoisie, c'est le symbole de leur lutte politique, chacun d'eux essayant, en s'appuyant sur sa politique présente et sur ses mérites historiques, de montrer à la bourgeoisie française que c'est, ou que ce serait lui, le meilleur gérant possible de sa société.

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