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Justice !

Un procès qui se veut spectaculaire vient de s'ouvrir à Jérusalem le onze avril. Celui d'Adolf Eichmann, ex-colonel SS, directeur de la section des affaires juives à la Gestapo, « capturé » en Argentine par un commando des services secrets israéliens après une « longue chasse » de quinze années. Les victimes, ce sont 6 000 000 de juifs, gazés, fusillés, torturés et battus à mort par les nazis en Europe entre 39 et 45.

En 1945, les « démocraties » victorieuses avaient fait le procès « à grand spectacle », le procès de Nuremberg, où étaient jugés pour crimes de guerre les Sauckel, chargé des camps de travail forcé, Goering, maréchal du Reich (pendu), Hess, bras droit du Führer, Baldur Von Schirach, chef des jeunesses hitlériennes, von Ribentropp, ministre des Affaires étrangères (pendu), etc., etc.... rejetant ainsi les crimes d'un régime et finalement de la société tout entière sur les seules épaules des ignobles exécutants d'ignobles tâches afin que dans les troubles qui ont marqué la fin de la guerre, les masses populaires écoeurées de la boucherie impérialiste ne soit pas tentées de renverser à tout jamais une société faillie.

Aujourd'hui, Israël, en mettant Eichmann en accusation, détache le massacre des juifs du massacre général et en fait un problème particulier. Il est donc visiblement adressé au peuple juif et spécialement au peuple d'Israël.

Israël, devenu un état indépendant en 1948 après la guerre menée entre 45 et 48 contre les Anglais d'abord, contre les Arabes ensuite, Israël, qui a pu être une solution pour les milliers de juifs fuyant la terreur nazie, n'est viable comme État juif dans le monde actuel qu'avec une population en armes soumises à une rude discipline et à pas mal de sacrifices.

Tous les commentateurs s'entendent pour dire de ce procès qu'il est une manoeuvre personnelle du président Ben Gourion. Il est bien possible en effet que le rappel des souffrances endurées par les juifs d'Europe lors de la Deuxième Guerre mondiale servent au Premier ministre à montrer à la population d'Israël et en particulier aux jeunes que quelles que puissent être les raisons qu'ils aient de se plaindre à l'heure actuelle, leur sort pourrait être pire si Israël n'existait pas, s'ils n'avaient pas la chance d'y vivre. Tout n'est pas pour le mieux, mais nous vivons dans le meilleur monde possible.

Mais ceci dit, quelle justice va-t-on rendre dans ce procès ?

D'un côté, la vie d'Eichmann, de l'autre celle de 6 000 000 de juifs ! Si l'on parle de justice il faut parler des coupables.

Or qui est responsable de la terreur fasciste, dont l'antisémitisme est le corollaire obligatoire en Europe ? Qui y a recours ? C'est la bourgeoisie elle-même qui admet, laisse naître les bandes fascistes pour pouvoir y faire appel lorsque incapable d'assurer sa domination économique, elle voit se dresser devant elle la classe ouvrière qui s'apprête à prendre le relais. Là, elle frappe, là elle préfère la pourriture du fascisme avec son cortège de répressions, de tortures, de veuleries, de délations et surtout d'humiliations et d'abaissement de l'homme, régime responsable de millions de morts d'une part, mais aussi de la dégradation de milliers d'hommes que, d'êtres humains il transforme en autant de Eichmann (qui, soit dit en passant, ne méritait guère plus que d'être abattu par ceux qui l'ont retrouvé).

La bourgeoisie italienne a le triste honneur d'avoir inauguré ces méthodes pour la première fois. La bourgeoisie allemande a fait de même lors de la grande crise de 1930. Les camps de la mort ont été créés pour les communistes allemands, on ne peut l'oublier.

Hitler a été hissé au pouvoir par la bourgeoisie allemande et avec l'assentiment des bourgeoisies des autres pays. Ce n'est que lorsque l'impérialisme allemand a remis en question les frontières du traité de Versailles que ses semblables se coalisèrent contre lui et réglèrent leur différend qui était un différend entre impérialistes et non entre « démocraties et fascisme ».

Le fascisme, c'est à la bourgeoisie que nous le devons, aussi la seule justice et la seule vengeance est la révolution prolétarienne. Celle qui condamne définitivement et sans rémission la bourgeoisie. Elle seule peut nous venger des crimes de guerre et des crimes quotidiens qu'elle perpétue par son existence même. La grande peur de la bourgeoisie à ce moment-là peut seule payer tous ces crimes. Cette grande peur, elle la fait d'ailleurs payer chèrement aux prolétaires lorsque les révolutions ne sont pas victorieuses. C'est pourquoi la révolution prolétarienne est la seule punition que craint la bourgeoisie, c'est la seule justice qui puisse se rendre, c'est ce que nous devons à tous nos morts.

 

Extraits de La Lutte de Classes, numéro 70 du 11 octobre 1946

Un procès mensonger

Tout le monde commente l'acquittement des trois d'entre les accusés du procès de Nuremberg, représentants de la Banque et de la bourgeoisie conservatrice allemande. Mais le principal aspect de ce procès est laissé dans l'ombre, à savoir que le procès de Nuremberg n'a été qu'un procès mensonger.

Après un an de débat entre défense, accusation, témoins, après des recherches et une publicité qui ont nécessité des dépenses considérables, des tonnes de papier, une armée de bureaucrates, de juges, d'avocats, d'interprètes, etc., gardés par une autre armée de « Military Police » et de troupes, ce procès n'a rien appris au peuple qu'il n'ait déjà su avant ; les crimes des dirigeants nazis ils les connaissaient pour les avoir subis. Le rôle d'un procès, quand le crime est connu et l'assassin pris en flagrant délit, n'est pas de dévoiler celui-ci, mais de découvrir dans quelles circonstances le crime a été rendu possible et qui l'y a aidé. Le rôle d'un procès contre les chefs nazis eut été de démasquer les complices du fascisme et de démontrer comment son avènement a été rendu possible ; comment une bande de criminels ennemis de l'humanité est arrivée à la tête d'un grand pays qui a donné à l'humanité, dans le domaine de la culture et des sciences, ses meilleurs représentants ? En quelles circonstances, à l'aide de quelles complicités, en liaison avec qui ?

Mais c'est précisément cela que les juges entendaient obscurcir. Ils ne pouvaient pas poser des questions qui auraient seules dévoilé les complices des chefs nazis :

Quelles étaient les liaisons des gouvernements anglais et français avec les nazis jusqu'à Munich ?

Quels ont été les rapports de Staline avec Hitler jusqu'à ce que celui-ci attaque l'URSS ? Les accusations de Staline contre Trotsky était-elle vraies, ou ne servaient-elles qu'à masquer ses propres tractations ?

Si Staline n'avait rien à se reprocher de ses liaisons avec les chefs nazis avant et pendant la guerre germano-soviétique, le procureur soviétique ne se serait pas gêné pour essayer de dévoiler les liaisons des capitalistes anglais avec les nazis, l'affaire de Munich, celle de la fuite de Hesse en Angleterre. Si les anglo-saxons ne portaient pas la principale responsabilité de la montée de la victoire du fascisme, ils n'auraient pas craint de parler du découpage de la Pologne et de la politique d'occupation en Europe. Si Trotsky avait été au service de Hitler, juges anglo-saxons et procureur soviétique n'auraient pas eu peur d'aborder ce sujet.

La complicité des juges et des accusés sur tous ces points a fait de leur procès une duperie. Ayant caché les responsabilités des complices des dirigeants nazis, Nuremberg leur laisse le champ libre pour recommencer.

L'acquittement de Schacht et de von Papen, représentants des maîtres nazis (les capitalistes allemands et internationaux), n'est en réalité que la conclusion naturelle de ce pseudo procès du nazisme. En leur personne les capitalistes anglo-américains se sont acquittés eux-mêmes. À leur exemple, Eisenhower ne demandait-il pas l'acquittement des représentants de l'état-major allemand ?

Quand le peuple poussé à bout par ses souffrances abattra la puissance du capital, lui seul pourra faire le véritable procès des capitalistes, fauteurs de guerre et de fascisme.

 

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