Le Maghreb et la guerre d'Algérie06/03/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Le Maghreb et la guerre d'Algérie

L'actuelle médiation tunisienne pour un règlement du conflit algérien met de nouveau à l'ordre du jour la question des rapports politiques existant entre le GPRA et les deux États Nord-Africains déjà indépendants.

La presse, qu'elle soit de droite ou de gauche, représente souvent la politique de Rabat et de Tunis comme un soutien total du FLN : après avoir conquis leur propre indépendance, nationalistes tunisiens et marocains aideraient leurs frères arabes d'Algérie à obtenir la leur.

Mais dire cela, ce serait faire de Bourguiba et de Mohamed V les nationalistes intransigeants vis-à-vis de l'impérialisme français qu'ils n'ont jamais été.

En effet, tous deux étaient, dès l'origine, les hommes de cet impérialisme.

Si Bourguiba fut mis en résidence forcée et si Mohamed V fut destitué et remplacé par Ben Arafa, ce n'est pas à cause de ce qu'ils étaient et voulaient personnellement, mais parce qu'ils reflétaient, bien malgré eux, aussi timides que leurs revendications aient été, les aspirations des masses tunisiennes et marocaines.

Pour régler ainsi le problème de ces protectorats, il ne suffisait d'ailleurs pas à la bourgeoisie française d'exiler ces deux hommes ; il lui fallait aussi, et c'était de loin le plus important, briser la rébellion, « pacifier ».

Si l'impérialisme français accorda ainsi rapidement leur indépendance à la Tunisie et au Maroc, c'est parce que la rébellion survint en Algérie, et que la France ne pouvait que très difficilement faire la guerre dans tout le Maghreb : l'insurrection algérienne commença le 1er novembre 1954 dans l'Aurès, et le 20 novembre était signé l'accord franco-tunisien sur la reddition des fellaghas tunisiens avec les honneurs de la guerre.

Mais si elle était finalement décidée à accorder l'indépendance juridique à ses protectorats d'Afrique du Nord, la bourgeoisie française ne pouvait remettre le pouvoir qu'entre les mains d'hommes prêts au compromis, garantissant ses intérêts économiques, et suffisamment populaires pour faire accepter ce compromis aux masses.

Bourguiba, comme Mohamed V, à qui l'exil avait donné une auréole (dorée d'ailleurs) de « martyrs de l'indépendance », qui étaient restés fondamentalement les mêmes opportunistes que naguère, remplissaient fort bien ces conditions.

Il serait donc bien surprenant que ces hommes, que l'impérialisme français avait jugés digne de sa confiance il y a six ans, soient aujourd'hui les combattants désintéressés de la cause du peuple algérien.

On explique souvent aussi la politique de la Tunisie et du Maroc par le désir de prendre dès maintenant la tête du futur Maghreb uni.

Il y a quelques années, au début de l'insurrection algérienne, un État maghrébin indépendant aurait effectivement pu être une solution valable pour la bourgeoisie française. Elle aurait permis de concéder à l'Algérie une indépendance formelle, en dehors du FLN, de couper ainsi celui-ci des masses en supprimant apparemment les motifs de guerre, et de remettre la direction politique des États maghrébins à des hommes comme Bourguiba et Mohamed V dont l'impérialisme connaissait la docilité

Aujourd'hui cette solution n'est plus possible. Après sept ans de guerre, le FLN s'est trop lié aux masses pour que cette manoeuvre ait quelques chances de succès et on ne parle d'ailleurs plus comme il y a quelques mois d'un règlement du conflit grâce à une troisième force algérienne.

D'autre part, la direction de l'état maghrébin centralisé ne dépendrait pas des forces relatives des bourgeoisies de Tunisie, du Maroc ou de l'Algérie, toutes également embryonnaires, elle dépendrait de la force des différents États de ces pays, c'est-à-dire finalement de leur puissance militaire.

La guerre en Tunisie et au Maroc a été de trop courte durée pour permettre à ces pays de se forger une armée nationale puissante et, de plus, les troupes existantes échappent souvent au contrôle de l'état. En Algérie, au contraire, sept ans de guerre ont amené la formation d'une Armée de Libération Nationale, rompue à la lutte, encadrée et résolue.

Aussi, c'est parce qu'elle aura eu le plus de difficultés pour obtenir son indépendance que l'Algérie occuperait inévitablement le leadership du Maghreb uni ; mais cette éventualité, qui désavantagerait à la fois la France, la Tunisie et le Maroc, n'a que des chances infimes de se réaliser.

Ce qui pourrait encore constituer une solution pour la France, c'est un État maghrébin fédéral, où chaque pays constituant entrerait pour un tiers, et où l'impérialisme français, par l'intermédiaire de Bourguiba et de Hassan II, pourrait ainsi contrôler les futurs dirigeants de l'état algérien.

Mais cette éventualité, dont la Tunisie et le Maroc bénéficierait aussi, ne dépend d'eux que dans de très étroites limites ; elle dépend avant tout de la mise en avant de cette solution par la France, et de son acceptation par le FLN.

Ce n'est donc pas non plus cette hypothétique fédération maghrébine qui peut expliquer la politique de la tunisie et du Maroc.

D'ailleurs, l'aide qu'apportent ces deux pays au peuple algérien n'est pas si grande, ni si volontaire qu'on le pense généralement.

Lorsque Bourguiba est rentré à Tunis, il y avait déjà huit mois que la guerre faisait rage en Algérie, et le FLN ne lui avait pas demandé la permission pour établir des bases d'entraînement et de départs en Tunisie.

Si, aujourd'hui, il voulait mettre fin à cet état de fait, ce qu'il ne pourrait d'ailleurs absolument pas faire sans dresser contre lui les masses tunisiennes qui, elles, veulent sincèrement aider le peuple algérien à lutter contre la France, il n'en aurait même pas les possibilités militaires, car les troupes algériennes, en Tunisie sont plus importantes que sa propre armée. Quant à demander l'assistance de l'armée française, il ne peut évidemment pas en être question car, outre les réactions du peuple tunisien que cela entraînerait, cette intervention remettrait en cause l'indépendance de la Tunisie.

Ainsi ce n'est pas parce qu'il veut aider le FLN que le gouvernement tunisien tolère l'existence de camps de l'armée algérienne sur son sol, mais bien parce qu'il ne peut pas faire autrement.

La situation du Maroc est sensiblement la même et cet état de fait met ces deux États dans une situation très difficile et très dangereuse.

On ne peut même pas écarter totalement le risque d'élargissement du conflit à toute l'Afrique du Nord. Il existe toujours des politiciens bourgeois pour défendre cette solution, et bien qu'elle ait très peu de chances d'être appliquée, il ne faut pas oublier le bombardement du visage tunisien de Sakhiet Sidi Youssef et la capture de Ben Bella.

Même en dehors de cette possibilité, la poursuite de la guerre les place dans une situation des plus contradictoires. D'un côté sous la pression de leurs masses populaires, ils sont contraints d'accepter sur leur sol les troupes et les bases du FLN, au su et au vu de tout le monde ; de l'autre, en bon gérant de l'impérialisme français, il leur faut protester de leurs bons sentiments et de leur amitié pour la France en guerre avec le FLN. Cette contradiction, qui ne fait que refléter dans ces circonstances particulières, la nature bonapartiste des États tunisien et marocain, ne peut être résolue que par la fin des hostilités. C'est cela qui explique leur politique. Leur but, ce n'est pas d'aider le peuple algérien, c'est de mettre fin au conflit. C'est pour cela qu'ils jouent ce rôle d'entremetteurs entre l'impérialisme français et le GPRA, essayant de persuader ce dernier d'accepter un compromis avec la France, sans se soucier de l'aider à arracher à cette dernière la moindre concession.

En cela ils ne font que rejoindre les positions de l'immense majorité de la gauche française, dont le seul désir exprimé est la « paix en Algérie » et non pas celui de l'aide au peuple algérien, en se contentant de prières et de pieux souhaits, là où il faudrait de la poudre et des balles.

Partager