Le président-soleil27/11/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Le président-soleil

« Les élections qui vont se dérouler les 18 et 25 novembre ne vont guère changer la situation politique française. Le Gouvernement que de Gaulle choisira ne trouvera peut-être pas à l'Assemblée de majorité garantissant sa stabilité. Mais c'est peu probable. » écrivions-nous dans notre dernier numéro. En effet, la situation politique française ne s'est pas modifiée, et c'est le même Monsieur Pompidou qui se retrouve à la tête du gouvernement.

Nous affirmions cela bien qu'en escomptant une défaite de l'UNR au profit des autres partis de droite, parce que nous pensions que ces partis, malgré le référendum, le soutiendraient systématiquement dans la nouvelle Assemblée :

Le fond n'a pas changé, mais la forme l'est considérablement. Pour la troisième fois depuis la « libération », mais de façon nettement plus importante, on voit se former on France un grand parti de droite. Plus exactement, on voit un parti de droite recueillir à lui seul une fraction importante des suffrages de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie. Cela s'est produit dans l'immédiat après-guerre avec le MRP, puis plus tard avec le RPF de de Gaulle. Cela ne change rigoureusement rien à la situation politique : si l'électeur votant à droite peut trouver localement des différences entre les divers partis de droite sollicitant son suffrage, on ne peut guère faire de différence politique entre ces formations lorsqu'elles sont à l'Assemblée, ou que leurs hommes, participent au gouvernement. Qu'Edgard Faure, Pinay, Laniel, Maurice Schumann aient appartenu au même parti, cela n'aurait pas changé la politique française. Cela n'a tout au plus d'importance qu'au niveau de l'arithmétique parlementaire et du dosage des portefeuilles, mais les mêmes problèmes se seraient posés au sein d'un même parti.

On peut donc dire que la majorité conformiste que de Gaulle trouvera au soin de la nouvelle Chambre, il l'aurait de toutes façons trouvée, même si l'UNR et l'UDT n'avaient pas eu à elles deux presque la moitié des sièges.

Du côté des partis de gauche, il y a une augmentation nette du nombre de sièges. Le PCF, pour sa part, a quadruplé le nombre de ses députés, la SFIO a augmenté les siens de plus de 50 %. Mais cela. ne veut rien dire, car le scrutin uninominal modifie considérablement la répartition des sièges par rapport au nombre des voix. De toutes façons, les cent et quelques députés du PCF, de la SFIO et du PSU ne joueront dans la Chambre que le rôle d'opposition de Sa Majesté.

La répartition des voix au premier tour sur les candidats de la gauche (au deuxième tour, cela n'a guère de sens vu les désistements) montre que les partis se réclamant de la classe ouvrière ont recueilli, en pourcentage, un nombre supérieur de suffrages qu'à la consultation de 1958, Malgré le grand nombre d'abstentions, le nombre de voix obtenues par le PCF est plus grand en chiffres absolus. Il n'y a donc pas un recul du niveau de conscience des travailleurs. D'autant plus que pour beaucoup, c'est sans illusion qu'ils votent pour le PCF ou le Parti Socialiste . Les travailleurs votent pour ces partis parce qu'ils sont la seule représentation qu'ils puissent se donner, mais cela ne veut pas dire qu'ils en attendent grand'chose. La même phénomène se produit, en changeant ce qu'il faut changer, lors des élections de délégués où les suffrages recueillis par des syndicats n'ont, dans bien des cas, pas de commune mesure avec leur influence réelle.

Restent les abstentions. Le plus fort pourcentage depuis la fin de la guerre à l'exception du référendum d'octobre 1946, près de 10 % de plus qu'ordinairement. On ne peut guère penser que la totalité de ces abstentionnistes supplémentaires soient des travailleurs qui ont perdu leurs illusions parlementaristes. Si cela était, les partis de gauche auraient accusé une perte, et ce n'est pas le cas. Il est infiniment plus vraisemblable que ces abstentions soient dues à une déconsidération du parlement, non au bénéfice de formes d'actions plus radicales, mais au profit du gouvernement bonapartiste. Beaucoup de ceux qui ont voté « oui » au dernier référendum ne tenaient pas à participer à l'élection de députés inutiles, puisque de Gaulle suffit à tout. Ces abstentions ont diminué au second tour, mais fort peu. Dans certains départements comme la Vendée ou les départements alsaciens, elles ont même augmenté.

On peut donc conclure que la position du gouvernement restera aussi sûre avec la prochaine assemblée qui, comme la précédente, se contentera d'être une chambre d'enregistrement. On peut dire aussi que le discrédit des partis dits ouvriers qui s'était manifesté en 1958 par rapport aux élections de 1956 (perte d'un million de voix pour le PCF) ne s'est pas aggravé, au contraire. Il faut s'en réjouir, car ce discrédit traduisait beaucoup plus le découragement des travailleurs que tout autre chose.

Assuré de la « paix sociale » à l'Assemblée, de Gaulle pourra, comme par le passé, gouverner comme il l'entend, mais avec les mêmes réserves : la combativité de la classe ouvrière et la puissance encore grande de son organisation. Il prendra des mesures certes, restreignant les libertés, tel le décret sur le « service de défense », mais il les prendra peu à peu, de façon insidieuse, sans chercher à heurter de front la classe ouvrière. Il ne sait pas en effet sur quoi elle estimera ne pouvoir céder, et il craint plus que tout ses réactions. Ses meilleurs alliés dans ce sens sont indiscutablement les partis dits de gauche. Les travailleurs n'ont plus grande confiance en eux, juste ce qu'il faut pour voter pour eux aux élections et non pour les hommes ne se cachant pas d'être ceux de la bourgeoisie (c'est cependant réconfortant) mais ils n'ont pas encore su créer l'organisation susceptible de diriger leurs luttes.

Dans les mois qui viennent c'est sur le terrain économique que la classe ouvrière et de Gaulle ont la plus de chances de se heurter. Les partis dits ouvriers n'ont absolument pas l'intention d'engager des luttes économiques sérieuses car elles mettraient immanquablement en cause le pouvoir. Tout le problème est de savoir si travailleurs s'y engageront sans eux.

Partager