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La peau de l'ours

Malgré les dénégations de Salan et de Gardes, il y a fort peu de chances pour que l'attentat contre de Gaulle ait été « un coup monté ». Le seul argument qui irait dans ce sens est qu'il a échoué. Or, l'assassinat politique est une difficile spécialité où l'échec ne prouve rien (le tsar Alexandre II a échappé à plusieurs attentats avant de périr déchiqueté par les bombes de ses justiciers, et Soustelle est sorti indemne d'une mitraillade à bout portant).

Et puis, si l'on ne voit pas bien à quoi aurait pu servir à de Gaulle un simulacre d'attentat, on voit clairement par contre que sa mort serait bien utile à l'extrême-droite, à l'OAS, à tous ceux qui entendent donner à la France un gouvernement ouvertement appuyé sur l'armée, qui ne se contente pas seulement de tirer le meilleur parti des syndicats et des partis ouvriers mais qui les interdise, les brise et démoralise la classe ouvrière par l'emprisonnement ou la destruction physique de ses militants.

Bien utile, non pas parce que de Gaulle est un obstacle pour l'extrême-droite sur le chemin du pouvoir, car de Gaulle tout en ne menant pas la même politique réserve à chaque instant la possibilité de la mener.

L'extrême-droite vise à prendre le pouvoir afin d'appliquer la politique qu'elle estime juste mais n'a là que le comportement de tout groupement politique bourgeoise qui a ses idées propres sur la façon de gouverner le pays c'est-à-dire d'assurer l'ordre, l'ordre bourgeois.

La bourgeoisie possède toute une panoplie de formations politiques à opposer au bon peuple pour le maintenir dans l'exploitation, et elle utilise ou l'un, ou l'autre, selon la situation sociale et les problèmes politiques qui se posent à elle.

Le problème est donc, pour nos gens, non pas de s'imposer aux masses, car ce qui les caractérise c'est justement d'être persuadés qu'ils le pourraient facilement, mais de s'imposer à la bourgeoisie française, comme son seul recours.

La bourgeoisie ne paraît pas estimer pour le moment que la solution extrémiste de droite soit nécessaire d'une part et possible, de l'autre. Mais les formations politiques, les groupements sociaux qui se placent tous sur le terrain de la défense des intérêts de la bourgeoisie ne sortent pas de l'ombre, ou n'y rentrent pas, sur un simplement claquement de doigt de leurs maîtres. L'extrême-droite cherche à imposer sa politique quelles que soient les circonstances objectives. La bourgeoisie l'appuie ou pas, selon l'idée qu'elle se fait de la situation. Par bourgeoisie il faut entendre bien entendu les quelques principaux groupements financiers qui la dominent.

Si l'on se reporte aux événements du 22 avril, on voit dans le putsch une tentative de la part de l'extrême-droite de forcer la main à la bourgeoisie, en déclenchant une guerre civile. A l'heure de la guerre chacun choisit son camp, il n'est plus question de nuances. Mais, de Gaulle a montré dans ces circonstances qu'il était, lui, en tant que dirigeant de cet État bonapartiste qui a nom Ve République et qui n'est fort que des forces qui concourent à sa porte, capable de vaincre le putsch en faisant appel à l'énergie des masses, aux organisations ouvrières, à l'insoumission du contingent, tout en ne laissant pas prendre à la lutte le moindre caractère insurrectionnel, ou dangereux pour l'État bourgeois.

La conséquence logique pour l'OAS est que le chantage à la guerre civile d'un nouveau putsch n'a de chance de réussir auprès des puissances d'argent, que si celles-ci n'ont plus la solution gaulliste.

Mais cela, c'est le raisonnement d'une extrême-droite formée principalement dans les etats-majors et les services d'action psychologique d'une armée qui n'a vu dans ses défaites d'indochine et d'algérie que des défaillances tactiques et non pas l'impossibilité de vaincre, quelles que soient les forces engagées, contre tout un peuple résolu. on peut apprendre le combat de rue à saint-cyr ou à coëtquidan mais pas, quand on est du côté des classes condamnées, la guerre révolutionnaire ou, comme disait trotsky, il y, a dix pour cent de stratégique, contre quatre vingt dix pour cent de politique. car le problème principal est celui qu'ils considèrent comme résolu : malgré les trahisons de ses dirigeants, malgré l'absence d'organisations révolutionnaires dignes de ce nom, la classe ouvrière française n'est pas vaincue. il faudrait à l'armée pour la briser, une guerre civile longue, périlleuse pour la bourgeoisie, qui se terminerait peut-être comme celle d'espagne, mais peut-être seulement.

Et la bourgeoisie, la bourgeoisie surtout, sait combien il est dangereux de vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.

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