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Jeux diplomatiques et réalités impérialistes

 

Le 8 mars 1962, la Tchécoslovaquie remettait à l'Autriche une note (semblable à de nombreuses notes précédemment envoyées par des chancelleries des pays de l'Est) rappelant que par l'article 4 du traité de paix, l'Autriche s'est engagée à ne jamais conclure d'alliance politique ou économique avec l'Allemagne et que les pourparlers actuels de l'Autriche pour entrer dans le Marché Commun étaient contraires à cet engagement, étant donné la « prépondérance allemande » au sein de la Communauté Economique Européenne.

Bien que la situation faite à l'Autriche après la Deuxième Guerre mondiale et en particulier après le traité de paix signé en 1955 avec l'URSS, soit bien différente de celle créée après la guerre de 14-18 par la « Paix de Versailles », il y a pour l'Autriche un point commun à ces deux situations : l'isolement économique dans lequel les puissances signataires exigent qu'elle reste à chaque fois et l'interdiction d'entente économique avec l'Allemagne.

Dans un monde où le capitalisme a développé un marché mondial, l'isolement économique d'un pays revient à sa condamnation et c'est pourquoi, déjà après la Première Guerre mondiale, l'Anschluss, c'est-à-dire le « rattachement » de l'Autriche à l'Allemagne était souhaité par la bourgeoisie autrichienne. Aussi en 1931 elle tentait d'établir une union douanière avec l'Allemagne, union que la Société des Nations, gardienne de la paix impérialiste, s'empressait d'interdire immédiatement, laissant l'Autriche sans issue. L'arrivée d'Hitler au pouvoir en Allemagne en 1933 posait le problème dans le cadre du fascisme et c'est le 12 mars 1938, il y a 24 ans, que l'Anschluss était réalisé « pacifiquement » par Hitler et que ses troupes déferlaient sur l'Autriche.

A ce moment-là, la Tchécoslovaquie était un jeune impérialisme qui devait être occupé « pacifiquement » elle aussi par l'Allemagne après l'accord de Munich en septembre 1938, accord où les impérialismes franco-anglais jugeaient bon de donner satisfaction à l'impérialisme allemand aux dépens de plus faibles qu'eux.

Tchécoslovaquie et Autriche, les deux victimes du prélude à la Deuxième Guerre mondiale, sont aujourd'hui de part et d'autre du rideau de fer. La troisième guerre mondiale se pose en termes très différents de la deuxième.

En 1934 , le monde est secoué par la crise économique catastrophique partie des États-Unis. La bourgeoisie allemande dépouillée par ses rivales française et anglaise au Traité de Versailles, s'est lancée pour se relever, dans la voie du fascisme. Aussi apparaît-elle comme la principale menace contre l'équilibre établi. Certes l'opposition fondamentale reste celle qui existe entre l'URSS, et les autres pays impérialistes dont les systèmes économiques sont essentiellement différents. Mais la dégénérescence de l'État Soviétique le rend beaucoup moins dangereux pour les impérialistes, car d'une part il a perdu sa valeur d'exemple et d'autre part il s'oriente vers une politique extérieure de compromis avec les différents impérialismes qui fera de lui leur meilleur paravent.

Aussi, le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale est-il prévisible à partir du moment où la bourgeoisie allemande se sentira de taille à reprendre la lutte contre ses anciens vainqueurs, ce qui se situe avec assez d'exactitude vers les années 1938-39.

Si l'impérialisme se caractérise par son banditisme et son gangstérisme, la guerre est un moyen auquel il n'a recours qu'en dernier ressort, car elle est d'un maniement dangereux à plusieurs points de vue. Mise à part la destruction physique pure et simple que tout le monde risque, y compris les bourgeois, la guerre comporte ces dangers de révolution dont la Première Guerre mondiale avait montré les possibilités. C'est ce qui fit que l'impérialisme franco-anglais permit à Hitler d'occuper « pacifiquement » l'Autriche puis une partie de la Tchécoslovaquie, afin de retarder le plus longtemps possible le déclenchement du conflit armé.

Dès février 1945, la chute de l'Allemagne étant proche, les conversations portèrent à la conférence de Yalta, sur le principe du démembrement de l'Allemagne, les zones à occuper, le montant des chiffres de réparations exigibles. Staline accepte même d'entrer en guerre contre le Japon trois mois après la capitulation de l'Allemagne pour recouvrer les îles Kouriles et la partie sud de Sakhaline. L'URSS après avoir été à deux doigts de sa perte représentait une force militaire énorme et occupait la moitié de l'Europe. Du côté occidental, alors que les impérialismes français et anglais sortaient de la guerre fortement amoindris, l'impérialisme américain s'imposait comme vainqueur y compris de ses « amis » impérialistes et dictait sa loi au monde entier. Ainsi les deux géants URSS, États-Unis dominaient-ils la scène politique.

La coupure en deux blocs du monde devenait effective en 1948 mettant clairement à nu les deux principaux antagonismes à l'intérieur desquels peuvent exister d'autres contradictions, mais étouffées par chacune des deux grandes puissances. Un statu quo demeure ainsi depuis 1948, équilibre des deux blocs qui, à moins d'une crise catastrophique de l'impérialisme ne fut menacé sérieusement que par les mouvements d'émancipation des peuples coloniaux. Mais cette émancipation présente pour la bureaucratie russe un danger aussi grand que pour les États-Unis, aussi son opposition aux États-Unis se situe-t-elle au niveau du jeu diplomatique et son aide est-elle toujours très mesurée.

Des points où s'affrontent et se cristallisent cette coupure sont les frontières même où les deux systèmes se trouvent face à face. En Europe, c'est l'Allemagne de l'Ouest qui représente en effet pour l'URSS, le fer de lance de l'impérialisme mondial sur la frontière européenne. Et depuis 1948, l'URSS alternativement par la menace et les offres, essaye en vain de régler le « problème allemand » et d'empêcher le réarmement de l'Allemagne de l'Ouest. L'URSS a tenté de se servir notamment de l'Autriche pour influencer le cours du règlement du problème allemand. Jusqu'en 1955, elle refuse de signer le traité de paix avec l'Autriche, jusque-là occupée par les troupes alliées et officiellement en guerre, tant que la « question allemande » ne serait pas réglée. En fait, ce moyen ne servit à rien et la « question allemande » fut réglée par son réarmement. En 1955, l'URSS changea de tactique donc et signa un traité pour essayer d'ébranler l'opinion publique allemande en tentant de démontrer que l'on pouvait mettre fin à la division du pays si l'on acceptait, comme l'avait accepté le chancelier Raab, dirigeant de l'Autriche, la neutralisation du pays. Tentative psychologique qui ne risquait guère d'influencer les événements. L'opinion allemande était on ne peut plus contre le réarmement et la coupure de l'Allemagne en deux. Les dirigeants allemands et les impérialismes occidentaux qui décidaient de réarmer l'Allemagne et de l'intégrer dans leur système d'alliances militaires le faisaient en dépit de l'» opinion publique ».

Aujourd'hui, pas plus qu'hier, la politique des notes diplomatiques n'évitera que l'Autriche n'aille vers une intégration de plus en plus poussée dans le bloc atlantique et que sa « neutralité » dont l'URSS était si fière ne perde toute signification. De l'Anschluss à nos jours, les puissances impérialistes ont changé, maïs l'utilisation de la force, même « pacifique » est toujours leur règle.

 

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