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La grève de Decazeville de... 1886

Si la grève de Decazeville tient actuellement une grande place dans la presse, il y a 76 ans, en janvier 1886, l'action des mineurs de Decazeville retentissait aussi dans toute la France.

Une grève spontanée éclate le 26 janvier, les ouvriers au nombre de 2 000 cessent le travail. Des raisons ? Les houillères de l'Aveyron ont placé à la direction de l'exploitation des mines un ingénieur, Watrin, qui sous une apparence paternaliste ne fait en fait qu'accélérer la baisse des salaires. Un économat était institué directement payé par la Compagnie, par des prélèvements sur le salaire des ouvriers, si bien qu'on voyait leurs femmes s'endetter à l'économat pour revendre pain et viande afin de payer leurs loyers. Il faut ajouter la pression inouïe du point de vue politique exercée par la Compagnie en faveur de ses candidats, monarchistes ou cléricaux. Aux élections d'octobre 1885, ils n'obtiennent pourtant que 300 voix sur les 2000 voix des mineurs. Dans ces conditions, l'explosion était inévitable. La grève générale déclarée, les ouvriers envoient une délégation auprès de Watrin. Arrogant, brutal, l'ingénieur ne veut rien entendre et se refuse à toute concession. L'entrevue a lieu à la mairie. L'ingénieur en sort, est sifflé, hué, prend peur et se réfugie dans un bâtiment voisin. La maison est assiégée, elle est envahie, Watrin est entouré, assailli, frappé ; puis jeté par une fenêtre et achevé par la foule.

A la suite de cette défenestration, des régiments de cavalerie et d'infanterie sont expédiés en toute hâte à Decazeville, les troupes parcourent les campagnes baïonnette au canon pour effrayer la population. Sur l'intervention du préfet, quelques concessions sont promises par la Compagnie et le travail reprend le 29 janvier. Le calme règne, les troupes n'en demeurent pas moins sur place. Mais les améliorations promises le 29 janvier ne sont pas accordées, la Compagnie compte sur la terreur des baïonnettes mises à sa disposition par le Gouvernement pour, au contraire, sous le couvert d'une augmentation d'une partie du salaire, diminuer le salaire total des mineurs. Cette décision est placardée le 25 février ; malgré l'occupation militaire, la grève reprend le jour même. Elle durera jusqu'au 14 juin, soit 108 jours.

Cette grève va être dans tout le pays l'objet d'une gigantesque propagande socialiste : le lendemain de la mort de Watrin, Jules Guesde écrit dans le « Cri du Peuple » : « Mardi matin, la grève éclatait. Et le même jour le sang avait coulé. Par extraordinaire, pour la première fois peut-être, ce n'est pas du sang ouvrier... ». « ... Devant ce cadavre d'employeur, de tortureur, qui va tirer des larmes de tous les yeux bourgeois et des condamnations d'une justice également bourgeoise, il nous est impossible de penser à autre chose qu'aux souffrances, aux injures et aux provocations dont une pareille mort n'est que le couronnement, pour ne pas dire le châtiment ». A la Chambre, les socialistes interviennent pour défendre les mineurs, cela donne lieu à des débats houleux. Un ancien ouvrier, mineur du Nord, élu député de la Seine, Basly, défend avec emportement les grévistes. Jean Jaurès. - qui vient d'être élu et siège sur les bancs de la gauche opportuniste - vote dans tous les scrutins pour le Gouvernement et pour la Compagnie, justifiant son attitude plus tard en écrivant : « Lorsque les ouvriers de Decazeville eurent tué l'ingénieur Watrin, Basly, novice encore à la politique sociale, portait au Parlement une déclaration rédigée par les hommes du « Cri du Peuple » qui contenait presque un commencement d'apologie anarchiste du meurtre, bien plus que la revendication du droit ouvrier et l'affirmation de la pensée socialiste, En vain couvrit-il cet attentat du souvenir des violences de la révolution bourgeoise et promenait-il au bout d'une pique la tête de Flesselles et la tête de Foulon... » ; plus loin, il parle de la « choquante et inutile violence du discours de Basly sur les événements de Decazeville » '.

D'autre part, les élus socialistes : Basly, Camélinat, Antide Boyer, Clovis Hugues, vont à Decazeville, groupent les travailleurs, multiplient les réunions. Depuis deux ans seulement, les syndicats viennent d'être reconnus par la loi. Les socialistes, eux, sont groupés dans le « Parti Ouvrier » fondé en 1879, avec Guesde. Les blanquistes se sont eux aussi organisés. Ce sont donc eux, bien plus que les syndicats qui organiseront la lutte sur place.

Deux rédacteurs, Duc-Quercy au « Cri du Peuple », Ernest Roche à « L'Intransigeant » tiennent le public parisien au courant de la grève, et les deux journaux ouvrent des souscriptions en faveur de la grève. Les deux rédacteurs sont arrêtés sous prétexte d'avoir : « à l'aide de violences, de menaces et de manœuvres frauduleuses, porté atteinte au libre exercice du travail » : quinze mois de prison ! Mais une élection législative complémentaire a lieu dans la Seine et tous les socialistes, à l'exception de, la fraction possibiliste, décident de présenter l'un des condamnés de Decazeville, le nom d'Ernest Roche est tiré au sort. D'autre part aucun manifeste ni programme n'est élaboré pour cette élection car c'est d'une protestation qu'il s'agit. Les socialistes recueillent 100 820 voix, l'élu n'en a que 146 000, c'est un radical. Cette double candidature socialiste et radicale est la manifestation de la rupture intervenue à la Chambre entre radicaux et socialistes élus sur une liste commune en 1885. C'est la prise de position ferme des socialistes pour le soutien intégral des mineurs qui provoqua la rupture et aboutit à la constitution d'un « groupe ouvrier » à la Chambre.

Parallèlement aux discours d'agitation à la Chambre, des meetings sont organisés (quatre durant le seul mois d'avril à Paris). Sous la pression de l'opinion publique, un grand nombre de municipalités votent des crédits pour venir en aide aux grévistes (à Paris, Marseille, Lyon, etc...). Un de ces meetings a d'ailleurs son épilogue en Cour d'Assises ; Jules Guesde, Paul Lafargue, Susini, sont poursuivis pour excitation au meurtre et au pillage et transforment leur procès en cours d'éducation socialiste. Ils sont acquittés et le public présent à l'audience fait une ovation.

Le 1er juin, la Compagnie cède et la grève se termine. Du 15 au 20 juin, cependant, se déroulera devant les Assises de l'Aveyron le procès de dix travailleurs, dont deux femmes, accusés du meurtre de Watrin. Quatre sont condamnés à 26 ans en tout de travaux forcés, et six sont acquittés.

Actuellement les ouvriers de decazeville mènent aussi une lutte courageuse depuis plus d'un mois. ils ont rencontré le soutien de toute leur région, mais par contre sur le plan national rien n'a été fait de conséquent : une matinée, grève des mineurs de l'aquitaine ; un autre jour, grève dans le nord ; action volontairement fractionnée. d'ailleurs tout est fait, aussi bien du côté gouvernemental que des organisations ouvrières, pour faire passer ce problème pour spécifique à la région : reconversion locale impossible car aucune usine où reconvertir les mineurs, suppression de leurs avantages sociaux de mineurs. rien peur élargir la question à celle de toutes les reconversions, à la garantie de l'emploi et du salaire de tous les ouvriers.

Alors qu'en 1886, d'un conflit aigu mais très localisé, le Parti Ouvrier avait fait une affaire nationale, aujourd'hui, partis ouvriers et bourgeoisie s'entendent pour faire le contraire.

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