La ligne générale06/02/19611961Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

La ligne générale

La crise qui secoue actuellement le PCF fait couler beaucoup d'encre. Les « spécialistes » de la question s'évertuent à trouver les fondements des divergences qui opposent Thorez à Servin et Casanova. Les hypothèses les plus fantaisistes, les explications les plus contradictoires se succèdent.

Tout cela est d'autant plus artificiel que les bases pour une analyse sérieuse font entièrement défaut. Car, comme il est devenu habituel en pareille circonstance, seule a été publiée la version orthodoxe. Les militants eux-mêmes n'en ont pas connu d'autre. Et c'est en toute ignorance qu'une touchante unanimité s'est faite pour blâmer les hérétiques. Le procédé est maintenant habituel. Lors des exclusions antérieures - les plus marquantes furent celles de Marty - Tillon en 1953, de Lecoeur en 1954 - tout s'était passé de la même façon.

Servin et Casanova n'ont seulement pas encore eu droit aux calomnies et aux injures.

On voit une fois de plus que sur des questions graves, mettant en cause la ligne politique de leur parti, non seulement les militants n'ont pas droit à la parole (sauf pour faire la louange du secrétaire général), mais que même les membres du Bureau Politique qui ont formulé des critiques, se voient frappés d'anathème. Thorez.condamne, comme si c'était une évidence, l'illusion de Servin et Casanova qui « semblent croire possible l'existence d'une majorité et d'une minorité au sein du Bureau Politique ».

Or, c'est au nom du centralisme démocratique et des principes d'organisation préconisés par Lénine que toute velléité d'opposition est brisée.

Il n'est cependant pas d'imposture plus odieuse que celle qui consiste à prêter à Lénine les conceptions policières des Staline et des Thorez.

Jusqu'à la mort de Lénine, les bolcheviks discutaient librement et publiquement de tous les problèmes qui se posaient au Parti. Si l'existence de divergences prolongées, de tendances et même de fractions, n'étaient souhaitées par personne dans l'intérêt de l'efficacité, celles-ci se constituèrent pourtant chaque fois que des problèmes importants divisèrent les militants, même dans les circonstances les plus graves.

En Octobre 1917, lorsque plusieurs bolcheviks éminents, dont Zinoviev et Kaménev, s'opposèrent à la prise du pouvoir, allant jusqu'à publier leur position dans des journaux extérieurs au Parti, la scission fut certes proche, mais ne se produisit pas.

En 1918, quand l'URSS acculée fût amenée à signer une paix séparée avec l'Allemagne, à Brest-Litovsk, trois conceptions s'affrontèrent dans 1e Parti. Lénine fut même mis en minorité mais, plutôt que d'imposer, bureaucratiquement son opinion, il s'efforça de convaincre les. opposants jusqu'à ce que sa position gagne la majorité.

Et, en 1921, lorsque le parti bolchevik décida 1'interdiction des fractions au sein de l'organisation, il était évident pour tous qu'il ne s'agissait là que d'une mesure circonstancielle, imposée par les conditions politiques et économiques de la Russie d'alors, sortant de la guerre civile. D'ailleurs les résolutions adoptées à ce sujet précisaient qu`à l'intérieur du Parti, la liberté de critique devait être absolue.

Avec la dégénérescence de l'URSS et du parti bolchevik, toutes ces conceptions furent rapidement vidées de leur contenu. Du parti bolchevik vivant et efficace de Lénine, la clique stalinienne devait faire un appareil mort, bureaucratique, substituant à la « démocratie ouvrière » les méthodes de terreur policière. Et sur ce modèle dégénéré se calquèrent les partis communistes des autres pays.

Les méthodes d' appareil étant inhérentes à leur nature même, elles ont survécu à Staline parce qu'elles ne lui étaient pas dues.

Thorez, bon serviteur du « libéral » Krouchtchev, en assène de nouveau la preuve, aux militants les plus jeunes qui ne sont pas encore pénétrés du sacro-saint respect de la ligne générale.

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