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La crise du PCF

Servin et Casanova ont été exclus du Bureau Politique du PCF et selon toute vraisemblance le prochain Congrès les exclura également du Comité Central. Jetant ainsi d'avance l'anathème sur tous ceux qui, à cette occasion, auraient voulu tenter d'exprimer leurs divergences avec la ligne du parti, Maurice Thorez tente de leur faucher l'herbe sous les pieds et de s'assurer l'approbation des militants lors de ce congrès, ou tout au mois un confortable silence.

Beaucoup, et y compris les journaux bourgeois, prenant au pied de la lettre les accusations de « déviation droitière » lancée contre Servin et Casanova, veulent voir dans cette affaire la manifestation d'une tendance de droite au sein du PCF, de la même façon qu'on avait voulu voir dans les textes publiés par la cellule Sorbonne-Lettres en 1959, celle d'une tendance de gauche.

Certains vont même jusqu'à prétendre que Thorez étant revenu de Moscou parfait krouchtchevien, il s'opposerait en cela à d'autres qui serait eux, les « hommes de Pékin » (ou vice versa).

Vouloir expliquer ainsi les malaises qui, périodiquement, troublent le PCF est finalement assez vain. Car s'il y a un critère qui permette de déterminer ce que représente un parti ouvrier, c'est celui de savoir s'il est révolutionnaire ou pas. Or, il y a longtemps que le PCF a abandonné la cause de la révolution prolétarienne pour prendre le chemin du réformisme, du patriotisme, du compromis avec la bourgeoisie. Et on peut dire qu'à cet égard, Thorez vaut largement tous les Servin et les Casanova et qu'ils ne sont pas plus à droite ou à gauche les uns que les autres.

Il n'en reste pas moins que si la direction stalinienne fait tant de bruit actuellement autour des « divergences » entre certains de ses membres, c'est pour d'autres raisons que pour une simple hostilité personnelle. Ce fait est lié au malaise qui règne dans le PCF depuis la venue de de Gaulle au pouvoir.

Ce malaise, ce trouble des militants de la base est incontestable. L'inaction du PCF face à la guerre d'Algérie est de plus en plus flagrante. Déjà le vote des pouvoirs spéciaux en 1956 n'avait pas été sans poser des questions à certains militants, et cela, lié à la répression de la révolution hongroise, avait d'ailleurs valu au PC la perte d'un bon nombre d'entre eux.

Mais depuis deux ans, le cours droitier suivi par la direction du parti n'a fait que s'accentuer avec l'approbation de l'autodétermination assortie de la seule restriction de son « application loyale », le sabotage de la manifestation organisée par l'UNEF le 27 octobre, le désaveu formel des militants qui ont plus ou moins soutenu le réseau Jeanson ou qui voudraient soutenir les insoumis et les déserteurs. Tout cela en se gardant bien d'appeler les travailleurs à une action efficace. Pour les militants du parti, et surtout les jeunes, cela ne va pas sans problèmes.

Car à côté d'eux, et en particulier dans le milieu étudiant où les diverses organisations se côtoient de très près, il y a la tentation des groupes qui ont au moins l'apparence d'une activité. Le PSU en particulier a réussi à polariser en partie ces aspirations. Ce sont ces jeunes qui parlent d'insoumission, et ce sont L'Express et France-Observateur qui ont fait le plus de publicité autour de la question.

Ainsi les jeunes mécontents du PC, cherchant tout autour d'eux, ne sont pas sans subir l'influence des milieux sociaux-démocrates, des petits bourgeois intellectuels de gauche français. Ce qui se traduit au sein du PCF par un certain flottement et par des velléités d'indépendance de la part surtout des cercles de jeunes.

C'est ce mécontentement, latent depuis plusieurs mois, que Thorez a décidé de frapper maintenant. Un commencement de discussions est déjà assez dangereux pour la dictature de l'appareil stalinien ; et il lui semble d'autant plus urgent d'y mettre un terme que le congrès annuel est proche. Il n'est pas question d'y tolérer la moindre critique et par conséquent, il faut désamorcer à l'avance d'éventuelles oppositions.

Telle est la signification de l'éviction spectaculaire de Servin et Casanova.

Non pas que ces deux hommes représentent l'opposition confuse qui se manifeste dans le PC. Cette opposition n'est en réalité pas organisée, elle n'a pas de chefs ou de leaders véritables, elle existe seulement d'une manière latente. On peut difficilement croire que Servin, Casanova ou Krigel-Valrimon aient voulu entraîner le parti dans une lutte franche sur le terrain de la guerre d'Algérie.

Il se peut qu'ils aient été choisis par la direction pour des raisons différentes, mais il reste qu'ils ont été sacrifiés à la nécessité de reprendre fermement le parti et ses jeunes bien en main ; que c'est au travers de leur personne qu'on a voulu faire taire les éventuels opposants. Ces exclusions prennent dès maintenant valeur d'exemple : lors du Congrès, on pourra ainsi éviter les discussions avec une tendance à laquelle on aura d'avance donné un nom, qu'on aura d'avance caractérisée et marquée du sceau de la déviation droitière. Pour cela la direction stalinienne a usé du classique procédé de l'amalgame, en accusant Casanova-Servin pêle-mêle d'avoir voulu participer à la manifestation du 27 octobre, d'avoir voulu voter « oui » au référendum, et en sortant des textes écrits il y a plusieurs mois - avec lesquels pourtant la direction ne pouvait qu'être d'accord puisque publiés dans des organes officiels du parti.

Mais s'il y a en ce moment un trouble particulier dans le PCF, celui-ci se rattache à une contradiction fondamentale, liée à la nature même du parti stalinien ; c'est la contradiction entre son allégeance à Moscou, de laquelle il doit constamment donner des gages, et sa politique réformiste et patriotarde qui, en particulier depuis le Front populaire et la Libération, n'a fait qu'accentuer les risques inhérents à une telle situation, pour un parti stalinien. Déjà en 1939, lors du pacte germano-soviétique, une bonne partie des députés communistes au Parlement quitta le parti, sur des bases patriotiques et nationales.

Ce malaise engendré par cette contradiction permanente, n'est pas nouveau. Le trouble et les oppositions actuelles, conséquences de la politique algérienne du PC, n'en sont pas l'expression mais sont assurément profondément marqués par ce caractère fondamental.

Et même si les mesures spectaculaires prises à l'encontre de Servin et Casanova suffisent pour réduire au silence les oppositions éventuelles au cours du prochain congrès, elles ne feront que reporter l'échéance car ces mesures ne visant que la préservation de l'appareil, elles ne peuvent apporter de remède à la crise du Parti communiste.

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